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Blog de
René Naba
L'Europe face au fait migratoire
arabo-musulman
René Naba
Paris, 1er juillet 2008 Brice Hortefeux, Ministre français de
l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du
Développement solidaire, a proposé aux Etats membres de l’Union
européenne un « pacte pour l’immigration» avec un double
objectif:
-Harmoniser, d’une part, les politiques européennes en
matière de flux migratoire en fonction des capacités d’accueil
de l’Europe sur le plan du marché du travail, du logement et des
services sanitaires.
-Instaurer, d’autre part, au niveau communautaire, une
harmonisation des politiques d’expulsion des migrants illégaux,
du droit d'asile, et de la promotion de l'immigration
professionnelle légale.
I- Les arabo-musulmans d’Europe, le premier
groupement ethnico identitaire d’importance sédimenté hors de la
sphère européo centriste et judéo chrétienne.
Paris, 1er juillet (2008) - Cinq siècles de colonisation
intensive à travers le monde n’ont pas encore banalisé la
présence des «basanés» sur le sol européen, de même que treize
siècles de présence continue matérialisée par cinq vagues
d’émigration n’ont conféré à l’Islam le statut de religion
autochtone en Europe, où le débat, depuis un demi siècle, porte
sur la compatibilité de l’Islam et de la République, comme pour
conjurer l’idée d’une agrégation inéluctable aux peuples
d’Europe de ce groupement ethnico -identitaire, le premier d’une
telle importance sédimenté hors de la sphère européo-centriste
et judéo-chrétienne.
Les interrogations sont réelles et fondées, mais par leur
déclinaison répétitive (problème de la compatibilité de l’Islam
et de la Modernité, compatibilité de l’Islam et de la Laïcité),
les variations sur ce thème paraissent surtout renvoyer au vieux
débat colonial sur l’assimilation des indigènes, comme pour
démontrer le caractère inassimilable de l’Islam dans
l’imaginaire européen, comme pour masquer les antiques phobies
chauvines, malgré les copulations ancillaires de l’outre-mer
colonial, malgré le brassage survenu en Afrique du Nord et sur
le continent noir, malgré le mixage démographique survenu
notamment au sein des anciennes puissances coloniales
(Royaume-Uni, France, Espagne, Portugal et Pays Bas) du fait des
vagues successives des réfugiés du XX me siècle d’Afrique,
d’Asie, d’Indochine, du Moyen-Orient et d’ailleurs.
Au delà de la polémique sur la question de savoir si «l’Islam
est soluble dans la République ou à l’inverse si la République
est soluble dans l’Islam», la réalité s’est elle-même chargée de
répondre au principal défi interculturel de la société
européenne au XXI me siècle. Soluble ou pas, hors de toute
supputation, l’Islam est désormais bien présent en Europe d’une
manière durable et substantielle, de même que sa démographie
relève d’une composition interraciale, européenne certes, mais
aussi dans une moindre proportion, arabo-berbère,
négro-africaine et indo-pakistanaise: Quatre mille mosquées,
douze millions de fidèles, et 2,6 pour cent de la population
européenne est d’origine musulmane, selon les statistiques
officieuses concernant les 15 pays de l’Europe occidentale
communiquées avant l’adhésion massive des 12 pays de l’Europe
centrale et oriental (1).
Ces chiffres parlent d’eux-mêmes et se passent de tout
commentaire.
Premier pays européen par l'importance de sa communauté
musulmane, la France est aussi, proportionnellement à sa
superficie et à sa population, le plus important foyer musulman
du monde occidental. Avec près de cinq millions de musulmans,
dont deux millions de nationalité française, elle compte
davantage de musulmans que pas moins de huit pays membres de la
Ligue arabe (Liban, Koweït, Qatar, Bahreïn, Emirats Arabes Unis,
Palestine, Iles Comores et Djibouti). Elle pourrait, à ce titre,
justifier d’une adhésion à l’Organisation de la Conférence
Islamique (OCI), le forum politique panislamique regroupant
cinquante deux Etats de divers continents ou à tout le moins
disposer d’un siège d’observateur.
En comparaison, pour une superficie de 9,3 millions de km2 et
une population de 280 millions d’habitants, Les Etats-Unis
comptent près de 12 millions de musulmans dont 3,5 millions
d’arabo américains et 1 200 mosquées. La communauté musulmane de
France se décompose comme suit: deux millions de Maghrébins,
deux millions de nationalité française, la plupart originaires
d’Algérie et rapatriés en France au moment de l’indépendance de
ce pays, ainsi que 400. 000 africains, 300. 000 turcs et 100.000
asiatiques.
