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Interview
Interview René Naba à la revue bimestrielle Sarkophage
René Naba
15 avril
2008
http://www.lesarkophage.com/
- Le sarkozysme signe le ralliement aux
thèses des néo-conservateurs américains, la défaite du gaullisme
et le triomphe du néo-pétainisme.
- La France est utilitairement pro-arabe,
mais subtantiellement pro-israélienne. Que les Israéliens se
méfient du zèle intempestif de leurs amis français qui masquent
parfois d’inavouables desseins.
Nicolas Sarkozy célèbre le 17 Mai 2008 le premier
anniversaire de son entrée en fonction en sa qualité de VI me
Président de la Vme République Française, un évènement auquel il
souhaite donner un éclat particulier en le jumelant avec un
voyage officiel en Israël à l’occasion du 60eme anniversaire de
la déclaration d’indépendance de l’Etat hébreu.
Programmé à l’apogée de sa carrière pour constituer une
apothéose à son pouvoir, le voyage de ce Président de «sang
mêlé» dans son pays de prédilection devrait intervenir en juin,
au périgée de sa popularité, alors que le premier ministre
israélien est éclaboussé par des scandales en rapport avec
l’argent illicite.
Le voyage de M. Sarkozy en Israël perd de ce fait de son
éclat au point d’apparaître comme encombrant tant pour le pays
hôte que pour le visiteur, voire même un handicap pour la
diplomatie du meilleur ami français d’Israël.
LS: Quel bilan tirez vous de l’évolution de la
diplomatie française un an après l’élection de Nicolas Sarkozy ?
S’agit-il simplement d’un ralliement aux thèses atlantistes
classiques ou à celles des néo-conservateurs américains?
RN - Les Français ont joué à la roulette russe à
l’élection présidentielle de Mai 2007: Nicolas Sarkozy a gagné,
la France a perdu. Le délire narcissique dans lequel elle a
baigné pendant un an débouche brutalement sur la plus grande
mystification politique de l’Histoire de la V me République. Les
slogans de campagne se sont révélés être des «leurres» tant sur
le plan interne que sur le plan externe.
-Sur le plan interne, par «travailler plus pour gagner plus», il
fallait comprendre «travailler plus pour penser moins». Le
slogan était mensonger car les caisses de l’Etat étaient vides
et Nicolas Sarkozy le savait pertinemment. L’unique catégorie
sociale qui a bénéficié de cette promesse est le groupe rentier
des détenteurs de capitaux, les grandes fortunes, ceux qui se
lèvent tard, désormais à l’abri avec leur «bouclier fiscal».Une
telle mesure signe l’appartenance oligarchique du pouvoir.
Le sarkozysme signe aussi la défaite du gaullisme et le
triomphe du néo-pétainisme dont les deux plus beaux fleurons
sont Rachida Dati et Rama Yade, les cautions exogènes des lois
répressives du pistage génétique, de l’immigration choisie et de
l’exclusion malodorante. En se réclamant du gaullisme et en
siphonnant les thèses de l’extrême droite xénophobe, le
sarkozysme a purgé en fait la querelle de légitimité par le
dépassement syncrétique des deux grandes familles de la droite
française, dont le point d’exacerbation avait été atteint lors
de la présidentielle de 2002. La présidentielle de 2002 avait
placé les Français devant l’infamant dilemme de choisir entre un
«escroc» et un «facho», deux septuagénaires vétérans politiques
de l’époque de la guerre froide occupant le devant de la scène
depuis près de quarante ans, les deux candidats les plus âgés,
les plus fortunés et les plus décriés de la compétition,
mutuellement confortés dans une campagne sécuritaire, l’un,
Jacques Chirac, héritier d’un gaullisme dévoyé dans l’affairisme
le plus débridé, l’autre, Jean Marie Le Pen, héritier d’un
vichysme sublimé par un ancien tortionnaire de la Guerre
d’Algérie, le premier, auteur d’une formule chauvine d’une
démagogie achevée sur les «bruits et les odeurs» des familles
immigrées qui ponctionnent la sécurité sociale par leur
prolificité génésique, le second, auteur d’une formule d’une
abomination absolue sur le «Durafour crématoire (...) point de
détail de l’Histoire». Le sarkozysme refait l’unité de la droite
sur la base des thèses de l’extrême droite pétainiste et
l’apparence de la droite gaulliste.
