Opinion
An I de la
Révolution arabe: Hommage aux immolés
arabes
René
Naba
René Naba
Dimanche 15 janvier
2012
A la mémoire de Mohamad Bouazizi (04
Janvier 2011 Tunisie), Ahmad Hachem As-Sayyed
(Alexandrie Egypte, Janvier 2011),
Mohamad Al-Durah (Palestine, 12 ans),
Hamza Al-Khatib , (Syrie, 13 ans), Neda
Agha Soltan (Iran). Aux autres immolés
du Monde arabe. A tous les suppliciés de
la terre
Ce texte est une contribution de
l’auteur au Colloque «Faire corps»,
organisé par Calame.ca, groupe de
recherche en psychanalyse et
anthropologie historique – Montréal
Canada (1)
Le corps, forgeur
d’histoire
Obscur objet du désir ou élément de
l’imaginaire social? Interrogation
lancinante qui induit une réflexion
pluridisciplinaire relevant de
l’anthropologie et de l’anthropométrie,
de la biologie et de l’oncologie, de la
sociologie et de la psychologie, de la
théologie et de l’ontologie, de
l’hématologie et de l’histologie, de la
physiologie, voire même de la
philosophie, de la poésie et de la
littérature, dont la réponse ne saurait
provenir que d’une auscultation
méthodique du corps; une problématique
qui prescrit un déroulement du corps
dans tous ses états. Abordons donc le
sujet du corps avant d’entrer dans le
corps du sujet, sans préjugés ni
concession.
Que l’on se rassure toutefois. Un
rapide regard clinique suffit à assurer
que le corps représente un symbole
universel de la vitalité, tour à tour
adulé, hissé même au rang des canons
grecs de la beauté, exalté par les dieux
du stade et du sport, mais aussi mutilé
tant pour des raisons religieuses
(circoncision excision), que pour des
raisons esthétiques en ce que la
scarification se revendique comme la
sublimation ultime de la beauté par la
douleur.
I- Le sujet
du corps
Sujet majeur de la société, le corps
fait corps avec la société, de son passé
et de son avenir, de son devenir, de sa
culture et de sa problématique, de ses
projections et de ses envies, de ses
frustrations et de ses phobies, de ses
conquêtes et de ses défaites. Sous des
propos sirupeux et langoureux, son récit
emprunte au langage guerrier.
Objet de fantasmes, le corps est le
lieu de la confrontation symbolique
entre Orient et Occident en un mouvement
dissymétrique qui porte le Couchant à se
dévoiler –dénuder ?- au fur et à mesure
qu’il s’engouffre dans la société des
loisirs, quand le Levant se redresse, en
dress code, toutes voiles dehors, -à
s’enfouir ?- face à ce qu’il considère
comme sa dilution dans un faux happening
mondialisé.
Voilé, dévoilé, le corps est l’objet
d’un dévoiement. Son appropriation
s’apparente par moments à un viol de
propriété, à tout le moins à un abus de
bien social en ce qu’elle se fait
souvent par dépossession d’autrui. Dans
la confusion, naturellement, dans la
fusion, rarement. Uniquement sans doute
une telle hypothèse dans les contes de
fée. Sofitel 2806 New York (1) et
réflexologie plantaire (2) portent
témoignage de l’âpreté de la bataille.
Combat d’arrache pied, d’un corps à
corps épique ou dégradant, selon la
prévenance de l’un et le consentement de
l’autre, selon la prédation de l’un et
la victimisation de l’autre.
Obèse ou famélique, le corps
constitue la carte de la géographie
alimentaire de la planète, clivant les
sociétés d’abondance, des sociétés de
pénurie, la malbouffe, des gourmets, les
Fast Food, des toques étoilées. La
géographie de la carte du tendre,
lorsque la fièvre s’en empare, ou que le
diable s’en saisit, carte de la
tristesse, lorsqu’il bat froid le plus
ardent des soupirants incongrus, carte
du devoir, lorsque chevillé au corps, il
se révèle de marbre face à la plus
mirifique des propositions, carte de la
désolation, enfin, lorsqu’on y met toute
son âme, sans résultat.
II- Le corps
du sujet: Lieu de reproduction de la
vie.
