Opinion
L'Islande et le
refus de l'austérité
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Jeudi 11 octobre 2012
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Face à la crise économique, alors que
l’Union européenne a choisi la voie de
l’austérité et a décidé de sauver les
banques, l’Islande a au contraire
procédé à la nationalisation des
institutions financières et a rejeté les
politiques de restrictions budgétaires.
Avec un taux de croissance de 2,7% en
2012, même le Fonds monétaire
international (FMI) salue le
redressement économique du pays.
Lorsqu’en septembre 2008, la
crise économique et financière a touché
l’Islande, petit archipel du Nord de
l’Europe peuplé de 320 000 habitants,
l’impact a été désastreux, comme sur le
reste du continent. La spéculation
financière a conduit les trois
principales banques à la faillite, dont
les actifs représentaient une somme dix
fois supérieure au PIB de la nation,
avec une perte nette de 85 milliards de
dollars. Le taux de chômage a été
multiplié par 9 entre 2008 et 2010,
alors que le pays jouissait auparavant
du plein emploi. La dette de l’Islande
représentait 900% du PIB et la monnaie
nationale avait été dévaluée de 80% par
rapport à l’euro. Le pays s’est retrouvé
plongé dans une profonde récession, avec
un recul du PIB de 11% en deux ans[1].
Face à la crise
En 2009, lorsque le gouvernement
a voulu appliquer les mesures
d’austérité exigées par le FMI, en
échange d’une aide financière de 2,1
milliards d’euros, une forte
mobilisation populaire l’a contraint à
la démission. Lors des élections
anticipées, la gauche a remporté la
majorité absolue au Parlement.[2]
Le nouveau pouvoir a néanmoins
fait adopter la loi Icesave – du nom de
la banque en ligne privée qui a fait
faillite et dont les épargnants étaient
en majorité hollandais et britanniques –
afin de rembourser les clients
étrangers. Cette législation
contraignait l’ensemble des Islandais à
rembourser une dette de 3,5 milliards
d’euros (40% du PIB) – 9000 euros par
habitant – sur quinze ans à un taux de
5%. Face aux nouvelles protestations
populaires, le Président a refusé de
ratifier le texte parlementaire et l’a
soumis à référendum. En mars 2010, 93%
des Islandais ont rejeté la loi sur le
remboursement des pertes causées par
Icesave. Soumise une nouvelle fois à
référendum en avril 2011, elle a de
nouveau été massivement rejetée à 63%[3].
Une nouvelle Constitution,
rédigée par une Assemblée constituante
de 25 citoyens élus au suffrage
universel parmi 522 candidats, composée
de 9 chapitres et de 114 articles, a été
adoptée en 2011. Celle-ci prévoit un
droit à l’information, avec un accès
public pour les documents officiels
(Article 15), la création d’un Comité de
contrôle de la responsabilité du
gouvernement (Article 63), un droit à la
consultation directe (Article 65) – 10%
des électeurs peuvent demander un
référendum sur des lois votées par le
Parlement –, ainsi que la nomination du
Premier Ministre par le Parlement[4].
Ainsi, contrairement aux autres
nations de l’Union européenne dans la
même situation, qui ont appliqué à la
lettre les recommandations du FMI qui
exigeait l’application de mesures d’une
austérité sévère, comme en Grèce, en
Irlande, en Italie ou en Espagne,
l’Islande a choisi une voie alternative.
Lorsqu’en 2008, les trois principales
banques du pays, Glitnir, Landsbankinn
et Kaupthing se sont effondrées, l’Etat
islandais a refusé d’y injecter des
fonds publics, comme dans le reste de
l’Europe. Il a au contraire procédé à
leur nationalisation[5].
De la même manière, les banques privées
ont été contraintes d’annuler toutes les
créances à taux variable dépassant 110%
de la valeur des biens immobiliers,
évitant ainsi une crise de
subprime comme aux Etats-Unis. Par
ailleurs, la Cour Suprême a déclaré
illégaux tous les prêts indexés sur des
devises étrangères qui ont été octroyés
à des particuliers, obligeant ainsi les
banques à renoncer à ces créances, au
bénéfice de la population[6].
