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La lutte de faction s'intensifie au sein
de l'élite dirigeante iranienne
Peter Symonds

Mahmoud Ahmadinejad
Vendredi 19 juin 2009 Une lutte de faction tendue au sein du
régime clérical de l’Iran s’est poursuivie alors que des
dizaines de milliers de partisans du candidat à la présidence
défait, Mir Hossein Mousavi, ont manifesté dans les rues de
Téhéran pour une sixième journée consécutive, exigeant de
nouvelles élections.
Mousavi a appelé à la manifestation jeudi pour pleurer la
mort d’au moins sept manifestants tués dans des affrontements
lundi. L’opposition tentant de se départir de son image de
formation basée principalement sur les couches moyennes aisées,
le rassemblement fut prévu au Imam Khomeini Square, un quartier
à majorité ouvrière situé au sud de la capitale où le président
sortant Mahmoud Ahmadinejad profite d’un fort appui. La
couverture médiatique était limitée étant donné les restrictions
imposées aux journalistes étrangers par les autorités
iraniennes, y compris l’interdiction d’assister à des
manifestations « illégales ».
Jusqu’à maintenant, le chef suprême de l’Iran Ayatollah Ali
Khamenei, qui a soutenu Ahmadinejad, semble avoir adopté une
position conciliatrice envers Mousavi et ses alliés. Il n’a pas
sanctionné la totale répression des opposants d’Ahmadinejad.
Des restrictions ont été établies pour Internet et les médias
et, selon Amnistie internationale, au moins 170 personnes sont
détenues, dont de nombreux journalistes et « réformistes » en
vue. Mais on a permis, jour après jour, aux manifestations de
l’opposition de se dérouler sans intimidation notable.
Les décès de lundi seraient survenus après que des
manifestants aient lancé des pierres contre un bâtiment Basiji,
une milice volontaire étroitement liée à Ahmadinejad, qui a
répliqué en tirant dans la foule. Des étudiants de l’Université
de Téhéran ont aussi rapporté que cinq étudiants avaient été
tués dimanche soir lorsque leurs résidences furent attaquées par
la milice Basiji. Le speaker parlementaire Ali Larijani, un
personnage d’influence qui serait proche de Khamenei, a critiqué
publiquement l’attaque, accusant le ministre de l’Intérieur
d’être responsable des attaques et de la violence perpétrée
contre les manifestants de l’opposition.
Par le Conseil des gardiens de la constitution, Khamenei a
aussi posé plusieurs autres gestes de conciliation envers
Mousavi. Ce conseil, un organe non élu qui supervise l’élection
présidentielle, a déjà accepté un recomptage partiel des boîtes
de scrutin. Il a annoncé hier qu’il avait reçu 646 plaintes
d’irrégularités électorales des trois aspirants à la présidence
(Mousavi, Mahdi Karroubi et Mohsen Rezaei) et qu’il allait
rencontrer les quatre candidats samedi.
Les regards seront fixés demain sur Khamenei, qui a annoncé
qu’il allait diriger les prières de vendredi à Téhéran lors d’un
appel télévisé à l’unité nationale. Mousavi, qui est supposé
être présent, a reporté la prochaine manifestation à samedi.
Toutes les factions de l’élite dirigeante craignent que la
poursuite des manifestations puisse déclencher de bien plus
puissantes forces sociales, provoquées par la colère envers le
manque de droits démocratiques fondamentaux, la hausse du
chômage et la détérioration des conditions de vie.
Les différends politiques entre les alliés d’Ahmadinejad et
de Mousavi sont de nature tactique. Les soi-disant conservateurs
pragmatiques menés par l’ancien président Ali Akbar Hashemi
Rafsanjani se sont joints à divers « réformateurs », dont
l’ex-président Mohammad Khatami, pour soutenir Mousavi afin de
provoquer un changement dans les politiques étrangères et
économiques.
