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Cuba
Retour sur le phénomène Yoani Sánchez (2/3)
Salim Lamrani
Salim Lamrani
Mardi 1er décembre 2009
Yoani María Sánchez Cordero est une havanaise née en
1975, apparemment diplômée en philologie depuis l’année 2000,
comme l’annonce son blog. Un doute subsiste à ce sujet car lors
de son séjour en Suisse deux ans plus tard, lorsqu’elle s’est
enregistrée auprès des autorités consulaires, elle a déclaré
avoir un niveau « pré-universitaire » comme le montrent
les archives du consulat de la République de Cuba de Berne15.
Ainsi, après avoir travaillé dans le monde de l’édition et donné
des cours d’espagnol aux touristes, elle choisit de quitter le
pays en compagnie de son fils. Le 26 août 2002, après s’être
mariée avec un Allemand nommé Karl G., elle décide d’émigrer en
Suisse avec un « permis de voyage à l’étranger » valable onze
mois, face « au désenchantement et à l’asphyxie économique »
régnant à Cuba16.
On découvre ensuite curieusement qu'après
avoir fui "une immense prison, avec des murs idéologiques17 »,
pour reprendre les termes qu’elle utilise pour se référer à son
pays natal, elle décide, deux ans plus tard, durant l’été 2004,
de quitter le paradis suisse – l'une des nations les plus riches
au monde – pour retourner sur « le bateau qui prend l’eau de
toutes parts et qui est sur le point de faire naufrage »,
comme elle qualifie métaphoriquement l’île18. Face à
cette nouvelle contradiction, Sánchez explique qu'elle a choisi
de rentrer au pays où règnent « les cris du despote19 »,
« des être des ombres, qui tels des vampires s’alimentent de
notre joie humaine, nous inoculent la crainte à travers les
coups, la menace, le chantage20 »,
« pour des raisons familiales et contre l'avis de certains
proches et amis21 », sans fournir
davantage de précisions.
En lisant le blog de Yoani Sánchez, où la
réalité cubaine est décrite de façon ubuesque et tragique, on a
l’impression que le purgatoire est une promenade de santé en
comparaison, et que seule la chaleur asphyxiante de
l’antichambre de l’enfer donne une idée de ce que vivent
quotidiennement les Cubains. Aucun trait positif de la société
cubaine ne transparaît. Seules des aberrations, injustices,
contradictions, difficultés y sont contées. Par conséquent, le
lecteur a du mal à comprendre que la jeune Cubaine ait décidé de
quitter la richissime Suisse pour retourner vivre dans ce qui
s’apparente à l’enfer de Dante où « les poches étaient vides,
les frustrations en hausse et la peur partout22 ».
Sur son blog, les commentaires de ses partisans étrangers
fleurissent à ce sujet : « Je ne comprends pas ton retour.
Pourquoi n’as-tu pas donné un meilleur futur à ton fils »,
« Chère amie, j’aimerais savoir pour quelles raisons tu as
décidé de rentrer à Cuba23 ? ».
En revanche, certains de ses compatriotes
vivant à l’étranger, déçus par le mode de vie occidental, lui
font également part de leur envie de rentrer vivre à Cuba :
« Je reviendrai vivre à Cuba », « Je vis à Miami depuis
sept ans […] et parfois je me demande si le déracinement valait
la peine », « Mon peuple me manque […]. Un jour, je
reviendrai avec mon époux allemand – un autre fou qui est
disposé à demander la résidence permanente à Cuba », « J’ai
pensé au retour à de nombreuses reprises », « Pourquoi
es-tu rentrée ? Solitude, nostalgie, mélancolie.
[Puis en référence au monde occidental] des visages
bizarres, des gens tristes et en colère avec le reste de
l’Humanité sans que l’on sache pourquoi ? Des politiciens aussi
corrompus, et beaucoup de jours gris. Il n’est pas nécessaire
que tu expliques quoi que ce soit. Cela fait 14 ans qu’il n’y a
pas de soleil sur ma carte du temps », « J’ai envoyé
l’information à mon père qui vit à l’étranger et qui compte
rentrer24 ».
De deux choses l’une : soit Yoani Sánchez
ne dispose pas de toutes ses facultés mentales pour décider de
quitter la Perle de l’Europe pour rentrer à Cuba, soit la vie
dans l’île n’est pas aussi dramatique que la description qu’elle
en fournit.
Dans une intervention sur son blog en
juillet 2007, Yoani Sánchez relate en détail l’anecdote de son
retour à Cuba. « Il y a trois ans, à Zurich avec mon fils,
j’ai décidé de rentrer vivre dans mon pays »,
annonce-t-elle, soulignant qu’il s’agissait « d’une simple
histoire de retour d’un émigrant à son terroir ». « Nous
avons acheté des billets aller-retour » pour Cuba. Sánchez a
alors décidé de rester et de ne pas retourner en Suisse.
