Maroc
Washington, comme
un voyage de la dernière chance
Salah Elayoubi
Salah el-Ayoubi
Samedi 9 novembre 2013
Le silence comme prix
insupportable de la liberté
Finalement, Mohammed VI se redra bien
aux Etats-Unis, où il sera reçu par le
Président Barack Obama, le 22 novembre.
Une visite longtemps mise en péril
par l'emprisonnement du journaliste Ali
Anouzla pour les charges d'assistance à
une entreprise terroriste et d'apologie
du terrorisme qui avait soulevé sinon
l'indignation, du moins
l'incompréhension, dans les milieux
politiques américains, y compris parmi
les plus favorables au Maroc. Depuis, le
Directeur de « Lakome » arabophone a été
remis en liberté provisoire, dans
l'attente de son procès, au prix d'un
silence jugé bien assourdissant par la
plupart de ceux qui avaient mené
campagne pour sa libération.
Mais le Maroc n'est pas tiré d'affaire
pour autant. Washington a, en effet,
durci le ton vis-à-vis de Rabat, depuis
le départ de Hilary Clinton, à propos de
l'affaire du Sahara qui n'en finit plus
d'empoisonner les relations bilatérales
avec une bonne partie des pays
africains, dont l'Algérie, faisant
craindre le pire pour toute la région,
au vu de l'escalade à laquelle se
livrent les deux frères ennemis. Car de
fraternité ou de relation de bon
voisinage, il n'est, en effet, guère
plus question. Bruits de bottes,
manœuvres communes entre Polisario et
armée algérienne, surarmement,
frontières hermétiques, paysans coupés
de leurs champs, pour raison de
militarisation, escalade verbale entre
responsables politiques, escarmouches
éditoriales entre journaux officiels,
accusations réciproques d'atteintes aux
droits de l'homme, rappel de
l'ambassadeur marocain. Un florilège qui
en dit long sur la cocotte minute du
Sahara mais également sur l'animosité
que les deux régimes se portent
mutuellement, pour mieux occulter leur
crise sociale respective.
De la menthe au goût de fiel
et de lâcheté pour le 1° novembre
algérien
Mais la cerise sur le gâteau, vient
des manifestations hostiles à l'Algérie
qui se multiplient au Maroc. Une
première du genre. Alors qu'une simple
réunion de potaches dissertant, en
pleine rue, de philosophie, déclenche la
vindicte de la police marocaine, les
manifestations vouant notre voisin aux
gémonies semblent jouir d'une impunité
totale, portant à croire qu'elles
reçoivent, à tout le moins
l'encouragement de Rabat. Pour qui se
souvient de la violence avec laquelle
les forces auxiliaires avaient
« négocié » la dispersion des
manifestants face au centre culturel
libyen, dans le quartier des Orangers,
le 21 février 2011, au lendemain des
exactions du régime libyen contre les
manifestants désarmés, comprend
difficilement le laxisme des forces de
l'ordre face au consulat algérien ce 1°
novembre. un drôle de cadeau à l'Algérie
pour sa commémoration du déclenchement
de la lutte armée contre l'occupant
français. Un cadeau empoisonné, au
parfum de menthe, du nom de ce militant
royaliste, Hamid Naânaâ qui a escaladé
la grille en fer forgé, avant d'en faire
de même pour le bâtiment des services
consulaires et de s'attaquer au
drapeau algérien qu'il a décroché de
sa hampe.
Les policiers de faction, autour de
l'édifice, ce jour-là, se sont bien
gardés d'intervenir, mises à part de
molles mises en garde et la scène
immortalisée par une caméra anonyme, ne
laisse planer aucun doute sur les
auteurs du forfait. Ce sont les mêmes
visages qui sévissent depuis plusieurs
mois contre les militants du « Vingt
février » ou contre toute manifestation
dénonçant la corruption, les atteintes
aux libertés, les abus de pouvoir et
d'autres pratiques du régime marocain.
L'acte est, en lui-même, odieux parce
qu'il s'est attaqué à l'un des
fondamentaux même de la culture
marocaine, sa proverbiale hospitalité
qui dicte depuis des temps immémoriaux,
que l'on fasse passer le bien-être de
ses hôtes, avant même celui de sa propre
famille.
Il est ensuite condamnable, parce que
les manifestants se sont attaqués à des
bâtiments jouissant de la sacro-sainte
extraterritorialité, en vertu de
laquelle la souveraineté marocaine
s'arrête à la grille en fer forgé qui
protège les jardins du consulat, et
toute personne passant ce seuil, sans y
avoir été invitée, se rend coupable d'un
franchissement illégal de frontière,
sinon d'une attaque délibérée du
territoire algérien.
Enfin, si l'acte est odieux et
condamnable il n'en est pas moins dénué
de lâcheté, les bâtiments visés étaient
désertés par leurs occupants, pour cause
de jour férié.
Trois ignominies pour le prix d'une
et dont la responsabilité incombe avant
tout au régime marocain, dont les
services de sécurité se sont soudain
révélés incapables de protéger le
consulat.
Tout porte à croire que Rabat,
après avoir tout raté en diplomatie et
usé et abusé de toutes sortes de
stratagèmes, en est pitoyablement réduit
à instrumentaliser de sombres voyous
pour apporter la contradiction à ses
adversaires, qu'ils appartiennent à la
société civile, aux militants des droits
de l'homme ou à un état tiers.
