Opinion
Un été à Damas :
La conjuration du « printemps arabe »
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 12
septembre
2012
La civilisation
arabe
Analyser le
mouvement historique qui bouleverse
depuis deux ans cette civilisation
millénaire, c’est comme d’étudier un
organisme vivant – complexe – aux
organes innombrables et aux fonctions
multiples, inter reliées et
interdépendantes. Une crise de
croissance d’aussi grande ampleur ne
peut être la résultante d’un seul
facteur, d’un seul vecteur, ni ne peut
provoquer une simple éviction
immunitaire. Les variables qui orientent
le « Printemps arabe » sont nombreuses
et les conséquences multiples.
Qu’en est-il au
juste de ces révoltes – « révolutions »
– et insurrections dévoyées qui ont
secoué les pays arabes des régions du
Maghreb et du Machrek entre les années
2010 et 2012 ?
Le « Printemps
arabe » ne s’est pas transformé en «
Hiver salafiste » par mimétisme ou par
atavisme. Aux imposantes forces
sociales – classes sociales – actives au
sein des différentes sociétés nationales
– ethniques – religieuses – tribales –
néocoloniales peuplant ce sous-continent
tout un processus de maturation,
d’adaptation, de réaction et de
récupération pour maintenir en place,
sous une façade caméléon, la structure
sociale antique-tétanisée,
correspondant au développement des
forces productives capitalistes sous
sujétion néocoloniales et aux rapports
sociaux dégénérés qui perdurent dans ces
différents pays sous-développés-dominés
soumis aux puissances impérialistes
(États-Unis, France, Grande-Bretagne,
Italie, Allemagne, Russie, Chine).
Comme l’écrit
cyniquement un agent secret français,
porte-faix en partie responsable de cet
état de fait : « Il fallait tout de même
être naïf pour croire que, dans des pays
soumis depuis un demi-siècle à des
dictatures qui avaient éliminé toute
forme d’opposition libérale et
pluraliste, la démocratie et la liberté
(sic) allaient jaillir comme le génie de
la lampe par la seule vertu d’un
Internet auquel n’a accès qu’une infime
minorité de privilégiés de ces sociétés.
» (1).
Mais le « Printemps
arabe » était-il une quête de démocratie
électoraliste bourgeoise – une poursuite
du crétinisme parlementaire ? De
l’immolation désespérée d’un étudiant à
Sidi Bouzid (17.12.2010) à la guerre
mercenaire d’invasion de l’OTAN contre
Damas et Alep (15.07.2012), l’organisme
social appelé « Civilisation arabe » a
été gros d’une révolution que les
pétro-monarchies théocratiques du Golfe,
assistées par leurs complices
opportunistes, socialistes et
chrétiens-démocrates, et autres
intégristes fascistes turques,
jordaniens, israéliens, libanais;
sous la houlette de leurs puissances
impérialistes de tutelle, sont
parvenues à contrer pour forcer
l’accouchement d’un bébé mort-né –
contraint de « voter pour choisir son
potiche » – exterminant de ce fait –
pensaient-elles ces puissances de
tutelles – tout espoir de libération
économique, politique et sociologique
véritable des sociétés arabes.
Les puissances
impérialistes de tutelle se trompaient
cependant, car le mouvement social
arabe (subsumant toutes disputes
ethno-religieuses et claniques) trouve
sa source directement dans les
conditions économiques misérables des
peuples de ces pays exsangues où se
côtoient la misère dégradante, la famine
humiliante, le bidonville crasseux,
l’analphabétisme déprimant, le chômage
endémique, le désœuvrement dépravant, le
patriarcat rétrograde, l’impossibilité
même pour les nouvelles générations de
simplement s’accoupler pour se perpétuer
biologiquement et sociologiquement.
Quand un peuple
n’a plus rien à perdre
La source profonde
de toutes ces révoltes arabes réside
dans le désespoir qui porte tout
naturellement la jeunesse puis le peuple
tout entier à s’indigner, protester,
quémander d’abord, puis à la fin exiger,
non pas un bulletin de vote comme Hilary
Clinton l’a insidieusement susurré,
mais du pain, de l’eau, un logement et
un avenir à partager et à doter ses
enfants.
Les
contradictions insolubles et
inéluctables du développement
impérialiste mondial n’offrent aucun
espoir aux prolétariats des pays
dominants où la société de
consommation des Trente Glorieuses
commence à ressembler à un spectre
évanescent – il n’y a que les «bobos»
pour ne pas avoir remarqué que la crise
économique récurrente détruit les
fondements même de leur prospérité
déclinante. Comment le développement
capitaliste anarchique pourrait-il
offrir un avenir aux prolétaires et aux
travailleurs des pays arabes
dominés-néo-colonisés ? Les révoltes
arabes marquent la résurgence de ces
mouvements de fond profonds qui
bouleversent le monde impérialiste
présent, tous continents confondus. Il
est fort compréhensible que le
maillon « arabe » faible de la chaîne
d’oppression et de gouvernance
impérialiste mondiale secoue le joug en
avance.
