Blog René Naba
Benazir
Bhutto,
Un fantasme exotique absolu pour les intellectuels occidentaux
René Naba
Paris le, 2 janvier 2008
(Interview) René Naba
Qui est derrière l'assassinat de Benazir Bhutto ?
Benazir Bhutto, en tant que fille de Zulficar Ali Bhutto,
c'est à dire d'une des plus puissantes dynasties politiques
pakistanaises, disposait d'un prestigieux héritage: le
nationalisme fougueux de son père, auréolé de la légende de
martyr, supplicié par une junte militaire.
Plutôt que d'assumer l'héritage de l'un des rares dirigeants
civils d'un pays plus souvent gouverné par une junte militaire,
fondateur de surcroît du "Pakistan People Party", c'est
à dire, si les mots ont un sens, du parti du peuple pakistanais
et non du parti de l'oligarchie pakistanaise, plutôt donc que de
progresser sur la voie des réformes, de l'assainissement des
moeurs politiques, elle a accentué les tares de la société
pakistanaise, une société largement inégalitaire, favorisant le
népotisme, la corruption et la bureaucratie.
Elle s'est, du coup, aliénée les forces progressistes et les
milieux intellectuels. Coincée entre les militaires et les
religieux, sa marge de manœuvre se révélait extrêmement étroite,
tributaire de la perfusion américaine.
Le fait d'avoir été assassinée à Rawalpindi est tout un
symbole. Rawalpindi est non seulement le siège de l'Etat-major
pakistanais qui gouverne le pays d'une manière quasi-continue
depuis l'Indépendance du Pakistan en 1948. C'est aussi le siège
de l'ISI, le redoutable service des renseignements, maître
d'oeuvre, sous la houlette américaine de la montée en puissance
des Taliban dans la guerre anti-soviétique en Afghanistan dans
les années 1980, mais c'est aussi et surtout, au regard de la
propre histoire de Benazir, l'ancienne capitale du Pakistan du
temps ou son père Zulficar Ali était premier ministre.
Ce dernier fait n'a pas été assez souligné par les
commentateurs.
Si l'identité du commanditaire n'est pas établi, - il est
malsain à ce stade de conjecturer-, le message est pourtant
clair: Benazir Bhutto était indésirable dans le jeu de quilles
pakistanais, un personnage encombrant de surcroît bénéficiant
d'un parrainage américain dans un pays au nationalisme
chatouilleux en proie à une vague anti-occidentale.
La junte présidée par Pervez Muscharraf, vous savez ce Général
Président du Pakistan dont George Bush peinait à se souvenir du
nom durant sa campagne électorale, a beau jeu d'impliquer "Al-Qaida"
ou les Taliban, c'est, sans jeu de mot, de bonne guerre.
Ce faisant il vise à s'assurer la pérennité de l'importante
assistance militaire et financière américaine. Mais il n'est pas
interdit de songer à un groupe mécontent de la nouvelle alliance
conclue sous l'égide américaine entre Benazir et les anciens
tortionnaires de son père.
Il faut avoir une bonne dose d'ambition pour envisager une
collaboration avec les ordonnateurs de la pendaison de son propre
père.
De plus, On prêtait l'intention à Benazir Bhutto d'autoriser
l'armée américaine à combattre les Taliban à partir du
territoire afghan, dans un pays au nationalisme chatouilleux, à
la religiosité exacerbée. Il y a l'embarras du choix dans le
recrutement d'un volontaire de la mort, d'autant qu'en visant
Benazir, on visait à la fois et l'Amérique et la Femme libérée
perçue comme une femme de collaboration avec le principal soutien
à l'ennemi indien.
En Occident, l'image de Benazir Bhutto est souvent associée
à celle d'une femme glamour d'une grande « modernité ». On
oublie cependant de préciser qu'elle a été impliquée dans de
grandes affaires de corruption et qu'elle a été élue présidente
à vie du PPP (Parti du peuple pakistanais)
Il existe un décalage dans la perception que se fait
l'Occident de la réalité pakistanaise. La vision que se font les
intellectuels occidentaux de Benazir Bhutto relève de la
psychanalyse. Benazir constitue pour eux à proprement parler un
fantasme exotique absolu: La belle sultane dévoilée, l'anti
burka, le chef du Harem, politiquement parlant. Les intellectuels
occidentaux développaient à son égard une sorte de
"discours sur la servitude volontaire".
Benazir a été éduquée à Oxford au point de parler l'urdu,
sa langue maternelle avec difficulté. Et plutôt que d'engager
son pays sur la voie de la modernité, elle a reproduit les
pratiques déplorables de ses prédécesseurs militaires dont elle
dénonçait les abus.
