|
Opinion
Comprendre la crise économique et financière
Robert Bibeau
Lundi 10 janvier 2011
On raconte qu’un battement
d’aile de papillon aurait des effets sur l’ensemble de la
planète. Si c’est vrai, chacun d’entre nous devrait percevoir
les effets de la confrontation titanesque à laquelle se livrent
le nouvel impérialisme chinois et l’empire américain déclinant.
Où en est cette confrontation ? Quel avenir pour les peuples du
monde ? Comment comprendre la crise économique à travers ce
conflit ? C’est l’objet de cet essai en trois parties
intitulées : La grogne populaire,
La crise économique et financière
et La guerre contre l’Iran.
1. La Grogne populaire
1.1 La
résistance montante
On assiste à une montée inexorable du
mouvement de résistance populaire, résistance plus ou moins
organisée pour l’instant, sans orientation consciente, mais
résistance sur le front économique tout de même, d’autant plus
dangereuse pour ceux qui tiennent les rênes du pouvoir qu’ils ne
savent jamais à l’avance la direction que prendra ce mouvement
en gestation. Plutôt que de signer des pétitions sur Internet,
les protestataires pourraient bien occuper les rues et les
espaces publics, pire encore, les lieux de travail, de commerce
et de communication !
Ces sautes « d’humeur » populaires, comme les
appellent les hommes d’affaires, se sont manifestées auparavant,
et la gente journalistique à la solde, oeuvrant dans les grands
médias à décrire et à analyser la conjoncture pour mieux
l’embrouiller, les avait pressenties (1). En Argentine par
exemple, il y a quelques années, la petite bourgeoisie, touchée
dans son mode de vie, dépouillée de ses BMW et de ses studios
dans la Cité, était descendue dans la rue armée de casseroles
pour chahuter les riches. Les ouvriers avaient bien tenté
d’occuper quelques usines mais un pantin de « gauche » était
venu les calmer et les reprendre en main pour le bénéfice des
capitalistes argentins qui eux avaient planqué leur argent avant
la débâcle monétaire suite à l’imposition du dollar américain
dans le pays. Qui sait demain si, dans quelques pays éloignés
(Tunisie, Algérie, Maroc), ce ne seront pas les ouvriers
exaspérés qui prendront la rue, armés de madriers à l’exemple
des étudiants britanniques en décembre dernier ?
Alignons quelques lieux communs qui font
consensus. De nombreux politiciens sont véreux et se vendent à
qui paie le mieux. Ils sont au service de qui finance et
organise leur élection et assure leur réélection. Moult
politiciens mentent pour être élus et font le contraire de ce
qu’ils ont dit une fois reçus. Ils utilisent la langue de bois
afin de ne pas déplaire à la mafia journalistique et à leurs
bailleurs de fonds. Certains encaissent n’importe quelle
enveloppe qui leur passe sous le nez ou achètent à vil prix et
revendent avec profit des propriétés sur le marché immobilier.
Après une carrière politique réussie, les plus débrouillards
sont embauchés par les multinationales qu’ils servaient déjà au
gouvernement.
Le peuple ne sait que faire. Il a beau
réaffirmer son opposition à la présence de troupes dans des
conflits comme l’Irak et l’Afghanistan; leurs chefs d’État
maintiennent la présence des forces d’occupation et l’opposition
parlementaire s’en dit satisfaite, ou alors réclame un débat à
propos de questions déjà tranchées parmi la population excédée
qui dans des proportions élevées s’oppose à ces billevesées. Si
les citoyens de nombreux pays attestent qu’Israël est un pays
raciste et militariste dirigé par des criminels de guerre, les
politiciens accusent le peuple d’antisémitisme. Si la population
désire affirmer son soutien au Boycott Désinvestissement et
Sanctions (BDS) contre l’État d’apartheid israélien, le
gouvernement s’empresse de rendre illégal le boycott d’Israël.
On observe de tels dénis de démocratie dans plusieurs pays.
