RIA Novosti
Prenons Téhéran au mot
Piotr Gontcharov
Photo RIA Novosti
17 avril 2008
La première réunion du Groupe de travail de la Conférence
internationale de prévention des catastrophes nucléaires qui
s'est déroulée à Moscou a été consacrée au programme nucléaire
iranien. Ce dernier, principalement grâce à son plus fidèle
soutien, le président Mahmoud Ahmadinejad, a depuis longtemps
dépassé le cadre de la "priorité nationale" (ainsi définit-on à
Téhéran le statut de ce programme) pour devenir un casse-tête
d'envergure internationale. De l'avis général en effet, un
certain nombre de détails du programme nucléaire de l'Iran
témoignent clairement de son orientation militaire, fût-elle
dissimulée derrière des ambitions civiles.
On se demande bien, par exemple, pourquoi Téhéran a tant
besoin d'un programme d'enrichissement d'uranium alors que ses
réserves de minerai, loin d'être suffisantes pour de telles
activités, sont même pratiquement négligeables. Parce qu'il est
bien question d'enrichissement d'uranium à une échelle
industrielle, et non de travaux limités à des fins de recherche.
Qui plus est, comme le montre la pratique, n'importe quel
réacteur installé en Iran ne pourra fonctionner correctement
qu'avec du combustible fourni par le pays constructeur, voire
éventuellement par un autre fournisseur international (Même le
pétrole, comme chacun le sait, peut être de plus ou moins bonne
qualité, et toutes les raffineries ne sont pas capables de
transformer n'importe quel type de brut).
Pourquoi l'Iran a-t-il donc besoin d'uranium enrichi?
De nombreux éléments viennent appuyer la thèse selon laquelle
l'Iran cherche tout simplement à devenir une puissance
nucléaire, au sens militaire du terme. Le fait que Téhéran
développe très activement un arsenal de missiles de moyenne et
longue portée est en ce sens loin d'être anodin. Cela entraîne
une question évidente: pourquoi donc l'Iran a-t-il besoin de
missiles capables de frapper des cibles situées entre 2.000 et
6.000 kilomètres de son territoire alors qu'il ne peut
aujourd'hui les charger d'aucune tête nucléaire? Le fait est que
l'utilisation de missiles d'une si grande portée dotés de
charges conventionnelles est tout bonnement absurde.
Ainsi, pour les experts russes et américains dans le domaine
de la non-prolifération qui se sont réunis à Moscou, la question
se posait en ces termes: est-il possible, au moins, de freiner
l'avancée de l'Iran vers la création d'une arme nucléaire et la
sortie du TNP (Traité de non-prolifération nucléaire)? Et
quelles sont les perspectives de résolution du problème
nucléaire iranien dans le contexte des résolutions du Conseil de
sécurité de l'ONU sur l'Iran (en fait, qu'apportent réellement
toutes ces résolutions)?
Hélas, la situation actuelle ne laisse aucune place même à un
semblant d'optimisme. Qui plus est, chaque renforcement des
sanctions entraine une augmentation du nombre de centrifugeuses
à l'usine d'enrichissement de Natanz. Finalement, il s'est avéré
que l'Iran considérait que les deux derniers rapports du
directeur de l'AIEA avaient résolu toutes les questions
relatives à son programme nucléaire qui inquiétaient tant la
communauté internationale. C'est pourquoi l'un des objectifs de
la fameuse réunion a été de déterminer comment rendre les
signaux émis par le Conseil de sécurité plus convaincants aux
oreilles des dirigeants iraniens. Comment améliorer, d'un côté,
l'efficacité du régime des sanctions et, de l'autre, l'attrait
des projets de coopération proposés en cas de consentement des
autorités iraniennes à aller à la rencontre du Conseil de
sécurité.
Les experts ont examiné presque tout le panel des variantes
possibles sur le thème de la carotte et du bâton.
En guise d'encouragement, par exemple, en échange d'une
confirmation par l'AIEA de la transparence du programme
nucléaire iranien, Téhéran pourrait se voir proposer des
technologies modernes, ainsi que la possibilité d'installer un
centre international d'enrichissement de l'uranium sur le
territoire iranien. De fait, il est question de réaliser une
initiative qu'Ahmadinejad lui-même n'a cessé de formuler depuis
2005. Etant donné que l'Iran ne renoncera probablement pas à ses
propres recherches en matière d'enrichissement de l'uranium, il
serait bienvenu de proposer à Téhéran de limiter ces travaux à
une quantité de centrifugeuses correspondant à ses objectifs.
C'est au niveau du bâton que le bât blesse. Il s'avère que
toutes les variantes de renforcement du régime des sanctions ne
peuvent se faire sans entraîner de sérieux problèmes
secondaires. Le groupe d'experts devait donc rechercher "une
solution qui, dans la pratique, serait un moindre mal par
rapport à l'inaction". En tant que mesures les plus fermes
envisagées dans le cadre des sanctions internationales, on peut
citer l'interdiction pure et simple de tous les contrats (en
premier lieu des contrats d'investissement) avec l'Iran dans le
domaine des hydrocarbures, ou encore le renforcement des
sanctions financières.
L'économie iranienne traverse déjà une crise au niveau de son
système bancaire, à quoi il faut ajouter une inflation qui
approche les 20% pour l'année (iranienne) écoulée, et un taux de
chômage de près de 30%. Cette situation est le résultat, entre
autres, des sanctions financières "mesurées" déjà prises à
l'encontre du pays, ce qui donne matière à réfléchir en cas de
renforcement de ce type de pression. Les dirigeants iraniens
pourraient se voir alors obligés de négocier avec la communauté
internationale. Cependant, même une telle mesure ne garantirait
pas le revirement d'Ahmadinejad, qui lie sa politique nucléaire
au "génie de la nation iranienne".
Les experts ont examiné un autre scénario. Une idée
relativement nouvelle a été avancée lors de la réunion de
Moscou: peut-être le temps est-il venu de reconnaître à l'Iran
le statut de puissance nucléaire? Avec toutes les nouvelles
obligations que cela impliquerait pour lui en matière de
participation aux accords internationaux, avec l'attention
internationale particulière qui va de pair avec ce statut et
l'utilisation de mécanismes de dissuasion tout autres?
A l'issue de cette réunion d'experts dans la capitale russe,
la Conférence internationale de prévention des catastrophes
nucléaires publiera justement dans les prochains jours un
ensemble de propositions au Conseil de sécurité sur la question
du dossier nucléaire iranien
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
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