A ce niveau de la dissection
symbolique, il peut paraître judicieux
au profane occidental de se plonger dans
l’objet de son fantasme exotique absolu:
le corps en Islam. Le sujet prête à
embarras. Une interprétation sommaire
des institutions liées dans l’imaginaire
collectif à la culture musulmane
(Polygamie, Hammam) suggère sinon un
laxisme du moins un hédonisme
socioreligieux de I’ Islam.
S’il dédaigne ce qui apparaît à d’autres
cultures comme étant les plaisirs de la
bonne chère, le champagne et le jambon
de Parme, l’Islam ne dédaigne pas les
plaisirs de la chair. Abondamment cité
par le Coran, le corps est en fait le
lieu privilégié d’une inscription
sociale ritualisée (3). Pour une étude
approfondie de ce sujet, voir à ce
propos:
http://www.renenaba.com/le-corps-en-islam/
une recension de l’ouvrage «Le Corps en
Islam» Malek Chebel (PUF Quadrige)
Au-delà des joutes spéculatives, il
importe toutefois de renouer le fil du
récit afin de refaire corps avec le
sujet, de faire corps avec la réalité.
Dans une société contemporaine en
voie de précarisation, de stigmatisation
et de marginalisation, le corps
s’enroule dans le voile pour en faire,
pour ses partisans, son corset
protecteur, un bien aussi précieux qu’un
bouclier fiscal pour un capitaliste. Un
signe d’affirmation de sa condition
exogène et de défiance à l’égard de son
environnement xénophobe. Un signe de
démarcation par une reconnaissance
dérivée de l’altérité. Un instrument de
régression sociale et d’asservissement
conjugal, pour se détracteurs.
En tout état de cause, le lieu par
excellence de la préservation du domaine
réservé, de l’intime, le lieu de la
jouissance et de la souffrance, le lieu
de l’épanouissement et du déploiement
narcissique du sujet.
Le corps est un marqueur. Avec ou sans
voile, il exulte, respire, transpire et
expire. Désarticulé, il est pantin.
Déconnecté, il est «légume». Même des
génies militaires, ou supposés tels,
n’échappent au court circuit, si robuste
soit leur constitution, si
pantagruélique fut leur appétit (4).
Le corps est le curseur de la
gradation de la vie et de sa
dégradation. Exhibitionniste ou
intimiste, corps juvénile, vivant,
dénudé, libéré, exalté, mais corps
mutilé, martyrisé, greffé, percé, botoxé.
Corps figé, anorexique. Squelette. Corps
incinéré, cendres et poussières. Le
néant. Un souvenir. Mâle ou femelle.
Nain ou géant. Dolichocéphale ou
broncocéphale. Homo ou hétéro. Au
paradis ou en enfer. Croyant ou
agnostique. Religieux ou laïc.
Prince charmant ou princesse au bois
dormant, il alimente les rêveries
enfantines. Sculptural, sa cambrure
nourrit les rêves inassouvis d’adultes
insatiables. Beauté divine, il est
l’objet d’une prosternation permanente.
Adulé, en tout âge, en tout lieu.
Momifié, il est vénéré à titre de
vestige d’une civilisation.
Farandole de sens, à travers les
âges, à travers les continents, ses
trémoussements se déclinent en une
symphonie inachevée de déhanchements, au
rythme trépignant du MAMBO et du Rock
and Roll, du Tango et du Charleston, de
la valse de Vienne et du Barambiche du
Sénégal, du break dance et de la danse
du ventre.