Il en va ainsi pour tant
d’autres causes sensibles. Prenons les gaz de schiste au Québec,
au Canada et aux États-Unis. Le peuple ne dit pas : « Nous
aimerions poser quelques questions aux entreprises d’exploration
et être rassurés par les entrepreneurs privés ». Pas du tout.
Les gens affirment simplement : « Nous ne voulons pas
d’exploitation de ces gaz dangereux, nous ne voulons pas de
fragmentation des couches du sous-sol, nous refusons la
pollution de nos eaux souterraines, nous demandons que l’on
cesse l’exploitation criminelle de cette fausse ressource
naturelle ». L’opinion publique est claire à ce sujet et il faut
bien des contorsions aux partis d’opposition pour laisser croire
que le peuple demande des « explications », le temps d’apaiser
la grogne pour mieux reprendre l’exploitation quand les
flagorneurs auront peaufiné leurs mensonges.
Les partis au pouvoir au Canada et dans les
États américains concernés s’empressent de poursuivre leur
politique de soutien aux exploiteurs des gaz de schiste avant
que le vote populaire ait retourné leurs députés sur les bancs
opposés et que l’opposition, remise en selle, empoche à son tour
la manne des ristournes et des plantureux contrats.
1.2 Une passe
à droite, un flirt à gauche
Le peuple se tourne à gauche, c’est-à-dire
vers ceux que les médias lui présentent comme « La gauche »,
puis il se tourne à droite, où l’on s’agite beaucoup ces
temps-ci; il ne voit rien venir qu’une bande de menteurs qui
cherchent à remplacer une autre bande de menteurs. Chacun n’en
fait qu’à sa tête au service des grandes corporations, des
prospecteurs, des constructeurs, des pollueurs, des
entrepreneurs en construction en collusion pour empocher le
maximum de pognon. Alors, découragé, le peuple boude le
processus de mystification démocratique. De moins en moins de
gens vont voter parce qu’ils ont compris que cela ne servait à
rien.
Cette réaction de révolte passive de larges
couches de la population qui ne participent plus au processus
électoral bidon inquiète le nouveau clergé séculier des
éditorialistes, journalistes et analystes qui y détectent une
première phase de résistance pouvant, s’ils n’y prennent garde,
se métamorphoser en quelque chose de plus actif et de plus
dangereux pour le système.
Alors ces intellectuels,
qui vivent de la vente de leur clavier et de leurs idées pour
produire du consentement comme l’écrit Noam Chomsky, ont
récemment accentué leurs activités. Ils offrent la couverture de
leurs médias à tous les groupes de droite qui s’excitent en
périphérie des mouvements populaires, proposant leurs
« solutions » racistes, islamophobes, anti-immigrants,
anti-chômeurs, anti-assistés sociaux, anti-ouvriers, ouvrant les
pages de leurs journaux à tous ces agitateurs qui voudraient
nous faire croire que, si l’économie est en crise, c’est la
faute aux têtes grises, aux travailleurs et aux travailleuses
qui n’ont pourtant aucun pouvoir, aucune prise sur les décisions
en matière de spéculation boursière frauduleuse, aucun moyen
d’empêcher que l’on distribue des milliards aux banquiers et aux
entreprises pour les sortir de la crise, retraités et
travailleurs que les politiciens n’écoutent même pas une fois au
pouvoir.
Les think tanks
néo-conservateurs réclament moins d’État et, du même souffle,
plus de soutien étatique aux entreprises et aux banques, et plus
de dépenses de la part de l’État dans le militaire et le
sécuritaire… En 2009, 1 531 milliards de dollars ont été
dépensés à l’échelle mondiale pour les activités militaires, en
hausse de 5,9% par rapport à 2008. De ce montant, les États-Unis
ont dépensé 661 milliards de dollars (43 % du total mondial).
Les dépenses militaires canadiennes ont augmenté de 30 % entre
2006 et 2009. Il en va de même pour tous les pays du G20.
