Venezuela
L'opposition vénézuélienne et la
démocratie
Salim Lamrani
Salim Lamrani
Dimanche 12 avril 2009
Manuel Rosales, principal leader de l’opposition, candidat
présidentiel défait lors du scrutin de décembre 2006 et actuel
maire de la ville de Maracaibo, est dans la ligne de mire de la
justice vénézuélienne. Celle-ci le soupçonne de corruption et
d’enrichissement illicite lors de son mandat de gouverneur de
l’Etat du Zulia entre 2002 et 2004. Confirmant les soupçons qui
pèsent à son encontre, ce dernier, au lieu de se présenter à la
justice et de prouver son innocence, a préféré prendre la fuite
tout en accusant le président Hugo Chávez d’avoir ordonné son
arrestation1.
Le procureur de la République Katuiska Plaza a souligné
que Rosales s’est montré incapable de justifier la provenance
des fonds qui ont substantiellement augmenté la valeur de son
patrimoine personnel. Ce dernier, s’il est reconnu coupable,
risque entre 3 et 10 ans de prison. Interrogé par l’agence de
presse étasunienne
Associated Press, l’avocat de Rosales Alvaro Castillo n’a
pas souhaité donner plus de détails2.
Rosales, dont le procès a été transféré à Caracas après
qu’il se soit entretenu avec quatre juges de l’Etat du Zulia,
est soupçonné, entre autres, d’avoir fait don à ses proches de
plus de 300 véhicules appartenant à l’Etat, d’avoir ouvert des
entreprises à Miami dont les actifs dépassent les 11 millions de
dollars et d’avoir touché des pots-de-vin de la part de
l’entreprise allemande Siemens pour la construction du métro de
Maracaibo. Cette multinationale a reconnu avoir versé certaines
sommes pour obtenir le contrat, sans citer de noms3.
Omar Barboza, président du parti
Un Nuevo Tiempo
auquel appartient Rosales, a confirmé la fuite du maire de
Maracaibo, tout en accusant le gouvernement bolivarien de
vouloir éliminer un adversaire politique. Mais il a omis de
préciser que la mise en examen de Rosales en 2009 n’est en
réalité que la conséquence d’une enquête ouverte en septembre
2004, c’est-à-dire il y a près de cinq ans4.
Cilia Flores, présidente de l’Assemblée
nationale, a rejeté les accusations de Barboza :
« Il a commis un certain
nombre de délits qui ne sont pas politiques, ce sont des faits
de corruption, des délits d’enrichissement illicite ». Elle
a ajouté que Rosales, en plus de fuir ses responsabilités
personnelles à l’égard de la justice vénézuélienne, n’assumait
plus sa fonction de maire de la ville de Maracaibo5.
De son côté, le ministre de l’Information
Jesse Chacón a affirmé que les preuves à l’encontre de Rosales
étaient suffisamment nombreuses pour qu’il soit présenté à la
justice : « Il y a une
série de faits contenus dans un dossier, des maisons, des
propriétés et des centres commerciaux qui sont inscrits à son
nom et à celui des membres de sa famille. A lui de se défendre ».
Il a rejeté les tentatives de politisation d’une affaire de
corruption : « La
question est de savoir s’il existe ou non suffisamment d’indices
pour ouvrir une enquête et c’est le cas pour Rosales6 ».
Chacón a admis ne pas être surpris du comportement de
l’opposition. Elle
« s’est toujours comportée ainsi. On a pu le voir lors du coup
d’Etat du 11 avril 2002, le 12, ils sont tous apparus dans la
presse, ils avaient tous participé au coup d’Etat, mais le 14,
personne n’a parlé, et il n’y a eu aucun coup d’Etat »,
a-t-il ajouté d’un ton sarcastique, en référence au refus du
Tribunal suprême de l’époque contrôlé par l’opposition
d’admettre la réalité du coup de force du putschiste Pedro
Carmona Estanga7.
En effet, Manuel Rosales avait activement participé au
coup d’Etat d’avril 2002 contre le président Hugo Chávez. Il
avait signé le décret qui avait dissout toutes les institutions
de la nation. Il avait été ensuite acquitté par le Tribunal
suprême lors d’un verdict qui a choqué l’ensemble de la société
vénézuélienne. Le 3 avril 2009, la justice a condamné 3
commissaires et six policiers responsables des assassinats de
manifestants en avril 2002. Ce furent les premières
condamnations de responsables de crimes perpétrés lors du putsch8.
Rosales doit se présenter au plus tard le 20 avril 2009
au tribunal pour répondre des 26 chefs d’accusations qui pèsent
à son encontre. Dans le cas contraire, il sera considéré comme
fugitif par la justice vénézuélienne9. Il a d’ores et
déjà abandonné temporairement sa fonction de maire pour une
durée de 90 jours10. Selon certaines informations, il
se trouverait en Colombie11.
La plainte déposée par les avocats de Rosales auprès de
la Commission interaméricaine des droits de l’homme n’a pas été
admise par cette instance, montrant ainsi son désaccord par
rapport à la tentative de politiser une affaire relevant du
délit commun12.
Raúl Isaías Baduel en détention préventive
L’ancien ministre de la Défense Raúl Isaías Baduel,
général à la retraite et farouche détracteur d’Hugo Chávez, a
été arrêté le 1er avril 2009 par les services de
renseignements militaires. Il est soupçonné de détournement de
fonds des forces armées durant son mandat ministériel pour un
montant de 14,5 millions de dollars. Le général Ernesto Cedeño,
procureur général militaire, a signalé qu’il existait
« des éléments de preuves
suffisants » pour mettre en examen liberté Baduel13.
