Opinion
La Chine
impérialiste
Robert Bibeau
Image Flickr par
Wolfgang
Staudt
Mercredi 29 juin
2011
LE VENT D’EST
Le vent d’Est, dominant, rugit depuis
quelque temps, depuis l’amorce de la
dernière grande crise économique
mondiale (2008). Crise financière et
monétaire dont l’Occident ne parvient
pas à s’extraire alors que le géant
comptant un milliard trois cents
millions d’habitants est parvenu à s’en
extirper rapidement.
Tous les indicateurs économiques le
confirment : la Chine, moins touchée par
le cataclysme de 2008, est déjà à marche
forcée vers le sommet des palmarès
économiques et industriels
internationaux.
Les Américains laissent entendre que le
PIB (Produit intérieur brut) chinois ne
les rejoindra pas avant 2030; pendant ce
temps les Chinois laissent braire,
restent cois, et
cumulent
aisément les records de production, de
construction et de capitalisation. Il
n’y a que trois records mondiaux que les
Américains conservent jalousement;
premièrement, ce sont les paumés les
plus endettés de la planète;
deuxièmement, ils cumulent les plus
lourdes dépenses d’armement (50 % des
dépenses militaires mondiales ce qui
grève davantage
leur dette);
troisièmement, ce sont les plus gros
consommateurs – gaspilleurs – à crédit
des deux hémisphères.
Mis à part les « bobos », qui d’autre
pourrait sérieusement penser que
l’empereur de l’embonpoint-armé dirige
effectivement l’assemblée des chefs
d’États du G7 aussi insolvables que
lui ?
Pendant que Barak Obama parade,
entouré de ses alliés endettés,
l’impérialisme chinois poursuit son
ascension fulgurante et tente de
repartager les marchés, les sphères de
matières premières et d’hydrocarbures et
de redéfinir la division internationale
du travail, de l’extraction de la plus
value et de la répartition de l’usufruit
à l’avantage de la classe des
capitalistes monopolistes d’État chinois
et de ses comparses (Alliance
de Shanghai).
Ce conflit mondial titanesque, qui a
connu de nouvelles escarmouches en 2008,
est un combat entre le camp, en déclin
mais toujours dominant, du
Bloc transatlantique (États-Unis,
Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni,
Italie, Pays-Bas, Belgique, Canada,
etc.) et le camp des aspirants regroupé
autour de l’Alliance de Shanghai (Chine,
Russie, Iran, Kazakhstan, Ouzbékistan,
Syrie, etc.) prétendant au trône de
leader de l’impérialisme mondial.
Le social impérialisme chinois n’est pas
un avatar totalement étranger à
l’impérialisme mondialisé; il représente
plutôt la section du capital financier
internationalisé la plus prospère, son
opposition à l’impérialisme états-unien
porte sur le repartage des supers
profits tirés de la spoliation des pays
néo-coloniaux ainsi que sur le repartage
de la plus value extorquée aux
prolétariats des pays industrialisés.
LE « PRINTEMPS ARABE »
Le « Printemps
arabe » – qui ne s’est
toujours pas transformé en révolution
arabe – le maillon faible de la
chaîne impérialiste (1)
découle de cette titanesque
confrontation inter-impérialiste. Que
voulez-vous, les peuples arabes chôment
assis sur les plus grandes réserves
mondiales d’hydrocarbures et pour cela
ils sont l’objet de toutes les
convoitises, mais leurs marchés
domestiques ne présentent pas un grand
intérêt étant donné deux faits
rédhibitoires : premièrement,
les faibles prébendes que l’impérialisme
international abandonne sur place
(royautés et redevances);
deuxièmement, l’accaparement
exclusivement monarchique et
compradore de ces aumônes tombées de
l’escarcelle des milliardaires
occidentaux. Ces aumônes étant
réinvesties sur les bourses d’Occident
par les sultans et les présidents de
pacotille, il est inutile de mettre en
place un appareillage sophistiqué pour
récupérer ces capitaux, car ils
réintègrent d’eux-mêmes les flux de
circulation monétaire impérialistes.
Les peuples arabes, écartés du repartage
de ces miettes et abandonnés aux
oubliettes, se sont récemment révoltés;
mais sitôt lancés, les mouvements
anarchiques des insurgés ont été
récupérés par les services secrets
occidentaux, sionistes et arabes, qui
les ont réorientés en direction
d’élections « démocratiques »
bourgeoises que tous les « bobos
occidentaux » (chercheurs universitaires
et alter mondialistes) saluent comme de
grandes avancées arabes depuis la
trahison de la place Tahrir au Caire (2).
