Cuba
Vers une normalisation des relations entre
Cuba et les Etats-Unis ?
Salim Lamrani
Salim Lamrani
12 novembre 2008
L’élection du démocrate Barack Obama à la présidence des
Etats-Unis est un évènement sans précédent dans l’histoire de ce
pays. Pour la première fois, un candidat de couleur a atteint le
poste suprême dans une nation où le racisme était
institutionnalisé il y a encore un demi-siècle, et où les
discriminations à l’encontre des minorités sont encore trop
nombreuses. Jamais un scrutin n’aura suscité autant d’intérêt et
d’engouement non seulement aux Etats-Unis, mais également dans
le monde entier. Epuisés par les huit années catastrophiques de
l’administration Bush qui a conduit l’économie mondiale au bord
de l’abîme et plongé la planète dans une insécurité notable, les
peuples du monde avaient unanimement fait le choix du jeune
sénateur de l’Illinois au détriment de son adversaire
républicain John McCain, considéré comme étant l’héritier de
George W. Bush1.
La Havane n’a pas échappé au phénomène Obama et les
Cubains ont suivi le processus électoral avec attention. Là
encore, leur choix s’est porté sur le candidat demócrate2.
« Il est sans nul doute plus intelligent, plus cultivé et
plus impartial que son adversaire républicain », avait
déclaré Fidel Castro à son égard. Il s’agit du
« meilleur orateur politique des Etats-Unis de ces dernières
décennies », avait-il ajouté, saluant ses « idées bien
articulées ». En revanche, le candidat républicain John
McCain est « vieux, belliqueux, inculte, peu intelligent et
en mauvaise santé », a signalé le leader de la Révolution
cubaine3.
En effet, Obama est le premier président depuis James
Carter à faire part de sa volonté de rencontrer le président
cubain Raúl Castro, sans imposer de conditions au préalable4.
Il a également évoqué son souhait de « normaliser les
relations et assouplir l’embargo qui a gouverné les rapports
entre nos pays durant les cinq dernières décennies5 ».
Le nouveau président étasunien éliminera les sanctions
relativement cruelles imposées par l’administration Bush en
2004. Celles-ci limitent les séjours des ressortissants cubains
dans leur pays d’origine à 14 jours tous les trois ans, séparant
ainsi de nombreuses familles, et réduisent le montant de l’aide
financière qu’il est possible d’envoyer à seulement 100 dollars
par mois6. « Il s’agit à la fois d’une question
stratégique et humanitaire. Cette décision a […] un impact
profondément négatif sur le bien-être du peuple cubain », a
déclaré Obama. Dès le 20 janvier 2009, « j’autoriserai aux
Cubains-américains des droits illimités pour rendre visite à
leurs familles et envoyer de l’argent dans l’Île », a-t-il
affirmé7.
A moyen terme, il est également envisageable que le
Congrès, dominé par les Démocrates, mette un terme à
l’interdiction de voyager à Cuba pour les citoyens étasuniens.
En effet, actuellement, ils peuvent voyager partout dans le
monde, y compris en Chine, au Vietnam et en Corée du Nord, mais
pas à Cuba. Il est également probable que le Congrès élimine les
restrictions imposées aux échanges académiques, culturels et
sportifs.
Imposées en juillet 1960, les sanctions économiques
étasuniennes sont le principal obstacle au développement
économique de Cuba. Elles ont coûté la bagatelle de 93 milliards
de dollars à l’économie cubaine depuis leur entrée en vigueur et
3,7 milliards rien que pour l’année 2007. Elles affectent
également l’ensemble de la population, en particulier ses
catégories les plus vulnérables. Ainsi, 70% des Cubains sont nés
sous le régime des sanctions8.
La politique de sanctions est unanimement rejetée par la
communauté internationale. Le 29 octobre 2008, pour la 17ème
année consécutive, 185 pays sur les 192 que compte l’Assemblée
générale des Nations unies se sont prononcés pour la levée de ce
châtiment qui frappe les Cubains. Jamais une telle majorité
n’avait été atteinte auparavant. Seuls les Etats-Unis, Israël et
Palau ont voté contre la résolution. L’opinion publique
étasunienne y est opposée ainsi que le monde des affaires (en
particulier les multinationales pétrolières) qui voit un marché
naturel tomber entre les mains des investisseurs chinois,
européens et latino-américains9.