Rafsanjani et Kahtami sont tous deux critiques de la
démagogie antiaméricaine d’Ahmadinejad qui a entraîné un
isolement économique accru pour l’Iran. Avec l’élection d’Obama,
des couches de l’élite iranienne entrevoient la possibilité de
réduire les tensions avec les Etats-Unis, imposer un programme
de libre marché et ouvrir les frontières du pays aux
investissements étrangers. Malgré qu’ils soient tactiques, ces
désaccords demeurent néanmoins acerbes et se sont intensifiés
alors que l’Iran est frappé par la chute des prix du pétrole et
la récession économique mondiale.
Les partisans de Mousavi, bénéficiant d’une campagne partiale
extraordinaire dans les médias internationaux, ont dénoncé le
résultat de l’élection qui a donné 62 pour cent des voix à
Ahmadinejad pour être « truqué ». Mais peu d’observateurs ont
nié qu’Ahmadinejad ait une base considérable au sein des pauvres
des villes et de la campagne, qui forment la grande majorité de
la population de l’Iran.
Les dénonciations par Mousavi de la politique d’Ahmadinejad
en faveur des pauvres, sa défense d’une réforme pro-marché et le
soutien que lui a donné le milliardaire Rafsanjani, largement
considéré comme corrompu, étaient destinés aux classes moyennes
urbaines bien nanties, pas à la majorité du peuple.
Dans son long reportage, le correspondant du Times sur
les lieux, Joe Klein, a noté que malgré le fait qu’il y ait pu y
avoir fraude lors de l’élection, « il est entièrement possible
qu’Ahmadinejad l’aurait gagné quand même, mais par une marge
plus serrée, avec moins de 50 pour cent des voix, ce qui aurait
nécessité un deuxième tour ». Comme d’autres journalistes, Klein
a noté la division de classe à Téhéran. Le jour de l’élection,
il s’est rendu dans le quartier où Ahmadinejad a grandi et
commenté : « Les files d’attente à la mosquée centrale étaient
tout aussi longues que celles du Téhéran sophistiqué au nord de
la ville. Il y avait des partisans de Mousavi, mais le culte
envers Ahmadinejad était palpable. »
Klein a aussi conclu qu’Ahmadinejad avait gagné de façon
écrasante le débat avec ses opposants politiques qui a été
diffusé à la télévision un peu avant le jour du scrutin. Il a
écrit que les réformateurs Mousasvi et Karroubi avaient
été « mis en déroute ». Il a continué « Ils semblaient paralysés
par ce qu’ils considéraient comme de l’impertinence grossière de
la part d’Ahmadinejad. Pour établir une analogie, nous aurions
un tel débat aux États-Unis si nous avions d’un côté Georges
Bush père et, de l’autre, Newt Gringrich, un gentleman
avec des racines profondes dans l’establishment qui rencontre un
chat de ruelle populiste. »
Au cours du débat, Ahmadinejad a ouvertement attaqué deux
partisans de Mousavi, Rafsanjani et Khatami, pour être
corrompus. Rafsanjani a répondu au moyen d’une lettre ouverte,
un fait sans précédent, demandant que Khamenei rappelle
Ahmadinejad à l’ordre, le menaçant dans le cas contraire d’avoir
à faire face à des « volcans » de colère.
L’incident a dévoilé au grand jour la véritable nature des
forces qui se sont ralliées derrière Mousavi sous la forme d’une
lutte factionnelle au sein du régime pour le contrôle du levier
du pouvoir. Alors que les soi-disant réformateurs comme Khatami
ont joué leur rôle en présentant comme un libéral Mousavi,
anciennement connu pour ses vues conservatrices dures, celui qui
détient la balance du pouvoir est Rafsanjani. Comme le
correspondant du Guardian Simon Tisdall l’a noté, celui
que l’on surnomme « le requin » et le « faiseur de rois » n’a
pas « ménagé ses efforts pour aider le financement et pour
diriger la campagne de Mir Hossein Mousavi pour qu’il batte
Ahmadinejad ».