Quant aux responsables du désastre – les
banquiers spéculateurs qui ont provoqué
l’effondrement du système financier
islandais –, ils n’ont pas bénéficié de
la mansuétude en vogue à leur égard dans
le reste de l’Europe où ils ont été
systématiquement absous. En effet, ils
ont été poursuivis par la justice et mis
en prison, par Olafur Thor Hauksson,
Procureur spécial nommé par le
Parlement. Même le Premier Ministre Geir
Haarde, accusé de négligence dans la
gestion de la crise, n’a pu éviter un
procès[7]
Une alternative à l’austérité
Les résultats de la politique
économique et sociale islandaise ont été
spectaculaires. Alors que l’Union
européenne se trouve en pleine
récession, l’Islande a bénéficié d’un
taux de croissance de 2,1% en 2011 et
prévoit un taux de 2,7% pour 2012, et un
taux de chômage oscillant autour de 6%[8].
Le pays s’est même offert le luxe de
procéder au remboursement anticipé de
ses dettes auprès du FMI[9].
Le président islandais Olafur
Grímsson a expliqué ce miracle
économique : « La différence est qu’en
Islande, nous avons laissé les banques
faire faillite. C’était des institutions
privées. Nous n’y avons pas injecté de
l’argent pour les maintenir à flot.
L’Etat n’a pas à assumer cette
responsabilité[10] ».
Contre toute attente, le FMI a
salué la politique du gouvernement
islandais – qui a appliqué des mesures
aux antipodes de celles qu’il préconise
–, qui a permis de préserver « le
précieux modèle nordique de protection
sociale ». En effet, l’Islande dispose
d’un indice de développement humain
assez élevé. « Le FMI déclare que le
plan de sauvetage à la manière
Islandaise fournit des leçons pour les
temps de crise ». L’institution ajoute
que « le
fait que l’Islande soit parvenue à
préserver le bien être social des
ménages et obtenir une consolidation
fiscale de grande ampleur est l’une des
plus grandes réussites du programme et
du gouvernement islandais ».
Le FMI a néanmoins omis de préciser que
ces résultats ont été possibles
uniquement parce que l’Islande a rejeté
sa thérapie de choc néolibérale et a mis
en place un plan de relance alternatif
et efficace[11].
Le cas de l’Islande démontre
qu’il existe une alternative crédible
aux politiques d’austérité appliquées à
travers l’Europe. Celles-ci, en plus
d’être économiquement inefficaces, sont
politiquement coûteuses et socialement
insoutenables. En choisissant de placer
l’intérêt général au-dessus de celui des
marchés, l’Islande montre la voie au
reste du continent pour sortir de
l’impasse.
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[2]
Marie-Joëlle Gros, « Islande :
la reprise a une sale dette »,
Libération, 15 avril 2012.
[3]
Comité d’annulation de la dette
du Tiers-monde,
« Quand l’Islande réinvente la
démocratie », 4 décembre 2010.
[5]
Antoine Grenapin, « Comment
l’Islande est sortie de
l’enfer »,
Le Point, 27 février 2012.
[6]
Marie-Joëlle Gros, « Islande :
la reprise a une sale dette »,
op. cit.
[7]
Caroline Bruneau, « Crise
islandaise : l’ex-premier
ministre n’est pas sanctionné »,
13 mai 2012.
[8]
Ambrose Evans-Pritchard,
« Iceland Wins in the End »,
The Daily Telegraph, 28
novembre 2011.
[9]
Le Figaro,
« L’Islande a déjà remboursé le
FMI », 16 mars 2012.
[10]
Ambrose
Evans-Pritchard, « Iceland
Offers Risky Temptation for
Ireland as Recession Ends »,
The Daily Telegraph, 8
décembre 2010.
[11]
Omar R. Valdimarsson, « IMF Says
Bailout Iceland-Style Hold
Lessons in Crisis Times »,
Business Week, 13 août 2012.
Le sommaire de Salim Lamrani
Les dernières mises à jour
|