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Blog René Naba
Liban:
Présidentielles
Un président au terme d’une vacance de pouvoir sans précédent,
d’une jonglerie juridique sans pareille
René Naba
Paris le, 7 janvier 2008
Sauf rebondissement, le Liban devrait se doter d’un nouveau
président, le 12 janvier, au terme d’une vacance de pouvoir,
sans précédent dans les annales de la République libanaise, au
moyen d’une jonglerie juridique, sans pareille dans l’Histoire
de ce pays et sans doute des pays se réclamant de la Démocratie.
Le parlement est convoqué à cette date en vue de réformer la
constitution et élire à la Présidence de la République, le
commandant en chef de l’armée, le Général Michel Souleimane,
candidat de la coalition pro-occidentale.
La constitution libanaise prohibe, en effet, à tout détenteur
d’une fonction d’autorité au sein de la haute fonction
publique de postuler à la magistrature suprême s’il n’a
renoncé à sa charge dans les six mois précédant l’élection
présidentielle.
Ce dispositif répond en principe au souci du personnel
politique libanais de prévenir tout abus de position dominante
dans la compétition présidentielle. Sa fonction implicite vise
en fait à barrer la voie aux officiers supérieurs dans leur
conquête du pouvoir. Il est à ce titre présenté comme le
meilleur garde fou contre la dictature militaire,
Mais, paradoxalement, en près de vingt ans d’existence de la
nouvelle République Libanaise, la II me du nom fondée par les
accords de Taëf, en 1989, en Arabie saoudite, chaque élection présidentielle
a donné lieu à une réforme de la constitution au point que se
pose la question sinon de la viabilité de la charte fondamentale,
à tout le moins de la volatilité de la classe politique.
I- Le Militaire au Liban, un élément de pondération
? ou une classe politique volatile ?
Depuis son adoption, la nouvelle constitution a ainsi été
amendée à deux reprises (pour la prorogation des mandats de MM.
Elias Hraoui et Emile Lahoud) afin de permettre aux deux présidents
de se maintenir trois ans supplémentaires au pouvoir. La troisième
réforme pour l’habilitation présidentielle de l’actuel
commandant en chef, le général Souleimane devrait intervenir début
janvier 2008.
De surcroît l’appel aux militaires a été fait à deux
reprises: la première fois en 2000, avec le Général Emile
Lahoud, sous la pression syrienne, la deuxième fois, en 2008,
avec le Général Michel Souleimane, sous la pression occidentale.
Deux fois en vingt ans, soit en moyenne une fois par décennie,
c’est dire la fréquence de la suppléance, sans compter l’élection
sous pression américaine du Général Fouad Chéhab, l’ancien
commandant en chef, dans la foulée de la première guerre civile
libanaise (1958-1964).
Mais, curieusement, seul le Président Lahoud, l’ancien
commandant en chef de l’armée, a été mis à l’index par les
pays occidentaux au prétexte que la prorogation de son mandat
constituait un acte anti-constitutionnel. C’est dire l’inanité
des arguties juridiques mises en avant comme caution à une
politique de force occidentale au Liban.
A contre-courant de toutes les démocraties de la planète, le
Militaire au Liban apparaît, il est vrai, à tort ou à raison,
comme un élément de pondération, à l’inverse de la classe
politique qui recèle en son sein d’anciens chefs de guerre
factieux qu’une divine amnistie amnésiante a exonérés, pour
l’éternité, de leurs turpitudes passées. Des turpitudes qui
auraient justifié partout ailleurs des poursuites pénales au
titre de «criminels de guerre».
Le mandat du Président Lahoud a expiré le 23 Novembre dernier
et l’élection de son successeur a été reportée à onze
reprises faute d’une entente entre les principales factions
libanaises et leurs parrains régionaux.
Le gouvernement libanais, détenteur de la totalité du pouvoir
exécutif en l’absence du chef de l’Etat, a en effet décidé
fin décembre, et contrairement à tous les usages démocratiques,
de convoquer le parlement, titulaire du pouvoir législatif.. Le
coup de force opéré par le premier ministre Fouad Siniora, en
convoquant le parlement au mépris du principe de la séparation
des pouvoirs, paraissait déterminer par un calendrier
diplomatique à projection régionale et internationale.
