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Questions critiques
Attaquer
l'Iran pour Israël ?
Ray McGovern
La Secrétaire d'Etat
Condoleeza Rice est à son meilleur hyperbolique pour vendre son
champignon atomique et cette fois-ci, l'Iran est la cible.
Son affirmation, la semaine dernière, selon laquelle "la
politique de l'Iran constitue possiblement l'unique et plus grand
défi aux intérêts de la sécurité américaine au Moyen-Orient
et dans le monde", va tout simplement trop loin.
Pour juger de la fiabilité d'une personne, il faut se référer
en grande partie à l'expérience passée. Malheureusement, la crédibilité
de Rice est mise à mal en comparaison de celle du chef de
l'Agence Internationale à l'Energie Atomique (AIEA), Mohammed
el-Baradeï, qui insiste sur le fait qu'il n'y a aucune preuve
d'un programme actif d'armement nucléaire en Iran.
Si cela semble familier, el-Baradeï a dit la même chose à
propos de l'Irak avant qu'il ne soit attaqué. Mais trois jours
avant l'invasion, l'expert nucléaire Dick Cheney a déclaré à
Tim Russert de la chaîne NBC : "Franchement, je crois que M.
el-Baradeï se trompe".
Nous y voici à nouveau ! Comme dans le cas de l'Irak, les
services de renseignements étasuniens ont cherché avec assiduité
les preuves d'un programme d'armement nucléaire en Iran. Mais, hélas,
en vain.
Grillés par la "preuve" bidon avancée pour l'Irak —
l'uranium provenant d'Afrique, les tubes d'aluminium —
l'administration s'est bien gardée de fabriquer une
"preuve" en relation avec le nucléaire.
Bush et Cheney se reposent-ils une fois encore sur l'adage de
Rumsfeld, selon lequel "l'absence de preuve n'est pas une
preuve d'absence [de programme d'armement nucléaire]" ? Il y
a une réponse plus simple.
La mèche a été vendue
L'ambassadeur d'Israël auprès des Etats-Unis, Sallai Meridor,
a vendu la mèche, le 22 octobre, en s'exprimant lors du déjeuner
de l'American Jewish Commitee [le comité juif américain].
Dans des remarques égalant celles de Rice, Meridor a déclaré
que l'Iran est la toute première menace d'Israël.
Ne manquant pas de toupet [chutzpah, en yiddish dans le
texte], il a donné un avis gratuit à Washington, selon lequel
contrer les ambitions nucléaires iraniennes demandera
effectivement que "les Etats-Unis soient unis sur cette
question", à moins que les Iraniens ne concluent, "à
partir de janvier 2009, ils n'en feront qu'à leur tête".
Miridor a souligné qu'il restait "très peu de temps"
pour empêcher l'Iran d'obtenir l'arme nucléaire. Et puis quoi
encore ?! Même s'il y avait un programme nucléaire caché à
l'AIEA, aucun observateur sérieux ne s'attend à ce que l'Iran
obtienne l'arme nucléaire beaucoup plus tôt que dans cinq ans.
Il faut dire la vérité : depuis 1995, les services de
renseignements américains prédisent tous les deux ans que l'Iran
pourrait avoir l'arme nucléaire dans environ cinq ans.
C'est devenu véritablement embarrassant — comme un vieux disque
rayé, ponctué seulement par des "néoconservateurs"
comme James Woolsey, qui a prévenu publiquement l'été dernier
que les Etats-Unis pourraient n'avoir d'autre choix que de
bombarder l'Iran afin d'arrêter son programme d'armes nucléaires.
Woolsey, qui se décrit lui-même comme "l'ancre de l'aile
presbytérienne du Jewish Institute for National Security
Affairs [l'Institut Juif aux Affaires de Sécurité
Nationale]," l'a dit de cette façon : "J'ai bien peur
que d'ici, au pire quelques mois, au mieux quelques années, ils
[les Iraniens] pourraient avoir la bombe".
La veille de la remarque révélatrice non intentionnelle de
Meridor, le vice-Président Dick Cheney a réitéré : "nous
ne permettrons pas à l'Iran d'avoir l'arme nucléaire".
Cette remarque a suivi de près la mise en garde apocalyptique de
George W. Bush sur la Troisième Guerre Mondiale, si Téhéran
devait acquérir la connaissance pour produire l'arme nucléaire.