En vingt ans (1980-2000), près de trois mille associations
ont été fondées et mille cinq cents lieux de culte édifiés,
parmi lesquelles cinq grandes Mosquées, dont trois dans la
région parisienne Paris, Evry et Mantes-La-Jolie, ainsi qu’à
Lyon et Lille.
Socle principal de la population immigrée malgré son
hétérogénéité linguistique et ethnique, avec 12 millions de
personnes, dont cinq millions en France, la communauté
arabo-musulmane d'Europe occidentale apparaît en raison de son
bouillonnement -boutade qui masque néanmoins une réalité- comme
le 28 me Etat de l'Union européenne.
En s’y greffant, l’admission de la Turquie, de l’Albanie et du
Kosovo au sein de l’Union européenne porterait le nombre des
musulmans à près de 100 millions de personnes, représentant 5
pour cent de la population de l’ensemble européen, ce qui
pourrait porter atteinte, selon les tenants de la droite
radicale européenne, à son homogénéité démographique, à la
blancheur immaculée de sa population et aux «racines chrétiennes
de l’Europe». Au point que l’UMP, le parti sarkoziste en France,
a institué une clause de sauvegarde, soumettant à référendum
l’adhésion de tout nouveau pays dont la population excède cinq
(5) pour cent de l’ensemble démographique européen (2).
Pour un observateur non averti, le décompte est
impressionnant: l’agglomération parisienne concentre à elle
seule le tiers de la population immigrée de France, 37 pour cent
exactement, tous horizons confondus (Africains, Maghrébins,
Asiatiques, et Antillais), alors que 2,6 pour cent de la
population d'Europe occidentale est d'origine musulmane,
concentrée principalement dans les agglomérations urbaines.
Dix pour cent de la population de Berlin, de Bruxelles et de
Bradford est d'origine musulmane, alors que Cologne et
Birmingham comptent entre 5 et 10 pour cent de personnes
d'origine musulmane et que sont recensées plus de quatre mille
mosquées au sein de l’ensemble européen, soit en vingt ans une
multiplication par 40 du nombre des lieux de culte. La France se
situe en première position avec près de 1. 500 lieux de prière,
suivie de l’Allemagne en 2ème position avec 800 et du
Royaume-Uni (3ème position-500 mosquées).
Les Pays-Bas se retrouvent en 4ème position (230 mosquées), la
Belgique en 5ème position (220) et la Suède en 6ème position
avec 150 mosquées. L’Italie (7ème) et l’Espagne (8ème) comptent
respectivement 60 et 50 mosquées. De quoi enflammer des
imaginations fébriles, de quoi susciter les plus graves phobies.
Son importance numérique et son implantation européenne au sein
des principaux pays industriels lui confèrent une valeur
stratégique faisant de la communauté arabo-musulmane d'Europe le
champ privilégié de la lutte d'influence que se livrent les
divers courants du monde islamique et partant le baromètre des
convulsions politiques du monde musulman.
Longtemps laissés pour compte, les arabo-musulmans sont
désormais l’objet d’une double sollicitude sous forme d’une
compétition entre les pays d’accueil qui prônent une politique
d'absorption progressive et les pays d’origine qui entreprennent
une opération de séduction dans une stratégie dont l'objectif
sous-jacent est, tant pour les uns que pour les autres, sinon de
faire barrage à l’intégrisme du moins d'y aménager une sphère
d'influence au sein de la population expatriée.
Fait désormais irréversible, l'ancrage durable des
populations musulmanes en Europe, la généralisation de leur
scolarisation, l'affirmation multiforme de leur prise de
conscience ainsi que l'irruption sur la scène européenne des
grandes querelles du monde islamique, le bouleversement du
paysage social et culturel européen qu’elles auront impliquées
au dernier quart du XX me siècle ont impulsé un début de
réflexion en profondeur quant à la gestion à long terme de
l’Islam domestique. Les vagues d’attentats, qui ont secoué la
France pendant deux décennie, la première en 1986-87, en
relation avec le conflit irako-iranien, la seconde en 1995 en
rapport avec le conflit algérien, ainsi que les récents
attentats anti-européens en relation avec le conflit afghan et
irakien, qui ont ponctué l’actualité de 2002 à 2004 de Madrid, à
Karachi (bus militaire français), en passant par Ankara
(consulat britannique) et Marrakech (centre culturel espagnol),
en relation avec la traque contre «Al-Qaida» et la Guerre contre
l’Irak, viennent rappeler la proximité des deux continents et
leur imbrication politique et humaine.
