Opinion
« Faisons payer
les riches »
Robert Bibeau
Robert
Bibeau
Mercredi 3 octobre
2012
Les
partis « socialisants» au pouvoir
La bataille
intra-classes a commencé. CE
gouvernement du Parti Québécois serait
un gouvernement « socialisant » de
l’avis d’une caste d’hommes d’affaires
regroupée dans la Fédération des
Chambres de commerce du Québec.
Pourtant, pleurniche Françoise Bertrand,
la patronne de la Fédération : «
À notre
connaissance, il y a toujours eu un
dialogue entre le milieu des affaires et
les gouvernements, soient-ils péquistes
ou libéraux » (1). Un gouvernement des
riches qui serait contre les riches cela
est confondant en effet. Pensez donc,
Pauline Marois, millionnaire de son
état, épouse d’un homme d’affaires
fédéralo-nationaliste en vue, voudrait
augmenter les impôts de ses acolytes.
C’est le monde à l’envers. On nous cache
tout, on ne nous dit rien, déclame
Madame Bertrand «
La FCCQ en a
notamment contre l’annonce de la hausse
rétroactive des taux d’imposition des
contribuables les plus riches ainsi que
sur le gain de capital et les
dividendes. » (2).
Depuis l’élection
du Parti Socialiste en France, de Barak
Obama aux États-Unis
et depuis l’avènement du Parti
québécois social-démocrate au Québec,
certaines couches de la population se
sont entichées du slogan «
Faisons payer les riches ». Il n’y a
pas de mal à rêver direz-vous !
Justement, il y a contre-indication à
consommer l’opium des pauvres et à
colporter ce mythe dans la société,
parmi les ouvriers et les militants
révoltés.
Le narguilé n’a jamais été la
panacée. Les gouvernements des riches –
élus par les riches – au service des
riches – ne peuvent taxer – pressurer –
imposer leurs camarades sinon que de
façon marginale.
Pour résoudre ce
mystère nous allons d’abord positionner
les différents pugilats en présence dans
cette bataille intra-classes, puis
expliquer les décisions politiques
confondantes récentes.
Les
forces en présence dans l’arène
politique
Comprenez que ce
drame à propos de la « sur-taxation »
des riches se déroule parmi la
bourgeoisie devant nos yeux de péquenots
ébaubis. Tout cela ne nous concerne pas,
nous les esclaves salariés corvéables et
taxables à volonté.
La classe
bourgeoise se compose de différentes
sections que nous allons présenter ;
la petite-bourgeoisie cléricale
besogneuse (journalistes, gamme de
professionnels, petits cadres,
professeurs, managers, vendeurs, petits
commerçants et intellectuels de tout
poil, etc.), chien de garde du système
et chargée d’effrayer les ouvriers et
les badauds apeurés avec le spectre des
communistes – et autres pestiférés – de
façon à écarter toute solution drastique
aux crises économiques.
La
petite-bourgeoise – cette section de
classe instable – peut parfois protester
vertement quand elle se sent pressurée,
paupérisée comme il advient en ces temps
de crises économiques sévères. Une
fraction de cette petite-bourgeoise peut
même, à l’occasion, mettre ses menaces à
exécution et voter à « gauche » – et
oui, il faut ce qu’il faut – pensez à
Québec Solidaire ou pire encore au Front
de gauche en France, ou encore à Obama,
ce noir président américain. « À soir on
fait peur au monde » dirait Mitt Romney.
La petite bourgeoisie amère tire ainsi
les partis de centre-gauche un peu plus
à gauche, croit-elle.
La
moyenne bourgeoisie d’affaires, de
commerce et d’industrie constitue la
seconde cohorte de cette classe
moribonde. Ce sont les petits
entrepreneurs, les petits industriels,
les grands commerçants, les grossistes,
les agents boursicoteurs de bas étage,
les capots de la construction et les
gérants de banques et de caisses
populaires, les spéculateurs de niveau
inférieur. Ceux-là prennent tous les
risques avec l’argent de leurs
commettants. Ils placent l’argent des
caisses de retraite, ils font fructifier
l’argent des banquiers, ils créent des
débouchés et investissent de nouveaux
marchés, ils gagnent un bon salaire mais
surtout de
bons dividendes, tant que leurs
entreprises engrangent des profits –
puis un jour leur entreprise
suffisamment alléchante sera avalée par
un monopole.
