Opinion
Ni - ni en Syrie,
c'est oui - oui à Sarkozy !
Robert Bibeau
Mercredi 14 mars
2012
Le débat fait rage
entre le Parti de la gauche grecque et une
Nouvelle association progressiste, un
débat qui porte à réfléchir. Depuis bien
des années moult « gauches » n’ont pas
su quelle position adopter face aux
guerres téléportées, aux agressions
téléguidées, aux coups d’État
télégraphiés tantôt en Amérique Latine,
tantôt en Asie, ensuite en Afrique et
plus récemment au Moyen-Orient, région
dépositaire de vastes ressources
d’hydrocarbures stratégiques si
importantes pour l’épanouissement des
forces productives et des profits.
La gauche
doit-elle se désintéresser de ces
conflits inter-impérialistes où des
prolétaires arabes, ivoiriens,
nigérians, serbes, bosniaques, kosovars,
nicaraguayens, irakiens, afghans,
somaliens, libyens, syriens et iraniens
tombent sous les balles tantôt des
forces répressives nationales, tantôt
sous les canonnières des forces
d’intervention et d’insurrection,
parfois de type « Contras », avec
thuriféraires entraînés, armés et payés
par une puissance étrangère ? (1)
Au contraire, la
gauche devrait-elle invariablement
renvoyer dos à dos les forces
belligérantes et proclamer le fameux
Ni-NI ; ni Saddam Hussein – ni
George Bush ; Ni Kadhafi – ni Sarkozy ;
ni Bachar al-Assad – ni Barak et Hilary
; et accorder tout le soutien au peuple,
abstraction commode, le temps d’une
lâcheté – le temps de fermer les yeux
sur un massacre appréhendé.
Mais où se situe le
peuple dans ces guerres de rapines,
serions-nous tentés de demander ?
Peut-on se fier aux médias occidentaux
pour connaître les desideratas des
peuples mortifiés, pris entre le feux
croisé des insurgés équipés et armés de
l’étranger et l’armée nationale délitée
? (2) Enfin, la gauche ne devrait-elle
pas plutôt soutenir l’un des
belligérants – l’une des puissances aux
commandes de l’une des alliances et
faire front avec une fraction
impérialiste contre une autre, favoriser
la plus timide contre la plus intrépide
ou la plus désespérée ?
Dans un texte
récent, le Parti communiste grec (PKK),
celui qui a mené la résistance anti-
fasciste en Grèce au cours de la
Deuxième guerre mondiale, propose de
soutenir l’option du Ni-NI mais en
demi-teinte, presque comme un aveu de
culpabilité. Voici ce qu’un membre du
comité central de ce parti a été
autorisé à publier : « Comme c’est une
erreur tragique de diviser la bourgeoise
en « nationale » et en « asservie à
l’étranger » [compradore - NdT],
il est également équivoque et dangereux
de faire le choix d’une union
impérialiste, choisir un impérialisme.
Le mouvement communiste et le mouvement
ouvrier doivent avoir une position
d’opposition claire contre toute union
impérialiste, ils doivent lutter pour
la sortie des pays des plans et des
unions impérialistes, par le
renversement simultané du système
capitaliste qui les a produites. »
(souligné par nous NDLR) (3).
Le Bureau de la
Nouvelle association Staline s’adressant
à leurs camarades grecs répond ceci : «
Je ne vois aucune incompatibilité avec
la défense des intérêts du mouvement
ouvrier, à engager une alliance
(qui par sa nature même est susceptible
d’être temporaire et peut au gré des
circonstances cesser ou se transformer
en conflit ouvert), avec une force
impérialiste, contre une autre force
impérialiste encore plus dangereuse,
plus néfaste. (…) Comment
pouvons-nous alors émettre des réserves
quand il s’agit de défendre résolument
les indépendances de la Libye, de la
Syrie, de l’Iran … (et demain peut-être
de l’Algérie…) contre l’impérialisme,
surtout notre impérialisme!!! » (4).
