Opinion
La guerre libyenne
de Sarkozy
Robert Harneis
Mercredi 29 juin 2011
Le président français Nicolas
Sarkozy a initié la guerre
contre la Libye -Pourquoi a-t-il
pris ce risque ?
Il est clair que sans son
intervention personnelle, la
guerre n’aurait sans doute pas
eu lieu. Il n’y a que les petits
enfants et les vieilles dames
naïves pour croire que son but
est uniquement de protéger le
peuple libyen. Si c’était le
cas, la France et l’OTAN
seraient en guerre avec la
moitié du monde y compris
eux-mêmes étant donné ce qu’ils
font aux civils afghans.
L’histoire de la relation de
Kadhafi avec l’Occident et les
USA en particulier, ressemble à
de la science fiction. En 1969,
la CIA, sous les ordres du
président Nixon nouvellement
élu, l’a aidé à chasser le roi
Idris, l’homme de paille des
Anglais dans ce nouveau royaume
riche en pétrole. Ils ont choisi
la mauvaise personne. La
première chose qu’il a faite a
été de fermer la base militaire
étasunienne de Wheelus et
d’inviter les Soviétiques dans
le pays. Il est donc devenu le
"chien enragé" de Reagan et
notre ennemi mortel. Plus tard
il a fait affaire avec
l’administration de Bush fils et
est redevenu notre ami.
Tous les pays occidentaux se
sont précipitées à sa porte pour
lui vendre tout ce qu’il était
possible de lui vendre y compris
les armes que nous sommes en
train de bombarder actuellement.
En 2007 il a été accueilli à
Paris pendant cinq jours et il a
même été autorisé à planter sa
tente dans les jardins de
l’Elysée. Obama était dans les
meilleurs termes avec lui et il
y a des photos avec Hilary
Clinton où ils sourient en se
serrant la main en 2009. Les
Italiens, sous Berlusconi, ont
signé un traité d’amitié avec
lui et lui ont fait leurs
excuses et payé des indemnités
il y a seulement trois ans, pour
la sauvagerie de leur
colonisation avant la guerre qui
a causé la mort de dizaines de
milliers de Libyens. Puis, d’un
instant à l’autre, le voilà
redevenu un chien enragé et on
le traite comme on a traité
l’Irak.
C’est un discours agressif
(et soigneusement mal
interprété) dirigé contre les
rebelles qui a donné au
président français une
opportunité unique qu’il n’a pas
ratée d’intervenir dans le
soulèvement en Libye. Il affirme
qu’il s’inquiète pour le peuple
libyen et qu’il veut "protéger
la population civile" mais
cela contredit les dires du
Canard Enchaîné, un journal
généralement bien informé, selon
lequel les services secrets
français ont commencé à attiser
la rébellion longtemps avant
l’ouverture des hostilités.
Kadhafi a donné à son peuple un
des niveaux de vie les plus
élevés de l’Afrique, c’est
pourquoi la rébellion tenace a
surpris tout le monde. Le "frère
guide" n’était pas aimé par tout
son peuple mais tout cela
ressemble fort à une
manipulation supplémentaire des
services secrets occidentaux qui
ont mis le feu aux poudres avant
de laisser la place aux pompiers
dans la pagaille inévitable.
Sarkozy n’est-il pas au fond
l’homme de paille d’Obama ou de
quelque autre élément des
cercles gouvernementaux
étasuniens ?
Cependant il est possible que
Sarkozy ait simplement saisi une
opportunité qui se présentait et
par l’entremise étrange de
l’intellectuel Bernard
Henri-Lévi, ait rencontré les
rebelles de Benghazi et leur ai
accordé une reconnaissance
diplomatique. La Résolution 1973
a alors été obtenue à
l’arrachée, le Conseil de
Sécurité de l’ONU autorisant la
mise en place d’une zone
d’exclusion aérienne pour
protéger la population civile
tout en appelant à un cessez le
feu. Le Brésil, l’Inde, la
Chine, la Russie et l’Allemagne
notamment se sont abstenus -une
grosse partie de l’opinion
internationale.