En période de crise
économique drastique la
moyenne bourgeoisie peine et
rechigne, elle quémande l’assistance de
l’État (aide aux investissements,
subsides, contrats gouvernementaux,
soutien et service aux entreprises)
fruits de la plus-value extorquée aux
travailleurs et des impôts et des taxes
payés par les petits bourgeois et les
employés. Ce sont ces moyens bourgeois
qui déchirent leur chemise sur la place
publique en ce moment, tous à l’unisson
derrière madame Bertrand. Ce sont eux
qui sont directement menacés par les
propositions d’impositions «
socialisantes ». Ces bourgeois
soutiennent l’UMP - Front National en
France, le Tea Party aux États-Unis et
la CAQ au Québec (3).
Enfin, dernier
gladiateur sur l’arène politico-sociale
les
grands capitalistes, la phalange des
grands prédateurs, les requins de la
finance et de la bourse, les
spéculateurs internationaux, les
parrains milliardaires, ceux qui
possèdent et administrent le capital
financier monopolistique. Bien au-dessus
de la mêlée, ils contribuant à toutes
les caisses électorales occultes, et
luttent en concurrence directe avec les
multinationales d’État chinoises, les
conglomérats privés japonais, les
oligopoles semi-étatiques européens, et
les autres trusts multinationaux
brésiliens ou indiens. Ils ont la
responsabilité d’accumuler des fortunes
colossales et d’assurer la reproduction
élargie du système capitaliste de chaque
pays.
Ceux-ci ne sont pas
inquiétés par la menace de hausser les
impôts des riches, ni par la taxation
des gains de capital ou par les royautés
à payer pour les ressources naturelles
spoliées dans les néo-colonies et les
pays de ressources naturelles
(Australie, Canada, Nouvelle-Zélande,
Afrique du Sud). Tout cela est marginal
pour eux. Le candidat Républicain Mitt
Romney a payé 14,5 % d’imposition l’an
dernier alors que son taux d’imposition
officiel aurait dû s’élever à cinquante
pour cent (4). Warren Buffet se vantait
l’an dernier qu’il ne payait que 5 %
d’impôt alors que sa secrétaire payait
plus de 35 %. Plusieurs entreprises
pharmaceutiques monopolistiques
installées au Canada ne paient aucun
impôt alors que leurs profits augmentent
chaque année. Au Canada, une entreprise
minière sur deux ne paie aucun impôt
malgré ses profits pharamineux. La
compagnie Rio-Tinto-Alcan reçoit chaque
année 75 millions de dollars de
subvention alors qu’elle doit plus d’un
milliard au fisc québécois. Cessons
cette énumération déshonorante. Chacun
comprendra que ce ne sont pas ceux-là
qui sont visés par les nouvelles
politiques « socialisantes » touchant
les hauts revenus des particuliers et
des corporations.
À propos de la rémunération des très
riches
Considérez en
passant que dans ces multinationales
oligopolistiques la rémunération des
cadres se fait de deux façons ; d’abord
ils reçoivent un salaire (à titre
d’exemple, 3 millions de dollars par
année pour la Présidente des Caisses «
Populaires » Desjardins) ; ensuite, ils
reçoivent des actions – du capital – qui
produiront des dividendes qu’il leur
suffit de convertir en action de la
corporation pour éloigner le fisc de
leur maison.
Si tout cet argent
demeure dans la patrie d’origine (Québec
– France – États-Unis), le fisc risque
un jour ou l’autre de rattraper ces
capitalistes. Mais si tout ce capital
est géré en fidéicommis, placé dans des
compagnies à numéro, anonymes, multiples
et enchevêtrées, le tout enregistré dans
des paradis fiscaux frauduleux, alors
aucun danger de payer le moindre centime
de fiscalité.
Surtout, n’oubliez
jamais que vos gouvernements peuvent
voter les lois qu’ils voudront dans les
assemblées nationales souveraines, ces
questions de royautés, de fiscalités, de
redevances, de taux d’imposition des
capitalistes et de leurs entreprises
seront finalement tranchées dans les
bureaux feutrés d’un sous-ministre bien
payé, juste avant que ce
haut-fonctionnaire véreux n’accède au
conseil d’administration du monopole
pharmaceutique, minier, forestier,
énergétique, financier qu’il aura ainsi
avantagé.
La
crise économique s’approfondit
La crise économique
ne se résorbe pas en pays impérialistes
en déclin dont font partie les
États-Unis, le Canada et la France. Pour
le moment, le Canada se tire mieux
d’affaires pour la seule raison que ce
pays repose sur la dilapidation de ses
ressources naturelles et que ce secteur
d’activité prend plus de temps à
s’ajuster aux aléas de l’économie. De
plus, les pays impérialistes émergents
(Chine – Inde – Brésil) ont pris la
relève des précédents, ce sont eux qui
maintenant spolient les ressources
naturelles canadiennes. Que la crise
économique perdure encore un temps et
vous verrez l’économie canadienne
péricliter. C’est la raison pour
laquelle les gouvernements au Canada
doivent dénicher de nouveaux revenus.