Malgré les
apparences, ces deux positions
s’apparentent. La première renie toute
alliance avec quiconque mais soutient
l’union du prolétariat avec chacune des
factions bourgeoisies nationalistes
européennes, lançant le slogan de la
lutte pour sortir la Grèce de l’Euro, de
l’Union européenne, et de toute autre
alliance ou organisation financière ou
économique impérialiste, laissant croire
aux ouvriers grecs que la sortie de
l’euro et le rétablissement de Drachme
apportera un renouveau économique
quelconque à ce pays en faillite, ce qui
est faux. Cette proposition de sortir de
l’Euro et de l’Union européenne n’a de
valeur et ne peut constituer une
solution véritable à la crise en Grèce
qu’à la condition impérative qu’elle
s’accompagne simultanément du
renversement total de l’ordre
capitaliste, du pouvoir politique
bourgeois en Grèce.
Par ailleurs, «
défendre l’indépendance de la Libye et
de la Syrie » comme il est dit est une
fumisterie. La Libye et davantage encore
la Syrie sont deux pays qui font partie
de la zone d’influence de la Russie et
de la Chine et la présente attaque menée
par le triumvirat
américano-franco-britannique visent
simplement à ramener la Syrie dans le
giron européen après avoir envahi la
Libye et occis Kadhafi.
Un représentant du
Parti communiste français « frère » de
ces compères pousse plus loin le vérin
et dévoile le pétrin chauvin dans lequel
Gerin s’écarte : « Prenons à bras le
corps la question de la nation.
Prenons ce qu’il y a de meilleur dans
les valeurs et les idéaux républicains.
Osons être offensifs avec le drapeau
de la laïcité car l’héritage
révolutionnaire de 1789 (pas celui de
1917, vous aurez remarqué NDLR) (…)
L’édifice du siècle des Lumières, des
valeurs universelles et singulières de
1789 nous imposent comme devoir de
défendre la République, l’État de
droit et du bien-être. » (5). Le PCF
propose pour l’avenir-futurologue (XXIe)
de l’État-nation française le retour au
siècle des lumières (le XVIIIe).
De plus, tous les prolétaires de France
seront interloqués d’apprendre qu’ils
vivent sous « l’État de droit et du
bien-être » ! Plus loin, dans son
envolée oratoire, le député communiste
propose de voter « Made in France » aux
prochaines présidentielles françaises.
De là à proposer de se retrousser les
manches pour sauver la ‘patrie’
capitaliste en danger, il n’y a moins
qu’un pas. En 1946, Thorez y était déjà.
On nous permettra
de confronter ces trois précédentes
propositions avec celles d’un
intellectuel européen indigné d’être
accusé – par une journaliste bien payée
– de soutien à des dictateurs enragés
pour avoir vigoureusement dénoncé les
agressions de l’OTAN et des États-Unis.
Jean Bricmont écrit ceci : « L’astuce
qui consiste à dénoncer les opposants
aux guerres comme soutenant la partie à
laquelle on fait la guerre est vieille
comme la propagande de guerre. Dans les
dernières décennies, j’ai ainsi «
soutenu » Milosevic, Saddam Hussein, les
talibans, Kadhafi, Assad et peut-être
demain Ahmadinedjad. En réalité, je ne
soutiens aucun régime, je soutiens
une politique de non-ingérence,
c’est-à-dire que non seulement je
rejette les guerres humanitaires, mais
aussi les élections achetées, les
révolutions colorées, les coups d’État
organisés par l’Occident. ». Le
professeur belge ajoute férocement mais
justement : « Au mieux, une partie de la
gauche se réfugie dans le « ni-ni
» : ni l’Otan, ni le pays attaqué au
moment donné. Personnellement, je
considère que notre devoir est de
lutter contre le militarisme et
l’impérialisme de nos propres pays, pas
de critiquer ceux qui se défendent par
rapport à eux, et que notre position
n’a rien de neutre ni de symétrique,
contrairement à ce que suggère le slogan
« ni-ni » (6).
La gauche ne
doit-elle pas soutenir la classe
prolétarienne et les peuples révoltés et
affamés partout dans le monde ? La
gauche ne devrait-elle pas appuyer la
classe ouvrière syrienne comme elle
aurait dû appuyer la classe ouvrière
libyenne et serbe et les autres ? Oui,
nous le pensons courageusement. Aussi,
la première tâche ne serait-elle pas de
connaître la position de la classe
prolétarienne dans le pays soumis aux
agressions et aux infiltrations
étrangères dans chaque pays exorcisé que
la phalange impérialiste met «
temporairement » en garde à vue
prolongée ?
