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Jordanie / Maroc: Deux
voltigeurs de pointe de la diplomatie occidentale. Part 2/2
La CIA de l'un, le Mossad de
l'autre
René Naba
Paris, 13 décembre 2009
Hassan et Hussein ont manifesté très tôt un intérêt marqué pour
l’Occident, sans doute en raison de leur éducation, mais aussi
dans l’intérêt bien compris de la survie de leur trône. Si
l’Arabie saoudite est quadrillée par le FBI américain, une
trentaine de postes disséminée dans les principales villes du
Royaume pour déjouer les menées subversives contre la famille
royale et les installations américaines, le lien avec les
services de renseignement parait tout aussi direct en ce qui
concerne les deux autres monarques à en juger par les
informations parues dans la presse internationale… au point que
les deux monarchies, l’une pour le Machreq, le levant (la
Jordanie), et l’autre pour le Maghreb, le ponant (le Maroc)
apparaissent comme des voltigeurs de la pointe de la diplomatie
occidentale dans la sphère arabe.
Le cas du Maroc: Ben Barka enlevé avec l’aide du Mossad
Le journal Libre Belgique a fait paraître en date du 25 janvier
2008 une recension d’un livre d’un journaliste israélien dans
lequel l’écrivain détaille les liens très étroits entre Israël
et le Maroc, notamment la collaboration entre le Maroc et le
Mossad, le service israélien des renseignements, dans
l’enlèvement et la disparition de l’opposant marocain Mehdi Ben
Barka.
Le journaliste Shmouel Seguev, ancien capitaine des
renseignements militaires, puis correspondant à Paris du
quotidien Maariv, assure que le Mossad a indirectement permis
aux services secrets marocains de repérer l’opposant socialiste,
puis de le piéger: «Ben Barka, qui voyageait beaucoup à travers
le monde, se servait d’un kiosque à journaux à Genève comme
d’une boîte postale où il venait récupérer son courrier, et le
Mossad a donné cette information à Dlimi», écrit-il.
« Le 29 octobre 1965, Ben Barka est arrivé à Paris en provenance
de Genève, avec un passeport diplomatique algérien. Il a déposé
ses valises chez son ami Jo Ohanna, un juif marocain, et s’est
rendu à pied à la brasserie Lipp pour y rencontrer un
journaliste français, quand deux policiers français en civil
l’ont interpellé et conduit dans une voiture de location jusqu’à
une villa au sud de Paris. Nous savons avec certitude que Ben
Barka était encore en vie le 1er novembre (…) Dlimi ne voulait
pas le tuer, mais lui faire avouer son intention de renverser le
roi Hassan II, a-t-il ajouté. Ben Barka avait les chevilles
entravées et les mains nouées dans le dos, et Dlimi lui a plongé
la tête dans un bac rempli d’eau. A un moment donné, il a pressé
trop fort sur ses jugulaires, l’étranglant ainsi à mort « ,
a-t-il poursuivi. « Le ministre marocain de l’Intérieur, le
général Mohammed Oufkir, chef de la police secrète, est ensuite
arrivé à Paris pour organiser l’enterrement, qui s’est déroulé à
Paris, quelques jours après le décès, sur une aire en
construction, où il y avait du béton et du ciment, aux abords de
l’autoroute du Sud », a-t-il précisé.
Le colonel Ahmad Dlimi était à l’époque l’assistant du général
Mohamad Oufkir, ministre de l’intérieur. Patron de la Sûreté,
présent au tribunal, il sera acquitté. Le général Oufkir est
condamné, lui, par contumace à la réclusion criminelle à
perpétuité. Pourtant, les mêmes charges avaient été retenues
contre les deux responsables marocains. Mais l’arrêt de la cour
d’assises de la Seine jugeant l’Affaire Ben Barka, tombe le 5
juin 1967, jour du déclenchement la 3me guerre israélo-arabe de
juin 1967. Du coup, ce qu’il y avait d’incohérent, voire de
choquant dans cette disparité de jugement, passera alors
pratiquement inaperçu.