« J'ai réglé l'affaire du
Sahara ! »
Alors Mohammed VI aura beau prononcer
tous les discours de la « Marche verte »
qu'il voudra, il ne fera pas oublier les
termes triomphalistes de son interview
au Figaro, en septembre 2001, au cours
de laquelle il prétendait, candide,
avoir « réglé la question du
Sahara qui nous empoisonnait depuis
vingt-cinq ans », avant d'ajouter avec
un soupçon de suffisance :
-« Ce genre d'affaire ne se traite
pas en grimpant sur un piédestal et en
publiant un communiqué par jour. Pour
obtenir que les onze membres du Conseil
de sécurité de l'O.N.U. reconnaissent la
légitimité de la Souveraineté marocaine
sur le Sahara, nous avons travaillé dur
et dans la plus stricte confidentialité
pendant dix-huit mois. »
Et c'est sans doute parce que le roi
y avait tellement cru, qu'il avait
perdu, ce jour-là, une occasion de faire
preuve d'humilité et qu'il a laissé, par
la suite, ses troupes, douze années
durant, se comporter en armée
d'occupation et ses policiers de service
à Laâyoune, Smara, Boujdour ou ailleurs,
s'éprouver en terrain conquis et en
supplétifs de la terreur, pendant que
lui-même et les prédateurs de tous
bords, investissait le terrain,
s'accaparant sans vergogne, qui, les
réserves halieutiques, qui, les réserves
foncières, qui, les terres agricoles,
qui, les phosphates, mettant en coupe
réglée l'économie du Sahara, pendant que
les enfants du pays continuaient de
souffrir des affres de l'exclusion et de
la répression. Les sahraouis n'ont ni
pardonné, ni oublié. Ils le prouvent
chaque jour, un peu plus !
Un énième discours pour rien
Ceux qui promettaient des
mesures importantes pour le discours du
6 novembre, ont pêché, à tout le
moins par omission, sinon par
hypocrisie. Deux tares qui ont contribué
à faire du Maroc ce qu'il est devenu :
un pays dont on abreuve ses citoyens
d'espérance en des lendemains meilleurs,
qui ont, en réalité, été reportés sine
die. Une fiction improbable
nourrie d'« Incha Allah » (si dieu le
veut) et de « Hamdou lillah » (Rendons
grâce à Dieu). Un mauvais film tant de
fois consommé, qu'il en est devenu
imbuvable, voire toxique.
Seul changement palpable en
trente-huit (38) ans de gestion
calamiteuse du Sahara et en treize (13)
ans de balbutiements et de bricolages
sous Mohammed VI, les indépendantistes
ont gagné en maturité, en force et en
crédibilité, au détriment d'un Maroc,
peu à peu lâché par ses alliés les plus
inconditionnels, en raison de
l'aveuglement, de l'incompétence et de
la cupidité de ses politiciens. En
prime, comme une épée de Damoclès, les
adversaires du Maroc continuent d'agiter
la menace de l'extension du mandat de la
MINURSO à la surveillance de violations
des droits humains. Une humiliation pour
Rabat qui n'aurait d'autre alternative
que de laisser manifester les
indépendantistes, bien à l'abri, sous
les fenêtres des envoyés de l'ONU au
sahara. Autant d'éléments qui font
ressembler le déplacement du souverain
marocain à Washington à un voyage de la
dernière chance.
Mohammed VI et son avatar
Bouteflika
Et si Mohammed VI et Abdelaziz
Bouteflika en sont à se jeter si
pitoyablement, les Droits de l'homme à
la figure, c'est précisément parce qu'il
insupporte à chacun d'entre eux, de voir
en l'autre, son parfait avatar et la
copie conforme de ses propres
turpitudes.
Alors, lorsque Mohammed VI
s'interroge, dans son discours, s'il
serait « raisonnable de penser que le
Maroc respecte les droits de l'Homme
dans le nord du pays et les transgresse
dans le sud ? », on serait tenté
de lui répondre par d'autres questions :
-
Battre ses compatriotes parce qu'ils
manifestent pour leur droit légitime à
la liberté, à la dignité et à la
justice, fait-il partie de ce respect
des Droits de l'homme, dont il se
gargarise ?
-
Ruiner des journalistes, les emprisonner
et les condamner pour avoir simplement
fait leur métier, fait-il partie du jeu
démocratique marocain ?
-
Piller les ressources de son pays,
s'accaparer impunément les richesses
économiques de ce dernier et faire une
concurrence déloyale à ses compatriotes
entrepreneurs, est-il compatible avec un
minimum d'honnêteté et une bonne
gouvernance ?
Lorsque le principal intéressé aura
daigné sortir de son proverbial
entêtement pour répondre à ces questions
qui taraudent tant des nôtres, peut-être
sera-t-il en mesure de comprendre
pourquoi la fiancée sahraouie, refuse
obstinément de convoler en justes noces,
avec cet impitoyable bourreau venu du
nord, qui la séquestre, la dépouille, la
viole et la bat, depuis plus de trente
huit ans.
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Publié le 10 novembre 2013
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