Neuf jours plus tard
seulement, l’initiative
française de Sarkozy s’est
transformée en une attaque
aérienne de grande ampleur de
l’OTAN avec l’objectif avoué de
défendre la population civile,
de laisser passer l’aide
humanitaire et de forcer l’armée
libyenne à retourner dans ses
casernes. Puis ont suivi
quelques tentatives grossières
de tuer Kadhafi qui ont eu pour
conséquence la mort d’un de ses
fils et d’autres membres de sa
famille. Il n’a pas fallu
longtemps aux leaders de l’OTAN
et à Sarkozy pour qu’ils se
mettent à parler d’un changement
de régime inévitable. Tous ces
objectifs, du "retour aux
casernes" de l’armée
libyenne au changement de
régime, en passant par quelques
tentatives d’assassinat,
paraissent bien loin du "cessez
le feu et de la protection des
citoyens" comme le
gouvernement de la Russie n’a
pas manqué de le faire
remarquer.
Ces pays ont maintenant été
rejoints par l’Afrique du Sud et
d’autres pays de l’Union
Africaine qui a de plus en plus
l’impression désagréable que les
colons sont de retour pour se
venger pendant qu’un allié réel
en dépit de ses excentricités et
qui les aidait financièrement
est victime de lynchage et perdu
pour toujours. De leur côté les
médias français soutiennent
effrontément que le changement
de régime était la mission
initiale de l’ONU.
Le principal problème de
Kadhafi est que la Libye est un
pays situé dans une zone
stratégique qui a peu de
défenses, peu de population et
qui recèle d’énormes réserves de
pétrole et de gaz très
convoitées. Depuis qu’il a
renversé le roi Idris en 1969,
quand il était un fringant
officier nationaliste et
socialiste, il a contrarié
beaucoup de monde y compris les
monarques du Golfe Arabique "un
tas de grosses femmes corrompues",
mais il a survécu aux efforts
réitérés de l’occident pour le
renverser et au moins dans un
cas en 1986 pour l’assassiner.
Il n’a pas hésité à lui rendre
la pareille en organisant des
attaques terroristes. De plus,
il semble qu’on lui ait
délibérément imputé des attaques
terroristes dont il n’était pas
responsable. Son isolement est
accentué par son hostilité aux
fondamentalistes islamiques.
Par ailleurs il a utilisé la
richesse qui lui vient du
pétrole pour financer l’Union
Africaine au détriment de
l’Union pour la Méditerranée de
Sarkozy, une initiative
néo-conservatrice inspirée par
l’OTAN et les USA, et il a
encouragée l’UA à se distancer
de l’Occident autant que faire
se peut. Une grande partie des
énormes sommes d’argent que les
nations occidentales ont saisies
pendant cette guerre était
destinée à financer des
initiatives en Afrique. Il a
aussi financé une système
africain indépendant de
téléphone par satellite dans le
but de réduire le coût des
appels téléphoniques en Afrique
qui était un des plus élevés du
monde. Il semble que cela ait
déjà privé les entreprises
européennes de 500 millions
d’Euros de revenus par an. Il
avait l’intention de
nationaliser l’industrie du
pétrole et de renégocier les
contrats. Et peut-être le pire
de tout, il avait proposé de
mettre en place une monnaie pour
l’Afrique toute entière indexée
sur l’or et il menaçait d’exiger
le règlement du pétrole dans une
autre monnaie que le dollar.
Cela aurait posé beaucoup de
problèmes au système monétaire
du dollar américain déjà
branlant mais aussi à la monnaie
de l’ancienne Afrique
occidentale française, le Franc
CFA qui est lié au Franc
français.
Le moins qu’on puisse dire
est que les USA ont beaucoup de
mal à supporter les petits pays
qui se rebiffent et qu’ils ont
de la mémoire. La protection de
la population civile n’a rien à
voir là-dedans, le traitement
que l’OTAN inflige à la Libye et
à sa famille est un terrible
avertissement à tous les leaders
potentiellement indociles qui
pourraient avoir des désirs
excessifs d’indépendance dans le
futur. Il n’y a aucun doute que
les faucons de guerre de
Washington n’ont pas oublié les
années de provocations et
l’expulsion de Wheelus en 1969.
Si tout se passe bien pour
l’OTAN, les USA seront vengés et
le colonel rétif sera remplacé
par une gouvernement qui
collaborera avec eux en matière
de pétrole et de monnaie comme
en Arabie Saoudite.
