Cuba
50 vérités sur la mort des dissidents
cubains
Oswaldo Payá et Harold Cepero
Salim Lamrani
María Payá,
la fille d’Oswaldo Payá, est contestée
pour les enquêteurs de l'affaire
Dimanche 1er septembre 2013
Opera Mundi
http://operamundi.uol.com.br/...
Plus d’un an après la mort du dissident
cubain Oswaldo Payá lors d’un accident
de voiture, Angel Carromero, conducteur
du véhicule et responsable du drame,
revient sur ses déclarations et accuse
les autorités cubaines d’assassinat.
Mais sa nouvelle version n’est guère
convaincante.
1.
En juillet 2012,
Angel Carromero, citoyen espagnol,
vice-secrétaire général de
l’organisation
Nuevas Generaciones, mouvement de
jeunesse du Parti Populaire (PP)
espagnol – d’obédience conservatrice –,
et collaborateur de la Communauté de
Madrid, et le citoyen suédois Jens Aron
Modig, leader de la Ligue de la jeunesse
démocrate chrétienne (KDU), liée à la
droite suédoise, se sont rendus à Cuba
avec des visas de touristes.
2.
Leur mission,
confiée par leurs partis politiques
respectifs, consistait à rencontrer et
financer certains membres de la
dissidence interne et à mettre en place
des plans d’actions contre le
gouvernement cubain.
3.
Ce type
d’activité, illégal à Cuba comme dans la
plupart des pays du monde, est
lourdement sanctionné par le code pénal.
4.
Oswaldo Payá,
leader du Mouvement chrétien de
libération (MCL), a reçu la somme de
4 000 dollars selon Modig.
5.
Le 22 juillet,
Carromero et Modig se trouvaient en
voiture avec les dissidents cubains
Oswaldo Payá et Harold Cepero Escalante
du MCL et ont été victimes d’un accident
de la route près de la ville de Bayamo.
6.
Les deux opposants
cubains, qui se trouvaient à l’arrière
de la voiture sans ceinture de sécurité,
ont perdu la vie.
7.
Les ressortissants
étrangers, qui se trouvaient à l’avant
du véhicule et avaient mis leur ceinture
de sécurité, ont eu la vie sauve.
8.
Payá est décédé au
moment du choc d’un traumatisme crânien
alors que Cepero a expiré quelque temps
plus tard, à l’hôpital suite à une
insuffisance respiratoire.
9.
Lors de sa
déposition à l’hôpital de Bayamo où il
était soigné, Carromero a indiqué qu’il
n’avait pas vu le panneau de
signalisation indiquant une zone de
travaux et qu’il a perdu le contrôle de
son véhicule, heurtant un arbre.
L’agence de presse espagnole
EFE confirme cette version : « Il
n’a pas vu le panneau de ralentissement
et a perdu le contrôle du véhicule ».
10.
Les témoignages de
trois personnes se trouvant dans la zone
lors de l’accident,
José Antonio Duque de Estrada Pérez,
Lázaro Miguel Parra Arjona et Wilber
Rondón Barreroont,
ont confirmé que le véhicule roulait à
vive allure et avait percuté un arbre
après avoir glissé sur la route en
travaux.
11.
Le citoyen
suédois, sorti indemne, est rentré dans
son pays quelques jours plus tard, après
avoir fait sa déposition.
12.
La fille d’Oswaldo
Payá, María Payá, qui se trouvait à La
Havane, a signalé à la presse qu’une
voiture était entrée en collision par
l’arrière à plusieurs reprises avec le
véhicule dans laquelle se trouvait son
père, et a accusé le gouvernement
d’avoir commandité l’assassinat.
13.
Elle a déclaré que
plusieurs personnes résidant en Suède
auraient reçu des textos par téléphone
de la part de Modig les informant qu’un
véhicule leur avait foncé dessus.
14.
Néanmoins, la
version de la famille Payá est
contredite par des éléments factuels
probants et de nombreux témoignages. En
effet, en plus des dépositions faites
par les personnes se trouvant sur les
lieux, les photos du véhicule accidenté
ne montrent aucune trace de choc à
l’arrière.
15.
