Opinion
Grève étudiante au
Québec
Bilan après 13 semaines de résistance
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 9 mai 2012
« Tout ce qui grouille, grenouille et
scribouille n’a pas de conséquence
historique !». Qui a prononcé cette
sentence historique ? Le quidam
Jean-François Lisée, animateur télé,
ancien conseiller de certains chefs
chauvins du Parti québécois et
précédemment militant « communiste
ouvrier » à temps partiel, les jours
fériés et les week-ends, a commis un
éditorial sur son blogue. Mine de rien
le péquenot fait le bilan de la grève
étudiante et il attribue les fruits du
conflit à la bourgeoisie (1).
Le scribouilleur se permettait un
post mortem de la grève étudiante des
semaines avant que la mort du patient ne
soit avérée – façon d’appeler les
étudiants à renoncer et à capituler.
C’est un peu le message de son mentor –
le toupet-à-Bouchard – un réactionnaire
ex-vedette péquiste devenu lucido-fascisant
et promoteur schisteux en compagnie
d’une bande de « has been sur le retour
» (les compères Faical, Martineau, Mario
l’oublié, et autres pestiférés des
médias sous influence) qui récemment
nous accablaient de leur avis
non-sollicité à propos de la grève
étudiante. Enfin, comprenez bien,
l’expérience militante du crypto-lucide
Lisée se résume à quelques piquetages en
vadrouille devant une demi-douzaine
d’usines fermées dans un lointain passé
oublié…
L’attaque de son Requiem sur la grève
étudiante va comme suit : « Vive la pub
pour les universités ! ». Ridicule,
n’est-ce pas ? Pour les fils de grands
bourgeois, cette grève signifie qu’ils
ne peuvent vaquer paisiblement à leurs
études et obtenir leur diplôme au milieu
des frivolités qu’ils ont les moyens de
se payer. C’est la pagaille, dirait
Bouchard le facho « de souche ». Les
partisans étudiants peuvent à tout
instant interrompre les études
doctorales des dilettantes, de quoi
décourager de s’inscrire au chic McGill
University. Ce n’est pas une très bonne
publicité, vous en conviendrez.
Pour les fils d’ouvriers et de
petit-bourgeois en cours de
paupérisation, l’échec de la
revendication du gel des
droits de scolarité
signifie qu’ils devront travailler
davantage à la quincaillerie, à la
librairie, à la cafétéria, dans un
restaurant ou dans un supermarché, ou
encore se dégoter un deuxième emploi
tout en poursuivant leurs études à plein
temps – s’ils y parviennent – et cela,
tout en s’endettant davantage
(2). Il est maintenant admis que la
hausse des droits de scolarité n’est
qu’une étape sur le sentier de la
privatisation des universités et
de leur assujettissement total aux
intérêts des grandes entreprises
monopolistes ; à cette fin
Charest devait rendre le pactole plus
alléchant pour les entreprises en
haussant le financement par les
étudiants. Même s’ils n’ont pas
gagné la partie, les étudiants par leur
action résolue ont sérieusement
compromis ce plan secret du gouvernement
Charest. D‘autant que la grève
pourrait reprendre l’an prochain ou dans
deux ans, plus dure et plus acharnée.
Qui veut hériter d’un système
universitaire aussi instable et révolté
?
Pour les fils de familles pauvres
(une portion des étudiants est issue de
ces milieux), ça signifie : une bourse
d’études certes un peu plus élevée
assortie cependant d’un prêt beaucoup
plus accablant, donc un
endettement plus important à la fin du
parcours, si jamais ils le
complètent. Certains statisticiens
évaluent à 6000 par année le nombre de
jeunes qui abandonneront les études
suite à ces hausses de droits de
scolarité de 1 779 $C (82 % de hausse
des droits en sept ans) (3).
« La grève a permis de connaître des
leaders étudiants modèles », nous
suggère l’intellectuel – prenant grand
soin de nous décrire sa vison fantasque
des jeunes de cette génération. Et ce
péquiste repenti de nous dépeindre ces
chefs étudiants en arrivistes articulés,
intelligents, sournois, égocentriques,
intéressés et déjà prêts à poursuivre
leur carrière sur les banquettes de
l’Assemblée nationale – remake de la
carrière des péquistes Landry, Charron,
Faical, et Bouchard. Les assemblées
générales étudiantes, en rejetant la
dernière « entente » signée par les
leaders étudiants, prouvent que des
choses ont changé au pays des
associations étudiantes québécoises.