Tout comme Rosales, le général Baduel, au lieu de
répondre aux accusations qui pèsent à son encontre, s’en est
pris à Hugo Chávez, qu’il a accusé d’être le responsable de son
incarcération14. En réalité, Baduel avait été cité à
comparaître à cinq reprises pour être entendu et n’a répondu à
aucune de ces convocations. Ce n’est que suite à ces refus
réitérés qu’il a été arrêté, a souligné Cedeño15.
De son côté, Chávez a catégoriquement rejeté les
allégations de l’opposition16. Les accusations de
Rosales et de Baduel à son encontre ne sont guère crédibles pour
une raison bien simple. La justice vénézuélienne a également
lancé un autre mandat d’arrêt à l’encontre de Carlos Giménez, un
ancien gouverneur partisan du président, destitué en juin 2008
pour une affaire de corruption17.
L’appel au coup d’Etat de l’opposition vénézuélienne
L’opposition vénézuélienne a opté pour la
déstabilisation. Elle a lancé un appel à la
« résistance
démocratique » face aux réformes administratives,
économiques et sociales du gouvernement bolivarien. En effet,
l’Assemblée nationale a décidé de confier la gestion des ports,
aéroports et autoroutes au gouvernement central afin de
contrecarrer les plans sécessionnistes de certains gouverneurs18.
Le maire de la capitale Caracas, Antonio Ledezma, a lancé
un appel au coup d’Etat :
« Je lance un appel aux Forces armées nationales pour qu’elles
prennent en compte le concept de désobéissance ». Il a
annoncé la création d’un
« front national » contre d’Hugo Chávez19. Le
leader bolivarien est un
« grand cauchemar » pour les Vénézuéliens, a-t-il affirmé.
Il n’a pas daigné expliquer pourquoi les électeurs ont choisi de
voter en faveur de ce
« grand cauchemar » quatorze fois sur quinze depuis 1998,
date de la première élection de Chávez20.
L’opposition vénézuélienne joue un jeu dangereux en
refusant de reconnaître à la fois la volonté souveraine du
peuple vénézuélien et l’autorité d’Hugo Chávez. Ce dernier est,
sans nul doute, le président qui jouit de la légitimité
démocratique la plus importante de l’histoire du Venezuela et de
l’Amérique latine. En retombant dans les travers du passé et
dans la tentation putschiste, l’opposition apparaît aux yeux du
monde comme le principal obstacle à la démocratie.
Notes
1
El Nuevo Herald,
« Fiscalía ordena arresto de alcalde y líder opositor », 20 mars
2009 ; Fabiola Sanchez, « Acciones contra opositores elevan
tensiones en Venezuela », 20 mars 2009.
2
Fabiola Sanchez, « Venezuelan Prosecutor Calls for Arrest of
Opposition Leader on Corruption Charge », 19 mars 2009.
3
Casto Ocando, « La corrupción chavista no se investiga », 21
mars 2009 ; Fabiola Sanchez, « Ordenan trasladar a Caracas el
juicio al líder opositor Manuel Rosales », 25 mars 2009.
4
EFE, « Rosales en
lugar ‘seguro’, pero el gobierno insiste en que huyó », 1er
avril 2009.
5
Agencia Bolivariana de
Noticias, « CNE podría aplicar abandono de cargo a Manuel
Rosales », 31 mars 2009.
6
Agencia Bolivariana de
Noticias, « Si Rosales está en Venezuela debe dar la cara
ante la justicia », 31 mars 2009.
7
Ibid.
8
Agencia Bolivariana de
Noticias, « Carlos Escarrá ratificó que Rosales no está en
el país y evade justicia venezolana », 6 avril 2009 ; Fabiola
Sanchez, « Condenan entre 17 y 30 años a policías por muertes de
manifestantes », The
Associated Press, 3 avril 2009.
9
EFE, « Rosales deberá
comparecer ante la justicia el 20 de abril », 1er
avril 2009.
10
The Associated Press,
« Alcalde venezolano opositor se separa del cargo por proceso »,
3 avril 2009.
11
Agencia Bolivariana de Noticias,
« Carlos Escarrá ratificó que Rosales no está en el país y evade
justicia venezolana »,
op.cit.
12
Agencia Bolivariana de
Noticias, « Cancillería aclara que CIDH no admitió denuncia
de Manuel Rosales », 3 avril 2009.
13
Jorge Rueda, « Detienen a ex ministro de Defensa en Venezuela »,
The Associated Press,
2 avril 2009.
14
The Associated Press,
« Ex ministro responsabiliza a Chávez de su detención », 3 avril
2009.
15
Agencia Bolivariana de
Noticias, « Privación preventiva de libertad de Baduel
garantiza la investigación », 3 avril 2009.
16
Fabiola Sanchez, « Ex-Defense Minister Blames Chavez for
Detention », The
Associated Press, 3 avril 2009.
17
EFE, « Ordenan
arresto de ex gobernador afín a Chávez », 5 avril 2009
18
Agence France Presse,
« Oposición venezolana declara resistencia democrática a
gobierno de Chávez », 25 mars 2009.
19
EFE, « Ledezma llama
a militares a no respaldar a Chávez », 28 mars 2009.
20
EFE, « El frente
antichavista ‘no es una aventura’ », 31 mars 2009.
Salim Lamrani est enseignant chargé de
cours à l’Université Paris-Descartes et l’Université Paris-Est
Marne-la-Vallée et journaliste français, spécialiste des
relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il vient de publier
Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme
(Paris : Editions Estrella, 2008).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
;
salim.lamrani@parisdescartes.fr
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