Les Israéliens semblent convaincus d'avoir extorqué la promesse
de Bush et de Cheney qu'ils aideront Israël à tuer dans l'œuf
le programme nucléaire iranien avant qu'ils ne quittent le
pouvoir.
Ils se fichent pas mal qu'il n'y ait aucune preuve que le
programme nucléaire iranien soit plus lié à l'armement que
celui que Cheney et Rumsfeld avaient persuadé le Président Gérald
Ford d'approuver en 1976 que Westinghouse et General Electric
l'installent pour le shah (à un prix affiché de 6,4 milliards de
dollars).
Avec 200 à 300 armes nucléaires dans leur arsenal, les Israéliens
bénéficient d'un monopole nucléaire au Proche-Orient. Ils
entendent conserver ce monopole et font pression pour que les
Etats-Unis oblitèrent le programme nucléaire iranien naissant.
Quiconque ayant conscience de la capacité de l'Iran à répliquer
réalise que ceci apporterait le désastre pour toute la région
et au-delà. Mais cela n'a pas arrêté, auparavant, Cheney et
Bush.
La logique est similaire à celle révélée par Philip Zelikow,
le confident de Condoleeza Rice et ancien membre du President's
Foreign Intelligence Advisory Board [le comité des
conseillers en renseignements du président des Etats-Unis pour
les affaires étrangères] et, par la suite, directeur exécutif
de la Commission sur le 11/9. Le 22 octobre 2002, Zelikow a déclaré
devant une foule à l'Université de Virginie :
"Pourquoi l'Irak attaquerait-il l'Amérique ou utiliserait-il
des armes nucléaires contre nous ? Je vais vous dire ce que je
crois être la véritable menace — c'est la menace sur Israël.
Et c'est le genre de menace dont il ne faut surtout pas dire le
nom… le gouvernement américain ne veut pas pencher [dans cette
direction] trop fortement dans ses discours, parce que ce n'est
pas un thème populaire."
Un signe annonciateur ?
L'offensive politique contre l'Iran s'est mélangée au
discours alors que George W. Bush entamait sont second mandat,
avec Cheney en première ligne faisant pression pour une attaque
contre ses installations nucléaires.
Le 20 janvier 2005, dans une interview avec la chaîne MSNBC,
juste quelques heures avant la seconde investiture de Bush, Cheney
a placé l'Iran en tête de liste des endroits à problèmes",
et a fait remarquer que les négociations et les sanctions
onusiennes pourraient échouer à stopper le programme nucléaire
iranien.
Cheney a alors ajouté avec une nonchalance remarquable :
"Etant donné que l'Iran a déclaré comme relevant de la
politique de l'Etat que son objectif est la destruction d'Israël,
les Israéliens pourraient décider d'agir en premier et laisser
le reste du monde s'occuper de nettoyer après coup le désordre
politique ".
Cela ne sonne-t-il pas comme le fameux "plan Cheney" qui
a été largement discuté aujourd'hui dans les médias ? Une
attaque aérienne israélienne — une riposte iranienne —
Washington volant au secours de son "allié", Israël ?
Grand fan des frappes préventives, Cheney n'a pas fait grand
chose pour cacher son attirance au penchant d'Israël pour des
frappes préventives, telles que l'attaque aérienne contre le réacteur
nucléaire irakien Osirak en 1981.
Dix ans après l'attaque d'Osirak, le ministre de la défense
d'alors, Dick Cheney, aurait donné au Général israélien David
Ivri, commandant l'armée de l'air israélienne, une photo
satellite du réacteur nucléaire irakien détruit par un avion
israélien de fabrication américaine. Sur la photo, Cheney avait
écrit à la main, "Grâce au travail exceptionnel contre le
programme nucléaire irakien en 1981". On ne connaît rien de
la réponse d'Ivri, mais on peut parier sans beaucoup de risques
qu'elle fut du style "nous n'aurions pu le faire sans l'aide
des Etats-Unis".
En vérité, bien que les Etats-Unis eussent condamné
officiellement cette attaque (à ce moment-là, l'administration
Reagan soutenait l'Irak de Saddam Hussein), les renseignements que
partageaient le Pentagone et les Israéliens ont apporté une
contribution majeure au succès du raid aérien des Israéliens.
