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Blog René Naba - Irak/Etats-Unis
Moqtada
Sadr, Le plus emblématique opposant à l’occupation américaine
de l’Irak, un scalp idéal pour George Bush en fin de mandat
René Naba
Paris le, 12 avril 2008
Pour la deuxième fois depuis l’invasion américaine de
l’Irak, il y a cinq ans, le pouvoir irakien, puissamment secondé
par les Américains et les Britanniques, a engagé le combat
contre Moqtada Sadr, au printemps 2008 à Bagdad et Bassorah (sud
de l’Irak), en vue de mettre au pas ce jeune dignitaire
nationaliste chiite, dans une quête désespérée d’un succès
politique et militaire qui gommerait d’un coup la pire
catastrophe géostratégique du monde occidental depuis la chute
de Saigon (1975) et du Chah d’Iran (1979), il y a trente ans.
Les pertes militaires américaines en Irak s’élevaient au 7
avril 2008, à 4.023 soldats tués, 430 suicides au sein des
militaires en activité, un nombre sensiblement plus élevé parmi
les anciens combattants, soit un taux de suicide chez les
fantassins de l’ordre de 17,3 sur 100.000 soldats contre 11,10
pour l’ensemble de la population américaine, selon le «Departement
of Veteran Affairs », avec en arrière-plan un surcoût financier
de 420 milliards de dollars et des dommages collatéraux
substantiels de 200.00 civils irakiens tués, près d’un million
de blessés et trois millions de déplacés.
Face au bilan calamiteux américain en Irak aux effets
corrosifs sans doute comparables à la défaite soviétique en
Afghanistan (1980-1989), Moqtada Sadr, le plus emblématique
opposant à l’occupation américaine, apparaît, au même titre
que Cheikh Hassan Nasrallah, chef du mouvement chiite libanais
Hezbollah, comme le scalp idéal qui justifierait a posteriori
l’équipée américaine en Irak et légitimerait toute la stratégie
américaine au Moyen-Orient.
I- La bataille de Najaf en 2004
En Août 2004, à Najaf, ville sainte chiite,
l’administration néo-conservatrice avait caressé le projet de
défaire le chef religieux dans son propre sanctuaire, en pleine
campagne présidentielle américaine visant à la reconduction du
mandat du Président George Bush.
Dans la foulée de la destruction du fief sunnite de Falloujah
(avril 2004), la bataille de Najaf, marquée par l’intervention
massive des mercenaires de la firme américaine «Blackwater»
avait constitué la première épreuve de force entre Américains
et les adversaires chiites de l’occupation américaine de
l’Irak, regroupés autour de Moqtad Sadr.
Par son ampleur, la combativité des miliciens sadristes, et
son dénouement, Najaf est apparue rétrospectivement comme
fondatrice d’une nouvelle légitimité de Moqtada Sadr, le
propulsant au centre du jeu politique irakien, surclassant de loin
les autres protagonistes. Les combats avaient en effet cessé par
suite de l’intervention de l’Ayatollah Ali Sistani,
l’autorité suprême chiite en Irak, qui redoutait un désaveu
de ses coreligionnaires surpris par son silence qu’ils
assimilaient à une complicité passive. L’ayatollah Sistani
s’était en effet envolé vers Londres à la veille des combats
et n’était retourné que pour ordonner un cessez le feu.
En Avril 2004, qui passe pour avoir été l'un des points les
plus chauds de la confrontation américano-irakienne, 80
mercenaires avaient été tués dans les batailles de Falloujah,
de Bagdad et de Nadjaf, dont 14 dans la première quinzaine
d'Avril. C'est d'ailleurs la capture et la mutilation de quatre
mercenaires à proximité de Falloujah, dans le secteur sunnite de
l'Irak, qui a déclenché les batailles d'avril.
Récidiviste, Blackwater s'illustrera trois mois plus tard dans la
deuxième grande bataille d'Irak, la bataille de Najaf, dans le
sud de l'Irak, lieu saint chiite et fief de Moqtada Sadr. La firme
avait assuré la protection du quartier général de la coalition
provisoire irakienne à Najaf. Le Washington Post avait affirmé
à l'époque que la défense du bâtiment avait été assurée par
des hommes de Blackwater et qu'au plus fort de la bataille, les
mercenaires s'étaient fait ravitailler en munitions par trois de
leurs propres hélicoptères, s'attirant les félicitations
publiques du général en charge des opérations de sécurité en
Irak, alors que les mercenaires ne font traditionnellement pas
partie de la chaîne de commandement de l'armée américaine.
II - La bataille de Bassorah en 2008
Quatre ans plus tard, la bataille de Bassorah, en Mars-Avril
2008, intervient dans un contexte radicalement différent, alors
que le 2me mandat de George Bush touche à sa fin et que
l’administration américaine fait l’objet de pressions
multiples visant au retrait du corps expéditionnaire d’Irak.