Mais tout autre aura été l’épilogue de cette ténébreuse affaire.
Comparable par son raffinement sadique aux moeurs des cours
florentines, il fera date dans les annales du royaume chérifien
pour son machiavélisme achevé, illustration symptomatique du
comportement d’un royaume pourtant coutumier de telles
pratiques, rarement égalées dans les pays arabes.
Leur forfait accompli, les deux tortionnaires seront expédiés ad
patres, manu militari, à onze ans d’intervalles,
instrumentalisés l’un contre l’autre dans une opération
d’autodestruction mutuelle, dans un rejet généralisé de
l’opinion marocaine, soulagée par l’élimination de ces deux
funestes personnages de sinistre mémoire.
Fidèle à Hassan lors des deux tentatives de coups d’état de 1971
et 1972, Ahmad Dlimi passe pour avoir personnellement exécuté
son supérieur, sur les ordres du roi, suspectant le général
Oufkir dans la mise en œuvre du coup d’État de 1972.
Son parricide assumé, le général Dlimi sera promu commandant en
chef de la zone Sud (Sahara) et patron de tous les services
secrets marocains, avant de connaître un sort identique à celui
de son mentor. Il décédera de mort violente, onze ans plus tard,
écrasé le 25 janvier 1983, par un camion fou à Marrakech, selon
la version officielle, à la veille de la visite officielle du
président français François Mitterrand au Maroc.
Selon une version ayant eu cours à l’époque, jamais confirmée ni
démentie, le général Dlimi aurait été sacrifié sur l’autel de la
raison d’état, victime de la rivalité entre la France et les
Etats Unis et de la volonté de l’officier marocain de s’ouvrir
sur l’Algérie et la Libye pour mettre un terme à la guerre du
Sahara occidental, alibi du régime, pointé du doigt par
l’administration conservatrice de Ronald Reagan peu désireuse de
lâcher du lest devant le camp soviétique et ses alliés arabes.
Quoiqu’il en soit, l’élimination brutale d’un des principaux
protagonistes de l’affaire Ben Barka a entraîné du même coup
l’élimination du principal exécutant des basses œuvres royales,
en même temps qu’elle prémunissait le trône de tout éventuel
chantage de ce témoin de premier plan désormais encombrant,
assurant à la dynastie chérifienne un silence éternel sur l’un
des méfaits les plus sinistres de son histoire pourtant riche en
ce domaine.
Le livre de Seguev, préfacé par un ancien chef du Mossad, le
service d’espionnage israélien, Ephraïm Halévy, a été publié en
hébreu par les éditions « Matar » sous le titre « Le lien
marocain ». Il fourmille de détails sur les relations secrètes
entre Israël et le Maroc.
Ainsi, écrit-il, lors déclenchement en 1963 de la guerre entre
le Maroc et l’Algérie, le chef du Mossad, Meir Amit, doté d’un
faux passeport, a rencontré à Marrakech le roi Hassan II pour
lui déclarer: «Nous pouvons, et nous voulons vous aider». Les
instructeurs d’Israël ont ensuite entraîné des officiers
marocains, formé des aviateurs au pilotage de Migs-17
soviétiques, organisé ses services secrets, surveillé la
construction de la barrière entre le Maroc et l’Algérie, vendu
des armes, y compris des chars AMX-13 français via Téhéran, et
équipé des embarcations de pêche avec des radars pour les
transformer en gardes côtes.
De même en 1965, Israël a pu suivre le sommet arabe de
Casablanca et a ainsi découvert l’impréparation des armées
arabes bien avant la guerre de juin 1967, a-t-il poursuivi.
