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Cuba
Barack Obama et les sanctions économiques
contre Cuba
Salim Lamrani
Salim Lamrani
Mardi 3 mars 2009
Depuis son intronisation à la présidence des Etats-Unis, Barack
Obama, occupé par de multiples dossiers, n’a toujours pas
effectué de geste en direction de Cuba, malgré ses promesses de
campagne de mettre un terme aux sanctions économiques imposées
par son prédécesseur George W. Bush en mai 2004. Celles-ci
limitent drastiquement les visites des émigrés cubains vers leur
pays d’origine à 14 jours tous les trois ans et réduisent l’aide
financière familiale à 100 dollars par mois, dans le meilleur
des cas1.
Un rapport bipartite du Congrès étasunien, rendu public le 23
février 2009, intitulé « Changer la politique à l’égard de
Cuba en faveur de l’intérêt national des Etats-Unis »,
recommande au président d’entreprendre « un premier pas
unilatéral » à l’égard de La Havane, avant le prochain
Sommet des Amériques du 17 avril 2009. Selon le congressiste de
l’Indiana Richard Lugar, promoteur du rapport de 25 pages, ce
geste consisterait, dans un premier temps, à éliminer les
sanctions de 2004, un simple ordre exécutif étant nécessaire à
cela2.
« Un tel geste pourrait signaler un important
changement et favoriserait un climat de bonne volonté à l’égard
des Etats-Unis de la part des pays latino-américains, tout comme
la coopération régionale que le gouvernement étasunien recherche
dans plusieurs domaines », souligne le document3.
En effet, les sanctions économiques imposées de manière
unilatérale par Washington depuis juillet 1960 sont unanimement
rejetées par la communauté internationale. Le 29 octobre 2008,
pour la 17ème année consécutive, 185 pays sur les 192
que compte l’Assemblée générale des Nations unies se sont
prononcés pour la levée de cet état de siège qui affecte toutes
les catégories de la population cubaine. En effet, les sanctions
étasuniennes sont le principal obstacle au développement
économique de Cuba. Elles ont coûté 93 milliards de dollars à
l’économie cubaine depuis leur entrée en vigueur et 3,7
milliards rien que pour l’année 2007. L’opinion publique
étasunienne et le monde des affaires sont également opposés à
l’actuelle politique de la Maison-Blanche en raison de son
caractère obsolète, cruel et inefficace4.
Par ailleurs, lors de la réunion historique du 16
décembre 2008 qui a intégré Cuba au Groupe de Río au Brésil, les
33 nations latino-américaines et caribéennes ont réitéré avec
vigueur leur condamnation des sanctions contre Cuba5.
Les visites à Cuba de Cristina Kirchner, Michelle Bachelet,
Rafael Correa, Alvaro Colom, Hugo Chávez, José Manuel Zelaya
Rosales et Leonel Fernández Reina respectivement présidents de
l’Argentine, du Chili, de l’Equateur, du Guatemala, du
Venezuela, du Honduras et de République dominicaine depuis le
début de l’année 2009 illustrent la solidarité continentale à
l’égard de La Havane, réalité que la Maison-blanche ne peut se
permettre d’ignorer6.
Même le discipliné et fidèle secrétaire général de
l’Organisation des Etats américains (OEA) José Miguel Insulza,
allié de Washington, a fait part de son souhait de voir le
gouvernement Obama mettre un terme aux sanctions économiques
contre Cuba. « J’aimerais que l’embargo contre Cuba soit
rapidement éliminé », a-t-il déclaré7.
De la même manière, en février 2009, le colonel Glenn
Alex Crowther, éminente personnalité militaire et professeur
d’affaires de sécurité nationale à l’Institut d’études
stratégiques (SSI), entité appartenant au célèbre Collège de
Guerre des Etats-Unis, s’est également prononcé contre les
sanctions économiques dans le bulletin officiel du SSI. Il a
exhorté le gouvernement Obama à changer de politique dans une
réflexion intitulée « Dites au revoir à l’embargo ».
