Opinion
Révoltes arabes et
répressions néo-coloniales
Robert Bibeau
Lundi 16 mai 2011
Le
monde arabe est extrêmement complexe, les groupes religieux sont
nombreux, les communautés ethniques encore davantage, les
nationalismes toujours exacerbés, à dessein, par moult
puissances étrangères implantées là depuis le XVIIIe
siècle et même avant. Chaque puissance européenne, puis les
États-Unis et aujourd’hui la Chine impérialiste sont venues sur
ces terres se tailler un petit empire qu’aucune puissance
coloniale n’a jamais voulu abandonner. Après le colonialisme
classique, la domination étrangère a fait place depuis cinquante
ans au néo-colonialisme; le repartage des zones d’influences
coloniales est aujourd’hui à l’ordre du jour car les puissances
montent ou déclinent selon le développement économique
contemporain.
Le
néo-colonialisme a ceci de particulier qu’il s’accommode
de l’indépendance formelle de ces pays semi-colonies. Il
l’exige même, car il est plus facile d’exploiter les ressources
naturelles nationales et le travail des populations locales sous
la supervision d’une bourgeoisie nationale véreuse et soumise,
vivant des prébendes et des ristournes de ces richesses que de
tenter de contrôler et d’administrer directement ces populations
indigènes toujours enclines à se révolter et à stigmatiser les
méfaits des puissances étrangères coupables de leur déchéance
(1).
Dorénavant, mise à part la bourgeoisie palestinienne qui n’a
toujours pas obtenu son petit État bien à soi, à administrer
pour le bénéfice des colonialistes israéliens - mais ça ne
saurait tarder suite à l’accord de collaboration entre le Hamas
et le Fatah (2) - toutes les autres bourgeoisies nationales,
castes ou tribus arabes, berbères, kurdes, druzes ou alaouites
ont maintenant leur domaine, leur zone géographique auxquels on
a donné le nom de pays, de territoires autonomes, de royaumes,
d’émirats ou de sultanats, etcétéra.
C’est
sur cette toile de fond impérialiste et collaborationniste de
manigances, de complots, d’exactions, de dictatures bourgeoises
ou aristocratiques moyenâgeuses que l’on peut et que l’on doit
analyser et comprendre la série de révoltes populaires arabes.
Un événement fondateur est à l’origine de tous ces
soulèvements : la grande crise économique mondiale de l’année
2008, dont l’épicentre fut localisé quelque part sur Wall Street
en la cité de New-York et dont les secousses telluriques se
répandirent comme une traînée de poudre sur l’ensemble de la
planète.
Dans
une tentative désespérée de parer les effets de cette crise du
système monétaire et financier impérialiste international, les
puissances néo-coloniales se tournèrent vers leurs néo-colonies
du tiers monde et exigèrent par l’intermédiaire de la Banque
mondiale et du Fonds monétaire international que ces pays
absorbent le coût de toute cette gabegie monétaire (des
milliards de capitaux venaient de s’envoler en fumée et l’on
souhaiterait que les riches soient les seuls à assumer cette
duplicité ?). Les
gouvernements arabes à la solde se mirent consciencieusement au
travail et accrurent la pression sur le travail régional,
accentuèrent la
dilapidation des ressources naturelles nationales, accélérèrent
le bradage des biens et services publics aux entreprises privées
monopolistes occidentales, jetèrent des centaines de milliers de
jeunes diplômés sur le pavé, cependant que l’inflation faisait
des ravages et rendait les biens de première nécessité quasi
inaccessibles aux populations multiethniques paupérisées.
Dans
tous les pays arabes la petite-bourgeoisie nationale, ce corps
franc de la grande bourgeoisie, ce rempart contre l’insurrection
populaire, fut frappée et appauvrie; c’est elle qui donna le
signal de la révolte et qui organisa les premiers soulèvements
populaires. Mais sans organisation révolutionnaire et sans
direction révolutionnaire, ces révoltes furent facilement
récupérées et dévoyées de leur route et de leurs mots d’ordre
économiques et démocratiques (pain, travail, dignité, fin de la
tyrannie).
Hillary Clinton, la secrétaire d’État américaine, fut la
première à percevoir le danger et à proposer que ces
soulèvements devraient être canalisés vers
l’obtention du droit de
voter pour une vaste panoplie de traîtres, sans discrimination
et sans pré –sélection, avant les élections démocratiques
bourgeoises. De toute façon, pensait-elle cynique, de nos
jours les techniques de contrôle et d’endiguement électoral sont
suffisamment maîtrisées et sophistiquées pour que l’on conserve
toujours la haute main sur ces processus d’élection bidon.
Mais
la rue arabe en Tunisie puis en Égypte, une fois revenue de sa
surprise agréable de voir s’enfuir leurs présidents tyranniques
avec quelques milliards en poche et un sauf conduit mal acquis,
comprit qu’elle s’était fait berner et que tout restait à
accomplir pour se débarrasser des systèmes oligarchiques
néo-coloniaux indignes qui les oppriment.