Elle a pratiqué une fuite en avant, donnant satisfaction, dans
les années 1994-1995 aux partis religieux, favorisant la prise du
pouvoir de Kaboul par les Taliban et faisant miroiter à la grande
bourgeoisie les mirifiques marchés d'Asie centrale que la conquête
de l'Afghanistan rapporterait aux entreprises pakistanaises.
Un décalage identique s'est produit à propos du Commandant
Massoud Chah, tué dans un attentat à la veille des attentats
anti-américains du 11 septembre 2001.
Massoud n'était apprécié que des seuls Français. Et des
intellectuels de renom en faisaient un titre de gloire de l'avoir
rencontré, quand bien même la rencontre a été virtuelle,
uniquement dans l'imaginaire du narrateur du récit de la
rencontre.
En fait Massoud, élève du lycée français de Kaboul, passe
pour avoir fait bénéficier de ses lumières les services français
dans le labyrinthe afghan. Hors la France, il était quasi
inconnu. A sa mort il a été érigé en martyr de la Liberté. De
la même manière que Rafic Hariri au Liban, pourtant l'un des
principaux bailleurs de fonds des guerres interfactionnelles
libanaises.
D'une manière générale, il existe un tropisme occidental à
l'égard de l'Islam, chaque notabilité intellectuelle dispose de
sa minorité protégée: Le philosophe André Glucksman, les Tchétchénes,
quand bien même son nouvel ami le président Nicolas Sarkozy, est
devenu le meilleur ami occidental du président russe Vladimir
Poutine, Bernard Henry Lévy, le Darfour, quand bien même son
entreprise familiale est mentionnée dans la déforestation de la
forêt africaine, et Bernard Kouchner, des Kurdes. les supplétifs
des américains dans l'invasion américaine d'Irak.
Comme si ces notabilités cherchaient à compenser leur
hostilité aux revendications arabes notamment palestiniennes par
un soutien à l'Islam périphérique.
Les Etats-Unis comptaient beaucoup sur le retour de Benazir
Bhutto au Pakistan. Quelle peut être désormais la stratégie américaine
dans ce pays ?
Benazir devait servir de caution à la junte. l'Amérique
comptait sur elle pour procéder à un ravalement de façade de la
dictature militaire pakistanaise. N'oublions pas que le mot
d'ordre de l'invasion américaine de l'Irak était de favoriser la
restauration de la démocratie.
Benazir disparue, l'Amérique est placée devant ses propres
contradictions au Pakistan et n'a d'autre choix que de continuer
sa collaboration avec la junte, en invoquant précisément le
danger terroriste
La bombe nucléaire pakistanaise est-elle sous protection américaine
?
Pas évident. La bombe pakistanaise répond aussi à des considérations
de sécurité nationale. C'est l'arme de dissuasion contre le
puissant voisin indien, lui aussi puissance atomique. Je vois
difficilement les Pakistanais abandonnaient leur sécurité aux
mains étrangères, de surcroît un pays considéré dans une
large fraction du pays comme l'ennemi de l'Islam. Je le vois
d'autant plus difficilement dans le contexte actuel que leur
voisin iranien montre sa détermination à préserver son
autonomie nucléaire;
Quelle valeur dissuasive disposerait une bombe atomique sous contrôle
d'une tierce partie? Un tel contrôle est la négation même de la
dissuasion.
Quel est le poids réel des groupes islamistes au Pakistan ?
Considérable, à la mesure de l'importance que les services américains
ont favorisé leur implantation et leur développement au plus
fort de la guerre anti-soviétique en Afghanistan.
L'assassinat de Bhutto et le cinglant camouflet infligé aux
Etats-Unis. Il constitue l'effet Boomerang d'une politique
hasardeuse marquée par l'instrumentalisation de l'Islam comme
arme de combat politique, en vue de faire pièce au nationalisme
arabe et au socialisme.
Quelles sont les relations entre l'armée pakistanaise et
les groupes islamistes ?
Une relation d'imbrication. Tout le monde tient tout le monde
par la barbichette
Suite à l'assassinat de Benazir Bhutto, y a-t-il un risque
de guerre civile au Pakistan ?
Pas évident,
Il y aura une modulation de la politique de la junte entre répression
et coopération avec les autres forces politiques. Du moins dans
un premier temps; le temps de jauger les réactions
internationales à l'assassinat de Benazir Bhutto et le temps de
jauger les nouveaux rapports de force établis sur le terrain
pakistanais
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Publié le 2 janvier 2008 avec l'aimable autorisation de René
Naba
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