Opinion
L'Europe en guerre
contre l'Iran
Pepe
Escobar
Jeudi 26 janvier
2012
J’ignore si Pepe Escobar est le meilleur
analyste de la situation géopolitique en
Asie et dans le Pipelineistan mondial,
mais ce qui est sûr, c’est que ses
papiers sont souvent intéressants.
Pepe Escobar prend en effet de la
distance, dans l’espace, c’est—dire
qu’il cherche à comprendre comment les
faits s’imbriquent au niveau mondial, et
dans le temps en s’intéressant aux
effets et évolutions à moyen et long
terme. Une compréhension qui ne peut se
faire qu’en prenant en compte aussi le
passé.
Pepe Escobar ne nous parle guère
d’idéologies quand il traite des
évolutions stratégiques ; démocratie,
droits de l’homme, dictature… Tout cela
est bel et bien bien et intéressant
mais, comme le disait Karl Marx en son
temps, en dernière instance ce sont les
rapports de production qui sont
déterminants. Ces rapports définissent
de fait un système de production dont le
fonctionnement concret dépend aussi de
l’évolution des techniques, celles là
même qu’il génère et promeut, et de
conditions bassement matérielles que
sont la disponibilité de matières
premières dont le gaz et surtout le
pétrole qui servent à nourrir le système
en énergie.
Ces matières premières énergétiques sont
la clef de la puissance, soit qu’on les
possède, soit qu’on les contrôle. En
fait, c’est ce dernier aspect qui est de
loin le plus décisif et, ainsi que nous
l’explique Pepe Escobar, les Etats Unis
et l’Occident confrontés à la montée de
nouvelles puissances de rang mondial,
ont entrepris patiemment de s’adjuger,
de gré ou de force, non pas l’accès à ce
pétrole et à ce gaz mais son contrôle
pour disposer d’un atout absolument
décisif pour le maintien de leur
hégémonie.
C’est ce qui s’est joué en Libye, ce qui
se joue maintenant en Iran et les
évènements de Syrie s’inscrivent, que
les Syriens le veuillent ou non, dans ce
contexte.
Djazaïri
Pepe Escobar,
Asia Times 25 janvier 2012
traduit de l’anglais par Djazaïri
No one ever lost
money betting on the foolishness of
European Union (EU) politicos. And if
you are Personne ne perdra jamais
d’argent en pariant sur la stupidité des
politiciens de l’Union Européenne (UE).
Et si vous êtes trader de pétrole,
réjouissez-vous en vous rendant à la
banque ; comme prévu, les ministres des
affaires étrangères de l’Union
Européenne – emboitant docilement le pas
de l’administration Obama – ont donné
leur feu vert à un embargo complet sur
le pétrole iranien.
L’embargo
s’applique non seulement aux nouveaux
contrats, mais aussi aux contrats en
cours – qui seront annulés le 1er
juillet – et comprend des sanctions
additionnelles qui visent la banque
centrale iranienne et les exportations
de dérivés pétroliers vers l’UE.
Il est toujours
très important de rappeler que l’embargo
– une déclaration de guerre économique
de facto – a été proposé avec force
d’abord par le « libérateur »
néo-napoléonien de la Libye, le
président Français Nicolas Sarkozy.
L’excuse officielle pour cette guerre
économique sont « les inquiétudes de
plus en plus grandes quant au programme
nucléaire iranien. »
Les avertissements
de Moscou, enjoignant l’UE de cesser
d’agir une fois encore comme un simple
pion en se tirer elle-même une balle
dans le pied. Les Russes savent tout ce
qu’il y a à savoir sur les horribles
effets en retour que pourrait avoir cet
embargo.
L’UE défend sa
stratégie – ou sa guerre économique –
comme étant la seule manière d’éviter le
«chaos au Moyen Orient». Pourtant, la
guerre économique pourrait bien finir
par allumer l’étincelle de la guerre
ouverte qu’elle cherche en théorie à
éviter, c’est-à-dire de tout un ensemble
de conséquences inattendues qu’elle
porte en elle.
