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Blog René Naba
L'automne des
Patriarches:
Le sommet de Damas, un forum de la gérontologie arabe
René Naba
Paris le,
10 mars 2008
Paris - Le Sommet arabe de Damas, s’il devait
se tenir à la date prévue fin mars, s’apparenterait à un forum
de gérontocrates à en juger par l’âge moyen des participants qui
comptent dans leurs rangs notamment deux octogénaires confirmés
(Arabie saoudite et Egypte), le double de septuagénaires
(Algérie, Koweït, Oman et Yémen), alors que le doyen des chefs
d’état arabes, le colonel libyen Mouammar al-Kadhafi, bat un
record de longévité politique avec 39 ans de pouvoir.
A croire que les dirigeants arabes n’ont pas pris la pleine
mesure ni de leur de discrédit, ni de l’état de désagrégation du
système politique arabe, forts occupés qu’ils sont avec leur
guerre picrocholine.
Pourtant la géostratégie tectonique impulsée par les
attentats anti-américains du 11 septembre 2001 et la collusion
frontale qui s’est ensuivie en Afghanistan et en Irak contre les
deux plus importants foyers de percussion de la stratégie
régionale de l’axe saoudo américain dans la sphère
arabo-musulmane, si elle a constitué un acte fondateur d’une
nouvelle forme de subversion transnationale anti-occidentale, a
signé tout autant un acte de rupture avec l’ordre arabe ancien.
La stratégie cathartique entre les anciens partenaires
essentiels de l’époque de la guerre froide soviéto-américaine,
-les islamistes de la mouvance saoudienne anti-soviétique et
leur parrain américain- a en effet surtout révélé la corrosivité
de l’instrumentalisation abusive de la religion comme arme du
combat politique, en même temps qu’elle mettait à nu la cécité
politique américaine, la vulnérabilité de l’espace national des
Etats-Unis, l’impéritie des dirigeants arabes, la vacuité
intellectuelle de leurs élites et l’inanité d’un ravalement de
façade d’édifices lézardés du système politique arabe tel qu’il
a fonctionné depuis l’indépendance des pays arabes au lendemain
de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945).
En dépit de ce séisme, aucune refonte du système politique
arabe ne semble s’être opérée. Le rajeunissement du leadership
arabe à la faveur des successions politiques des deux dernières
années du XX me siècle -Abdallah II en Jordanie, Mohammad VI au
Maroc, Bachar Al-Assad en Syrie et Salman Ben Issa à Bahreïn-,
conjugué à l'explosion médiatique dont les pays arabes ont été
le théâtre depuis un quart de siècle avaient paru accréditer
l’idée d'un monde arabe au diapason de la modernité, adhérant
sinon à la démocratie du moins à son succédané, son expression
moderne et formelle, la démocratie cathodique impulsée par la
société de l'information. Ces mutations ne devaient cependant
pas faire illusion. La relève dynastique a certes assuré une
transition en douceur des générations, à l’opposé de la valse
des coups d’état des précédentes décennies, mais le
renouvellement des équipes dirigeantes n'a pas pour autant
impliqué une régénérescence du pouvoir.
Le fait du prince demeure la loi générale: la destitution
brutale du prince héritier tutélaire Hassan de Jordanie et son
remplacement par le propre fils du Roi Hussein quelques jours
avant le décès du monarque hachémite, en 2000, la réitération du
même coup de force du nouveau Roi Abdallah II à l’encontre de
son frère cadet Hamza destitué en 2004 selon le même procédé en
dépit des injonctions de leur père commun Hussein, de même que
l'instauration en Syrie d'une dynastie républicaine, une
"République Monarchique", avec l’intronisation en guise de
successeur à la tête d'un état républicain du propre fils du
président défunt Hafez Al-Assad, ainsi que les velléités du
président égyptien Hosni Moubarak et le président libyen
Mouammar Al-Kadhafi de céder en héritage leur pouvoir à leur
progéniture, respectivement Gamal Moubarak et Seif El Islam
Kadhafi, traduisent la persistance d'une ancestrale conception
autocratique et patrimoniale du pouvoir.
Depuis la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, l’Arabie
saoudite a connu six monarques (Abdel Aziz, Saoud, Fayçal,
Khaled et Fahd et Abdallah), de même que l’Egypte quatre
dirigeants (Roi Farouk, Gamal Abdel Nasser, Anouar El-Sadate,
Hosni Moubarak), et la Jordanie, également quatre (les rois
Abdallah, Talal, Hussein et Abdallah II), la Libye et la
Tunisie, deux dirigeants pour chaque pays, le Roi Idriss
Senoussi et le colonel Kadhafi pour le premier, Habib Bourguiba
et Zine Abedine Ben Ali pour le second. En comparaison, les
Etats-Unis ont été dirigés par douze présidents durant cette
même période (Franklin Roosevelt, Harry Truman, Dwight
Eisenhower, John Kennedy, Lyndon Johnson, Richard Nixon, Gerald
Ford, Jimmy Carter, Ronald Reagan, George Bush, Bill Clinton et
George Bush jr), et la France par sept présidents (Vincent
Auriol, René Coty, Charles De Gaulle, Georges Pompidou, Valéry
Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac,
Nicolas Sarkozy).
