Le second anniversaire de
l’intervention de l’OTAN aux côtés
des rebelles libyens contre Mouammar
Kadhafi n’a quasiment pas été
mentionné par les gouvernements et
les médias étrangers qui
s’inquiétaient tant pour la sécurité
et les droits humains du peuple
libyen en 2011. Cela ne devrait pas
nous surprendre parce que la Libye
actuelle est de toute évidence en
train de se désagréger et que les
Libyens sont devenus les proies des
miliciens qui affirmaient autrefois
vouloir les protéger.
Quelques uns des évènements qui
ont eu lieu en Libye au cours des
dernières semaines donnent un aperçu
de la situation et valent d’autant
plus la peine d’être mentionnés que
la presse étrangère, qui autrefois
s’entassait dans les hôtels de
Benghazi et Tripoli, ne s’y
intéresse pas. Par exemple, dimanche
dernier, le secrétaire général du
premier ministre Ali Zeidan a
disparu de la capitale et semble
avoir été enlevé. Il se peut que ce
soit une mesure de rétorsion parce
que les ministres ont dit que les
milices agissaient en toute
impunité. Le même jour, une milice a
envahi le ministère de la justice
pour exiger la démission du ministre
après qu’il l’ait accusée de tenir
une prison illégale.
La situation empire au lieu de
s’améliorer. Le 5 mars, le parlement
libyen s’est réuni pour décider si
les Libyens qui avaient eu des
fonctions officielles pendant les 42
ans de pouvoir de Kadhafi devaient
être relevés de leurs fonctions.
Cela inclurait même les dissidents
de longue date qui ont joué un rôle
de premier plan dans l’insurrection
contre Kadhafi mais qui ont été
ministres des dizaines d’années
auparavant sous l’ancien régime. Les
protestataires en faveur de cette
purge étaient si menaçants que les
membres du parlement ont été
contraints de se réfugier dans les
bureaux du service météorologique à
l’extérieur de Tripoli où ils ont
été attaqués par des hommes armés
qui ont envahi le bâtiment déserté
par la police. Des parlementaires
ont été retenus en otage pendant 12
heures et d’autres ont bravé les
balles pour s’enfuir.
Aux abords de Tripoli, la loi des
milices est encore plus totale. Le
reste du monde ne s’y intéresse que
lorsqu’il y a des violences
spectaculaires comme l’assassinat à
Benghazi en septembre dernier de
l’ambassadeur étasunien Chris
Stevens par des milices djihadistes.
Et si cet événement d’une violence
extrême a reçu une telle couverture
des médias étrangers, c’est pour la
seule et unique raison que le parti
républicain en a fait un cheval de
bataille politique aux Etats-Unis.
Mais l’ambassadeur et ses gardes ne
sont pas les seuls étrangers à avoir
été assassinés à Benghazi depuis le
renversement de Kadhafi. Une
association des droits de l’homme
égyptienne a annoncé le mois dernier
qu’un copte égyptien nommé Ezzat
Hakim Attalah avait été torturé à
mort dans la ville après avoir été
détenu avec 48 autres commerçants
dans le marché municipal de
Benghazi.
Les organisations des droits
humains décrivent la situation en
Libye avec plus de sérieux et
d’impartialité que les médias
internationaux, à part quelques
honorables exceptions. Comme c’est
sa tradition, Human Rights Watch,
qui est basé à New York, a diffusé
le mois dernier un rapport
documentant le nettoyage ethnique de
la ville de Tawergha où 40 000
personnes ont été forcées de quitter
leur maison et "ont été détenues
arbitrairement, torturées et
assassinées". La forte population
noire de la ville a été accusée
d’avoir soutenu Kadhafi par les
milices de Misrata. Human Rights
Watch a utilisé des images
satellites pour montrer que la
destruction de Tawergha a eu lieu
principalement après la guerre de
2011 au cours de laquelle 1370 sites
avaient été détruits ou endommagés.
Fred Abrahams, un conseiller spécial
de Human Rights Watch, a déclaré que
les images par satellite confirment
que "le pillage, les incendies, et
les destructions systématiques
étaient organisés et avaient pour
but d’empêcher les habitants de
revenir".
Le manque d’intérêt de la presse
internationale offre un contraste
flagrant avec sa couverture de la
Libye pendant la guerre. Au
printemps 2011, je faisais un
reportage sur les combats autour de
la ville de Ajdabiya au sud de
Benghazi. Il y avait une ambiance de
guerre bidon que ne reflétaient pas
les reportages enthousiastes. A
l’entrée sud de Ajdabiya, je me
souviens avoir regardé avec
amusement les équipes de télévision
se positionner de telle sorte qu’on
ne puisse pas se rendre compte qu’il
y avait plus de journalistes que
d’insurgés.
Je n’ai jamais vu de positions
rebelles ni même de barrages
rebelles sur les routes entre
Ajdabiya et Benghazi, deux villes
qui étaient dépendantes des frappes
de l’OTAN pour leur défense. C’était
certainement des unités rebelles
braves et dévouées, comme l’ont dit
les journalistes, mais les insurgés
auraient été rapidement battus sans
le soutien de l’OTAN.
Le fait que Kadhafi ait été
renversé principalement par des
forces étrangères a de grandes
conséquences pour la Libye
d’aujourd’hui. Cela explique que les
insurgés, tout en croyant et
affirmant que la victoire était leur
oeuvre, se soient révélés trop
faibles pour mettre en place quelque
chose à la place de la version de
nationalisme arabe de Kadhafi. Sans
ce nationalisme arabe, il n’y a pas
grand chose pour contrebalancer le
fondamentalisme islamique ou le
tribalisme.
Est-ce que cela a de l’importance
? Peut-être pas, car le nationalisme
libyen a été discrédité aux yeux de
beaucoup de Libyens par l’usage
qu’en ont fait Kadhafi et sa
famille.
La situation catastrophique qui
est celle de l’Irak depuis 2003 se
propage, sous des formes
différentes, à d’autres pays arabes.
Ils se rendent compte, comme les
Irakiens, qu’il n’est pas possible
de passer à un fonctionnement
démocratique tant que les
principales forces politiques ne
sont pas d’accord sur les règles qui
déterminent l’attribution du
pouvoir.
L’auto-détermination nationale
devrait être au coeur de tout nouvel
ordre. Mais le problème des révoltes
du printemps arabe, c’est qu’elles
ont toutes été fortement dépendantes
du soutien extérieur. Or, comme le
montre ce qui arrive en Irak et en
Libye, l’intervention étrangère est
toujours intéressée. Les
révolutionnaires de tous les pays
recherchent l’aide étrangère, mais
pour assurer le succès de leur
entreprise sur le long terme, ils
doivent y renoncer très vite. Et ils
doivent construire un état de droit
parce que, sinon, de nouveaux
dictateurs s’imposeront.
Patrick Cockburn,
The Independent
Pour consulter l’original :
http://www.independent.co.uk/voices/comment/libyas-future-lo...
Traduction : Dominique Muselet
© LE GRAND SOIR -
Diffusion non-commerciale autorisée et
même encouragée.
Merci de mentionner les sources.
Publié le 13 avril 2013