Seguev consacre aussi dans son livre une place importante aux
pourparlers du Mossad avec le roi Hassan II, qui ont préludé à
la rencontre secrète au Maroc du ministre israélien des Affaires
étrangères Moshé Dayan avec le vice-Premier ministre égyptien
Hassan al Touhami, puis au voyage historique du président
égyptien Anouar Sadate à Jérusalem en 1977.
Le Maroc constituait, il est vrai, une pièce maîtresse du
dispositif occidental contre le bloc communiste. Paris avait
aménagé à l’époque de la guerre froide soviéto-américaine
(1945-1990) une importante ambassade à Rabat de mille personnes,
la plus importante après celle de Washington, en vue de servir
de base de repli au haut commandement politique et militaire
français en cas d’invasion de Paris par les troupes communistes
dans le cadre de la stratégie du «Stand Behind». Le Royaume
abritait par ailleurs la plateforme opérationnelle du Strategic
Air Command américain de l’aéroport Mohammed V de Casablanca
(Maroc), relié par un câble coaxial directement à Bizerte
(Tunisie), la base navale qui faisait office du temps du
protectorat français de centre d’écoute radar pour le compte de
l’Otan. Commandant le canal de Sicile sur la route reliant
Gibraltar à Suez, Bizerte, au même titre que Brest, Toulon, et
Mers el Kébir (Algérie), représentait un maillon de la chaîne
des bases nécessaires à la défense française et à son dispositif
atomique, et, au delà, à l’OTAN.
Et ceci pouvait expliquer cela…..Que le Roi Hassan II inflige un
camouflet au prestigieux président français de l’époque, le
Général Charles De Gaulle, en bafouant la souveraineté
française, -l’enlèvement d’un opposant marocain en plein Paris
avec la complicité d’agents français– en toute impunité, sans
craindre des représailles.
Le cas de la Jordanie, un roi indic ?
Le cas de la Jordanie est bien plus consternant puisqu’en
l’occurrence c’est le Roi en personne qui faisait office
d’indicateur attitré de la CIA, à en juger par les révélations
d’un témoin majeur de la vie politique arabe du dernier demi
siècle, le journaliste égyptien Mohamad Hassanein Haykal.
L’ancien confident du président égyptien Gamal Abdel Nasser
relate, dans une série d’entretiens diffusés en Août 2009, sur
la chaîne transarabe «Al Jazira» que le Roi Hussein de Jordanie
a fait office pendant 17 ans, de 1957 à 1975, d’agent de la CIA,
(Central Intelligence Agency), l’agence centrale de
renseignement des Etats-Unis, sous le pseudonyme de «NO BEEF»
pour un salaire annuel de un million de dollars.
«A la veille de la 3eme guerre israélo-arabe de juin 1967, le
Roi a fait évacuer sa flotte de combat mettant à l’abri en
Turquie 16 chasseurs-bombardiers Phantom pour empêcher que
l’Egypte ne s’en serve dans ses raids programmés contre Israël»,
a déclaré l’ancien directeur du quotidien égyptien «Al-Ahram».
«La Jordanie a déploré la perte de seize soldat durant cette
guerre. Le Roi n’a pas livré bataille, préférant céder sans
combat la Cisjordanie à Israël, soit la moitié du territoire de
son royaume, se débarrassant ainsi d’un foyer nationaliste qui
risquait de menacer la stabilité des assises bédouines du trône
hachémite», a-t-il poursuivi
Récidiviste, le Roi Hussein s’envolera en octobre 1973 vers Tel
Aviv pour informer directement le premier ministre israélien de
l’époque Mme Golda Meir des préparatifs de l’offensive syro
égyptienne, affirmera en outre M. Haykal.
Dans un autre article, Jim Hoagland, influent éditorialiste du
Washington Post, rappelle que le roi Hussein a été payé par la
CIA («on the CIA payroll»), ce qui signifie littéralement sur la
liste d’émargement, durant les années 1970 et qu’il n’a pas
hésité à s’allier au président syrien Hafez El-Assad dans les
années 1980, et au président irakien Saddam Hussein durant la
guerre du Golfe. Cet article intitulé «Another Royal Mistake in
Jordan ?», a été reproduit par l’International Herald Tribune,
en date du 1er février 1999.