Un indice pour
faciliter l’investigation. Dès qu’une
organisation, un parti, un groupe de
révoltés, une armée de libérer spontané
préconise l’ingérence de forces
militaires étrangères, l’attaque
humanitaire de ses congénères sous
bombardement soi-disant chirurgical,
écartez ce groupuscule fasciste, car il
ne représente certainement pas le peuple
ou les prolétaires concernés qui, nous
l’avons constaté, n’apprécient jamais
les bombardements pseudos chirurgicaux.
En Irak, dix ans de ces bombardements de
« précision » ont laissé un million de
morts collatéraux et des millions de
réfugiés toujours parqués dans des camps
de paumés dans les pays étrangers. En
Libye, les zones aériennes protégées ont
servi à larguer des bombes à
sous-munition et à l’uranium appauvri
sur des milliers de civils qu’on venait
soi-disant réchapper de l’enfer et qui
sont aujourd’hui enterrés ou atterrés,
regrettant le temps béni de Kadhafi. La
population libyenne ne sait plus comment
se défaire de ses « libérateurs »
intégristes, qu’elle n’a jamais
souhaités ni-ni invités.
En Égypte et en Tunisie, les
soulèvements spontanés étaient dirigés
directement contre le pouvoir national
réactionnaire; aucune force militaire
d’intervention étrangère n’est venue
défendre les intérêts des puissances
impérialistes de tutelle. Cela
n’était pas nécessaire, la direction
politique petite bourgeoise, et le
mouvement des jeunes indignés
inexpérimentés se sont laissé piéger.
Et aujourd’hui dans ces deux pays les
anciennes cliques qui formaient
l’entourage des dictateurs déchus
poursuivent la politique de Ben Ali sans
Ben Ali et de Moubarak sans Moubarak
comme il était facile de le prévoir
(7). Toutefois, à aucun moment il
n’était de mise d’en appeler à l’une ou
l’autre des puissances impérialistes
pour intervenir. Les classes ouvrières
tunisienne et égyptienne, libyenne et
syrienne doivent faire leurs classes. La
révolution ne s’importe pas de
l’étranger et surtout elle ne peut être
dirigée par Obama, par Sarkozy, ni-ni
par Harper ou Cameron.
Pour la gauche il
ne saurait être question d’en appeler à
l’intervention d’une puissance ou d’une
alliance impérialiste pour sauver un
peuple en danger. Le peuple libyen avait
déjà eu l’expérience de la domination
coloniale italienne, puis britannique,
et il savait d’instinct que le joug du
Qatar et de l’Arabie Saoudite alliées
des franco-britanniques serait mortel
pour leur indépendance. En quoi le
peuple syrien sera-t-il mieux traité par
la section de la bourgeoisie compradore
syrienne sous la botte franco-américaine
que par la section alliée aux
impérialistes russes et chinois ? Le
peuple syrien ayant déjà eu l’expérience
de la domination coloniale française,
pouvez-vous comprendre son peu
d’enthousiasme à retourner à ces temps
éculés ?
Dans tous les pays
du monde, l’intérêt de la classe
prolétarienne, c’est de conserver la
paix militaire à tout prix (au milieu de
la guerre de classe qui se poursuit
chaque jour bien compris) jusqu’au jour
où les conditions objectives et
subjectives de l’insurrection
révolutionnaire seront réunies. Ce
jour-là, il y aura insurrection et
violence populaire et nous les
appuierons sans condition. Soyez sans
crainte aucune alliance impérialiste ne
volera au secours des révoltés –
insurgés – armés… vous saurez alors de
quel côté frapper.
(1)
http://www.oulala.net/Portail/spip.php?article5536
et
http://www.france-irak-actualite.com/article-13-officiers-fran-ais-prisonniers-en-syrie-100868796.html
(2)
http://www.michelcollon.info/Syrie-autant-en-emporte-le-vent.html
(3)
http://dossiers-du-bip.fr/News/2012-01-critere-fondamental.html
(4)
http://dossiers-du-bip.fr/News/2012-02-reponse-critere-fondamental.html
et
http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/article-le-pc-grec-kke-repond-a-pierre-laurent-president-du-pge-et-secretaire-general-du-pcf-les-larme-101185943.html
(5)
http://www.blogandregerin.fr/
(6)
http://www.michelcollon.info/Lettre-a-une-journaliste.html
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=23260
et
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/le-printemps-arabe-l-agression-103059
Publié sur
Les 7 du Québec
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