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Opinion
Chrétiens d'orient
part 1/2:
Le singulier destin des chrétiens arabes
René Naba
Samedi 16 octobre 2010
I -Une communauté en survie
Un synode sur le Moyen-Orient se tient du 10 au 24 octobre au
Vatican, alors que les chrétiens arabes, généralement considérés
comme une communauté en survie, opèrent, pour la première fois
dans l’histoire, une mutation stratégique majeure privilégiant
leur enracinement local et leur environnement régional sur leur
traditionnelle allégeance occidentale, notamment au Liban, avec
l’alliance sans précédent opérée, au grand désespoir des
occidentaux, entre le Hezbollah libanais, l’organisation
politico-militaire chiite libanaise, et le général Michel Aoun,
ancien commandant en chef de l’armée et chef de la principale
formation politique chrétienne.
Situés à l’épicentre du conflit entre Islam et Occident,
perçus tantôt comme passerelle entre deux mondes tantôt comme
les supplétifs d’une cinquième colonne d’une nouvelle croisade
contre l’islam, au gré des exacerbations des conflits entre les
deux rives de la Méditerranée, ils assument, souvent avec
bonheur, sans la moindre acculturation, une fonction
d’intermédiation culturelle rare au monde.
Singulier est le destin de ces chrétiens originels, de ces
chrétiens des origines de la chrétienté, dits «chrétiens
d’orient», ballottés entre Orient et Occident, tiraillés entre
leur appartenance socio culturelle arabe et la communion
religieuse qui les lie à l’Occident, entre leur communauté de
destin avec leurs compatriotes de confession musulmane et leur
communauté de croyance avec les occidentaux, dans une zone où ce
même Occident a souvent fait fi des impératifs de survie de ses
coreligionnaires, au bénéfice exclusif de ses intérêts
stratégiques, contre les intérêts à long terme de la présence
chrétienne en terre arabe.
Au point de faire peser une suspicion permanente sur les
chrétiens d’Orient en général, les chrétiens arabes en
particulier, au point que plane le risque de leur anéantissement
tant du fait de leurs divisions que de l’aventurisme de
certaines de leurs factions dirigeantes, que des discriminations
dont ils sont l’objet. Au point d’assumer nolens volens une
fonction exutoire à tous les débordements occidentaux et aux
frustrations de leur environnement arabo musulman.
Environ 13 millions de chrétiens, soit la population du
Benelux, vivent aujourd’hui au Proche-Orient, en Turquie et en
Iran et autant dans les pays de la diaspora en Amérique du nord,
en Amérique latine, en Australie et en Europe occidentale. En
l’absence de statistiques précises, il est difficile d’évaluer
correctement la part de la population chrétienne dans chacun des
pays du Moyen-Orient. Selon les estimations les plus
généralement admises, le Liban compterait environ 30% de
chrétiens, la Syrie 10%, la Jordanie 2%, l’Irak 3%, la Palestine
2%, l’Egypte 8%, Israël enfin 10% essentiellement des Arabes
israéliens, un borborygme qui désigne les Palestiniens porteurs
de la nationalité israélienne.
Les chrétiens dans le monde arabe appartiennent à une
douzaine d’Églises différentes, résultats de nombreux conflits
et schismes depuis que le Christianisme est devenu religion
d’État dans l’empire romain sous Constantin, en 313. Quatre
Églises différentes ont prospéré autour de quatre évêchés: Rome
(Église catholique romaine ou latine), Constantinople (Eglise
grecque orthodoxe), Antioche (Eglise grec catholique melchite,
Eglise syrienne et jacobite) et Alexandrie (Église copte). (1)
Héritière des premières communautés chrétiennes (Jérusalem,
Antioche, Alexandrie, Constantinople), la chrétienté d’orient
est dirigée par onze patriarches et chefs d’Eglises catholiques
(coptes, maronites, grecs catholiques, arméniens catholiques,
syriens catholiques, chaldéens), une communauté riche d’une
histoire prestigieuse, d’un patrimoine ancestral, d’une
expertise irremplaçable.
La judaïsation rampante de la Palestine, l’implosion de
l’Irak du fait américain, auparavant la guerre inter
factionnelle du Liban, l’instrumentalisation de l’Islam à des
fins politiques contre le courant nationaliste à l’apogée de la
guerre froide soviéto-américaine (1950-1990), la montée en
puissance des islamistes en Egypte, les manifestations contre
les caricatures de Mahomet (publiées dans des pays
« chrétiens »), l’isolement iranien depuis la crise nucléaire
ont aggravé la marginalisation de ces minorités au point que
cette présence bimillénaire risque d’être balayée par le vent de
l’histoire, victime de la radicalisation des crispations
transméditerranéennes.