Pourquoi ces
somptueuses dépenses militaires ? Pour deux raisons. La première
pour contrer les luttes populaires, au cas où celles-ci
sortiraient de l’ornière des revendications traditionnelles pour
des hausses de salaires, pour la défense des régimes de
retraite, le gel des frais de scolarité, la défense du pouvoir
d’achat, etc. et déboucheraient sur des revendications
politiques contestant le pouvoir des riches et faisant la
lumière sur la vraie mission des services sécuritaires. La
seconde raison, c’est qu’une grande confrontation militaire se
prépare en vue du repartage des ressources naturelles et des
marchés mondiaux. Une grande puissance (États-Unis) ne se
laissera pas facilement déloger de son podium par ce qui n’était
encore, en 1949, qu’un pays sous-développé (Chine).
S’il ne
parvient pas à dissiper l’ire populaire, l’État devra abattre le
plein poids de la loi sur le dos du peuple et des activistes
comme on en a eu un avant-goût au sommet du G20 en juin dernier
à Toronto : 20 000 hommes armés, et un milliard de dollars de
dépenses pour réprimer les manifestants. Des
manifestations-promenades dans la bonhomie, oui certainement !
Des manifestations violentes et des cris de colères, non merci,
s’indignent les thuriféraires de l’État autoritaire!
Et les scribouilleurs d’admonester ceux
qu’ils prénomment « La gauche » de manquer à leur devoir, de
désorienter et d’illusionner le peuple, ce en quoi ils ont
raison. Leur « gauche » ne livre plus la marchandise, elle
parvient difficilement à canaliser les mouvements de résistance
vers les voies d’évitement et les culs-de-sac électoraux. Ce
n’est pourtant pas faute d’essayer. Les leaders des
organisations de la « société civile » haussent le ton, tentent
de donner le change et se proposent comme courroies de
transmission vers des solutions de rechange capables de
rassembler le troupeau égaré et de le mener vers les urnes de la
gauche plurielle.
1.3 Résistance
économique – résistance politique
Les
étudiants doivent être « raisonnables » et accepter de payer
plus pour s’instruire moins; les ouvriers doivent être
« raisonnables » et accepter de réduire leur appétit
« corporatiste », car il y a moins d’argent disponible après les
achats d’armements, les frais de sécurité, le remboursement de
la dette et les subventions aux banques et aux entreprises
privées. Les conventions collectives dans les services et
ministères publics sont vite bâclées sur fond de concessions
syndicales substantielles. Quelques jours de protestation contre
la réforme des retraites et le mot d’ordre est de retourner au
travail la conscience en paix! Si ce sont là des luttes
nécessaires sur le front économique, elles ne sont pas
suffisantes et toujours à reprendre. On les menait déjà dans les
années soixante tout comme le Front Populaire dans les années
trente.
Quand des
proportions importantes (70 %, dit-on, en France) de l’opinion
déclare qu’elle n’a plus confiance dans les politiciens et
qu’elle considère le capitalisme comme inhumain et néfaste pour
le genre humain, il y a péril en la demeure car ces données
indiquent un rehaussement du niveau de conscience politique.
Que faire? Nous
pourrions commencer par comprendre les mécanismes de la présente
crise économique et financière qui jette tant de travailleurs et
de travailleuses au chômage et dans la misère. Quelques données
à ce propos. En 2009, aux USA, chaque jour 12 866 procédures de
saisies immobilières (majoritairement des résidences familiales)
ont été enclenchées, soit des millions de ménages qui ont été
jetés sur le pavé au cours de cette année (2). En 2009, au moins
30 millions d’emplois ont été détruits à travers le monde du
fait de la crise financière. Le taux réel de chômage est
présentement de 10 % aux États-Unis, au Canada et en Europe. Le
commerce mondial a plongé de 12,2% en 2009, une chute sans
précédent depuis la Seconde guerre mondiale.
À suivre… La
crise économique et financière, mercredi le
12.01.2011
Dernières mises à
jour
|