Opinion
La réforme de la
politique migratoire à Cuba
Salim
Lamrani
© Salim
Lamrani
Jeudi 1er novembre 2012
Opera Mundi
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Suite à la réforme de la politique
migratoire à Cuba, les habitants de
l’île n’auront plus besoin
d’autorisation des autorités pour
voyager à l’étranger. De la même
manière, les Cubains pourront rester 24
mois consécutifs hors du territoire
national et même prolonger leur séjour.
A partir du 14 janvier 2013, une
nouvelle politique migratoire entrera en
vigueur à Cuba. Longtemps attendue,
cette réforme, qui répond à une
aspiration de la population, facilitera
les voyages à l’étranger pour les
Cubains. Ces derniers n’auront plus
besoin de la fameuse « Carte blanche »,
autorisation de sortie du territoire
délivrée par les autorités, d’un montant
de 150 dollars. De la même manière, il
ne sera plus nécessaire d’obtenir une
« lettre d’invitation » (200 dollars) de
la part d’un ressortissant étranger pour
quitter le pays[1].
Désormais, pour voyager à
l’étranger, les Cubains nécessiteront
simplement un passeport (valable 6 ans)
au prix de 100 pesos cubains (4€), un
visa du pays d’accueil et les ressources
financières pour découvrir le monde
pendant deux ans, sans autre formalité,
contre 11 mois auparavant. Au-delà de ce
délai de 24 mois, les personnes
souhaitant prolonger leur séjour hors du
territoire national, pourront le faire
auprès du consulat local. Elles pourront
également rentrer à Cuba et repartir
pour un autre séjour d’une durée
similaire, renouvelable indéfiniment[2]
Une politique
migratoire historiquement liée à la
politique étrangère des Etats-Unis
Contrairement à une idée reçue,
l’autorisation de sortie du territoire
n’a pas été instaurée par le
gouvernement révolutionnaire en 1959. En
effet, comme le rappelle Max Lesnik,
directeur de Radio Miami, elle date de
1954 et avait été mise en place par le
régime militaire de Fulgencio Batista.
Cette disposition avait été maintenue
lors de l’arrivée au pouvoir de Fidel
Castro pour limiter, entre autres, la
fuite des cerveaux à destination des
Etats-Unis[3].
En effet, dès le triomphe de la
Révolution, les Etats-Unis ont utilisé
le phénomène migratoire comme outil pour
déstabiliser Cuba, en accueillant dans
un premier temps les criminels de guerre
et les dignitaires corrompus de l’ancien
régime, mais également en favorisant la
fuite des cerveaux. Ainsi, en 1959, Cuba
comptait 6 286 médecins. Parmi ces
derniers, 3 000 avaient choisi de
quitter le pays pour se rendre aux
Etats-Unis, attirés par les opportunités
professionnelles que leur offrait
Washington. Au nom de la guerre
politique et idéologique qui l’opposait
au nouveau gouvernement de Fidel Castro,
l’administration Eisenhower avait décidé
de vider la nation de son capital
humain, au point de créer une grave
crise sanitaire[4].
A ce sujet, le personnel
hautement qualifié candidat à
l’émigration devra en revanche obtenir
une autorisation des autorités
migratoires. Le Décret-loi 302 prévoit
ce type de restrictions pour « préserver
la force de travail qualifiée pour le
développement économique, social et
scientifico-technique du pays, ainsi que
pour la sécurité et la protection de
l’information officielle[5] ».
Les médecins sont particulièrement
concernés. En effet, depuis 2006, le
Programme médical cubain (CMPP) établi
par l’administration Bush et maintenu
par Barack Obama, est destiné à amener
les médecins cubains en mission à
l’étranger à abandonner leur poste, en
leur offrant la perspective d’exercer
leur profession aux Etats-Unis, privant
la nation cubaine d’un précieux capital
humain[6].
A ce jour, plusieurs centaines de
médecins cubains, notamment en poste au
Venezuela, se sont laissé tenter par
l’offre[7].