Coïncidant avec l’envoi d’une flottille navale américaine
au large de Beyrouth et la démission de l’Amiral William
Fallon, commandant du théâtre des opérations du Moyen-Orient,
la bataille de Bassorah tend à accréditer l’hypothèse d’une
action militaire contre l’Iran ou la Syrie, les deux
obstructeurs à l’hégémonie israélo-américaine dans la zone,
à tout le moins à faire monter d’un cran la tension régionale,
sur fond de grandes manœuvres militaires syriennes et israéliennes
dans la zone frontalière des deux pays et d’informations de
presse faisant état du renforcement de la coopération militaire
russo-syrienne. La reprise des hostilités en Irak survient en
outre sur fond de tension syro-saoudienne résultant tant du
blocage de l’élection présidentielle au Liban que des
suspicions nourries par la Syrie sur une éventuelle connivence
des Saoudiens et des Jordaniens avec les services israéliens dans
l’assassinat, en mars à Damas, d’Imad Moughnieh, le chef
militaire du Hezbollah, faisant craindre un règlement de compte
entre Chiites et Sunnites à l’échelle régionale.
Plus précisément son objectif vise à briser l’emprise du
dignitaire chiite et son prosélytisme religieux sur cette métropole
située à la jonction stratégique du Koweït et du Chatt el
Arab, la voie d’eau séparant l’Irak de l’Iran, de sécuriser
les gisements pétroliers du sud de l’Irak, de même que l’axe
routier Bagdad-Koweït long d’un millier de km par où transite
le ravitaillement des troupes américaines via cette ville
portuaire qui constitue avec le terminal de Fao, l’un des deux débouchés
maritimes de l’Irak.
Né en 1973 à Koufa, ville sainte proche du sanctuaire de
Najaf, disposant du titre de Sayyid qui signe son appartenance à
la descendance du prophète, Moqtada Sadr occupe une place singulière
dans l’échiquier irakien. Frappé d’un triple sceau de légitimité
-spirituelle, nationaliste et populaire-, il est le seul dirigeant
irakien d’envergure nationale à n’avoir jamais transigé sur
ces principes, encore moins pactisé avec ce qu’il considère être
ses «ennemis», contrairement aux autres factions irakiennes
Si les Kurdes passent pour les supplétifs des Américains et
les Chiites inféodés à l’Iran, notamment les partisans de M.
Abdel Aziz Hakim, chef de l’Armée Islamique du Salut, les
Sunnites paraissent, eux, partagés entre partisans du mouvement
clandestin «Al-Qaeda» et sympathisants de la guérilla baasiste
épaulée par d’anciens agents des services irakiens.
Moqtada Sadr émerge, lui, du lot en tant que dirigeant
religieux nationaliste, disposant d’une large autonomie qui le
place à l’abri d’une allégeance contraignante, à la
remorque d’aucune puissance. De par son profil et son parcours,
il est le scalp idéal irakien d’un président américain en fin
de mandat, une «prise de guerre» à l’effet de magnifier le
bilan de sa «guerre mondiale contre le terrorisme», à l’effet
de magnifier son bilan présidentiel tout court.
Les combats de Bassorah ont fait 700 morts dans les rangs
sadristes en mars et 40 autres à Sadr City, la banlieue populeuse
du Nord-Est de Bagdad, et l’un des fiefs de chef chiite,
dimanche 6 avril et lundi 7 avril, à la veille de la grande
manifestation commémorant le 5me anniversaire de la chute de la
capitale irakienne aux mains des Américains. A la veille de cette
manifestation, le premier ministre Noury al-Malki a menacé de
bannir Moqtada Sadr de la vie politique irakienne si le dignitaire
religieux n’ordonnait pas la dissolution de sa milice, forte de
60.000 combattants et regroupés au sein de «l’Armée du Mahdi».
Se voulant comme une démonstration de force contre
l’occupation américaine en même temps qu’un plébiscite
populaire en faveur du dignitaire religieux, une manifestation prévue
pour le 9 avril, commémorant le cinquième anniversaire de la
chute de Bagdad, a été annulée. En réplique, les partisans du
chef chiite ont dressé des barricades sur la route menant à leur
fief de «Sadr-city »et menacé de rompre la trêve qui les lie
au gouvernement central depuis Août 2007. Près d’un millier de
soldats gouvernementaux ont préféré rallié les rangs de
l’Armée du Mahdi» plutôt que de réceptionner la reddition
des armes des insurgés.
Le scénario pourrait donc se dérouler selon un schéma
contraire à celui conçu par les stratèges républicains:
-D’abord, Moqtada Sadr n’a pas pour vocation d’être une
victime sacrificielle que l’on immole pour apaiser la colère
des dieux, selon les rites anciens des sociétés primitives, ou
dans le cas d’espèce, pour satisfaire les ambitions post-présidentielles
de George Bush.