Avec le vice-Président Cheney qui dicte maintenant la loi, une
aide similaire pourrait arriver prochainement avant toute attaque
aérienne d'Israël contre l'Iran.
Ce n'est pas un secret que l'ancien Premier ministre israélien,
Ariel Sharon, avait commencé à faire pression, en 2003, pour une
attaque préventive précoce contre l'Iran, soutenant que l'Iran
obtiendrait probablement l'arme nucléaire bien avant ce que les
renseignements américains estimaient.
Sharon avait pris l'habitude d'emmener avec lui son propre
conseiller militaire pour informer Bush avec des photos aériennes
des installations iraniennes liées au nucléaire.
Encore plus troublant, à l'automne 2004, le Général à la
retraite Brent Scowcroft, qui a servi comme conseiller à la sécurité
nationale du Président George H. W. Bush et comme président du Foreign
Intelligence Advisory Board de Bush junior, a fait quelques
commentaires saisissants dans le Financial Times.
Maître en matière de discrétion médiatique, Scowcroft a néanmoins
veillé à rendre publiques ses conclusions selon lesquelles
Sharon avait "envoûté" Bush, qu'il menait notre président
"par le bout du nez".
Inutile de dire que Scowcroft a été immédiatement retiré du
comité des conseillers.
Une exagération instable
George W. Bush a rencontré Sharon pour la première fois en
1998, lorsque le gouverneur du Texas fut emmené en tournée au
Proche-Orient par Matthew Brooks, alors directeur exécutif de la
Coalition Juive Américaine. Sharon était ministre des affaires
étrangères et emmena Bush en hélicoptère au-dessus des
territoires occupés par Israël.
Un article de Ron Hutcheson, publié le 3 août 2006 par McClatchy,
cite Matthew Brooks :
"S'il y a un point de départ pour l'attachement de George W
Bush à Israël, c'est ce jour de fin 1998, où il se tenait sur
la colline où Jésus prononça le Sermon du Mont et, les yeux
remplis de larmes, il lut à voix haute son hymne favori, 'Amazing
Grace'. Il était très ému. Ce fut une expérience remplie de
larmes. Il est rentré au pays en ramenant Israël dans son cœur.
Je pense qu'il en est revenu profondément bouleversé".
Bush a fait une référence gratuite, mais révélatrice, à ce
voyage, lors de sa première réunion au Conseil de Sécurité
Nationale (NSC), le 30 janvier 2001.
Après avoir annoncé qu'il abandonnerait le rôle, qui a duré
des décennies, de "médiateur sincère" entre les Israéliens
et les Palestiniens et qu'il pencherait de façon marquée vers
Israël, Bush a déclaré qu'il laisserait Sharon résoudre le
conflit comme il jugera bon.
A ce stade, il parla de son voyage en Israël et de son survol des
camps palestiniens avec la Coalition Juive Républicaine, mais il
ne montra aucune préoccupation pour le sort des Palestiniens.
Dans Price of Loyalty de Ron Suskind, Paul O'Neill, alors
secrétaire au trésor et qui se trouvait à la réunion du NSC,
cite Bush : "Ça avait l'air très mauvais en dessous",
dit le président dans un froncement de sourcils. Ensuite, Bush déclara
qu'il était temps pour que l'Amérique mette fin à ses efforts
dans la région. "Je ne vois pas bien ce que nous pouvons
faire à ce stade," déclara-t-il. O'Neill rapporta aussi que
Colin Powell, le tout nouveau secrétaire d'état en titre, fut
pris complètement par surprise avec ce rejet nonchalant de cette
politique de longue date.
Powell souleva des objections, mettant en garde que cela déchaînerait
Sharon et que "les conséquences pourraient être affreuses,
en particulier pour les Palestiniens". Mais, selon O'Neill,
Bush s'est contenté de hausser les épaules en disant :
"Parfois, une démonstration de force par un camp peut
vraiment clarifier les choses." O'Neill rapporte que Powell a
semblé être "saisi d'effroi". On peut parier sans
risque que le vice-Président, lui, ne fut aucunement saisi
d'effroi.
Et Maintenant ?
La seule chose qui semble barrer la route à une attaque préventive
contre les installations nucléaires iraniennes est l'armée américaine
qui traîne des pieds.