Cette politique s’inscrit dans la
guerre économique que les Etats-Unis
mènent contre Cuba depuis 1960, avec
l’imposition de sanctions extrêmement
sévères – à la fois rétroactives et
extraterritoriales, donc contraires au
droit international – qui affectent
toutes les catégories de la société
cubaine, en particulier les plus
vulnérables. En effet, les services
médicaux dispensés par les médecins
cubains hors des frontières nationales
constituent la première source de
revenus de la nation, bien avant le
tourisme, les transferts d’argents de la
communauté cubaine de l’étranger ou le
nickel[8].
Du côté des Etats-Unis, le
Département d’Etat n’a pas manqué de
critiquer les restrictions imposées,
entre autres, aux professionnels de la
santé, pour contrer la politique
étasunienne destinée à priver Cuba de
ses meilleurs éléments, au nom du
conflit qui oppose les deux nations
depuis plus d’un demi-siècle. Victoria
Nuland, porte-parole de la diplomatie
étasunienne, a réagi à ce propos :
« Nous devons signaler que le
gouvernement cubain n’a pas levé les
mesures actuellement en vigueur pour
préserver ce qu’il qualifie de ‘capital
humain’ créé par la Révolution »,
a-t-elle rappelé[9].
De la même manière, Nuland a
déclaré que la politique migratoire des
Etats-Unis vis-à-vis de Cuba ne serait
pas modifiée et que la loi d’Ajustement
cubain serait maintenue, tout en
demandant aux Cubains « de ne pas
risquer leur vie[10] »,
en traversant illégalement le détroit de
Floride. Néanmoins, Nuland n’échappe pas
à la contradiction. En effet, selon
cette législation, unique au monde,
adoptée par le Congrès étasunien le 2
novembre 1966, tout Cubain entrant
légalement ou illégalement aux
Etats-Unis, pacifiquement ou par la
violence, le 1er janvier 1959
ou après, obtient automatiquement au
bout d’un an le statut de résident
permanent et diverses aides sociales[11].
Cette loi, dénoncée par Havane,
constitue un formidable outil
d’incitation à l’émigration pour les
Cubains et prive la nation d’une partie
de sa population active et qualifiée. En
même temps, elle oblige les Cubains à
risquer leur vie en traversant
illégalement et dans des conditions
précaires le Détroit de Floride. En
effet, au lieu d’accorder un visa à tout
candidat à l’émigration, ce qui
répondrait pleinement à la philosophie
de la loi d’Ajustement cubain, les
Etats-Unis limitent leur nombre à 20 000
par an, conformément aux accords signés
avec La Havane en 1994[12].
Dans le même temps, Washington refuse
d’abroger la loi d’Ajustement cubain qui
permet aux Cubains de s’installer
définitivement aux Etats-Unis sans
nécessiter de visa.
Une nouvelle ère pour les Cubains
La réforme de la politique
migratoire offre aux Cubains une plus
grande liberté pour voyager à
l’étranger, même si, contrairement à une
idée reçue, entre 2000 et le 31 août
2012, sur un total de 941 953 demandes
d’autorisation de sortie du territoire,
99,4% ont été satisfaites. Seules 0,6%
des personnes se sont vu refuser un
voyage. De la même manière, il n’existe
pas de propension particulière des
Cubains à émigrer. En effet, l’immense
majorité des Cubains qui voyagent à
l’étranger choisissent de rentrer au
pays. Ainsi, sur les 941 953 personnes
ayant quitté le territoire national
entre 2000 et 2012, seules 12,8% ont
choisi de s’établir à l’étranger, contre
87,2% qui sont revenues à Cuba[13].
Par ailleurs, il sera également plus
facile pour les Cubains de revenir dans
leur pays d’origine. En effet, le permis
d’entrée, adopté en 1961 pour des
raisons de sécurité nationale, à une
époque où les exilés cubains sous
contrôle de la CIA multipliaient les
actes de terrorisme et de sabotage dans
l’île, et où l’immense majorité des
candidats au départ étaient motivés par
des raisons politiques, sera supprimé[14].