Signe d'une personnalisation excessive du pouvoir rarement
égalée, le Monde arabe détient le record de longévité politique
pour ses dirigeants et le record d’adhésion formelle par le
nombre de suffrages recueillis. Sans compter le Roi Hussein de
Jordanie (47 ans de règne), le Roi Hassan du Maroc (37 ans de
pouvoir) et le président syrien Hafez Al-Assad (30 ans de
pouvoir) tous trois décédés respectivement -les monarques en
1999 et le président en l'an 2.000-, cinq dirigeants arabes sont
aux commandes depuis près de quarante ans, le colonel Mouammar
Kadhafi Libye (septembre 1969), 39 ans de pouvoir, doyen
effectif et paradoxalement l’un des moins âgés des chefs d’Etats
arabes, suivi du Sultan Qabous d'Oman (1972), 36 ans de pouvoir,
sans compter le Président égyptien Hosni Moubarak, (1981), 27
ans de pouvoir, le Roi Fahd d’Arabie, monté au trône en 1982 et
décédé en Août 2005 au terme de vingt trois ans de règne dont la
moitié en état d’hémiplégie et les tous derniers le président
tunisien Zine El-Abidine Ben Ali (1987), 21 ans de pouvoir en
dépit de sa maladie ou même Abdel Aziz Bouteflika, 10 ans de
pouvoir et candidat potentiel à un troisième mandat malgré sa
maladie. A la décharge du président algérien, il est vrai, un
incomparable palmarès de diplomate, qu’aucun autocrate ne
saurait égaler.
Singulièrement, la longévité ne s'est accompagnée du moindre
phénomène de saturation, encore moins du moindre phénomène de
rejet. Telle une éblouissante parade de début de siècle, les
dirigeants arabes ont atteint des pics de popularité inégalés
lors des dernières consultations du XX me siècle. Rien que pour
1999, le président égyptien Hosni Moubarak a été reconduit dans
ses fonctions pour un quatrième mandat de six ans par 93,7 pour
cent de voix, légèrement devancé par le président yéménite Ali
Abdallah Saleh, confirmé dans ses fonctions par 96,3% de voix.
La palme revient toutefois au président tunisien Ben Ali, un
novice avec ses 21 ans de pouvoir, avec un record mondial absolu
(99,98 pour cent des voix), à égalité avec les deux "monstres
sacrés" du monde arabe: l'irakien Saddam Hussein (99,96%) et le
syrien Hafez Al-Assad, reconduit dans ses fonctions peu de temps
avant son décès, pour un nouveau mandat de sept ans par 99,87%
des électeurs. Une autocratie même pluraliste, l’histoire
l’enseigne, engendre rarement une démocratie, plus souvent une
théocratie, un des éléments d’explication du collapsus arabe.
Chef de file du combat indépendantiste arabe, l’Egypte n’est
plus que l’ombre d’elle-même, vouée au rôle peu glorieux de sous
traitant de la diplomatie américaine sur le plan régional. Le
plus grand et le plus peuplé pays du monde arabe avec 80
millions d’habitants, est au bord de l’implosion sociale avec 34
% d’Egyptiens vivant en dessous du seuil de pauvreté, avec moins
de deux dollars par jour. Depuis le revirement proaméricain de
Sadate, en 1978, et son traité de paix avec Israël, il y a
trente ans, il fonctionne sur un mode binôme, le pouvoir
politique à la bureaucratie militaire, la gestion culturelle de
la sphère civile -matérialisée par le rétablissement du crime
d’apostasie- au zèle prosélyte de l’organisation des Frères
Musulmans. Sous la menace islamiste, l’Egypte navigue ainsi
entre corruption, régression économique et répression, avec 1,3
millions de flics employés par le ministère de l’Intérieur et
plusieurs milliers de prisonniers politiques.
Quant à l’Arabie saoudite, le plus prosélyte des Etats
musulmans, qui aura mené sous la houlette américaine un furieux
combat contre l’athéisme marxiste tant en Asie (Afghanistan),
qu’en Amérique latine (Nicaragua), à des milliers de km du champ
de bataille de la Palestine, elle paraît comme tétanisé par la
naissance d’un nouvel état musulman au sein du continent
européen: le Kosovo, seul état au monde avec Israël à avoir
procédé d‘ailleurs à une déclaration unilatérale d’indépendance
avec la protection américaine.
Plutôt que de rappeler à leurs obligations leurs alliés
américains en ordonnant la proclamation de l’indépendance de la
Palestine, requête qui serait somme toute légitime de la part
d’un pays auteur d’un double plan de paix pour la solution du
conflit israélo-arabe, loin de se réjouir de cette percée
musulmane, la dynastie Wahhabite en redoute les effets
centrifuges sur le Royaume notamment de la part de son ancien
bras armé, Oussama Ben Laden, qui revendique face «aux impies
wahhabites» la constitution d’une «République islamique du
Hedjaz» sur le territoire englobant les Lieux Saints de l’Islam
-La Mecque et Médine- autour de la métropole portuaire de
Djeddah. Des effets centrifuges aussi en Irak (Kurdistan), au
Maroc (République arabe Sahraouie et Démocratique). Des effets
centrifuges sur l’intégrité et la stabilité des alliés de
l’Amérique. Juste retour des choses en somme.
Pour en savoir plus
-A propos de l’Egypte : Renenabablog.fr
remet en mémoire «l’Egypte dans la tourmente islamiste», un
papier vieux de douze ans qui diagnostiquait le mal égyptien qui
n’a fait qu’empirer, faisant du plus grand pays arabe, un poids
mort sur l’échiquier politique dont l’utilité est de servir de
courroie de transmission à la diplomatie américaine.
-A propos de l’Arabie saoudite :
Renenabablog.fr vous propose aussi en Flashback «La grande
frayeur de la dynastie wahhabite», un papier daté de 1995 passé
quasiment inaperçu à l’époque tant le nouveau croquemitaine de
la scène internationale Oussama Ben Laden était quasiment
inconnu à l’époque, un papier qui éclaire un aspect méconnu du
contentieux à l’origine de la déflagration entre le Royaume et
son ancien ressortissant.
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Publié le 10 mars 2008 avec l'aimable autorisation de René Naba
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