Dans l’esprit de ses concepteurs, l’élection d’un
nouveau président du Liban devrait coïncider avec la nouvelle
tournée du Président George Bush au Moyen-Orient. La désignation
du Général Michel Souleimane à la tête de l’Etat libanais
devrait en constituer le point d’orgue, la marque d’un retour
victorieux de la diplomatie américaine sur la scène du
Moyen-Orient, après ses déboires sur le théâtre libanais avec
l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, février
2005, les revers militaires israéliens, juillet 2006, et la déroule
électorale d’un des meilleurs alliés de l’Amérique au
Liban, le chef phalangiste Amine Gémayel, Août 2007.
L’élection à la présidence libanaise du candidat de la
coalition pro-américaine devait être aussi concomitante de l’élection
de Benazir Bhutto au Pakistan à la faveur d’une consultation
initialement prévue le 8 janvier. Mais l’assassinat de
l’ancien premier ministre pakistanais, qui devait servir de
caution démocratique de la junte militaire pakistanaise, a
quelque peu ébranlé cet échafaudage diplomatique et terni la
tournée présidentielle américaine. Le plan de sortie de crise
de la Ligue arabe qui devrait être rendu public le 8 janvier,
jour de l’arrivée de George Bush au Moyen orient, est destiné
à réduire l’impact négatif des revers américains.
A défaut de l’élection du Président, le scénario prévoierait
le renflouement du gouvernement Siniora afin de l’aider à
assumer dans sa totalité la plénitude du pouvoir exécutif avec
le consentement tacite de la hiérarchie religieuse maronite (chrétiens
arabes), la communauté au sein de laquelle le président doit être
constitutionnellement choisi.
II- Un rôle majeur mais occulte de l’Arabie
saoudite
Une analyse ayant cours dans les capitales occidentales et
relayée sans nuances par de grands quotidiens parisiens impute à
la Syrie la totalité du blocage de la vie politique libanaise.
Selon cette analyse, la Syrie favoriserait le chaos au Liban pour
se venger de son retrait brutal de son pays voisin et décourager,
dans le même temps, la bonne volonté occidentale en vue de se
faire reconnaître un rôle incontournable dans la stabilisation
de la situation libanaise lors du prochain sommet arabe prévu en
Mars prochain à Damas.
L’analyse est conforme dans sa réalité mais pas dans sa
totalité car elle occulte le rôle d’un autre protagoniste
majeur de la scène libanaise: l‘Arabie saoudite, dont on ne
souffle mot de son action dans les quotidiens parisiens, sinon que
pour vanter sa sagesse et sa modération, sans mentionner son rôle
occulte au Liban à travers le financement de la famille Hariri.
Le gardien de l’orthodoxie sunnite viserait un passage en
force pour marquer son territoire au Liban et disposer ainsi
d’un homme-lige en vue de compenser par Beyrouth la perte des
deux grandes capitales arabes chargées d’histoire dans la mémoire
collective arabe, Bagdad et Damas, passées hors de la sphère
sunnite, la capitale irakienne, l’ancienne capitale de l’Empire
abbasside, aux mains des Kurdes et des Chiites, la capitale
syrienne, l’ancienne capitale de l’Empire Omeyyade, aux mains
des Alaouites, sans compter Jérusalem, le 3me Haut lieu saint de
l’Islam, sous occupation israélienne.
A l’apogée de la diplomatie saoudienne, dans la foulée de
l’invasion de l’Irak, en 2003, deux dirigeants arabes, Rafic
Hariri (Liban) et Ghazi Al-Yaour (Irak) se sont retrouvés
simultanément au pouvoir dans leur pays respectif, porteurs de la
nationalité saoudienne.
Le propre beau frère du Roi Abdallah d’Arabie saoudite, le député
maronite Nassib Lahoud, avait même été sollicité un moment
pour postuler à la charge suprême au Liban en vue de rééditer
ce scénario, la première fois en 2004, la deuxième fois en
2007. La principale qualité du parlementaire libanais est qu’il
focalisait en sa personne, et par ses ramifications familiales,
l’ensemble de la coalition anti-syrienne: Nassib Lahoud a en
effet le triple avantage d’être un parent de l’ancien président
libanais ostracisé et d’être apparenté par alliance
matrimoniale tant au monarque saoudien qu’à la famille Assad en
Syrie, plus précisément le Général Rifaat Al-Assad, le frère
de l’ancien président Hafez-Al-Assad.
Candidat malheureux aux élections législatives libanaises, ne
disposant donc pas de la légitimité populaire requise, Nassib
Lahoud a été abusivement présenté comme anti-syrien, alors
qu’il n’est en fait qu’un opposant à la branche régnante
de la famille Assad.