LS : A quel besoin répond cette nouvelle pédagogie
politique qu’il veut instaurer? S’agit-il simplement d’une
rupture avec ce qu’il nomme l’idéologie de la repentance ???????
RN - Nicolas Sarkozy procède à une réécriture
autoritaire de l’histoire. De par l’impulsion et la
signification qu’il tire de certains faits historiques, il
emprunte au registre de la falsification. C’est à proprement
parler un falsificateur. Le détournement de mémoire et la
captation d’héritage auxquels il a procédé dans l’affaire Guy
Môcquet ne sauraient occulter la réalité. Il fallait certes
exalter le patriotisme et l‘esprit de sacrifice du jeune
résistant communiste, mais cet exercice pédagogique aurait
rempli sa fonction thérapeutique si le président avait dénoncé
ses bourreaux, c'est-à-dire .la police, le socle de son pouvoir
sécuritaire, l’instrument de sa politique répressive, qui fut en
son temps l’instrument de la politique vichyste, qu’il choit et
honore en toute circonstance, celle-la même qui était déjà à l’oeuvre
dans l’affaire Guy Môcquet, de la même manière qu’elle était à
l’œuvre dans la rafle des enfants juifs et dans la déportation
des milliers de français de confession juive. Il incombait au
Président de la France, cela aurait été sa grandeur, non de se
débarrasser de la paille qui obstrue son regard (la repentance),
mais d’extirper la poutre qui frappe les Français de cécité
politique, propice à toutes les dérives hideuses. L’édification
des générations futures ne doit pas se faire sur le mensonge, la
falsification, la connivence, la démagogie et l’approximation.
LS: Sur le plan externe, en quoi a consisté la
rupture ?
RN- La rupture prônée par Sarkozy s’est réduite non
à un ralliement aux thèses atlantistes, ce qui peut se concevoir
pour un pays occidental, mais à une vassalisation aux thèses
néo-conservatrices, c’est à dire le courant de pensée le plus
extrême de la droite conservatrice de l’ensemble occidental.
Cela est manifeste sur le plan du conflit israélo-arabe. Nicolas
Sarkozy a fermé la parenthèse gaulliste renvoyant la France à la
séquence antérieure celle de la connivence des puissances
coloniales de l’époque, la France, Grande Bretagne avec Israël,
contre le monde arabe particulièrement les deux fleurons du
nationalisme arabe contemporain notamment, l’Egypte (expédition
de Suez 1956) et l’Algérie (guerre de libération nationale
1956-1962).
Inviter le président israélien Shimon Pérès en visite d’Etat
en France dans l’entre deux tours des élections municipales est
une manœuvre vile, veule et méprisable dans la mesure où elle
tendait dans l’ordre subliminal à instrumentaliser le judaïsme
institutionnel français dans une consultation électorale interne
à la France. Programmée après les élections municipales, elle
n’aurait pas nourri les mêmes suspicions et les mêmes
préventions. Que les Israéliens se méfient du zèle parfois
intempestif de leurs amis français, un zèle qui masque parfois
d’inavouables desseins. Troquer l’antisémitisme récurrent de la
société française, qui a préexisté à l’arrivée des premiers
arabes et musulmans en France, par une arabophobie de bon aloi,
ne grandit ni l’auteur de cette diversion, ni le pays qu’il
gouverne, ni le peuple qui le cautionne.
Nicolas Sarkozy porte la preuve éclatante que la France est
utilitairement pro-arabe, mais subtantiellement pro-israélienne.
Sur ce point, et sur ce point uniquement, il doit être assuré de
notre gratitude éternelle car il fait la démonstration que la
spécificité française dans le domaine internationale est un
leurre, le cache-misère à une relégation diplomatique effective
dans la gestion des affaires du monde. Les coups de menton
répétitifs de Nicolas Sarkozy relève de la mystification. Bomber
le torse devant le CRIF (conseil représentatif des institutions
juives de France) pour annoncer qu’il ne serrera jamais la main
de quiconque ne reconnaît pas Israël relève de la fabulation et
de l’affabulation lui qui a parcouru les premiers mois de son
mandat une dizaine de pays arabes dont la quasi-totalité ne
reconnaissent pas l’Etat hébreu, pas plus l’Algérie que l’Arabie
saoudite, que les principautés pétrolières du Golfe ou la Libye
dont le président, Mouammar al- Kadhafi, a même été invité en
visite officielle en France.