Selon le journaliste égyptien, le président américain Jimmy
Carter (1977 à 1981) en personne a informé le journaliste
américain Ben Bradley, rédacteur en chef du Washington Post, et
son collaborateur Bob Woodward, un des révélateurs du scandale
du Watergate sous l’ère Nixon, de la présence du Roi Hussein de
Jordanie parmi les agents actifs de la CIA au Moyen Orient.
Les révélations de Mohamad Hassanein Haykal sur la connivence
des deux pays avec le services occidentaux ont suscité une
violente réaction des deux monarchies conduisant à un boycott de
la chaîne transfrontière arabe, mais nul dans ses deux royaumes
ne s’est hasardé à interpeller les deux monarchies sur leurs
connections présumées avec les services de renseignements de
pays supposés être les ennemis du monde arabe.
Il en a été de même lorsque le journal transarabe «Al-Qods al
Arabi», paraissant à Londres, avait annoncé le 25 septembre 2009
que le ministre marocain des Affaires étrangères Taïeb Fassi
Fihri avait rencontré son homologue israélien Avigdor
Liebermann, à New York, en marge de la session annuelle de
l’Assemblée générale des Nations Unies.
Alors que l’Arabie saoudite proclamait son refus de toute
normalisation avec Israël avant un règlement d’ensemble du
contentieux israélo-arabe, et que l’Egypte, pourtant signataire
d’un traité de paix avec Israël, limitait ses contacts au
premier ministre israélien Benyamin Netanyahu et au ministre de
la défense Ehud Barack, sabordant la réunion annuelle de l’Union
Pour la Méditerranée fin octobre en Turquie afin de barrer la
route à la présence du ministre israélien des affaires
étrangères qui passe pour être l’un des dirigeants israéliens le
plus xénophobes de l’histoire israélienne, le chef de la
diplomatie marocaine légitimait ainsi en catimini un personnage
ostracisé par les pays arabes et certains de ses alliés
occidentaux, sans que cette information n’ait suscité le moindre
commentaire du Maroc.
Haykal indique que le commandement égyptien était gravement
préoccupé des fuites militaires et qu’il a été grandement étonné
de découvrir qu’un des indicateurs des services américains était
un roi arabe. Il impute à l’absence de fiabilité de certains
dirigeants arabes une part des défaites militaires arabes.
Ceci pourrait expliquer cela.
Beaucoup d’autres exemples d’identiques infamies pourraient être
citées ailleurs dans le Monde arabe. Mais que deux dirigeants
arabes se revendiquant de la descendance du prophète, enfants
chéris de l’Amérique, privilégient la survie de leur trône, au
risque de sacrifier les intérêts à long terme du monde arabe, en
s’alliant avec l’ennemi officiel du monde arabe, éclaire d’un
jour nouveau le collapsus arabe et la marginalisation du Monde
arabe qui s‘est ensuivie dans la gestion des affaires du monde.
«Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les
problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation
décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux sur
ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.
Une civilisation qui ruse avec ses principes est une
civilisation moribonde».
Aimé Césaire: Discours sur le colonialisme, 1955
Cauda
En complément au dossier «Jordanie et Maroc, les voltigeurs
de pointe de la diplomatie occidentale» dans la sphère arabe.
renenaba.com publie, en additif:
• Un encadre sur l’affaire Ben Barka
• Des extraits d’une étude de M. Abraham Sarfaty sur la
problématique du judaïsme marocain et son rapport au sionisme.
Une étude parue dans la Revue Souffles numéro spécial 15, 3e
trimestre 1969.
Ce troisième volet du papier sera publié le 15
décembre
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Publié le 13 décembre 2009 avec l'aimable autorisation de René Naba.
Les
textes de René Naba
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