Revenons à la
présente escarmouche fiscale sur
l’augmentation des paliers d’imposition
(France et Québec), sur la taxe spéciale
sur les soins de santé (Québec), sur
l’assurance santé universelle
(États-Unis) et sur l’imposition des
gains de capital (France – Québec –
États-Unis) qui vise à
faire payer directement les « moyens
riches » et la petite bourgeoisie
paupérisée afin de maintenir le crédit
des États surendettés et permettre aux
gouvernements des riches de livrer leur
kilo de chair aux capitalistes
financiers.
La moyenne
bourgeoisie crie à l’hypocrisie et exige
d’être entendue – car dit-elle les
investissements et les emplois sont
menacés par ces politiques fiscales «
socialisantes ». Le Tea Party aux
États-Unis tient exactement le même
discours et accuse Obama d’être passé
aux communistes. Idem pour ce pauvre
François Hollande en France. Comme on le
voit il y a convergence internationale
entre les réactionnaires de toute
obédience.
Voyons les faits
pour ce qui a trait au Québec – une
analyse semblable pourra être faite pour
la France et pour les États-Unis –.
« Au Québec, selon
les statistiques fiscales de 2009, les
93 000 particuliers touchant plus de 150
000$ de revenus (imposables NDLR)
annuels représentaient 1,5% des
contribuables. Ces contribuables
payaient 4,4 G$ d’impôt, ce qui
correspond à 21% des impôts payés par
les particuliers. (…) Ces 93 000
individus faisaient un revenu total
annuel de 29 G$, ce qui représente 12,7%
des revenus de l’ensemble des
contribuables.
Leur impôt à payer au gouvernement du
Québec représentait 15,1% de leurs
revenus. (…) Ces contribuables
peuvent-ils payer davantage – sans
sombrer dans l’indigence ? Certainement
! (NDLR) » (5).
Nuire aux investissements et
détruire l’emploi ?
Ceux qui répudient
les hausses d’impôts pour les riches
radotent habituellement l’erreur
communément admise à propos de la
taxation prohibitive qui
nuirait à l’investissement et donc à
l’emploi. Lisez plutôt cette
forfanterie d’une revue économique
française : «Les
particuliers vont être touchés par des
hausses des prélèvements de 10 milliards
d'euros environ, auxquelles il faut
ajouter 13 milliards au titre de la loi
de finance rectificative de 2012.
Ces mesures pèseront malheureusement
très lourd sur une croissance française
déjà faible. Une baisse des dépenses
gouvernementales prononcée aurait été
plus appropriée, dans la mesure où elle
aurait eu un moindre impact sur
l'activité. Si le premier tiers ou la
première moitié des contribuables, du
fait d'une hausse d'imposition ciblée,
consomme et investit moins, la
croissance et les recettes fiscales
chuteront inévitablement.» (6).
Mensonge et
baliverne que tout cela. Si par
inadvertance un riche se voit imposé
davantage
ses dépenses de consommation n’en seront
nullement affectées. Un contribuable
qui gagne plus de 150 000 $ imposables
par année ne dépense pas la totalité de
son revenu en achat de biens et de
services. Dix ou quinze mille dollars
d’impôts supplémentaires n’auront
absolument aucun effet sur la
consommation de ce ménage. Il vient un
moment où tous les besoins étant comblés
une hausse de revenus ne contribue
aucunement à augmenter la consommation.
La chose est fort différente pour un
employé qui gagne 29 000 $ par année et
qui paye 40 % d’impôt et autres
déductions à la source. Chaque sou qu’il
pourra réchapper de l’impôt sera dépensé
en biens de consommation indispensables.
Par contre, notre
amer millionnaire risque-t-il de
réduire ses investissements ?
Absolument pas. La section « salaire »
des revenus de ce millionnaire est
déposée à la banque et c’est la banque
qui place ses épargnes en attendant que
le débonnaire s’affaire à les investir à
long terme. Actuellement, le
crédit étant trop abondant sur les
marchés et donc très peu dispendieux
(les taux d’emprunt sont avantageux ce
qui signifie que le capital investi
rapporte peu) ce qui fait que les
investissements périclitent, pourquoi ?
Parce que la consommation est en baisse
car les ménages à revenu moyen et ceux à
faible salaire réduisent leur
consommation car leur revenu n’augmente
guère alors que l’inflation gruge leur
pouvoir d’achat, sans compter le chômage
qui expédie nombre d’employés dans les
soupes et les friperies populaires.