Juché sur un bûcher sous Jeanne
d’Arc, objet d’une hideuse traite
d’ébène à travers les siècles, réduit en
esclavage «aux temps bénis des
colonies», décimé jusqu’au dernier des
Mohicans lors de la conquête du Far
West, immortalisé en phase de
Renaissance par Michel Ange, Divin David
et Piéta, les rondeurs soulignées par
Rubens, émacié par El Greco et
Michelangelo Merisi da Caravaggio,
marchant sur la lune ou en apnée au fond
des océans, dérivant sur un radeau de
Méduse aux larges de Géricault, les boat
people du Golfe du Tonkin vers le
détroit de Malacca, des rives de
Carthage vers Lampedusa, gazé puis
carbonisé durant les deux guerres
mondiales du XX me siècle, expédié au
bagne à Cayenne puis déporté au Goulag,
fauché par la mitraille dans les combats
pour les droits civiques des noirs
américains, bombardé au napalm au
Vietnam, icône guevarienne des combats
de libération du tiers monde dans la
décennie 1960, ventre creux dans la
Corne de l’Afrique dans la décennie
1970, décimé de peste et de choléra, de
Sida par la déficience de son système de
défense immunitaire dans la décennie
1980, dé-routeur de char sur la place
Tien An men à Pékin dans la décennie
1990, assiégé à Beyrouth et à Gaza,
déchiqueté par les bombes à
fragmentation au sud-Liban, happé par le
Tsunami et Katarina (5), carbonisé à
Hiroshima et Nagasaki, à Tchernobyl et
Fukushima, électrocuté à Guantanamo et à
Abou Ghraib, Spartacus des temps
modernes en lanceur de chaussures sur le
président de la première puissance
militaire de tous les temps, bombes
humaines de la protestation inhumaine
contre la non reconnaissance de
l’humanité de la personne, le corps sera
l’immolation libératoire contre la
tyrannie arabe du printemps arabe de
l’an de grâce 2010-2011.
S’il est vrai qu’«au commencement
était le verbe», il est non moins vrai
que «le verbe s’est fait chair». Lieu de
reproduction de la vie, le corps est la
loi de la vie.
De Cro Magnon à Australopithèque, de
l’Homo Sapiens à Lucie, le corps est
l’histoire de la vie. L’histoire de
l’Humanité. Le corps a forcé l’histoire.
Le corps forge l’Histoire.
Références
1-Contribution au
Colloque «Faire corps», organisé par
Calame.ca, groupe de recherche en
psychanalyse et anthropologie
historique, sous la responsabilité de
Karim Jbeili Vendredi 21 octobre
-Dimanche 23 octobre- Maison de la
culture Côte des Neiges,5290, chemin de
la Côte-des-Neiges-Montréal, QC H3T 1T2.
L’objet de ce colloque était «de passer
par le biais du corps (matériel,
physique ou social) afin de réfléchir
sur la façon que l’humain a de se penser
et de penser la science. Les sciences
modernes montrent des signes
d’essoufflement. Elles semblent avoir
atteint les limites de leurs capacités
d’innover sans nuire; allant ainsi à
l’encontre de la prescription
d’Hippocrate: «D’abord ne pas nuire».
2- Sofitel 2806 New
York, du nom du numéro de chambre d’un
d’Hôtel, est le théâtre d’une effroyable
méprise conduisant Dominique Strauss
Khan, à l’époque Directeur du Fonds
Monétaire Internationale, à confondre
femme de chambre et robe de chambre,
débouchant sur sa comparution en
justice, le 14 Mai 2011.
3- Réflexologie
plantaire, médecine douce régulatrice
des céphalées, du transit intestinal par
simple application des mains sur les
zones sensibles de la voute plantaire
des pieds. Cet exercice appliqué à
mauvais escient à des collaboratrices
contraintes a valu à un ministre
Français, Georges Tron, ancien
secrétaire d’état à la fonction
publique, une comparution judiciaire.
4-Pour une étude
approfondie de ce sujet, voir à ce
propos:
http://www.renenaba.com/le-corps-en-islam/
une recension de l’ouvrage «Le Corps en
Islam» Malek Chebel (PUF Quadrige)
5-C’est le cas du
général Ariel Sharon, ancien premier
ministre israélien, foudre de guerre à
l’appétit pantagruélique, plongé dans le
coma depuis le 4 janvier 2006.
6-Tsunami, terme
japonais qui signifie ras de marée. Le
tsunami du 26 décembre 2004, sur les
rives de l’Asie méridionale a fait plus
de 200 000 morts. Katrina, l’un des
ouragans les plus puissants à avoir
frappé les Etats-Unis, le 29 août 2005,
à la Nouvelle Orléans, a fait
officiellement 1 836 morts.
© René Naba
Reçu de René Naba pour publication
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