Au Liban, 40 % des chrétiens auraient quitté le pays depuis
le début de la guerre, en 1975, mais la diaspora déployée en
Amérique du Nord (Etats-Unis, canada), en Amérique latine, en
Australie et en Afrique, est active et garde des liens puissants
avec la mère patrie.
En Irak, la population chrétienne présente en Mésopotamie
depuis deux mille ans, a diminué d’un tiers depuis le conflit
Iran Irak et les deux guerres contre Saddam Hussein (1991 et
2003). Elle n’est plus que de 650 000, soit moins de 3 % de la
population. Des églises ont été attaquées à Bagdad, Kirkouk,
Mossoul. Les chrétiens continuent de se réfugier au Kurdistan
irakien, en Jordanie, en Syrie, au Liban et, pour les plus
aisés, en Amérique du Nord.
En Egypte, les coptes pâtissent aussi de la progression des
Frères musulmans. Aux discriminations dans l’accès aux emplois
publics s’ajoute la radicalisation religieuse. La Haute Egypte
est, depuis longtemps, le théâtre d’agressions antichrétiennes,
forçant à l’exode les coptes d’Egypte.
En Palestine, l’exode se poursuit aussi en Palestine dans les
territoires occupés de Cisjordanie, à Jérusalem-Est et dans la
bande de Gaza. Les chrétiens palestiniens ne seraient plus
qu’entre 50 000 et 80 000. À Bethléem, la cité de la nativité du
Christ, les chrétiens ne représentent plus que 30% de la
population, après avoir été plus de 80% pendant des siècles. Et
le maire chrétien de Bethléem a été élu grâce au soutien du
Hamas, soucieux de maintenir une diversité au sein de la
population palestinienne. En 1948, Jérusalem comptait environ un
cinquième de chrétiens. Ils ne sont plus aujourd’hui que 2%.
Aux dernières élections, la majorité s’est portée sur les
listes du Fatah, mais des chrétiens ont aussi voté pour le
mouvement islamiste victorieux du Hamas. Les chrétiens jouent un
rôle dans la direction de l’Autorité palestinienne de Mahmoud
Abbas, et six sièges sur 88 leur sont réservés au Conseil
législatif. Mais ils s’inquiètent de l’islamisation de la
société, des restrictions à la circulation induite par le mur
d’apartheid israélien.
A l’exode se superpose une nouvelle donne, la concurrence sur
leur propre terrain des prédicateurs américains,
- des Evangélistes Pentecôtistes aux Témoins de Jéhovah -, à la
faveur de la précarité économique et sociale générée par les
guerres du Moyen orient. Le phénomène est particulièrement
sensible au Liban, en Palestine, en Jordanie et en Irak. Il se
déploie progressivement au Maghreb, notamment en Algérie et au
Maroc, où la chrétienté s’est souvent confondue avec la présence
coloniale sans le moindre enracinement historique local, qui
fait apparaître un chrétien arabe comme une «incongruité».
II – L‘appel du Vatican pour une coopération islamo
chrétienne face à la «menace islamiste»
Dans un document préparatoire au synode sur le Moyen-Orient
(2), le haut clergé de l’Eglise d’Orient estime que le conflit
israélo-palestinien constitue le «principal foyer» d’instabilité
de la région et que «l’occupation israélienne des territoires
palestiniens et de territoires libanais et syrien» est la
«cause» de «l’hostilité entre les Palestiniens et le monde arabe
d’un côté, et l’État d’Israël de l’autre».
Fruit d’un conseil pré synodal composé de sept patriarches
des six Églises orientales catholiques, du patriarche latin de
Jérusalem, de responsables de la curie romaine et des présidents
des Conférences épiscopales turque et iranienne, le texte
déplore la confusion faite entre religion et politique à propos
de la stratégie occidentale en direction de la zone.
Il souligne l’importance de bien distinguer politique et
religion: «Les options politiques des États occidentaux sont
mises sur le compte de la foi chrétienne. Il est important
d’expliquer le sens de la laïcité et de rappeler qu’il n’existe
pas une Ligue des États chrétiens semblable à l’Organisation de
la conférence islamique (OCI).»
Il estime les chrétiens au nombre des «principales victimes»
de la guerre en Irak, ce dont «la politique internationale ne
tient aucunement compte».
Constatant «la montée de l’islam politique, à partir des
années 1970», il invite les chrétiens à «faire tomber les
barrières de la peur, de la méfiance et de la haine, par le
biais (de leur) amitié avec les juifs et les musulmans, les
Israéliens et les Palestiniens».