Il semble probable que les responsables militaires ont dit au président
et à Cheney : Cette fois-ci, laissez-nous vous informer sur ce
que vous pouvez attendre le deuxième jour, la quatrième semaine,
le sixième mois — et sur les nombreuses choses sérieuses que
l'Iran peut faire à Israël et à nous, en Irak et ailleurs.
De source sûre, le commandant de CENTCOM, l'amiral William Fallon,
a déclaré : "Nous n'irons pas en Iran sous mon
mandat". Et dans une interview en-ligne, la journaliste primée
du Washington Post, Dana Priest, a parlé récemment d'une
"révolte" possible si l'on donnait l'ordre aux pilotes
de partir en mission contre l'Iran. Elle a ajouté :
"Il y a un peu d'hyperbole, mais pas trop. Regardez seulement
ce que le Général [George] Casey, le chef de l'armée, a déclaré…
que le tempo des opérations en Irak rendrait très difficile pour
l'armée de répondre à une crise majeure ailleurs. D'autre part,
ce n'est pas la 'guerre' ou le 'bombardement' qui est difficile,
c'est le jour d'après et tous les autres qui suivront.
N'avons-nous pas appris cette leçon (une fois encore) avec
l'Irak."
Et qu'en est-il du Congrès ? Pourrait-il agir comme un frein
contre Bush et Cheney ? N'y pensez pas !
Si le Comité des Affaires Publiques Israélo-Américaines (AIPAC),
avec ses coffres débordant, soutient une attaque contre l'Iran,
alors, c'est ce que feront nos députés mous du bulbe. Déjà, l'AIPAC
a réussi à empêcher une loi qui aurait requis du président
qu'il obtienne d'abord l'autorisation [du Congrès] pour une
attaque contre l'Iran.
Et pour chaque Amiral Fallon, il y a quelqu'un comme l'inimitable
Général de l'Armée de l'Air à la retraite, Thomas McInerney,
un associé proche de James Woolsey et autres "néocons".
La campagne aérienne "sera facile", dit McInerney, un
expert de Fox News qui a été l'avocat enragé de "Choc et
Respect" [Shock & Awe] contre l'Irak. "Ahmadinejad
n'a rien en Iran que nous ne pouvons pénétrer,"
ajoute-t-il, et plusieurs centaines de bombardiers, incluant des
bombardiers furtifs, suffiront à faire l'affaire :
"Une durée de 48 heures, frappant 2.500 cibles pour détruire
leurs installations nucléaires, leurs installations de défense aérienne,
leur force aérienne, leur marine, leurs missiles de représailles
Shahab-3 et, enfin, leur commandement et leur contrôle. Et,
ensuite, laissons le peuple iranien reprendre le pays".
Et la logique dans tout ça ? Etant donné que l'idée sera
difficile à vendre, en l'absence de preuves, d'une menace
imminente selon laquelle l'Iran est à deux doigts d'avoir l'arme
nucléaire, la machine à propagande de la Maison Blanche se
concentrera probablement sur une autre preuve, selon laquelle
l'Iran soutient ceux qui "tuent nos soldats en Irak".
La chose effrayante est que Cheney se servira plutôt des
McInerney et Woolsey que des Fallon et Casey pour montrer au président
à quel point cela peut être facilement accompli.
La Folie
Ce n'est pas comme si nous n'avions pas eu d'hommes d'Etat
assez sages pour nous mettre en garde contre les liaisons avec des
pays étrangers et sur ceux qui ont une difficulté à distinguer
entre les intérêts stratégiques des Etats-Unis et ceux des
autres nations, même des alliés :
"Un attachement passionné d'une nation pour une autre
produit toute une variété de maux. La sympathie pour la nation
favorite facilite l'illusion d'un intérêt commun imaginaire dans
des affaires où n'existe aucun intérêt commun réel, insuffle
à l'une les inimitiés de l'autre et trompe la première à
participer dans les querelles et les guerres de la dernière, sans
motivation et justification adéquates". (George Washington,
Discours d'Adieu, 1796)
Ray McGovern a été analyste de la CIA de 1963 à 1990
et le chef de la branche de Robert Gates au début des années 70.
Aujourd'hui, McGovern fait partie du comité de direction des VIPS
(Veteran Intelligence Professionals for Sanity) [Les anciens
combattants professionnels des renseignements pour l'équilibre
mental]. Il a contribué à "Imperial Crusades", édité
par Alexander Cockburn et Jeffrey St. Clair.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]
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