Désormais, la plupart des cubains vivant
à l’étranger ne sont pas des exilés
hostiles mais des émigrés dits
économiques, qui aspirent à des
relations normales et apaisées avec leur
pays d’origine. Ces derniers pourront
également rentrer dans l’île autant de
fois qu’ils le souhaitent, comme c’était
le cas auparavant, mais désormais sans
devoir passer par des démarches
administratives obsolètes.
Par ailleurs, la seule catégorie de
Cubains qui n’est pas encore autorisée à
rentrer dans son pays d’origine –
les
dénommés « balseros », qui ont quitté le
territoire national au début des années
1990 en pleine « Période spéciale »,
étape qui suivit la disparition de
l’Union soviétique et marquée par de
graves difficultés économiques à Cuba,
dans un contexte de recrudescence de
l’hostilité des Etats-Unis – pourront
désormais rentrer dans l’île. Il en sera
de même pour les médecins et sportifs de
haut niveau ayant choisi de quitter le
pays lors d’un séjour à l’étranger. Les
derniers obstacles administratifs
empêchant le retour de ces émigrés
seront levés en janvier 2013[15].
La réforme migratoire qui entrera en
vigueur le 14 janvier 2013 répond à une
aspiration nationale des Cubains,
lesquels souhaitent édifier une société
plus ouverte, avec moins de
restrictions, et disposer d’une plus
grande liberté de voyager. Elle
s’inscrit dans le processus de profonds
changements économiques initiés en 2010,
qui donnent la possibilité aux Cubains
de posséder leur propre commerce. En
effet, de nombreux Cubains souhaitent
émigrer temporairement à l’étranger,
réunir les fonds nécessaires et
retourner à Cuba pour y établir un petit
commerce. Depuis 2010, chaque année,
près de 1 000 Cubains installés à
l’étranger choisissent de rentrer au
pays et de s’établir de façon définitive
dans l’île. La nouvelle politique
migratoire met fin des obstacles
bureaucratiques inutiles et permet de
normaliser peu à peu les relations entre
la nation cubaine et son émigration.[16].
Docteur ès Etudes Ibériques et
Latino-américaines de l’Université Paris
Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est
Maître de conférences à l’Université de
la Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son dernier ouvrage s’intitule
État de siège. Les sanctions économiques
des Etats-Unis contre Cuba, Paris,
Éditions Estrella, 2011 (prologue de
Wayne S. Smith et préface de Paul
Estrade).
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
[2]
Ibid. ;
Dirección de Inmigración y
Extranjería,
, « Información útil sobre
trámites migratorios »,
Ministerio de Interior de la
República de Cuba, octobre 2012.
[3]
Max Lesnik, « Adiós la ‘Tarjeta
Blanca’ »,
Radio Miami, 16 octobre
2012.
[5]
Decreto-Ley n°302,
op. cit.
[7]
Andrés
Martínez Casares, « Cuba Tales
Lead Role in Haiti’s Cholera
Fight »,
The New York Times, 7
novembre 2011.
[8]
Salim Lamrani,
Etat de siège. Les sanctions
économiques des Etats-Unis
contre Cuba, Paris, Editions
Estrella, 2011.
[9]
Agence
France Presse,
« EEUU saluda flexibilización de
la política migratoria en
Cuba », 16 octobre 2012.
[10]
Juan O. Tamayo, « Cuba cambia
las reglas migratorias y elimina
el permiso de salida »,
El Nuevo Herald, 16 octobre
2012.
[13]
Cuba
Debate,
« Cuba seguirá apostando por una
emigración legal, ordenada y
segura », 25 octobre 2012.
[14]
Decreto-Ley n°302,
op. cit.
[15]
Max Lesnik, « ¿Y los ‘Balseros’
qué? »,
Radio Miami, 16 octobre
2012.
Cuba Debate, « Cuba seguirá
apostando por una emigración
legal, ordenada y segura »,
op.cit.
[16]
Fernando Ravsberg, « Finalmente
llega la reforma migratoria »,
BBC Mundo, 18 octobre 2012.
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