Et le gribouilleur de poursuivre son
«examen» regardant par le seul bout de
sa lorgnette embuée : « la grève
étudiante serait une école de «
Démocratie », clame-t-il. On ne peut
dire plus vrai, papa Lisée. Heureusement
que vous êtes resté assis sur la clôture
avec M. Martineau et Mario l’oublié à
regarder passer la manif au lieu de
venir nous encombrer de vos billevesées.
La démocratie des riches s’est étalée
sans fard – nue – face
à tous les belligérants de ce combat de
titans. La « démocratie » des riches a
fait fi de la volonté de 200 000
étudiants (22.03.2012), la grande
majorité des universitaires, traités
avec désinvolture et condescendance par
la « mère supérieure » du ministère (4).
Quelques années auparavant, la «
démocratie » des riches avait d’abord
convié les représentants étudiants à des
discussions – sous agenda imposé et
scellé. Le premier Ministre leur avait
dit alors : « Je réunis des intervenants
des entreprises pour discuter du montant
et des modalités de la hausse des frais
de scolarité ; aucun autre sujet ne peut
être abordé et surtout pas question de
proposer le GEL DES DROITS DE
SCOLARITÉ. À qui la parole ? »
avait ajouté Charest – le bonnet d’âne.
Les représentants étudiants venaient de
vivre l’expérience de leur pseudo «
démocratie » (5).
N’oublions pas les centaines de
contraventions ahurissantes (500 $) et
d’arrestations préventives
(arbitraires) sur présomption
de culpabilité de centaines d’étudiants
manifestants, encore une démonstration
de la dictature bourgeoise. Les
ministres ont expédié leur flicaille
pour matraquer, tirer et blesser les
étudiants manifestants, ces enfants du
peuple tenant leurs lignes de piquetage
légales et démocratiquement entérinées
(6).
Les tribunaux des milliardaires ont
été appelés à la rescousse pour
renforcer le sentiment « démocratique »
des étudiants ! Et les injonctions des
tribunaux à la solde sont tombées sur
les grévistes. Vous me permettrez de ne
pas m’appesantir sur la
collusion totale des médias bourgeois
cherchant en entrevue à diviser les
représentants des associations
étudiantes – à dénigrer les étudiants, à
les décourager de continuer leur juste
résistance contre la hausse. Après dix
semaines de silence indifférent de la
part du gouvernement, les médias
québécois ont eu l’outrecuidance
d’accuser les étudiants de ne pas
vouloir négocier et ils ont appelé le
gouvernement à être plus sévère envers
ces jeunes adultes fréquentant l’école
buissonnière.
Voilà la « démocratie » des riches et
leurs organes d’information en action.
Il ne manque qu’une loi spéciale
autoritaire exigeant le retour en classe
pour mettre le dernier clou au cercueil
de leur pseudo « démocratie ». C’est
justement ce qu’est venu exiger
Bouchard, l’ex-Premier péquiste, à la
télé un soir passé. Excellent
apprentissage de la vérité sur la
démocratie bourgeoise, monsieur le
crypto-lucide Lisée. Il y a là un savoir
indélébile qui restera gravé dans la
mémoire de chaque gréviste. Attendons
une résurgence de cet affect un jour de
grande tempête sociale à venir (7).
Pour la finale, notre sévère
éditorialiste se métamorphose en
humoriste. Après avoir fait montre de
chauvinisme nationaliste au paragraphe
précédent, le voici tendant l’oreille
vers « l’universel d’un monde
transcendant ». « Printemps
érable » écrit-il. «
Printemps sirop » serait plus à
propos.
Il n’y a pas de « Printemps érable »,
n’en déplaise aux tenants du Grand
Soulèvement. La vindicte populaire est
grande contre le gouvernement Charest,
et les manifestations qui en attestent
sont immenses (300 000 manifestants dans
les rues de Montréal le 22 avril
dernier). Mais ces démonstrations de
frustration ne sont pas suffisantes pour
entraîner le renversement du pouvoir
bourgeois qui sévit à Québec autant qu’à
Ottawa.