La convocation du parlement libanais, sous l’impulsion
saoudienne, se voulait ainsi comme une démonstration de force du
Royaume visant à refouler définitivement le Plan Baker-Hamilton
sur le redéploiement diplomatique américain au Moyen-Orient, en
offrant à l’administration néo-conservatrice du Président
Bush son premier succès significatif de son double mandat présidentiel
(2000-2008).
III. Jacques Chirac en service commandé ou en
service commandité ?
Au-delà de ces péripéties, un fait demeure, toutefois, lourd
de conséquences pour l’avenir: Pour la première fois dans l’Histoire,
l’unique président chrétien du Monde arabe aura été ostracisé
du fait de la France, traditionnelle protectrice des Chrétiens
arabes et la vacance de pouvoir qui s’est ensuivi, constitué un
dangereux précédent lourd de conséquences.
Ce bilan est à mettre, au premier chef, au passif de Jacques
Chirac, sans qu’il ait été possible d’établir avec
certitude si l’initiative du président français de l’époque
était commandée par un grand dessein de la France ou commanditée
par un devoir de gratitude à l’égard de son bienfaiteur. Un
devoir d’un commandité à l’égard de son commanditaire, de
l’hôte obligé du 3, Quai Voltaire à Paris envers son hôte
obligeamment hospitalier, le propriétaire de la présumée précaire
résidence présidentielle, le millardaire libano-saoudien Rafic
Hariri
Quoiqu’il en soit, une brèche constitutionnelle s’est
ouverte, qui devrait conduire les nostalgiques du Liban d’antan
à se résoudre à l’évidence: Le Liban ne sera plus ce que son
géniteur- la France- a voulu qu’il soit: un foyer chrétien,
principalement Maronite, en Orient au bénéfice exclusif de la
politique occidentale.
Et dont le syndrome de Suez constitue l’illustration la plus
significative. Seul, de tous les pays arabes, le Liban avait en
effet refusé à l’époque de rompre ses relations diplomatiques
avec la France en signe de protestation contre l’expédition
franco-anglo-israélienne de Suez, novembre 1956, quand bien même
était «caractérisée» l’agression contre le chef de file du
nationalisme arabe, le Président Gamal Abdel Nasser. (1)
Les communautés fondatrices du Liban contemporain, les anciens
belligérants de la guerre de la Montagne du XIXme siècle, les
Maronites et les Druzes, soutenus par leurs protecteurs respectifs
les puissances coloniales de l’époque, la France et la Grande
Bretagne, sont désormais supplantées démographiquement et économiquement
par les Sunnites et les Chiites, les Sunnites, politiquement sous
la houlette saoudienne, et dont la montée en puissance a coïncidé
avec le Boom pétrolier des pétromonarchies du Golfe et la
disparition du président égyptien Nasser, dans les années 1970,
et les Chiites, généralement dans la mouvance iranienne et dont
la montée en puissance s’est produite à la faveur du triomphe
de la Révolution islamique en Iran et la chute de la dynastie
proaméricaine des Pahlevi, dans les années 1980.
IV - Le PSP de Walid Joumblatt, Parti Socialiste
Progressiste ou Parti du Saltimbanque Permanent?
Maronites (Camille Chamoun) et Druzes (Kamal Joumblatt) dont
les querelles et les retournements d’alliance ont émaillé la période
post-indépendance du Liban (1943-1975) sont désormais relégués
au second plan, réduits à un rôle d’appoint que ne parvient
pas à compenser leur surexposition médiatique.
C’est dans ce contexte qu’il convient de percevoir
l’alliance contre-nature conclue entre leurs héritiers
politiques, Samir Geagea (Maronite), le principal fossoyeur du
leadership chrétien et meilleur allié d’Israël dans la guerre
du Liban, et, Walid Joumblatt (Druze), le principal bénéficiaire
de l’ affairisme syro-haririen. Cette alliance insolite des
anciens chefs de guerre a été scellée sous l’égide saoudo-américaine
avec leur principal bailleur de fonds du temps de la guerre civile
libanaise, le sunnite Hariri, Rafic Hariri,d’abord, l’ancien
premier ministre et homme des Saoudiens au Liban, son fils et
successeur Saad ensuite.