Aujourd’hui, les révoltés du Caire, de
Tunis, de Benghazi, de Bahreïn, du
Yémen, de Syrie et d’ailleurs tentent de
donner un second souffle à leurs
révoltes avec tout ce que cela pose
comme problèmes quand les rangs des
insurgés sont infiltrés d’autant
d’agents policiers. Bref, fort
probablement que les peuples arabes
pourront bientôt choisir leur dictateur
à même une liste de 30 prestidigitateurs
adoubés par les mêmes coteries qui
dirigent toujours leurs pays. Voilà le
résultat de ces révoltes trahies.
CHINE « COMMUNISTE » ?
La Chine est-elle une puissance
impérialiste ascendante ou un pays
« socialiste » dans lequel prospèrent
805 000 nouveaux millionnaires
« communistes », comprenant plusieurs
milliardaires « socialistes »
propriétaires de grandes entreprises de
production industrielles, ainsi que des
spéculateurs financiers « prolétariens »
inscrits aux bourses de Shanghai et de
Hong-Kong et 70 députés
« révolutionnaires » de l’assemblée
« populaire » chinoise qui ensemble
cumulent 80 milliards de devises
américaines (3)
?
La Chine est un pays où survivent
également des centaines de millions de
prolétaires ne possédant en propre que
leur force de travail à vendre sur le
souk de l’emploi, le marché de
l’esclavage salarié, fluctuant
alternativement entre des phases de
chômage aigu et des phases de plein
emploi, comme dans tous les autres pays
capitalistes (4).
LA CLASSE CAPITALISTE MONOPOLISTE
CHINOISE
La classe capitaliste monopoliste
chinoise est divisée en
trois segments, chaque segment
correspondant à un mode différent
d’accumulation du capital.
Un premier groupe est formé
d’apparatchiks – bureaucrates de
l’appareil monopoliste d’État –. Ils
gèrent les grands conglomérats
industriels nationalisés (industrie
lourde, armements, aérospatiale et haute
technologie), ainsi que les grandes
entreprises chinoises de transport, des
services et des communications. Cette
section constitue le cœur de la nouvelle
classe capitaliste monopoliste d’État
chinoise. Leur richesse provient de
leurs salaires très élevés et des
immenses avantages qu’ils s’octroient à
partir des revenus des entreprises et
des services qu’ils administrent. Ils
réinvestissent leur pécule et
consolident ainsi leur position
capitalistique (5).
Une deuxième section est constituée des
entrepreneurs
propriétaires
privés de manufactures et
d’entreprises de toutes sortes qui
produisent en partie pour le marché de
consommation national et en partie pour
remplir les contrats de
sous-traitance offerts par les
entreprises étrangères qui ont
délocalisées leurs usines en Chine
(accessoires et pièces automobiles,
textiles et vêtements, produits
synthétiques et plastiques, métallurgie
primaire, etc.). Ils sous-traitent
également pour les grandes entreprises
chinoises monopolistes d’État. Ces
capitalistes sont souvent basés à Hong
Kong, à Macao, à Taiwan, ainsi que dans
les zones spéciales d’industrialisation
le long de la côte Est de la Chine. Ce
segment constitue lui aussi une base
importante de la classe capitaliste
monopoliste chinoise; son capital
financier est intimement lié au capital
financier des autres puissances
impérialistes et aux intérêts des
grandes entreprises étrangères donneurs
d’ouvrage.
Une troisième et dernière section de la
classe capitaliste chinoise est
formée des intermédiaires et des gérants
« communistes » des entreprises
impérialistes étrangères installées en
Chine pour y exploiter la main d’œuvre
locale sous payée. Se greffent à cette
section des gestionnaires
« socialistes » de portefeuilles de
placements, des spéculateurs
« prolétariens », des banquiers
« révolutionnaires » et d’autres requins
de la finance ainsi que des revendeurs
« maoïstes » qui écoulent leurs produits
essentiellement sur les marchés
étrangers.
Ceux-là forment la section compradore de
la classe capitaliste monopoliste
chinoise dont les capitaux
s’amalgament inextricablement au capital
financier international.