Et ce qui est fatal pour le
turbulent colonel, c’est que ses
deux ennemis principaux, Sarkozy
et Obama, entrent l’année
prochaine dans une difficile
campagne électorale. Quant à
Cameron, en grande Bretagne, il
est à la tête d’une coalition
branlante qui peut se disloquer
à tous moment et le ramener
devant les électeurs. Maintenant
que ces trois leaders se sont
engagés dans la bataille, ils ne
peuvent plus reculer avant
d’avoir complètement écrasé "le
frère guide". Ce ne serait
pas souhaitable que leurs
électeurs aient l’impression que
leurs leaders se sont faits
ridiculiser une fois de plus par
le rusé Libyen. En même temps on
peut se demander si le
soulèvement soudain du Printemps
Arabe qui a été longtemps et si
efficacement réprimé avec le
soutien total de l’Occident, n’a
pas été favorisé par la vaste
organisation des services
secrets d’Obama pour augmenter
ses chances auprès des électeurs
démocrates de plus en plus
critiques, en se débarrassant de
vieux dictateurs amis gênants
tout en gardant évidemment le
contrôle politique en dernier
ressort ? La décision d’éliminer
Kadhafi semble corroborer cette
théorie. De même que le fait que
les services secrets français
aient été clairement pris par
surprise par le premier
soulèvement en Tunisie.
Incidemment le leader libyen
n’est pas favorisé par le fait
que les mandats du secrétaire
général de l’ONU Ban Ki Moon et
du procureur de la Cour Pénale
Internationale Luis Moreno-Ocampo
s’achèvent tous les deux en 2012
et que leur désir d’être
reconduits dans leurs postes les
rendent plus vulnérables aux
pressions et les incitent à
vouloir se rendre "utiles".
Mais pourquoi un revirement
occidental si spectaculaire, si
brutal et à si haut risque ? Une
trahison plus graduelle et plus
discrète aurait certainement
mieux dissimulé le cynisme des
leaders occidentaux à l’opinion
publique de plus en plus
sceptique des nations qui ne
font pas partie de l’OTAN et
même des nations qui en font
partie. Il se pourrait que la
raison pour laquelle Sarkozy a
choisi de faire son coup
militaire et diplomatique au
moment où il l’a fait soit la
conscience aigue qu’il ne
fallait pas rater cette occasion
unique de renverser Kadhafi
combinée à la conscience non
moins claire de l’approche d’un
tsunami financier qui pourrait
sérieusement réduire la capacité
des USA et de l’OTAN à mener de
telles coups militaro-politiques
dans l’avenir, ce qui laisserait
le temps au rusé leader libyen
de renforcer sa position de
telle manière qu’il deviendrait
impossible de le renverser.
L’augmentation du nombre de
personnes qui pensent comme le
Dr Ron Paul et le vote récent du
parlement étasunien contre la
guerre en Libye semblent
corroborer cette façon de voir.
D’une façon plus générale,
Sarkozy, en tant qu’instigateur
de tout cela, reçoit des bons
points de la toujours toute
puissante administration
militarisée étasunienne, ce qui
est important pour les intérêts
commerciaux et diplomatiques
français dans le monde. Et cela
a fait oublier l’embarrassante
performance tunisienne de son
gouvernement et le fiasco de la
démission de son ministre des
affaires étrangères,
Alliot-Marie. La France se
débarrasse d’une influence
gênante en France-Afrique. Et
enfin, au risque d’avoir l’air
cynique, s’il perd les élections
présidentielles de 2012, il se
sera mis en situation de
recevoir comme Blair des
millions de dollars de la part
de sympathisants
néo-conservateurs ou du monde
des affaires. Il pourrait même
remplacer l’ex-premier ministre
britannique comme émissaire de
la paix au Moyen Orient ou
recevoir le prix Nobel de la
Paix.
Robert Harneis
Stop Nato, 23 Juin 2011
Robert Harneis est un
journaliste politique qui habite
à Strasbourg
Pour consulter l’original :
http://williambowles.info/2011/06/23/sarkozys-libyan-war-by-...
A lire aussi :
http://www.lapressegalactique.com/2011/04/libyas-push-for-go...
Traduction : Dominique
Muselet
© LE GRAND SOIR -
Diffusion non-commerciale autorisée et
même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 29 juin 2011
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