Modig a démenti la
version de la famille Payá. Selon lui,
aucun autre véhicule n’était impliqué
dans l’accident. Le
Nuevo Herald de Miami, quotidien
représentant le point de vue de l’exil
cubain, confirme ces déclarations dans
un article intitulé « Le politicien
suédois dément la présence d’autres
véhicules dans l’accident qui a coûté la
vie à Payá ».
16.
Modig a également
récusé les déclarations de María Payá,
au sujet des messages. Selon lui, il n’a
transmis aucun message à personne en
Suède.
17.
Carromero a
également démenti la version familiale
dans une interview rapportée par
l’agence
Agencias
et
EFE : « Aucun véhicule ne nous a
frappé par derrière ».
18.
Il a également
fustigé les théories du complot de la
famille
Payá : « Je demande à la
communauté internationale de se
concentrer sur mon rapatriement et de ne
pas utiliser un accident de la route,
qui aurait pu arriver à n’importe qui, à
des fins politiques ».
19.
De la même
manière, les accusations ne résistent
pas à l’analyse. En effet, il est
difficile de croire que le gouvernement
cubain ait pris le risque d’attenter à
la vie d’un célèbre dissident alors que
celui-ci se trouvait avec plusieurs
témoins, dont deux ressortissants
étrangers, restés en vie, puis libérés.
20.
Dans une
déclaration au journal de Stockholm, le
père de Modig, Lennart Myhr, a expliqué
avoir parlé à son fils après l’accident.
A aucun moment, il n’a fait référence à
un autre véhicule, ni à une persécution
des services de renseignements cubains.
21.
Le leader
dissident Elizardo Sánchez a déclaré à
l’Agence
France-Presse qu’il ne croyait pas à
la thèse du complot et qu’il pensait
qu’il s’agissait d’un accident.
22.
Le
Nuevo Herald a publié un article à
ce sujet avec le titre suivant : « Les
survivants rejettent la version de la
famille Payá ».
23.
Le quotidien
espagnol
El País, pourtant peu favorable au
gouvernement cubain, a également mis en
doute la version de la famille Payá :
« La thèse de la conspiration ténébreuse
pour tuer Payá, que la famille et une
partie de l’opposition ont suggéré au
départ, s’évanouit suite aux
déclarations de Carromero et Modig qui
confirment que tout cela fut un accident
fatal ».
24.
Après plusieurs
jours d’enquête et d’interrogatoire,
Carromero a été mis en examen pour
homicide involontaire par imprudence. La
vitesse excessive a été la principale
cause de l’accident, selon les autorités
cubaines.
25.
D’après les
spécialistes, le véhicule roulait à une
vitesse supérieure à 120
kilomètres/heure sur une portion de
route limitée à 60 kilomètres/heure et a
brusquement freiné sur une route
glissante non goudronnée. Carromero
avait réalisé le trajet La
Havane/Bayamo, distant de 800
kilomètres, en moins de huit heures, en
effectuant trois pauses intermédiaires.
26.
Selon le Ministère
cubain de l’Intérieur, le « manque
d’attention [de Carromero] vis-à-vis du
contrôle du véhicule, la vitesse
excessive et la décision erronée de
freiner sur une superficie glissante ont
été les causes de ce tragique accident
qui a coûté la vie à deux êtres
humains ».
27.
Suite au freinage,
le véhicule a effectué des tonneaux sur
une distance de 63 mètres, ce qui
confirme la vitesse extrême.
28.
En réalité,
Carromero n’en était pas à son premier
délit routier. Il est en la matière un
dangereux multirécidiviste.
29.
Son permis de
conduire lui avait été retiré en mai
2012 pour excès de vitesse. Il avait été
condamné à un retrait de six points et
une amende de 520 euros, la sanction la
plus lourde du Code de la route espagnol
uniquement appliquée lorsqu’un véhicule
dépasse la vitesse autorisée de plus du
double.
30.
Ainsi, Carromero a
conduit à Cuba en toute illégalité.
31.
Carromero avait
accumulé 45 amendes pour des délits
routiers depuis mars 2011.
32.
Il avait dû
s’acquitter d’un montant total de 3 700
euros.
33.
Après un procès de
plusieurs semaines, le parquet a requis
une peine de sept ans de prison pour
homicide involontaire.
34.
En octobre 2012,
après délibération, le Tribunal a
condamné Carromero à quatre ans de
réclusion criminelle.
35.