« Mes amis croyaient que je leur faisais une blague, ma mère a
refusé de croire que sa fille ne vivait plus dans la Suisse du
lait et du chocolat ». Le 12 août 2004, Sánchez s’est donc
présentée au bureau provincial des services d’immigration de La
Havane pour expliquer son cas. « Ma surprise a été énorme
lorsqu’on m’a dit de faire la queue dans la file de ‘ceux qui
avaient décidé de rentrer au pays’ […]. J’ai ainsi découvert
d’autres ‘fous’ comme moi, avec leur histoire truculente de
retour au pays25 ».
En effet, le cas de Sánchez est loin d’être
un cas isolé comme l’illustrent cette anecdote et les
commentaires laissés sur son blog. De plus en plus de Cubains
qui ont choisi d’émigrer à l’étranger, après avoir fait face à
de nombreuses difficultés d’adaptation et découvert que
l’eldorado occidental ne brillait pas tant que cela et que les
privilèges dont ils disposaient chez eux n’existaient nulle part
ailleurs, décident de rentrer vivre à Cuba.
En revanche, Yoani Sánchez omet de raconter
les véritables raisons qui l’ont amenée à rentrer à Cuba,
au-delà des « raisons familiales » évoquées (raisons qui
ne sont apparemment pas partagées par la mère de celle-ci, vue
sa surprise). Les autorités cubaines lui ont accordé un
traitement de faveur pour des raisons humanitaires, en lui
permettant de retrouver son statut de résidente permanente à
Cuba, malgré le fait qu’elle soit restée plus de 11 mois à
l’extérieur du pays.
En réalité, le séjour en Suisse a été loin
d’être aussi idyllique que prévu. Sánchez a découvert un mode de
vie occidentale complètement différent de celui auquel elle
était habituée à Cuba où, malgré les difficultés et les
vicissitudes quotidiennes, tous les citoyens disposent d’une
alimentation relativement équilibrée malgré le carnet de
rationnement et les pénuries, d’un accès aux soins et à
l’éducation, à la culture et aux loisirs gratuit, d’un logement
et d’une atmosphère de sécurité (la criminalité reste très
faible dans l’île). Cuba est sans doute le seul pays du monde où
il est possible de vivre sans travailler (ce qui n’est pas
forcément une bonne chose). En Suisse, Sánchez a eu d’énormes
difficultés à trouver un travail et à vivre décemment et,
désespérée, elle a décidé de rentrer au pays et d’en expliquer
les raisons aux autorités. D’après celles-ci, Sánchez aurait
supplié en larmes les services d’immigration de lui accorder une
dispense exceptionnelle « pour révoquer son statut
migratoire », ce qui a été fait26.
Cette réalité,
Yoani Sánchez a choisi de l’occulter avec minutie.
A suivre :
- « La cyberdissidence » (3/3)
Les
contradictions de la bloggeuse cubaine Yoani Sánchez (1/3)
Notes
15
Correspondance avec son Excellence, Monsieur Isaac Roberto
Torres Barrios, Ambassadeur de la République de Cuba à Berne, 17
novembre 2009.
16 Yoaní Sánchez, « Mi perfil », Generación Y.
17
France 24, « Ce pays est une immense prison avec des murs
idéologiques », 22 octobre 2009.
18 Yoaní Sánchez, « Siete preguntas », Generación Y, 18 novembre 2009.
19 Yoaní Sánchez, « Final de partida », Generación Y, 2 novembre 2009.
20 Yoaní Sánchez, « Seres de la sombra », Generación Y, 12 de noviembre
de 2009.
21 Yoaní Sánchez, « Mi perfil », Generación Y, op. cit.
22 Yoaní Sánchez, « La improbable entrevista de Gianni Miná », Generación Y,
9 mai 2009.
23 Yoaní Sánchez, « Vine y me quedé », Generación Y, 14 août 2007.
24
Ibid.
25
Ibid.
26 Correspondance avec son Excellence Monsieur Orlando
Requeijo, Ambassadeur de la République de Cuba à Paris, 18
novembre 2009.
Salim Lamrani est enseignant chargé de
cours à l’Université Paris-Sorbonne-Paris IV et l’Université
Paris-Est Marne-la-Vallée et journaliste français, spécialiste
des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Son nouvel ouvrage
s’intitule Cuba. Ce que les médias ne vous diront jamais
(Paris : Editions Estrella, 2009).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr
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