La nature compradore de cette partie
de la classe dirigeante chinoise ne fait
aucun doute. La Chine sous-traite, dans
des conditions épouvantables pour son
propre prolétariat, la fabrication de la
pacotille et des vêtements dont
l’Occident a besoin et qu’elle paie en
dollars dévalués transformables en bonds
du trésor américain en faillite. Une
grande partie de la production
manufacturière occidentale ayant été
délocalisée en République Populaire de
Chine – et dans une moindre mesure en
Inde – la Chine présente
sous
certains aspects l’image d’un
impérialisme de sous-traitance avec
parmi ces compradores une mentalité de
rentiers qui retirent leurs bénéfices de
l'exploitation de leur propre peuple
travailleur.
Cette forme d’exploitation est semblable
à celle que l’on rencontre dans
plusieurs pays néo-coloniaux – arabes
notamment – et rien ne distingue ce
segment compradore chinois de la classe
dirigeante d’Indonésie, d’Égypte,
d’Algérie, de Libye, de l’Inde ou du
Congo.
Cette composition complexe – en trois
segments – de la classe capitaliste
monopoliste
chinoise
et les luttes internes qu’elle engendre
au sein du Parti bourgeois hégémonique
explique les hésitations, les
fluctuations et les retournements
inattendus de la politique étrangère
chinoise (elle n’a pas imposée son veto
à la résolution à l’ONU préparant
l’agression
contre la Libye, puis la Chine a
regretté de ne pas l’avoir fait). Les
contradictions entre les impérialistes
mondiaux sont très féroces en ces temps
de crise économique sévère et les
chemins pour parvenir au sommet
(repartage des zones d'influences, des
marchés et des ressources) sont et
seront parsemés de nombreux conflits
régionaux – Iran, Soudan, Syrie, Libye,
autres pays arabes, Congo, Côte
d’Ivoire, Mauritanie, Sénégal, autres
pays africains, Palestine-Israël,
Afghanistan, etc. – (6)
avant de se transformer en conflit
ouvert mettant directement aux prises
les deux camps dans un nouvel
affrontement mondial cataclysmique.
LA CHINE IMPÉRIALISTE
La section bureaucratique monopoliste
d’État d’abord, la section
spécialisée dans la
sous-traitance et le segment
compradore ensuite, s’appuient tous
sur le contrôle exclusif de l’appareil
monopolistique d’État (législatif,
juridique, fiscaliste et répressif) pour
assurer leur expansion impérialiste sur
les divers marchés mondiaux afin de
réaliser le profit maximum pour leurs
investissements. Par ses
origines bureaucratiques, la première
section contrôle le Parti « communiste »
hégémonique et l'État « socialiste »
chinois. Ces trois segments sont devenus
la nouvelle bourgeoisie dans un
système de production déjà largement
monopolisé, protégé de la concurrence
étrangère et dont la pérennité est
garantie par cet appareil d'État sous
son contrôle exclusif. Les trois
segments participent directement
à l'exploitation du peuple chinois, à
extraire la plus-value – dans les
grandes usines en conglomérats et dans
les grandes entreprises de transports et
de communication – du travail de la
classe ouvrière et à la mise aux
enchères du travail salarié chinois pour
le bénéfice de leurs alliés et
concurrents impérialistes
internationaux.
Par ailleurs,
le capitalisme chinois est exportateur
de capitaux et entrepreneur de gros
oeuvres dans les pays néo-coloniaux
mais aussi dans certains pays riches
comme le Canada (mines du Nunavut, forêt
de Colombie-Britannique, hydrocarbures
de l’Alberta et Plan Nord du Québec). En
ce sens, l'économie chinoise, déjà
fortement en expansion (2e
économie mondiale en terme de valeur de
la production) contient en germe la
double nature contradictoire de
l’impérialisme contemporain. La classe
dirigeante chinoise se comporte
exactement comme n'importe quelle classe
exploiteuse d'une grande économie
occidentale sans pour autant contrôler
le moindre levier économique
international
embûche que l’impérialisme américain
pose devant l’expansionnisme chinois.
À titre d’exemple, la Chine n’est pas
cooptée au G8 ni à l’OCDE, elle n’a pas
droit de veto au FMI malgré qu’elle le
finance fortement (7);
la Chine est traitée comme quantité
négligeable à l’OMC (Organisation
Mondiale du Commerce) malgré qu’elle
soit le premier pays exportateur et le
deuxième importateur mondial, de même à
la Banque mondiale malgré que ses
réserves de devises étrangères soient,
et de loin, les plus importantes au
monde (2,45 mille milliards de dollars
US) et qu’à elle seule elle prête
davantage aux pays en développement que
la Banque mondiale (8).