Il est déplorable que la presse française n’ait pas relève
ses incohérences, pas plus qu’elle n’a relevé l’incongruité du
fait que M. Sarkozy se souciait de vouloir enseigner la Shoah
dans les classes enfantines françaises, au moment même où un
responsable militaire israélien, le vice ministre de la défense,
se proposait d’infliger une Shoah aux Palestiniens de Gaza sans
que ce fait, non plus, n’ait suscité le moindre commentaire de
la presse française. M.Sarkozy fabule pour quiconque connaît les
difficultés rencontrées par la diplomatie française pour
organiser, 13 juillet 2008 à Paris, un sommet des pays
méditerranéens, c'est-à-dire un sommet regroupant Israël, la
Libye, l’Algérie mais aussi et surtout la Syrie qui entretient
des relatons exécrables avec la France.
LS: la nouvelle diplomatie Sarkozy-Kouchner n’est
donc pas le ralliement aux thèses occidentales. Elle marque
l’importation en France du point de vue néo-conservateur
américain. Que peut-on attendre dans les prochaines années ?
RN - Il ne faut pas pleurer sur le lait versé. Il
aurait mieux valu entendre les mises en garde qui n’ont pourtant
pas manqué.
Nicolas Sarkozy a gagné et la France a perdu. Et les plus
démunis supportent la part la plus lourde du fardeau: Du cadeau
fiscal, aux franchises médicales, à la suppression du
remboursement des frais d’optique, à la tentative de la
suppression de la carte «famille nombreuse», au renchérissement
des frais de transport et du gaz. Pas une mesure compensatoire à
l’érosion de leur pouvoir d’achat, alors qu’il s’agissait d’un
fort slogan du programme électoral de Nicolas Sarkozy. C’est
cela le nouvel humanisme présenté comme étant le sarkozisme.
Au XX me siècle, l’Empire avec son marché captif et son
contingent de basanés a supplée aux défaillances de la
Métropole, tant sur le plan militaire qu’économique. (Songez que
la dernière grande victoire militaire française remonte à deux
siècles, Austerlitz 1805, puis plus rien, sinon une série de
désastres militaires (Waterloo, Fachoda, Sedan). La France ne
renouera avec la victoire en 1918 qu’avec le concours massif des
alliés certes mais aussi des peuples basanés (500.000
combattants de l’empire français), soit la population de
Marseille intra-muros. C’est dire à quoi tient le mythe de la
grandeur française.
Au XXI me siècle, pas plus d’Empire que de chasse gardée, la
France devra payer au plus fort le prix de ses dérives
imputables au premier chef à la posture protofasciste inhérente
à un pan de la société française dont Nicolas Sarkozy en est
l’excroissance politique et l’illustration médiatique. Un prix
fort avec un déficit des comptes publics de deux mille milliards
d’euro, un déficit chronique de son commerce extérieur, un
chômage structurel endémique, une dislocation de son tissu
social une marginalisation croissante de ses points d’ancrage
traditionnels, le Monde arabe et l’Afrique. Payer au prix fort
le délire narcissique qui s’est emparé d’elle à l’élection de
Nicolas Sarkozy à la présidence de la République française.
Sarkophage est dirigée par le philosophe Paul Ariès,
animateur d’un mouvement refondateur de la gauche alternative à
la social-démocratie du Parti socialiste français.
Le sarkophage n°6 paraitra le 17 mai 2008
avec des articles de Danielle Mitterrand, Jacques Cossart, Paul
Violet.
René Naba,
journaliste-écrivain, animateur du blog
www.renenaba.blog.fr
Dernier ouvrage paru:
"Liban: chroniques d’un pays en sursis" –
février 2008 - Editions du Cygne
A paraître septembre 2008
«Libye la révolution comme alibi»-
Editions du Cygne
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Publié le 18 mai 2008 avec l'aimable autorisation de René Naba
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