Toutefois, sous l'effet de la précarité économique et de la
montée des conservatismes, l’Europe, sous couvert de lutte
contre le terrorisme, en particulier la France, a pratiqué
depuis un quart de siècle une politique de crispation
sécuritaire illustrée par la succession de lois sur
l'immigration (lois Debré-Pasqua-Chevènement-Sarkozy-Hortefeux),
apparaissant comme l'un des pays européens les plus en pointe
dans le combat anti-migratoire, alors même que sa population
immigrée a baissé de 9 pour cent en une décennie (1990-1999).
La palme en ce domaine revient incontestablement à Nicolas
Sarkozy, auteur de pas moins de onze lois répressives durant son
passage au ministère de l’intérieur (2002-2007), soit en moyenne
deux lois par an (2). La panoplie s’est enrichie depuis son
accession à la présidence de la république d’un dispositif sur
le pistage génétique et l’établissement d’un quota administratif
équivalant à 25.000 expulsions par an d’étrangers en situation
irrégulière
L’euphorie qui s’est emparée de la France à la suite de la
victoire de son équipe multiraciale à la coupe du monde de
Football, en Juillet 1998, n’a pas pour autant résolu les
lancinants problèmes de la population immigrée, notamment
l’ostracisme de fait dont elle est frappée dans sa vie
quotidienne, sa sous-employabilité et la discrimination
insidieuse dont elle fait l’objet dans les lieux publics, avec
les conséquences que comportent une telle marginalisation
sociale, l’exclusion économique et, par la déviance qu’elle
entraîne, la réclusion carcérale.
Les attentats anti-américains du 11 septembre 2001 ont
relancé la xénophobie latente au point que se perçoit lors des
grands pics de l’actualité, tel l’attentat de Madrid du 11 mars
2004, une véritable ambiance d’arabophobie et d’islamophobie. Un
quart de siècle après la révolution opérée dans le domaine de la
communication, dix ans après la communion interraciale du «Mundial
1998», les Arabes et les Africains demeurent en France des
«indigènes», sous-représentés dans la production de
l'information, d'une manière générale dans l'industrie du
divertissement et de la culture, et d’une manière plus
particulière dans les cercles de décision politique pour
l’évidente raison qu'ils sont difficilement perçus comme des
producteurs de pensées et de programmes, alors que leur
performance intellectuelle ne souffre la moindre contestation.
L'importance de la présence arabo-musulmane dans le paysage
français, ainsi que la profusion des établissements cultuels et
culturels, des médias communautaires et des performances
sportives ne s'est en effet pas accompagnée d'une percée
qualitative de la communauté immigrée au niveau des postes de
responsabilité au sein du pays d'accueil. Avec l’arrivée à
maturité de la 3 me génération issue de l’immigration, des
"îlots d'excellence" se sont certes constitués dans les domaines
du sport, de la chanson, de la littérature, de l’édition, de la
mode, mais il n'existe pas de passerelles entre ces
individualités à qui fait défaut une conscience collective.
II- L’immigration, la valeur joutée de la France tant
au niveau de l’ensemble méditerranéen qu’au niveau de l’Europe.
L’intégration suppose une conjonction d’apports et non
l’amputation de la matrice identitaire de base.
A l’entame du III me millénaire, la France souffre d’évidence
d'un blocage culturel et psychologique marqué par l’absence de
fluidité sociale. Reflet d'une grave crise d'identité, ce
blocage est, paradoxalement, en contradiction avec la
configuration pluriethnique de la population française, en
contradiction avec l'apport culturel de l'immigration, en
contradiction avec les besoins démographiques de la France, en
contradiction enfin avec l'ambition de la France de faire de la
Francophonie, l'élément fédérateur d'une constellation
pluriculturelle ayant vocation à faire contrepoids à l'hégémonie
planétaire anglo-saxonne, le gage de son influence future dans
le monde.
Au douzième rang du hit parade culturel des nations, le
français se situe loin derrière le Royaume-Uni (500 millions de
locuteurs), l’Espagne (350 millions de locuteurs), de même que
l’arabe, 6me position pour 250 millions de locuteurs contre 120
millions de francophones.