N’ayez crainte
cependant, en Europe, en Amérique, en
Chine, en Inde et en Afrique les relais
révolutionnaires s’accumulent et de
grands cataclysmes sociaux se préparent.
Regardez ce monde décadent trembler sur
ses bases, terrifiant les possédants qui
songent par instant à une guerre
d’épuration raciale afin de trancher
leurs différends, se repartager les
marchés, les ressources minières, la
biomasse, l’énergie et surtout les
sources de plus-value pour davantage de
profits et la reproduction élargie de
leur système d’exploitation décadent.
Les
révolutionnaires véritables seront-ils
assez perspicaces et empressés pour
préparer adéquatement leur « Printemps
mondial » ? Saurons-nous anticiper
le prochain épisode inéluctable de cette
saga larvée afin de l’aider à survenir
et à désintégrer ces sociétés paralysées
? Si nous faisons défaut
d’orientation et d’organisation, nous
nous condamnons à réécrire ce qui a déjà
été écrit, convenu, vécu et perdu.
La révolution empêchera leur guerre
mondiale ou leur guerre universelle
entraînera la révolution, c’est la seule
solution.
Revendications
légitimes insatisfaites
Les revendications
légitimes de tous les peuples arabes et
de toutes les minorités
ethno-religieuses régionales, dans tout
le sous-continent s’étendant du Maroc à
l’Iran en passant par le Bahreïn, le
Yémen, l’Égypte, le Liban, la Palestine
occupée et la Syrie sont pourtant
identiques : du pain, de l’eau, des
logements, du travail, l’éducation des
enfants, des soins pour les
grands-parents et des conditions de vie
humaines sans vilaines guerres «
humanitaires » meurtrières. Bref, la
satisfaction des conditions sociales de
reproduction élargie de l’espèce
humaine, ce que le système impérialiste
moribond ne peut plus assurer et qu’il
met en péril d’un point de vue
simplement biologique et écologique.
Les prolétaires arabes et leurs alliés,
ainsi que les prolétaires du monde
entier et leurs alliés, doivent
éradiquer l’impérialisme et la classe
capitaliste monopoliste s’ils souhaitent
simplement survivre comme espèce.
La réponse des
potentats arabes locaux a été partout la
même : réprimer, matraquer, blesser,
emprisonner, torturer et tuer sans
vergogne, parfois, comme en Syrie, au
motif avéré que l’opposition n’est qu’un
ramassis de mercenaires assassins,
criminels de guerre et terroristes
soutenus par l’OTAN et exfiltrés de
certains pays de « démocratures »
(dictatures sorties des urnes par la
magie des pétrodollars qataris et
saoudiens). La voilà leur démocratie
compradore adoubée par leurs maîtres
dégénérés.
L’effroyable
guerre de Syrie
La guerre de
Syrie marque pourtant un tournant
terrifiant. Depuis l’effondrement du
social-impérialisme-soviétique en 1989,
c’est la première guerre d’agression
d’un peuple où les deux blocs
impérialistes dominants s’affrontent
indirectement pour le contrôle
hégémonique d’un territoire déterminé et
pour se jauger avant de se mesurer
directement. Pour la première fois
la Russie et ses alliés, l’Iran et
l’Alliance de Shanghai tiennent tête à
l’OTAN, aux américano-européens et à
leurs sous-fifres du Golfe persique et
du reliquat Ottoman.
Du résultat de cet
affrontement inter-impérialiste dépend
la suite des guerres d’agressions
néocoloniales impérialistes. L’Iran et
le Pakistan seront-ils les suivants, ou
l’OTAN devra-t-elle revoir ses plans
pour le réaménagement du Grand
Moyen-Orient ? Cette question sera
tranchée à Damas d’ici la fin de l’été
(2). Ce que l’analyste Georges Stanechy
a ainsi décrit : « Mis en perspective
géopolitique, les vetos Russe et
Chinois, contre l’invasion de la Syrie
par les forces occidentales, n’ont donc
rien à voir avec le maintien d’une base
navale ou d’un marché quelconque pour
leur commerce extérieur. C’est un coup
de semonce à l’encontre d’une utopie
géopolitique que la nomenklatura de
l’Empire (Étatsunien NDLR), imbibée de
mégalomanie, se refuse à entendre. »
(3).