Ce qui nous emmène
tout directement au drame du détroit
d’Ormuz. Téhéran a à maintes reprises
affirmé qu’elle fermerait Ormuz
seulement si – et il faut le répéter –
l’Iran est empêchée d’exporter son
pétrole. Ce qui représenterait un coup
mortel contre son économie – entièrement
dépendante des exportations pétrolières
– sans parler de son régime contrôlé par
le Guide Suprême, l’ayatollah Ali
Khamenei Le changement de régime est le
véritable agenda de Washington et de ses
caniches européens (voir Le mythe d’un
‘Iran isolé’, Asia Times Online, 19
janvier – mais on ne peut pas le dire
clairement à l’opinion publique
internationale.
Les traces de mes
larmes
Sur les cinq plus
gros importateurs de pétrole iranien
quatre se trouvent en Asie; deux sont
membres du BRICS (l’Inde et la Chine),
plus les allies des USA que sont la
Corée du Sud et le Japon. On peut
affirmer sans se tromper que tous ces
importateurs devraient vivement
reprocher aux Américains/Européens leurs
provocations (en fait certains le font
déjà) si l’Iran envisageait de bloquer
le détroit d’Ormuz, où y activait des
mines.
L’UE importe pour
sa part environ 600 000 barils de
pétrole iranien par jour, soit 25 % des
exportations quotidiennes de l’Iran. Le
plus gros importateur est l’Italie.
D’autres gros clients sont l’Espagne et
la Grèce. Tous ces pays du Club Med,
c’est un euphémisme, sont actuellement
enfoncés dans de profondes difficultés
économiques.
L’UE insiste pour
broder sur sa soi-disant “double
approche” sur l’Iran. Dépouillée de son
vernis propagandiste, la double approche
se résume en pratique à « taisez-vous,
pliez devant nos sanctions, cessez
d’enrichir de l’uranium et venez
négocier selon nos conditions. »
Alors quand la chef
de la diplomatie européenne – la
prodigieusement insignifiante Catherine
Ashton – pérore sur la « validité de la
double approche, » les diplomates
sérieux dans tout le monde en voie de
développement ne peur l’interpréter que
pour ce qu’elle est ; une blague qui
n’est pas exactement de nature à inciter
l’Iran à renouer les négociations avec
le groupe de contact sur l’Iran (les
cinq membres permanents du Conseil de
Sécurité plus l’Allemagne).
Pendant ce temps,
le maître des caniches européens –
l’administration Obama – exerce toutes
sortes de pressions sur les puissances
asiatiques pour qu’elles arrêtent
d’acheter du pétrole iranien. On peut
rêver. Pour tous ces pays – y compris le
Japon et la Corée du Sud – les affaires
vont continuer normalement ; ils ont
besoi du pétrole iranien encore plus que
l’Occident.
Même BP – pollueur
notoire du Golfe du Mexique – a demandé
à l’administration Obama d’être exemptée
des sanctions. Une demande qui a tout ç
voir avec un chapitre essentiel du
Pipelineistan – le développement de
l’immense champ gazier de Shah Deniz II
en Azerbaïdjan.
L’Europe ne peut en
aucune façon bénéficier du gaz de la mer
caspienne sans un investissement énorme
de 22 milliards de dollars pour
développer Shah Deniz II dont 10 % des
parts sont détenues par l’Iran. Shah
Deniz II serait essentiel pour alimenter
le pipeline Nabucco, si jamais il voit
le jour. Nabucco contourne l’’allié
stratégique de l’Iran qu’est la Russie –
il se trouve que cette dernière garde la
mainmise sur l’approvisionnement en gaz
de l’Europe, ce dont les Européens se
plaignent constamment à Bruxelles.