Entre-temps les puissances néo-coloniales avaient eu
l’opportunité de préparer leur riposte et pourquoi ne pas pêcher
en eau trouble, s’étaient dit Sarkozy, Obama et compagnie ? De
nombreux autres tyrans méritaient une leçon et de toute façon la
rue arabe ne décolérait pas : autant lui donner davantage de
tyrans à tétaniser. Après la Tunisie et l’Égypte, voilà la
Libye, le Bahreïn, le Yémen, l’Algérie, puis enfin la Syrie et
le Maroc mis sous le choc. Qui poussé par des chefs de tribus
frustrés de ne pas avoir obtenu leur part dans le partage des
marchés ; qui poussé par la fraction chiite de la bourgeoisie
nationale traitée en déshéritée dans le partage des postes de la
nomenklatura ; qui poussé par la fraction sunnite de la
bourgeoisie nationale excédée de voir les alaouites monopoliser
le pouvoir politique; qui n’acceptant plus de voir l’armée gérer
le pays comme sa chasse gardée.
Dans toute cette saga, parmi tous ces pays arabes, le
peuple désoeuvré, affamé, désorienté s’avançait pour mener
l’insurrection, mais faute de direction et d’organisation
véritablement révolutionnaires, il s’est retrouvé
immanquablement à servir de chair à canon pour défendre les
revendications d’une section ou d’une autre de
bourgeoises nationales
cupides et dégénérées (3).
En
Libye, la guerre civile entre les tribus de Cyrénaïque frustrées
et leurs mercenaires soutenus par l’OTAN, et les tribus de
Tripolitaine au pouvoir depuis quarante ans tournent au
règlement de compte des puissances occidentales contre leur
marionnette Kadhafi, coupable d’avoir tenté de mener quelques
politiques indépendantes et d’avoir soutenu l’édification de la
Banque africaine, concurrente de la Banque mondiale capitaliste
(4).
Le
régime syrien a longtemps servi de sous-traitant tortionnaire
aux États-Unis. Ce régime a une tradition de poigne de fer, et
n'a jamais été trop troublé par les sanctions de la soi-disant
communauté internationale. Il se situe à la jonction de la zone
d'influence russe (ex-soviétique) et de la zone d'influence
américaine; rendant service aux deux camps sur commande, le
régime s'en assez bien tiré sur le plan international en nageant
entre deux eaux et en eaux troubles le plus souvent.
Le
régime syrien est aujourd’hui un facteur de stabilité vu sous
l'angle israélien/ américain et il serait étonnant qu’Israël se
trouve derrière les soulèvements « spontanés » actuels. Le
régime sert de canal pour ce qui est de l'appui de l'Iran au
Hezbollah (voilà qui dérange lourdement Israël) et il fait
partie de la nouvelle alliance Iran, Syrie, Turquie, Russie
dirigée par la Chine impérialiste.
Par
contre ce régime est le fait d'une minorité (alaouite) qui
domine par la terreur une population en majorité sunnite. C'est
une société tenue dans l'arriération sur le plan de la
recherche, des communications, de la technologie et du
développement économique (quel qu'il soit). Depuis le
protectorat français ce régime a toujours maintenu des relations
troubles avec son voisin libanais. Enfin, il est reconnu que les
USA ont investi lourdement et souvent clandestinement dans ce
pays pour faire la promotion de "la
pseudo démocratie colorée"...comme il l’a fait dans certains
pays de l'Europe de l'Est. En
Syrie le pouvoir de Bachar el-Assad est aujourd’hui ébranlé par
les mercenaires de Saad Hariri et de ses commanditaires d’Arabie
à titre de représailles pour le soutien iranien au soulèvement
chiite au Bahreïn.
Au
Yémen la situation demeure confuse car si le pouvoir
impérialiste aimerait bien sacrifier son valet Ali Abdallah
Saleh, comme Moubarak et Ben Ali avant lui,
celui-là ne l’entend pas de cette oreille et semble poser
des exigences trop importantes pour abandonner son poste de
gestionnaire de la machine d’État yéménite. En Arabie Saoudite,
l’État a jeté des milliards de dollars en pâture aux
manifestants et a dépêché sa troupe pour occuper le Bahreïn. Il
semble bien que le pouvoir monarchique s’en sortira indemne
encore une fois tout comme au Koweït voisin.
Voilà
où en est aujourd’hui cette succession de révoltes populaires
arabes manœuvrées en sous-main par différentes puissances
craignant toujours que le contrôle leur échappe et que, de ces
révoltes trahies - sur la Place Tahrir notamment (5) -
n’émergent des révolutions emportant ces bandes de marionnettes
qu’elles soutiennent affectueusement et douloureusement, alors
que leurs petits héros virtuels patentés risquent d’être
emportés dans la
tourmente (6).
(1)
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=23776
(2)
http://www.lepost.fr/article/2011/05/12/2492344_accord-hamas-fatah_1_0_1.html
(3)
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=23889
(4)
http://thalasolidaire.over-blog.com/article-point-de-vue-les-mensonges-de-la-guerre-de-l-occident-contre-la-lybie-10-05-73590250.html
(5)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Place_Tahrir
(6)
http://www.ahmedbensaada.com/index.php?option=com_content&view=article&id=128:documentaire-monde-arabe-londe-de-choc&catid=37:societe&Itemid=75
Robert Bibeau gère le site
Samidoun
à Montréal.
Le
sommaire de Robert Bibeau
Dernières mises à
jour
|