Déplorant la profonde division des chrétiens du Liban sur les
plans politique et confessionnel», de même qu’en Egypte où «la
montée de l’islam politique et le désengagement des chrétiens de
la société civile rendent leur vie sujette à l’intolérance, à
l’inégalité et à l’injustice», Le conseil pré synodal s’inquiète
par conséquent de l’émigration des chrétiens de la région,
affirmant que «ce serait une perte pour l’Église universelle si
le christianisme devait disparaître ou s’affaiblir précisément
là où il est né». Il invite enfin chrétiens et musulmans à
affronter «ensemble» la «menace» islamiste.
III – La contribution des Arabes chrétiens à la
renaissance du monde arabe
Principaux éclaireurs d’avant-garde du monde arabe, La
contribution des arabes chrétiens, particulièrement des
Libanais, à la renaissance du Monde arabe est connue et reconnue
que cela soit dans la formation de partis trans arabes en lutte
pour l’indépendance des pays arabes (2), que dans le combat pour
la libération de la Palestine, ou dans la renaissance culturelle
du monde arabe.
La liste est longue de ces figures historiques de
l’universitaire Edward Saïd, à Monseigneur Hilarion Capucci,
Archevêque grec melkite catholique de Jérusalem, emprisonné pour
son soutien à la cause palestinienne, à Georges Habbache, Chef
du Front Populaire pour la Libération de la Palestine,
auparavant chef du Mouvement Nationaliste arabe, tombeur du
protectorat britannique d’Aden, au poète Kamal Nasser, porte
parole de l’Organisation de Libération de la Palestine,
assassiné à Beyrouth par les israéliens en 1973, à Michel Aflak,
Fondateur du parti Baas, longtemps au pouvoir en Syrie et en
Irak, à Farjallah Hélou, premier chef du parti communiste
libanais, dissous dans l’acide par les services syriens, à Mgr
Atallah Hanna, évêque grec orthodoxe de Jérusalem.
Sur la liste figure aussi, les intellectuels palestiniens
Constantin Zreik et Emile Habibi, le député palestinien Azmi
Bishara, ancien membre de la Knesseth israélienne, Boutros
Boutros Ghali, ancien secrétaire général de l’ONU, voire Tareq
Aziz, inamovible ministre des affaires étrangères de l’Irakien
Saddam Hussein, le grand écrivain libanais Gibrane Khalil
Gibrane, auteur de l’inoubliable livre «le prophète», la
libanaise Feyrouz, chantre de la grandeur arabe, sa relève
putative Julia Boutros, passionnera de la résistance libanaise
au sud-Liban, de même que le chanteur Marcel Khalifé, ou encore
les frères Taqla –Sélim et Béchara Taqla–, fondateurs, le 5 Août
1876, du plus prestigieux journal égyptien «Al-Ahram» (les
Pyramides), qui demeure encore de nos jours l’un des pus grands
titres de gloire du savoir faire journalistique libanais.
A toutes les étapes de l’histoire de la presse, dans tous les
domaines de l’impression et de l’édition, qu’il s’agisse de la
mise en activité de la première imprimerie arabe en terre
d’Orient, du lancement des grands journaux contemporains ou
encore de la mise en place d’une presse périphérique
transfrontalière, la contribution des Libanais ne souffre aucune
contestation.
De 1888 à 1929, soit en quarante ans, pas moins de 268 titres
de journaux en langue arabe rédigés par des Libanais étaient
recensés dans les deux Amériques, dont 79 aux Etats-Unis et 95
au Brésil, ainsi que 133 titres en Europe.
A son indépendance en 1943, alors que la presse du Golfe
était encore à ses premiers balbutiements et que
l’analphabétisme était le lot général d’une grande fraction de
l’ensemble arabe, le Liban comptait déjà 132 publications dont
17 quotidiens et 15 revues hebdomadaires pour une population de
1,5 millions d’habitants et une superficie de 10.400 km2, record
mondial absolu pour la densité démographique per capita. Une
cohorte de plumes parmi les plus réputées du monde arabe Gébrane
Tuéni (Al-Ahrar-les Libéraux/1924), Youssef Moukarzel
(Ad-Dabbour- Le Bourdon/1923), Alexandre Riachi (Al Sahafi al
Taeh, le journaliste errant/1922), Said Freyha (As-Sayyad-Le
chasseur), ainsi que la triptyque prestigieuse, le duo
francophone Georges Naccache et Michel Chiha (L’Orient-le Jour)
et leur équivalent arabophone Ghassane Tuéni (An-Nahar) ont fait
office de référence à toute une génération de journalistes.