Si l’Iran le
bloque, l’affaire est enterrée Nous
avons donc une situation
post-surréaliste du géant pétrolier
britannique – avec BP implorant pour que
les USA la dispensent de sanctions parce
que la sécurité énergétique de l’Europe
serait fragilisée. La Grande Bretagne
qui se trouve aussi être un ennemi
implacable u régime de Téhéran s’en
remet cependant toujours à l’Iran pour
«sauver» l’Europe des griffes de
Gazprom. Un imbroglio total.
La City ne dort
jamais
Le but du jeu en
Iran sera toujours un changement de
régime parce que ce que le rêve qui fait
remuer la queue de Washington et de ses
caniches européens est de mettre la main
sur les fabuleuses réserves pétrolières
(12,7 % des réserves mondiales) et sur
les ressources en gaz de l’Iran. Et le
fait est que ces ressources profitent de
plus en plus au réseau qui vise à
assurer la sécurité énergétique de
l’Asie – et non à l’Occident.
Les énormes
gisements d’Azadegan Nord et Sud – 23
milliards de barils – sont exploités par
– qui d’autre? – la Chine et sont tous
deux développés par la China National
Petroleum Corporation qui prévoit
d’investir 8,4 milliards de dollars dans
les dix années à venir. Même chose pour
le gisement de Yadavaran qui est
développé par la China Petroleum &
Chemical Corporation et qui dans quatre
ans produira près de 200 000 barils par
jour. Et tout ça, en omettant de
seulement mentionner le plus grand
gisement gazier au monde – South Pars
dont l’Iran possède une grande partie au
côté du Qatar.
Et puis il y a le
front crucial du pétrodollar. Dominique
Strauss-Kahn (DSK), , peu avant sa
démission force du poste de directeur
général du Fonds Monétaire International
à cause d’un scandale sexuel, insistait
pour mettre un terme au rôle du dollar
US en tant que monnaie de réserve
internationale, proposant de le
remplacer par les Droits de Tirage
Spéciaux (DTS), la monnaie virtuelle du
FMI à partir d’un panier qui inclut le
dollar US, l’euro, le yen, le yuan et la
livre sterling.
Ce qui est déjà en
train de se produire, par d’autres
moyens. Pour la gouverne de celui qui
somnole à la barre de l’axe
Washington/Bruxelles, la Chine et l’Inde
contournent déjà les sanctions
euro-américaines contre l’Iran.
Trois membres du
BRICS (la Chine, l’inde et la Russie)
plus le Japon et l’Iran – un puissant
mix des plus grands producteurs et
consommateurs mondiaux d’énergie – sont
déjà en train de commercer, ou sur le
point de le faire, dans leurs propres
monnaies. La Russie et l’Iran viennent
de commencer à commercer en roubles et
en rials. Toutes ces puissances ont des
accords bilatéraux – qui vont
inexorablement évoluer vers la
multilatéralité; ce qui se traduit par
un lent déclin du dollar en tant que
monnaie de réserve au niveau mondial,
avec les répercussions sismiques que
cela implique.
C’est comme si un
monde stupéfait était en train de
regarder un rituel d’hara-kiri exécuté
au ralenti par l’Occident sous la
domination de Washington.
Il y a aussi le
fruit prometteur en cette année du
Dragon pie – les bourses monétaires
internationales libellées en yuan à la
City de Londres. Pékin le veut – et la
City le veut aussi. Téhéran vend déjà du
pétrole à pékin en yuan. Pensez à l’Iran
se servant de la bourse monétaire de
Londres pour utiliser ses yuans et ainsi
continuer à accéder aux marchés mondiaux
– peu importerait alors l’avalanche des
sanctions ou l’embargo par l’US/USA.
A l’évidence, les
acteurs de la City sont conscients que
bourse de « libre échange » en yuan à
Londres peut jouer à l’avantage de
l’Iran ; mais à la différence de ces
imbéciles de Bruxelles, les filous de la
City savent que les affaires sont les
affaires.
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