Selon lui, « lever l’embargo pourrait envoyer un signal fort
à la communauté internationale démontrant que les Etats-Unis
sont magnanimes et inclusifs ; le maintenir nous fait paraître
mesquins et vindicatifs ». Par ailleurs, « nous ne
pouvons convaincre personne que Cuba est une menace pour les
Etats-Unis ni démontrer au niveau international que le maintien
de la même politique aura un impact positif8 ».
Récemment, plusieurs centres politiques, économiques et
intellectuels influents tels que la Brookings Institution,
le Council on Foreign Relations, l’Inter-American
Dialogue et la New America Foundation, entre autres,
ont également exprimé leur rejet de l’actuelle politique
étasunienne à l’égard de Cuba9.
Le rapport bipartite propose également que
le Congrès se charge de lever l’interdiction de voyager qui pèse
sur les citoyens étasuniens et mette ainsi terme à une situation
absurde et illégale qui leur permet de se rendre en Corée du
Nord, en Chine et au Vietnam, mais pas à Cuba10. Des
estimations prévoient la visite d’un million de touristes
étasuniens dès la première année, qui génèreraient des revenus à
hauteur d’un milliard de dollars. Ces ressources permettraient
aux autorités de résoudre une grande partie des problèmes
actuels, notamment dans le domaine du transport et du logement11.
Au début du mois de février 2009, un autre groupe
bipartite mené par le représentant démocrate William Delahunt du
Massachussetts a également présenté un projet de loi en ce sens,
demandant l’annulation de l’interdiction de voyage pour les
ressortissants étasuniens12.
Richard Lugar est le républicain de plus
haut rang du Comité des Affaires étrangères du Sénat et il est
réputé pour être un farouche critique du gouvernement cubain.
Mais, lucide, il a appelé à un changement radical de stratégie à
l’égard de La Havane, conscient de l’échec subi par les
Etats-Unis, à tous les niveaux, dans sa politique à l’égard de
l’île des Caraïbes. « Nous devons reconnaître l’inefficacité
de notre politique actuelle et traiter avec le régime cubain
d’une façon qui renforce les intérêts américains », a-t-il
admis13.
Lugar propose également d’éliminer les
restrictions de mouvement imposées aux diplomates cubains sur le
territoire étasunien et de reprendre les conversations
bilatérales sur les thèmes migratoires et la lutte contre le
narcotrafic, interrompues unilatéralement par l’administration
Bush. Le rapport souligne également la nécessité de supprimer
les conditions draconiennes imposées à La Havane pour l’achat de
produits alimentaires (paiement effectif et à l’avance) qui
réduit singulièrement les possibilités d’acquisition, et de
permettre le financement privé pour les transactions
commerciales. Le congressiste républicain suggère également
d’élargir la liste des produits que les Cubains peuvent acquérir
aux Etats-Unis en incluant les médicaments, les équipements
médicaux, le matériel agricole et le matériel de construction.
Le document évoque également la possibilité d’acheter des
produits biotechnologiques à Cuba, un des leaders mondiaux dans
ce domaine14.
Le projet de Lugar est intéressant car il s’agit sans nul
doute de l’une des approches les plus réalistes et constructives
présentées au Congrès. L’administration Obama ferait preuve de
sagacité en suivant les pistes élaborées par le document,
illustrant ainsi auprès de la communauté internationale sa
volonté de résoudre le différend historique entre les deux
nations.
Le 25 février 2009, devançant Barack Obama, la Chambre
des représentants a approuvé, à 245 voix pour et 178 contre, un
projet de loi budgétaire qui permettra aux Cubains des
Etats-Unis de se rendre dans leur pays d’origine une fois par
an, annulant ainsi les restrictions de Bush. Cette législation
doit encore être avalisée par le Sénat et ratifiée par le
président. Cependant, si elle était adoptée, cette mesure ne
serait valable que jusqu’au mois d’octobre 2009, date à laquelle
entrera le nouveau budget pour 2010. C’est la raison pour
laquelle un décret présidentiel est nécessaire car il lui
donnerait un caractère plus permanent15.
Du côté de La Havane, le gouvernement a toujours été
disposé à résoudre le conflit avec les Etats-Unis à partir d’une
base de respect mutuel, de réciprocité et de non-ingérence dans
les affaires internes. Fidel Castro avait, en tant que dirigeant
du pays, tendu à maintes reprises un rameau d’olivier à la
Maison-Blanche, se heurtant à chaque fois à un refus obstiné. Le
gouvernement de Raúl Castro en a fait de même et a tendu une
main fraternelle à Washington lors de multiples occasions, aussi
bien à l’administration Bush qu’à celle d’Obama, sans obtenir de
réponse16.