Au-delà de son parrainage, qui masque mal à tout le moins
pour M. Joumblatt, chef du Parti Socialiste progressiste, un réel
reniement du combat familial, cette alliance hétéroclite ne
modifiera pas d‘un iota la réalité politique libanaise qui
butte sur un obstacle de taille: le contrepouvoir réalisé par
l’alliance du Général Michel Aoun et du Hezbollah, c'est-à-dire,
concrètement, au-delà de sa projection régionale (Syrie, Iran,
du moins en ce qui concerne le Hezbollah), l’alliance entre le
dirigeant chrétien qui bénéficie de la plus forte audience électorale
dans le camp chrétien, avec la principale formation paramilitaire
de la plus importante communauté religieuse libanaise.
La démocratie consensuelle à la base du fonctionnement du
système politique libanais suppose une symétrie d’autant plus
impérative que le Liban vit sous une double légitimité. La
coalition pro-occidentale, vainqueur des dernières élections législatives
de 2005, représentant le pays légal et l’opposition pro
syro-iranienne, majoritaire dans l’ adhésion des couches
populaires tant chrétiennes que musulmanes, à tout le moins
chiites, le pays réel.
Une mise en quarantaine du chef de l’Etat de la part de la
majorité gouvernementale pro-occidentale impliquait par réplique
une mise à l’index identique de l’autre pôle de l’exécutif,
le chef du gouvernement, par son opposition.
Que les transfuges de la gauche, Walid Joumblatt (Druze) et
Samir Frangieh (Maronite), pourtant supposés rompus aux subtilités
de la dialectique, n’aient pas saisi d’emblée ce mécanisme
et ses risques donne la mesure de la consistance intellectuelle de
ceux qui sont généralement présentés comme les «têtes
pensantes» de la coalition pro-occidentale. A moins qu’ils ne
misaient sur une épreuve de force entraînant une intervention
occidentale, voire un débarquement américain, qui aurait viser
à pérenniser leurs privilèges claniques.
Idole de l’Internationale Socialiste, pour d’égoïstes
raisons d’état, à défaut d’interlocuteurs alternatifs,
Walid Joumblatt ne devrait se laisser abuser par un tel engouement
à sa personne de la part des dirigeants occidentaux. Par son
contorsionnement permanent, l’homme a dévoyé le parti fondé
par un père prestigieux, le Parti Socialiste Progressiste (PSP),
pour en faire un Parti au Service de sa Personne, pis le Parti du
Saltimbanque Permanent. C’est à tout le moins le titre dont le
gratifie ses anciens amis devenus les sévères censeurs de ses
multiples reniements.
Au vu de cette nouvelle équation politico-démographique, à défaut
d’un compromis non pas tant entre les protagonistes locaux mais
leurs parrains régionaux, principalement les Etats-Unis et l’Iran,
la démocratie consensuelle à la base du Pacte National et de la
cohabitation intercommunautaire libanaise serait en péril, et, le
Liban, pleinement ouvert aux vents d’une aventure incertaine.
(1)- Cocasse conférence de
presse de Nicolas Sarkozy le 30 décembre 2007 au Caire au terme
d’un séjour touristico-amoureux avec sa nouvelle dame d’un
Coeur anciennement à gauche, En réponse à une question d’un
journaliste – et comme pour détourner les critiques sur son
escapade coûteuse et tapageuse, le président français a annoncé
la suspension des contacts avec la Syrie jusqu’à l’élection
d’un président au Liban. Damas a répliqué deux jours plus
tard qu’elle cessait de coopérer avec la France dans la
recherche d’un accord à l’amiable pour l’élection présidentielle
libanaise, pointant les incohérences françaises "Il semble
que les Français veulent imputer à la Syrie leur incapacité
(...) à trouver une solution à la crise", a déclaré
mercredi 2 janvier le ministre syrien des Affaires étrangères
Walid Al-Mouallem, avant de dénoncer un paradoxe:"D'une
part, on demande à la Syrie de ne pas intervenir au Liban et
d'une autre, on lui demande d'utiliser son influence sur ses alliés
libanais."
Il semble que les Syriens aient été mécontents que le président
français ait instrumentalisé la création d’un tribunal
international pour juger les assassins de l’ancien premier
ministre libanais Rafic Hariri, comme moyen de pression contre la
Syrie. Jusqu’à présent la thèse officielle des pays
occidentaux était que le tribunal international devait faire œuvre
de pédagogie politique en rendant justice pour dissuader toute récidive,
c'est-à-dire l’élimination physique de rivaux politiques.
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Publié le 7 janvier 2008 avec l'aimable autorisation de René
Naba
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