Dans les années 1960, au lendemain de la traumatisante
défaite de la 3 me guerre israélo-arabe de juin 1967, alors que
la presse arabe nationalisée sombrait dans le conformisme
bureaucratique d’une couverture de l’actualité institutionnelle,
les journaux de Beyrouth donnaient l’impulsion éditoriale à
l’ensemble de la zone compensant ainsi par une fonction
tribunicienne assumée au niveau de l’opinion internationale, la
défaite historique du nationalisme arabe. Toutes les chapelles
du nationalisme, du marxisme et du fondamentalisme religieux y
avaient pignon sur rue et disposaient de journaux forts
documentés sur les pays de la zone, à la plus grande
satisfaction et au plus grand bénéfice de quelque cents cinq
correspondants étrangers accrédités dans la capitale libanaise.
Abritant avant guerre, près de trois mille imprimeries et une
centaine maison d’édition, Beyrouth a édité une littérature
politique supérieure en quantité, et souvent en qualité, à la
totalité des pays arabes, et, se jouant de la censure, courante
dans ces pays, en a assuré la diffusion.
Premier diffuseur de la presse au niveau arabe, le Liban
assurait à cette époque la circulation de 1.358 titres, toutes
périodicités confondues (quotidien, hebdomadaire, mensuel,
trimestriel, annuel) sur un total de 2.741 titres circulant dans
le monde arabe, soit dix fois plus que l’Egypte, le plus grand
pays arabe et dont la population s’élève à 60 millions
d’habitants. Dans la tourmente de la guerre civile (1975-1990),
la presse libanaise s’est maintenue, manifestant au cours des
quatorze ans de conflit une formidable capacité d’adaptation,
reflet d’un farouche instinct de survie. A Londres et à Paris
qui ont abrité jusqu’à une trentaine de publications libanaises,
les patrons de presse avaient aménagé une zone offshore pour
l’édition et la commercialisation de la presse libanaise à
vocation panarabe, déblayant ainsi le terrain au lancement des
vecteurs trans-arabes modernes, puis ultérieurement aux chaînes
satellitaires.
Admettre le rôle pionnier et innovateur des chrétiens
Libanais dans le développement de la presse arabe et dans la
diffusion d’une pensée pluraliste au niveau transcontinental,
s’acquitter en quelque sorte de cette dette d’honneur, autorise
en contrepoint une lecture critique du bilan. L’exercice pour
difficile qu’il soit est néanmoins nécessaire. Il participe même
d’un acte de salubrité publique.
Références
1 – Le
synode spécial sur les Eglises d’Orient réunit, sous l’autorité
du Pape Benoît XVI, neuf patriarches, 72 archevêques, 67
évêques, 10 chefs de congrégations ainsi que des experts civils,
sous le thème «Les églises d’orient: témoignage et
participation». Tous les chrétiens dans le monde arabe ne sont
pas Arabes ce qui justifie le terme de chrétiens d’Orient, car
au delà des arabes chrétiens il existe des Arméniens (Liban Iran
Syrie) et des Assyro Chaldéens, majoritaires parmi les chrétiens
d’Irak. D’autres divisions sont apparues au quatrième siècle
(créant l’église arménienne), au cinquième siècle (assyrienne en
Mésopotamie et en Iran), au septième siècle (l’église maronite
au Liban). Avec les croisades, et plus tard, l’affaiblissement
de l’empire ottoman et la recherche de soutien en Europe,
certaines églises ont reconnu la primauté de Rome et ont été
appelées «Églises uniates».
Elles
ont gardé une grande autonomie et conservé leurs rites, leurs
coutumes, comme la possibilité pour des hommes mariés d’être
ordonnés prêtres, et leur langue liturgique (arabe, grec,
araméen, syriaque). Plus tard, au XVII e siècle, les Assyriens
en Mésopotamie et en Iran se sont scindés entre Chaldéens
(rattachés à Rome) et Assyriens (non uniates).
2- Le
Texte intégral du document pré synodal a été publié ans le
quotidien libanais d’expression française «L’Orient Le Jour» en
date du 20 janvier 2010
Suivra
2me
volet du papier sera diffusé le 15 octobre 2010
Chrétiens d’Orient: Le singulier destin des chrétiens arabes
part 2/2
I-L’équipée suicidaire des milices chrétiennes libanaises (1)
II- La «déconcertante alliance» du Hezbollah et du général
Michel Aoun (4)
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Publié le 16 octobre 2010 avec l'aimable autorisation de René Naba.
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