Ainsi, en janvier 2009, Raúl Castro a tenu des propos
élogieux à l’égard du premier président noir des Etats-Unis,
soulignant ses traits « d’homme bon » et lui souhaitant
« bonne chance » dans ses nouvelles fonctions. Il a
réitéré sa disposition au dialogue « sans intermédiaires »
et avec des « conditions égales17 ». De
son côté, le président de l’Assemblée nationale cubaine Ricardo
Alarcón a salué les idées « intéressantes » et les
qualités oratoires d’Obama18.
L’administration Obama a l’obligation politique,
stratégique et morale de mettre un terme au châtiment économique
imposé à la population cubaine. Si elle veut incarner aux yeux
du monde une rupture avec la politique désastreuse de son
prédécesseur, si elle souhaite faire preuve de moins de dédain
et d’arrogance à l’égard de l’Amérique latine, il est impératif
de mettre un terme définitif au harcèlement contre le peuple
cubain. Celui-ci, sans oublier le passé, lui tendra alors une
main amicale et réconciliatrice.
Notes
1
Colin L. Powell, Commission for Assistance to a Free Cuba,
(Washington : United States Department of State, mai 2004).
www.state.gov/documents/organization/32334.pdf (site
consulté le 7 mai 2004).
2
Richard Lugar,
http://lugar.senate.gov/sfrc/pdf/Cuba.pdf ; Anne Flaherty,
« EEUU debe replantear su embargo a Cuba dice senador
republicano », The Associated Press, 23 février 2009 ;
Wilfredo Cancio Isla, « Informe del Senado pide levantar
prohibición de viajes a Cuba antes de abril », El Nuevo
Herald, 23 février 2009.
3
Ibid.
4
Edith M. Lederer, « UN Again Urges US to Lift Embargo Against
Cuba », The Associated Press, 29 octobre 2008.
5
The Associated Press, « Latam
Summit: New Independence, End Embargo », 17 décembre 2008.
6
El Nuevo Herald, « Colom ofrece disculpas a Cuba por
invasión de Bahía de Cochinos », 18 février 2009.
7
EFE, « Insulza espera que Obama levante el embargo a
Cuba », 20 janvier 2009.
8
Glenn Alex Crowther, « Kiss the Embargo Good Bye », Strategic
Studies Institute, février 2009.
www.strategicstudiesinstitute.army.mil/pdffiles/PUB906.pdf
(site consulté le 26 février 2009).
9
Wilfredo Cancio Isla, « Recomiendan a EEUU buscar ‘acuerdo
constructivo’ con Cuba », El Nuevo Herald, 26 février
2009 ; David Brooks, « El embargo a Cuba, un fracaso, afirma el
senador republicano Lugar », La Jornada, 24 février 2009.
10
Richard Lugar, op. cit.
11
Wilfredo Cancio Isla, « Informe del Senado pide levantar
prohibición de viajes a Cuba antes de abril », op. cit.
12
Ibid.
13
Richard Lugar, op. cit.
14
Ibid.
15
El Nuevo Herald, « Cámara aprueba proyecto de ley que
flexibilizaría viajes a Cuba », 25 février 2009
16
Edith M. Lederer, « Cuba Expects New US President to Lift
Embargo », The Associated Press, 30 octobre 2008.
17
Agence France Presse, « Raúl Castro desea ‘suerte’ a
Obama y dice que le ‘parece un buen hombre’ », 21 janvier 2009.
18
Agence France Presse, « Alarcón dice que el discurso de
Obama es ‘interesante’, pero deja dudas », 20 janvier 2009.
Salim Lamrani est enseignant chargé de
cours à l’Université Paris-Descartes et l’Université Paris-Est
Marne-la-Vallée et journaliste français, spécialiste des
relations entre Cuba et les Etats-Unis. Il vient de publier
Double Morale. Cuba, l’Union européenne et les droits de l’homme
(Paris : Editions Estrella, 2008).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
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