En décembre 2012,
après quatre mois de prison, Carromero a
été autorisé à purger le reste de sa
peine en Espagne, suite à un accord
entre Madrid et La Havane.
36.
En raison de son
statut de leader politique, sa peine a
été aménagée afin d’éviter la prison. Il
porte désormais un bracelet
électronique.
37.
En mars 2013, dans
une interview accordée au
Washington Post, Carromero est
revenu sur ses déclarations initiales et
a affirmé qu’une voiture appartenant à
l’Etat les avait emboutis par l’arrière,
occasionnant une perte de contrôle du
véhicule et l’accident.
38.
Néanmoins, les
photographies du véhicule ne montrent
aucune trace de choc à l’arrière,
contredisant ainsi la nouvelle version
de Carromero.
39.
Carromero souligne
également avoir été drogué et contraint
de signer une déclaration lors du
procès.
40.
Cette version est
contredite par le Consulat général
d’Espagne à Cuba qui a qualifié le
procès « d’impeccable du point de vue de
la procédure ».
41.
En août 2013, lors
d’un entretien avec le quotidien
espagnol
El Mundo, Carromero a affirmé que
« les service secrets cubains ont
assassiné Oswaldo Payá ».
42.
Dans l’interview
au
Washington Post, Carromero affirme
avoir perdu connaissance lors de
l’accident et ne s’être réveillé que
dans l’ambulance : « Ni Oswaldo, ni
Harold, ni Aron ne s’y trouvaient ».
43.
En revanche, dans
l’entretien accordé à
El Mundo, il déclare se souvenir que
Payá « était toujours vivant suite à
l’accident », contredisant ses propres
affirmations faites au
Washington Post.
44.
Ofelia Acevedo,
veuve de Payá, déclare que « l’Espagne
dispose de preuves que son mari a été
assassiné ».
45.
Interrogée à ce
sujet, l’Union européenne a fait part de
ses réserves se limitant à la
déclaration suivante : « Si Monsieur
Carromero dispose de nouvelles preuves
sur la mort tragique du lauréat du prix
Sakharov Oswaldo Payá, il devrait les
présenter devant les tribunaux
compétents ».
46.
Le gouvernement
espagnol a pour sa part choisi d’ignorer
les nouvelles déclarations de Carromero.
Interrogé à ce sujet, le Ministère des
Affaires étrangères a rejeté la
polémique : « Notre point de vue sur
cette affaire est révolu depuis le jour
où Monsieur Carromero est rentré en
Espagne ».
47.
Embarrassé par les
déclarations de Carromero, le Parti
Populaire a choisi de garder le silence
et s’est refusé à toute déclaration,
annonçant qu’il ne communiquerait pas
sur le sujet.
48.
Le député des
Asturies, Gaspar Llamazares, a enjoint
Carromero de saisir la justice, tout en
mettant en doute la crédibilité de ces
nouvelles déclarations. Selon lui,
« s’il disposait de preuves, il les
aurait présentées à la justice sur le
champ ou à son retour en Espagne ».
49.
De son côté, le
député Teófilo de Luis, membre du Parti
Populaire, a rejeté les nouvelles
déclarations de Carromero : « Mon
gouvernement se limite à ce qu’il [Carromero]
a expliqué à La Havane. Il se limite à
appliquer l’accord d’extradition, selon
les propos tenus à l’époque ».
50.
En mars 2013,
suite à la visite de la famille Payá en
Espagne, le gouvernement de Mariano
Rajoy a fait part de ses réserves et a
déclaré « qu’il n’apportera pas son
soutien à une enquête sur la mort
d’Oswaldo Payá », légitimant ainsi les
conclusions émises par La Havane.
Docteur ès Etudes
Ibériques et Latino-américaines de
l’Université Paris IV-Sorbonne, Salim
Lamrani est Maître de conférences à
l’Université de La Réunion, et
journaliste, spécialiste des relations
entre Cuba et les Etats-Unis.
Son nouvel ouvrage
s’intitule
Cuba. Les médias face au défi de
l’impartialité, Paris, Editions
Estrella, 2013 et comporte une préface
d’Eduardo Galeano.
Contact :
lamranisalim@yahoo.fr ;
Salim.Lamrani@univ-reunion.fr
Page Facebook :
https://www.facebook.com/SalimLamraniOfficiel
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