Avec en projection, une amplification de l’écart au long du XXI
me siècle au profit de l’anglais, première langue de
communication planétaire dans une société de l’information, en
second lieu de l’espagnol, qui dispose aux Etats-Unis au coeur
du principal centre de production des richesses et des valeurs
de l’époque contemporaine, d’un solide pied à terre matérialisé
par le tiers d’une population américaine hispanophone adossé de
surcroît au sous-continent latino-américain, enfin de l’arabe
avec son immense réservoir humain, représenté par une communauté
de 1,2 milliards de fidèles musulmans répartie dans 52 pays à
travers le monde, potentiellement recyclable linguistiquement et
culturellement. Pis, au coeur de son nouvel espace vital,
l’Union Européenne tend à devenir une succursale linguistique de
l’OTAN, une organisation que la France a été contrainte de
réintégrer militairement dans la foulée de la guerre du Golfe
(1990-1991).
Sanctionnant un renversement de tendance sans doute
irréversible, l’anglais y supplante désormais le français en
tant que langue de travail. 55% pour cent des documents de
travail y sont rédigés en anglais contre 40 pour cent il y dix
ans et 44 pour cent en Français. A la fondation de l’Union
européenne, en 1957, 80 pour cent du travail interne se faisait
en français, soit une perte de 50 pour cent en près d’une
décennie.
Certes l’adhésion des pays baltiques et de l’Europe centrale
à l’Union européenne va réduire la proportion des «basanés» dans
l’espace européen, mais le vieillissement prévisible de la
population européenne font de la communauté arabo-musulmane
l’objet d’un véritable enjeu en raison de son taux de natalité,
de son dynamisme et de sa flexibilité salariale.
L’intégration présuppose une conjonction d’apports et non une
amputation de la matrice identitaire de base. La troisième
génération issue de l’immigration, française de droit en vertu
du nouveau code de la nationalité de 1998, est certes
extrêmement sensible à son environnement international comme en
témoignent les flambées de violence à caractère confessionnel en
rapport avec l’Intifada palestinienne, la guerre du Golfe
(1990-91), le conflit bosniaque (1990-1999), la guerre
d’Afghanistan (2001-2002) ou la guerre contre l’Irak (2003).
Elle n’en demeure pas moins porteuse d’une dynamique
interculturelle en raison de ses origines, de son profil
culturel et de ses croyances religieuses. Par les solidarités
verticales qu’elle pourrait développer avec le pays d’origine et
horizontales au niveau européen, elle constituerait la valeur
ajoutée de la France tant au niveau de l’ensemble méditerranéen
qu’au niveau de l’Europe.
Sous réserve toutefois que soient mis en place de nouveaux
fondements intégrant l’Islam à son environnement européen et la
République au Multiculturalisme. Sous réserve que soit instaurée
aussi une sphère consensuelle dépassant une vision xénophobe du
monde en négation avec la mission universelle de la France.
Facteur d’intermédiation socioculturelle, les «bougnoules»
des temps anciens paraissent devoir tenir leur revanche dans
leur vocation à assumer un nouveau rôle de passerelle de la
francophonie entre les deux rives de la Méditerranée,
l’avant-garde de «l’arabo-francophonie culturelle» que la France
s’ingénie tant à mettre sur pied afin de faire pièce à
l’hégémonie anglo-américaine et de favoriser le dialogue des
cultures par le dépassement de son passé colonial.
1-«Du Bougnoule au sauvageon, voyage dans l’imaginaire
français» René Naba - Editions l’Harmattan 2002
2- Voici la liste des principaux textes sur la sécurité votés
lors du passage de M. Nicolas Sarkozy au ministère de
l’Intérieur
-Septembre 2002 : Loi sur l’orientation et la programmation
pour la sécurité intérieure
-Février 2003 : Loi aggravant les peines pour les infractions
racistes
-Mars 2003 : Loi sur la sécurité intérieure
-Mars 2004 : Adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité
-Novembre 2003 : Maîtrise de l’immigration et répression des
séjours irréguliers
-Janvier 2005 : Lutte contre le terrorisme
-Avril 2006 : Répression des violences contre les mineurs
-Juillet 2006 : Répression des violences dans les manifestations
sportives
-Novembre 2006 : prévention de la délinquance, ce qui entraîne
la modification d’une traite -un chiffre record-80 articles du
code pénal.
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Publié le 30 juin 2008 avec l'aimable autorisation de René Naba
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