La dépendance de la Chine à l'égard du
marché et du dollar américains place
ce pays à la merci des restrictions que
les États-Unis pratiquent à son égard
(interdiction d’achat de certaines
entreprises, blocage de certains marchés
technologiques – aérospatiale, micro
processeur, armement sophistiqué telle
la technologie des drones –. À titre
d’exemple de cette dépendance chinoise
vis-à-vis du marché nord américain, la
société WalMart, la plus grande
entreprise au monde (1,9 millions de
salariés) spécialisée dans la grande
distribution (404 milliards de chiffre
d’affaires annuel – 2009), importe 70 %
de ses produits de Chine populaire. La
faillite de WalMart créerait de graves
problèmes aux entrepreneurs chinois (9).
La Chine peut donc concurrencer les
États Unis mais elle ne peut pas mettre
ce pays en faillite…pour le moment.
Le capitalisme monopoliste d'État en
Chine est caractérisé par la
dictature d’une bureaucratie parasitaire
ancienne, restreinte en nombre et
fortement capitalisé (0.03 % des riches
chinois cumulent 60 % du PIB national)
qui connaît une expansion extérieure
limitée par ces contraintes que nous
venons d’énoncer et dont il est
difficile de mesurer jusqu'à quel point
et jusqu'à quand les impérialistes du
Bloc transatlantique parviendront à
l’entraver (10).
En résumé, la Chine présente une
économie capitaliste monopolistique
d’État en phase de maturité, basée d’une
part sur l'exploitation de la classe
ouvrière – qui constitue le moteur de la
contradiction principale (entre le
travail et le capital) – et d’autre part
sur la conquête des marchés extérieures,
mais aussi caractérisée par une
intégration inachevée au système
impérialiste mondial, intégration qui
est cependant en voie de parachèvement.
Si un jour elle le fut, la Chine n’est
déjà plus un pays socialiste mais
constitue réellement la puissance
impérialiste montante à l’échelle
internationale. La Chine ne constitue
pas pour autant le plus grand danger
pour les peuples du monde ni l’une des
trois composantes d’un univers
impérialiste tri polaire (théorie
fumeuse des Trois mondes). La Chine est
un pays impérialiste que l’immense
prolétariat chinois devra renverser
(abattre) tout comme le prolétariat de
chacun des pays impérialistes a pour
mission de détruire la structure
étatique et sociale qui les opprime et
les exploite.
Avec l’expansion rapide de
l’impérialisme chinois, le prolétariat
chinois est devenu le contingent le plus
important – entre 240 et 300 millions
d’individus – et le fer de lance du
prolétariat mondial. Sur lui repose la
responsabilité de tracer la voie vers
l’émancipation de toute la classe et de
ses alliés (11).
(1) Le maillon
faible. Les révoltes arabes.
http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article5043
(2)
http://www.legrandsoir.info/La-revolution-avortee.html
et
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-revolution-democratique-88459
(3)
http://www.ledevoir.com/international/asie/323664/le-sans-gene-des-nouveaux-riches-chinois
La
répartition de la richesse dans le
monde.
Rapport Global
Wealth Databook
(en anglais) du Crédit Suisse.
(4)
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/etats-unis-chine-la-grande-87177
et
http://www.centpapiers.com/comprendre-la-crise-economique-et-financiere-2/56027
(5)
http://french.peopledaily.com.cn/Economie/7110542.html
Hausse de
42 % du chiffre d’affaires des
entreprises centrales chinoises.
(6) Multiples conflits dans le monde
http://www.mondialisation.ca/
(7) La Chine a
prêté 50 milliards de dollars au FMI
afin qu’il prête au pays en
développement.
Courriel
Internet 10.06.2011.
(8)
http://french.peopledaily.com.cn/Economie/7113960.html
(9)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Walmart
(10)
http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/comprendre-la-crise-economique-et-86958
(11)
http://www.melchior.fr/Nombre-de-travailleurs-dans-l.6557.0.html,
soit 740 millions de salariés en Chine
dont 180 millions dans l’industrie et le
bâtiment et 240 millions dans les
services.
http://www.questionchine.net/article.php3?id_article=1802
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