En tous lieux sur
la terre arabe, incluant les zones
ethnico-religieuses minoritaires et la
terre palestinienne occupée-colonisée
(l’appartenance religieuse étant dans
ces pays sous-industrialisés et
économiquement atrophiés un facteur
identitaire retardataire), les
puissances impérialistes mondiales ont
joué leur va-tout déterminant au milieu
de la tourmente, imposant ici un
changement de la garde
(Égypte-Tunisie-Yémen) ; requérant là
des aménagements constitutionnels «
démocratiques bourgeois démagogiques » ;
montant parfois le chapiteau de la
mascarade électorale propre à rasséréner
les guignols-des-« in-faux » occidentaux
; s’en remettant souvent aux partis
politiques intégristes
salafistes-wahhabites-Frères musulmans –
qui furent si longtemps gardés en
réserve de la dictature républicaine –
derniers remparts pour mâter la légitime
vindicte populaire et ouvrière.
Washington, Paris,
Berlin, Londres, Moscou et Pékin savent
bien qu’il sera toujours possible de
mettre fin à ces foucades électorales si
jamais la situation se corsait; ou de
faire reprendre ad nauseam le vote aux
insoumis; ou alors qu’il sera toujours
temps de rappeler l’armée aux commandes
– cet État dans l’État, ce
contre-pouvoir omnipotent – dans cette
arabesque de néo-colonies spoliées.
Gauchistes et
opportunistes pataugent dans le marécage
électoral
Malencontreusement,
le passé et le présent de ces
insurrections populaires larvées ont été
écrits dans le sang versé par les forces
révolutionnaires authentiques, qui
partout dans ces pays de guerre ont été,
par les années passées, systématiquement
et soigneusement exterminées –
éradiquées. Les groupuscules
opportunistes, les malfrats
révisionnistes et les pseudos
socialistes ayant survécu aux razzias
fascistes se sont récemment
précipités vers les urnes, heureux
d’embrasser ces autels de conspiration
ouverts à leurs supplications serviles
: « Nous obtiendrons bien quelques
strapontins d’arrière banc législatifs
», gémissent-ils tous en chœur trouvant
là réconfort à poursuivre leur
collaboration de classe dans l’indignité
et la servilité consacrée.
Les tâches qui
s’imposent
La tâche des
véritables révolutionnaires arabes qui
souhaitent changer l’ordre social
existant et sortir définitivement leur
classe sociale, leur peuple et leur
nation de l’oppression néocoloniale
impériale qui écrase ouvriers, paysans,
étudiants, artisans, employés,
fonctionnaires et leurs frères, est
pourtant toute tracée.
Il leur faut
patiemment et clandestinement
reconstruire la solution de remplacement
révolutionnaire qui s’est tapie sous le
manteau de l’écheveau complexe des
rapports inter-ethnico-religieux.
L’ouvrier arabe, palestinien, druze,
alaouite, chrétien, copte, sunnite et
chiite est d’abord {par sa praxis
économique – comme instrument de la
machine de production capitaliste – par
son activité communautaire journalière –
comme résident de son quartier de
pauvreté – par sa pratique sociale
quotidienne – comme aliéné} un
prolétaire exploité qui n’a que ses
chaînes à perdre et tout un monde à
conquérir. La liberté sociale de
classe, désaliénée, n’est pas un slogan
ou une marque de commerce et elle ne
sera jamais l’aboutissement des urnes et
des isoloirs; c’est un objectif
collectif radical que le prolétariat
arabe devra conquérir par la lutte
insurrectionnelle de classe.
Sans un parti
révolutionnaire clandestin muni d’une
conscience prolétaire et d’une science
militaire dirigeant vigoureusement
l’armée des enragés de ces pays arabes
avancés (du point de vue de la
praxis révolutionnaire du moins), alors
ces peuples, ces ouvriers, sont
condamnés à réécrire toujours semblable
l’histoire de leurs espoirs asphyxiés
(4). Le prolétariat arabe plus avancé a
le devoir de se poser en modèle
révolutionnaire pour les prolétariats
grecs, espagnols, italiens,
britanniques, turcs, israéliens,
français et américains.
(1) Alain Chouet.
08.0.2012.
Syrie: « Je m’interroge sur l’attitudes
des occidentaux. L’éventuel départ d’Assad
ne changerait strictement rien à la
réalité des rapports de pouvoir et de
force dans le pays ».
Invité de l’Association Régionale Nice
Côte d’Azur de l’IHEDN (AR29) Alain
Chouet, ancien chef du service de
renseignement de sécurité de la DGSE
(France).
(2) Robert Bibeau.
La Russie
lâcherait-elle la Syrie ?
29.12.2011.
http://www.agoravox.fr/actualites/international/article/la-russie-lacherait-elle-la-syrie-107056
(3) Georges
Stanechy.
Nucléaire iranien : Prétexte et
préméditation.
14.08.2012.
http://www.legrandsoir.info/nucleaire-iranien-pretexte-premeditation.html
(4) Robert Bibeau.
Le «
Printemps arabe » bilan d’un avortement.
28.05.2012.
http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=31087
Publié sur
Les 7 du Québec
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