-Ensuite, Moqtada Sadr n’est pas un «Imam radical», comme
la presse occidentale se plait à qualifier quiconque s’oppose
à l’hégémonie américaine.
C’est un religieux chiite, dont la famille par le double
assassinat de son père (2000), l’Ayatollah Mohamad Sadek
as-Sadr, et de son oncle (1989) a payé un lourd tribut à son
opposition à Saddam Hussein, l’ancien protégé des
Occidentaux. Non un «exilé de l’extérieur» mais un résistant
de l’intérieur tant à Saddam qu’aux Américains. La dénomination
de la banlieue populeuse du sud de Bagdad du nom patronymique de
sa famille «Sadr-city » témoigne de la ferveur populaire dont
il bénéficie au sein des classes défavorisées de la société
irakienne. Moqtada Sadr est en somme le contraire des nouveaux
dirigeants irakiens, notamment les kurdes et une fraction des
chiites, tel le banquier Ahmad Chalabi, venus au pouvoir dans les
fourgons de l’armée américaine.
Au regard des états de service de sa famille, l’assassinat
de deux dignitaires religieux, son patriotisme ne saurait souffrir
la moindre suspicion. Il ne saurait prêter même à la moindre
contestation, contrairement à bon nombre de nouveaux dirigeants y
compris chiites, tel l’ancien premier ministre Iyad Allaoui,
ancien militant bassiste, opportunément reconverti dans la
collaboration avec les services occidentaux, dont il a été un
agent attitré, à l’instar de M. Ahmad Chalabi.
-Enfin, Moqtada Sadr, dans la léthargie arabe, est
certainement un agitateur d’idées, certainement pas un
perturbateur. Le jeune chef rebelle, fougueux, est le grand
perturbateur de la mise au pas américaine de l’Irak. C’est le
principal grief qui peut lui être adressé.
Les nouveaux dirigeants irakiens, tant Chiites que Kurdes,
pensaient pouvoir glaner le pouvoir à Bagdad, dans le sillage
docile de l’occupation américaine. Mais l’arrogance, la
corruption et les erreurs dont ils ont fait preuve et qui
constituent la marque caractéristique du zèle des opportunistes,
a nourri un mécontentement populaire et grossi d’autant les
rangs des partisans de Moqtada.
Sa légitimité religieuse est autant sinon plus authentique
que celle des dignitaires religieux chiites, les exilés de
l’extérieur, planqués à Londres au temps de la répression.
Sa légitimité se nourrit d’ailleurs directement,
paradoxalement, de l’illégitimité de ses contestataires. Car
il n’est pas sain de développer, depuis son lieu d’exil
londonien, toute une littérature sur les Droits de l’Homme et
les injustices dont a pâti le chiisme irakien à travers
l’histoire du pays, pour finir par apporter sa caution à
l’assaut des forces américaines contre un des hauts lieux saint
de l’Islam chiite, le sanctuaire de Najaf.
Une telle attitude d’incohérence discrédite le discours de
son auteur. Cela a été exactement le cas des trois chiites
commis d’office par les Américains au premier gouvernement de
l’Irak post-saddam: Le premier ministre Iyad Allaoui, le
ministre de la défense Hazem Chaalane, ainsi que le conseiller
pour la sécurité Mouaffac Al-Roubai, tous trois titulaires
d’un doctorat en médecine, tous trois d’anciens membres
actifs des comités irakiens des Droits de l’Homme depuis leur
exil londonien et prosateurs des souffrances des chiites irakiens.
Face à l’assaut américain contre le sanctuaire de Najaf, défendu
par Moqtada Sadr en Août 2004, la seule protestation émise a émané
des organisations en lutte contre l’hégémonie israélo américaine,
le Hamas palestinien, le Hezbollah libanais, la confrérie des Frères
musulmans en Egypte, ainsi que les chefs des mouvements islamistes
du Maroc et de Tunisie respectivement Cheikh Yacine et Rachid
Ghannouchi. Un mutisme comparable à celui observé à l’égard
du Hezbollah, en 2006, lors de la guerre destructrice d’Israël
contre le Liban. Un mutisme identique à celui observé au
printemps 2008 face à l’assaut américain de Bassorah.
A trop laisser la place vacante aux islamistes sur le champ de
bataille, à déserter le terrain, la vacance finit par se prendre
et avec elle la direction des opérations d’autant plus aisément
que l’Amérique a renoncé depuis longtemps à son rôle d’«honnête
courtier» entre Israël et les Etats arabes et que face à une démission
arabe quasi-généralisée, les combattants islamistes, tant
sunnites que chiites, demeurent, par les armes, au péril de leur
vie, les seuls contestataires du nouvel ordre américain.
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Publié le 10 avril 2008 avec l'aimable autorisation de René Naba
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