La grogne collective est grosse d’un
« printemps québécois et canadien » qui
se fait malheureusement attendre. Pour
ma part, je dirais que cette attente est
préférable. Les conditions subjectives
d’un tel soulèvement ne sont pas
réunies, si bien qu’une telle révolte
générale serait pour le moment noyée
dans le sang.
Le véritable bilan que l’on peut
tirer de cette grève, c’est que des
milliers et des milliers d’individus
jeunes et moins jeunes ont fait leurs
classes révolutionnaires. Ils se sont
montrés déterminés, disciplinés,
ordonnés de manière exemplaire. Ils ont
démontré une conscience et une
perspicacité hors du commun. Rien à voir
avec la caricature que les médias
tentent de nous présenter de cette
génération éperdue. Aucun piège des
médias à la solde, ni du gouvernement en
mission commandée, pas même le bilan
tendu par le penseur Lisée ne les a
déroutés.
Leur résistance a été menée sur le
front économique de la lutte des classes
(la classe en soi, même si ces jeunes ne
sont pas encore partie de cette classe,
ça viendra) : pour le droit à
l’enseignement supérieur pour les filles
et les fils de la classe ouvrière et de
la petite-bourgeoise en cours de
paupérisation ; contre le rejet du
fardeau de la crise économique sur leur
dos et contre la privatisation des
universités. Le compromis négocié est
l’affaire des étudiants et des
étudiantes selon le rapport de force
qu’ils perçoivent. Aux étudiants
canadiens et étatsuniens de suivre
l’exemple maintenant !
Cette bataille fut exemplaire. C’est
précisément ce qui effraie Charest le
porte-faix, ses sbires et ses maîtres,
c’est qu’elle fasse « boule de neige »
lors des prochaines négociations contre
la fonction publique provinciale et
fédérale (Harper congédie des milliers
de fonctionnaires fédéraux : que se
passe-t-il dans les rangs des
fonctionnaires en ce moment ?), ainsi
que dans le secteur privé, contre les
monopoles comme Rio Tinto Alcan,
Quebecor, Bell, Air Canada, Couche Tard,
etc. Les travailleurs pourraient se
rappeler la façon que les jeunes ont
traité avec les bureaucrates, avec le
gouvernement des riches, avec les
recteurs d’universités et avec la police
et les autorités judiciaires de service.
Selon les riches c’est un très «
mauvais » exemple pour les travailleurs
que cette grève militante des jeunes
fils et filles d’ouvriers !
Toute une pub pour la révolte à venir,
messieurs Lisée, Dumont, Martineau et
Bouchard. Entre la conscience
de classe en soi (poursuivant des
revendications économiques et sociales)
et la conscience de classe pour soi
(poursuivant la revendication ultime et
suprême : tout le pouvoir aux étudiants,
aux citoyens des quartiers, aux
travailleurs des bureaux, aux ouvriers
des usines, aux autochtones stipendiés
et aux prolétaires exploités), il n’y a
parfois qu’un pas, et une étincelle peut
alors mettre le feu à toute la Vallée du
Saint-Laurent et plus avant.
(1)
http://www2.lactualite.com/jean-francois-lisee/
(2) «Michel
Leblanc (Chambre de Commerce) a félicité
«la ministre de l’Éducation et le
ministre des Finances d’avoir pris cette
décision éclairée qui vient consolider
l’accessibilité aux études supérieures».
« La Chambre de commerce proposait la
mise en place d’un tel mécanisme en 2010
dans le Pacte
pour un financement concurrentiel de nos
universités
», signé par le lucido-fascisant Lucien
Bouchard !
http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=30668
(3)
http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=30560
(4)
http://www.legrandsoir.info/deux-cent-mille-etudiants-ont-coince-charest.html
(5)
http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=30541
(6)
http://les7duquebec.com/2012/04/04/pour-le-gel-des-droits-de-scolarite-contre-lintervention-policiere-et-judiciaire/
(7)
http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=30378
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