De plus,
l’endettement de la classe dite moyenne
et de celle à faible revenu a atteint un
niveau si élevé qu’elles ne peuvent
continuer à dépenser et à consommer
aujourd’hui le salaire qu’elles ne
toucheront peut-être jamais demain.
Il est donc inutile
de laisser pourrir l’argent dans les
coffres des banques où il ne sert ni à
une consommation accrue ni à un
investissement accru. Comprenez, il est
impossible d’investir pour produire
davantage quand il y a déjà surcapacité
de production et surabondance de
marchandises.
La taxation en hausse sort donc cet
argent des goussets où elle se planque
pour l’obliger à circuler.
On observe donc que
c’est exactement le contraire que ce que
chante le
Tea Party et les économistes
patentés, chaque dollar d’impôt et de
taxe récupéré des mains des riches et
dépensé en service étatique contribue
directement à soutenir la consommation,
à consolider les marchés et à créer des
emplois. Mais ce n’est pas le rôle que
les grands capitalistes attribuent à
l’État, voilà pourquoi cette hystérie «
socialisante » ne peut durer.
Impôt accru pour la bourgeoisie et
coupes sombres pour les travailleurs
Pendant que les
gouvernements occidentaux cherchent à
taxer davantage la petite et la moyenne
bourgeoisie
afin de lui faire payer sa « juste part
» de la dette publique souveraine envers
les banquiers, au même moment,
l’État des riches attaque les
travailleurs et les petits revenus par
d’autres avenues.
Il est pour le
moment impossible d’imposer davantage
les petits salariés,
d’abord parce que chaque point d’impôt
supplémentaire, arraché aux prolétaires,
décourage le travail légal et encourage
le travail au noir si bien que les
revenus fiscaux diminuent. Ensuite,
étant donné l’assurance emploi et
l’assistance sociale, il survient un
seuil où il devient plus avantageux pour
un travailleur de quitter son emploi
sous-payé et sur taxé afin de bénéficier
de l’assistance sociale.
L’État capitaliste devra donc
préalablement réduire ou éliminer les
prestations d’assurance chômage et
d’aide sociale avant de pouvoir surtaxer
les petits salariés coincés comme la
chose se pratique depuis des décennies
aux États-Unis. Le niveau d’exploitation
des ouvriers, déjà élevé, pourra alors
être surélevé.
En résumé, au
Canada, en France, aux États-Unis, le
gouvernement des riches taxe le peuple
et les petits et moyens bourgeois afin
d’engraisser les super riches et en
parallèle il réduit les services aux
travailleurs, c’est-à-dire que ces États
coupent au maximum dans les coûts de
reproduction de la force de travail afin
d’accroître d’autant la plus-value – les
profits – et finalement le capital
constant d’investissement (CC) servant à
la reproduction élargie du système
capitaliste (7).
Il peut paraître
alléchant de rêver que l’on puisse
faire payer les riches, mais c’est
une illusion qui fera long feu –. Les
gouvernements des riches n’ont pas été
élus par les riches – via le vote des
pauvres c’est entendu – pour taxer et
appauvrir les très riches. Il n’est pas
utile que les ouvriers se mobilisent
pour défendre les petits et moyens
bourgeois contre la voracité des
super-riches capitalistes monopolistes.
Il faut « détruire Carthage », disait
Caton l’ancien et « Abattre le
capitalisme », ajouta le jeune Marx.
(1)
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/360440/quebec-ne-comprend-pas-l-impact-economique-de-ses-decisions?utm_source=infolettre-2012-10-01&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne
(2)
http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/360440/quebec-ne-comprend-pas-l-impact-economique-de-ses-decisions?utm_source=infolettre-2012-10-01&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne
(3)
http://www.pressegauche.org/spip.php?article11653
et
http://www.atlantico.fr/decryptage/9-francais-10-ne-paieront-pas-hausse-impots-vraiment-frederic-bonnevay-497346.html
et
http://blogues.journaldemontreal.com/lauzon/actualites/les-lamentations-des-riches-et-leurs-pleureuses/
(4)
http://www.atlantico.fr/decryptage/9-francais-10-ne-paieront-pas-hausse-impots-vraiment-frederic-bonnevay-497346.html
(5)
http://leglobe.ca/blog/2012/09/alerte-riches-surtaxes/
(6)
http://leglobe.ca/blog/2012/09/hausse-dimpots-le-malheur-des-riches/
(7)
http://les7duquebec.org/7-au-front/la-crise-economique-dans-tous-ses-mefaits/
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