RIA Novosti
Nucléaire iranien: miser sur Ankara ?
Piotr Gontcharov
Photo RIA Novosti
25 juillet 2008
Un nouvel acteur a fait son apparition dans l'épopée nucléaire
iranienne: la Turquie. Ce n'est probablement pas par hasard qu'en
revenant de Genève à Téhéran le principal négociateur iranien
Saïd Jalili, secrétaire du Conseil suprême de sécurité
nationale, a fait escale à Istanbul où il a rencontré le
ministre turc des Affaires étrangères Ali Babacan. Le même
jour, le chef de la diplomatie turque a eu un entretien avec son
homologue iranien Manouchehr Mottaki, avant de s'envoler pour
Washington.
Les récentes négociations stériles entre les Six et la délégation
iranienne à Genève n'ont donné que deux semaines à leurs
participants pour souffler. Les Six ont "proposé" à Téhéran,
presque sous forme d'ultimatum, de donner une réponse concrète
aux propositions des grandes puissances d'abandonner le programme
d'enrichissement de l'uranium en échange d'une coopération économique,
scientifique et technique. "Il n'y aura plus de conversations
oiseuses. Si l'Iran n'agit pas, nous devrons revenir à la
politique des sanctions": c'est ainsi que la secrétaire
d'Etat américaine Condoleezza Rice a résumé les résultats de
la rencontre de Genève. Elle a également précisé le choix face
auquel se trouvait l'Iran: soit la coopération, soit la
confrontation. Téhéran doit donner sa réponse avant le 2 août.
Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad, qui aurait été écarté
par le leader spirituel Khamenei de la prise de décisions sur le
programme nucléaire iranien, semble avoir rapidement relevé la tête
après ce désagréable verdict et l'ultimatum inattendu. Dès
mercredi 23 juillet, il déclarait que l'Iran ne s'écarterait pas
même d'un iota de son programme nucléaire. Ankara pourra-t-il
redresser la situation et trouver un compromis? Et d'ailleurs, un
compromis est-il possible?
Ankara a déjà déclaré que la Turquie ne participerait pas
formellement aux discussions, et que son objectif était
d'assouplir les positions des négociateurs. En principe, il en
est ainsi. Il est vrai, Ankara et Téhéran tergiversent quelque
peu en évitant d'avouer que leur alliance est avantageuse aux
deux parties. La Turquie a besoin d'adhérer à l'UE, et le rôle
de médiateur entre l'Iran et l'Union lui assurerait des points
supplémentaires. L'Iran a quant à lui besoin de gagner du temps
et l'apparition d'un nouveau joueur demande toujours une certaine
période d'adaptation. Ankara est intéressée par l'Iran dans
l'optique du règlement du problème kurde en Irak, Téhéran par
les gazoducs traversant la Turquie en direction de l'Europe. Les
Turcs ont en outre exprimé leur volonté de jouer un rôle de médiateur
entre la Syrie et Israël, les Iraniens - entre la Turquie et
l'Arménie, et entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, protégé
d'Ankara.
Aucun compromis sur le problème nucléaire iranien n'est
probablement possible sans tenir compte des intérêts d'Israël
et des pays du Golfe, auxquels il faut ajouter l'Egypte et la
Jordanie. Laissant Israël sur la conscience des Etats-Unis et de
l'UE, pourquoi n'organiserait-on pas une rencontre régionale sur
le problème nucléaire iranien au cours de laquelle toutes les
parties intéressées pourraient émettre leur avis à ce sujet?
D'autant que le ministre égyptien des Affaires étrangères a récemment
déclaré que l'Iran ne réglerait pas son problème nucléaire
sans le soutien des Etats de la région et que Téhéran devait
tenir compte de leurs intérêts.
Chaque fois qu'il est question du programme nucléaire iranien,
le monde arabe se borne à une phrase standard: "Nous
soutenons le droit de l'Iran au nucléaire civil". Cette
phrase est ambiguë. Tout dépend où l'accent est placé. S'il
est mis sur "civil", c'est-à-dire pacifique, cela
suscite des doutes: le programme nucléaire iranien est-il réellement
"pacifique"?
Pour l'instant, Washington préfère persuader le monde arabe
en s'entretenant de façon isolée avec chaque pays. Le dossier
nucléaire iranien a été le sujet central des négociations de
Condoleezza Rice avec les ministres des affaires étrangères de
neuf Etats arabes, les membres du Conseil de coopération du Golfe
(Bahreïn, Qatar, Koweït, Emirats arabes unis, Oman et Arabie
Saoudite), ainsi que l'Irak, l'Egypte et la Jordanie.
Il n'est pas difficile de deviner le sens de l'entretien qui a
eu lieu à Abu Dhabi où Condoleezza Rice devait rencontrer, entre
autres, son adjoint William Burns. Apparemment, ce dernier devait
l'informer des résultats des consultations qui ont eu lieu samedi
à Genève entre les Six, Javier Solana et Saïd Jalili, ainsi que
de ses conclusions concernant les perspectives des négociations
ultérieures avec Téhéran.
La variante de l'isolement politique et économique de l'Iran
est plus que probable. On peut en juger par les exercices communs
effectués en différents endroits par les forces navales des
Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne.
Il faut noter que les Etats-Unis ont considérablement
intensifié leur politique en matière de règlement du problème
iranien dans son ensemble. Il est clair que la Maison Blanche ne
voudrait pas laisser cette question en suspens à son futur hôte.
Mais l'essentiel est que les principaux acteurs européens sur le
dossier iranien - l'Italie, la France, la Grande-Bretagne et
l'Allemagne - ont également durci sensiblement leurs positions.
Bref, la mission d'Ankara est loin d'être gagnée. En tous les
cas, son résultat et le développement futur de la situation dépendront
de Téhéran.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
© 2008 RIA
Novosti
Publié le 29 juillet 2008
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