Wayne S. Smith, ancien ambassadeur étasunien à Cuba, a
fustigé la politique étasunienne à l’égard de Cuba et s’est
prononcé pour l’élimination des sanctions unilatérales. Cet
acharnement « est stupide, contre-productif et rejeté au
niveau international10 ». « Notre
peuple demande que cesse le blocus contre Cuba. C’est également
la réclamation unanime de la communauté internationale », a
clamé Fidel Castro dans une réflexion du 7 novembre 200811.
Obama, dont l’intelligence et la sagacité ne font aucun
doute, serait avisé d’étudier l’idiosyncrasie cubaine et
comprendre que le langage de la force et de la menace est
inutile. Fidel Castro l’a de nouveau rappelé : « Il en a
encore qui rêvent de mettre Cuba à genoux en brandissant le
blocus criminel comme instrument de la politique étrangère des
Etats-Unis contre notre patrie. Si ce pays commet de nouveau une
telle erreur, il pourrait appliquer pendant un autre demi-siècle
cette politique inutile contre Cuba12 ».
Le gouvernement de La Havane a tendu à maintes reprises
une main fraternelle à Washington, se heurtant à chaque fois à
un refus obstiné. Raúl Castro a également tendu à deux reprises
un rameau d’olivier à l’administration Bush, sans succès. Il
s’est déclaré disposé à dialoguer ouvertement avec Barack Obama.
« Nous espérons que le prochain président changera la
politique à l’égard de Cuba [et] nous espérons une normalisation
complète des relations », a souligné Felipe Pérez Roque,
ministre cubain des Affaires étrangères13.
Obama a tout à gagner à reconnaître enfin
que Cuba est une nation souveraine et indépendante, et à baser
ses futures relations avec La Havane sur la réciprocité et la
non-ingérence dans les affaires internes. Il sera alors
accueilli à bras ouverts par les Cubains et ne recueillera d’eux
que des expressions de gratitude.
Barack Obama dispose d’une opportunité historique de
changer une fois pour toute la politique cubaine des Etats-Unis
et de normaliser les relations entre les deux pays.
L’acharnement insensé contre le peuple cubain de la part de
Washington est cruel, inhumain et injustifiable. Le jeune
président Obama a l’obligation morale d’être à la hauteur des
espérances que son élection a suscitées. L’humanité entière lui
en serait reconnaissante.
Notes
1
John Leicester, « Obama Victory Sparks Cheers Around the
Globe », The Associated Press, 5 novembre 2008.
2
Calvin Woodward, « Where Obama Stands on the Issues », The
Associated Press, 5 novembre 2008.
3
Jeff Franks, « Obama Win Raises Cuban Hopes for Change »,
Reuters, 5 novembre 2008.
4
Fidel Castro Ruz, « Las elecciones del 4 de noviembre », Cuba
Debate, 3 novembre 2008.
5
Barack Obama, « Our Main Goal : Freedom in Cuba », The Miami
Herald, 21 août 2007.
6
Colin L. Powell, Commission for Assistance to a Free Cuba,
(Washington : United States Department of State, mai 2004).
www.state.gov/documents/organization/32334.pdf (site
consulté le 7 mai 2004).
7
Barack Obama, « Our Main Goal : Freedom in Cuba », op. cit.
8
Edith M. Lederer, « UN Again Urges US to Lift Embargo Against
Cuba », The Associated Press, 29 octobre 2008.
9
Ibid.
10
Anita Snow, « Analisis : Obama Changes Could Test Castros’
Grip », 8 novembre 2008.
11
Fidel Castro Ruz, « El tercer huracán », Cuba Debate, 7
novembre 2008.
12
Ibid.
13
Edith M. Lederer, « Cuba Expects New US President to Lift
Embargo », The Associated Press, 30 octobre 2008.
Salim Lamrani est enseignant, chargé de
cours à l’Université René Descartes Paris V et journaliste
français, spécialiste des relations entre Cuba et les
Etats-Unis. Il vient de publier Double Morale. Cuba, l’Union
européenne et les droits de l’homme (Paris : Editions
Estrella, 2008).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
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