Rafsanjani a uni les conservateurs et les réformateurs dans
une alliance derrière Mousavi, mais pourrait aussi avoir joué un
rôle dans la nomination de Karroubi et Rezaei pour diviser le
vote qui serait autrement allé à Ahmadinejad, dans le but de
forcer un second tour de scrutin. Il a ouvert ses multiples
universités privées aux partisans de Mousavi pour qu’ils en
fassent des bases pour la campagne électorale. Son fils Mehdi
Hashemi Rafsanjani, qui était à la tête de l’opération
sophistiquée de gestion de campagne à l’Université de Azad,
s’est vanté au New York Times que c’était « comparable au
ministère de l’Intérieur. Mais c’est notre secret. »
Après le scrutin de vendredi dernier, Rafsanjani a gardé le
silence, mais se serait prétendument rendu à Qom, un centre
d’universitaires islamiques, pour établir une base de soutien
dans l’establishment du clergé. Rafsanjani est à la tête de la
puissante Assemblée des experts, qui a seule, selon la
constitution iranienne, le pouvoir de rappeler à l’ordre le
dirigeant suprême Khameni et même de le révoquer de son poste.
Si ce comité devait en arriver à cette extrémité, un geste sans
précédent, cela provoquerait inévitablement une lutte politique
ouverte pour le pouvoir avec des conséquences imprévisibles. Le
Guardian a aussi rapporté que des slogans de l’opposition
commencent à prendre Khamenei lui-même comme cible, le comparant
au dictateur chilien, le général Pinochet.
Plusieurs signes indiquent l’ampleur de la lutte acerbe qui a
lieu dans les coulisses. Plusieurs dirigeants religieux
dissidents ont ouvertement critiqué le résultat de l’élection.
L’Association pour des clercs militants, un groupe influent
d’importants ayatollahs, a aussi émis une déclaration qui
décrivait l’élection de vendredi dernier comme n’étant pas
valide. Selon Press TV, qui appartient à l’Etat, l’organisation
avait demandé l’autorisation de manifester dans les rues de
Téhéran dès samedi.
Au même moment, Ahmadinejad et ses partisans faisaient leur
propre travail. Environ 220 parlementaires parmi les 290 que
compte le parlement ont écrit à Ahmadinejad pour endosser sa
victoire. Ce nombre élevé est significatif, car
Ahmadinejad a confronté une grande opposition au parlement,
particulièrement sur la question de ses budgets et sa politique
économique. Juste avant les élections, le parlement avait rejeté
la proposition d’Ahmadinejad de couper les subventions de l’Etat
sur le prix de l’essence, de l’électricité et de l’eau,
principalement parce qu’elle n’offrait pas de limites globales
sur les dépenses de l’Etat.
Et avec cette intense lutte de factions, les deux côtés
exploitant à leur avantage les préoccupations des travailleurs
et de la jeunesse pour les questions de droits démocratiques et
pour de meilleures conditions de vie. Malgré sa vague promesse
de plus de liberté, Mousavi n’est pas plus dévoué à la cause de
la « démocratie » que ses adversaires. L’implémentation de son
programme en faveur du libre marché, qui va signifier
inévitablement un plus grand fardeau sur les épaules de la
majorité des travailleurs, ne pourra pas être imposée sans
provoquer une immense opposition. Comme il l’avait fait lors de
son premier mandat en tant que premier ministre en 1980, Mousavi
n’hésitera pas à faire usage de toute la puissance de l’Etat
pour faire respecter sa politique.
La seule force sociale pouvant mener une lutte cohérente pour
les droits démocratiques fondamentaux et pour mettre un terme à
la pauvreté et au chômage est la classe ouvrière. L’objectif
fondamental est de construire d’un parti révolutionnaire qui
mobilisera les travailleurs ainsi que les pauvres des villes et
des campagnes, de façon indépendante de toutes les factions de
la bourgeoisie iranienne. Un tel mouvement doit lutter pour un
gouvernement des ouvriers et des fermiers et pour un Iran
international.
(Article original anglais paru le 19 juin 2009)
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Publié le 20 juin 2009 avec l'aimable autorisation du WSWS
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