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IRIS - Interview
Faut-il avoir peur de la bombe iranienne ?
Pascal Boniface

Pascal Boniface - Photo IRIS
Vendredi 19 juin 2009
Interview de Pascal Boniface par Henri
Guirchoun et Jean-Baptiste Naudet (Le
Nouvel Observateur, 18 juin)
Où en est le programme militaire nucléaire
iranien ? Téhéran veut-il vraiment avoir la bombe ou rester au
seuil atomique ?
Difficile de savoir exactement où ils en sont
car nous sommes dépendants des sources du renseignement. Le
dernier rapport réalisé par les 16 agences de sécurité
américaines réunies a jeté un pavé dans la mare. Il a pris à
contre-pied ce qui était dit en estimant que l’Iran avait cessé
son programme militaire, qu’il n’était pas bientôt prêt à avoir
l’arme nucléaire, parlant même d’un délai de plusieurs années,
au moins jusqu’à 2012. Pourtant les experts affirment chaque
année, mais depuis une dizaine d’années…, que les Iraniens sont
à un an d’avoir l’arme nucléaire
Ils se trompent ou nous trompent. Ceux qui
disent que l’Iran va bientôt avoir l’arme nucléaire sont les
mêmes que ceux qui ont affirmé, à tort, que l’Irak de Saddam
Hussein avait des armes de destruction massive, qu’il fallait
lui faire la guerre. Les Iraniens veulent-ils utiliser l’arme ?
Veulent-ils détruire Israël ? J’en doute quelques soient leurs
provocations. Car ils savent qu’ils seraient détruit en retour
et n’ont pas envie de se suicider. Ce que veulent les dirigeants
iraniens, c’est protéger, sanctuariser leur pays et leur régime.
L’Iran fait peur a tout le monde. Mais, plusieurs fois attaqué,
notamment à l’arme chimique, encerclé par un dispositif
militaire américain, l’Iran a peur de tout le monde. S’il
fabrique l’arme nucléaire, au lieu de se protéger, l’Iran risque
une frappe décapitante. On peut donc penser que l’Iran veut
juste aller le plus loin possible jusqu’au seuil.
Un Iran nucléaire est-il forcément dangereux ?
Certains suprématistes occidentaux trouvent
que l’arme nucléaire est bonne pour les peuples « civilisés »,
« blancs », par extension pour la Chine,
mais que les autres ne sont pas mûrs pour la maîtriser. C’est
tout le débat sur l’irrationalité des dirigeants du Sud. Est-ce
que Mao, Staline, ou même Kennedy en se lançant dans la guerre
du Vietnam, étaient rationnels ? C’est confondre sympathique et
rassurant, mélanger le débat sur les valeurs et celui sur la
rationalité. On peut ne pas partager les valeurs des dirigeants
actuels de l’Iran. Mais dirent qu’ils sont fous, c’est autre
chose. On peut ne pas partager les valeurs de la Corée du Nord
et constater que ses dirigeants arrivent à s’en sortir dans leur
chantage permanent, avec des arguments assez faibles. Donc
qu’ils ont un comportement très rationnel. Si l’Iran avait
l’arme nucléaire, ce serait certes une modification de
l’équilibre des forces dans une région déjà très instable.
Quelques soient les menaces de l’Iran, le danger est moins pour
Israël, qui a une peur existentielle, que pour le Traité de non
prolifération (TNP) qui va voler en éclat. Ce qui va inciter
d’autre pays de la région à se lancer dans la course au
nucléaire.
Comment empêcher l’Iran d’avoir la bombe ?
Certains disent qu’une guerre serait moins
grave qu’un Iran nucléaire, les mêmes qui avaient dit que tout
se passerait bien en Irak. Mais la seule chose que George Bush
ait refusé à Israël, c’est à l’automne dernier, des frappes sur
l’Iran, qui auraient eu des conséquences incalculables mais
majeures. Ceux qui ont aimé la guerre contre l’Irak adoreront
celle contre l’Iran ! Le choix n’est pas entre un Iran nucléaire
et une guerre pour l’éviter. Il faut empêcher que l’Iran ait
l’arme nucléaire. Mais il ne faut pas confondre les effets et
les causes, en risquant d’aggraver le mal. Si on reconnaît les
problèmes de sécurité de l’Iran, même si nous n’aimons pas ce
régime, qu’il ait la garantie qu’on ne veut pas renverser le
régime par la force, la crise peut se dénouer. Mais les
éradicateurs nucléaires pensent que l’Iran est un pays du Sud,
qui doit se mettre à genoux devant le grand chef blanc. Cette
époque coloniale est révolue. Si on leur demande de céder sur le
nucléaire en leur proposant quelque verroterie, cela ne marchera
pas.
Quel est l’impact du développement du programme
nucléaire nord-coréen sur l’Iran, sur la prolifération ?
La prolifération nord-coréenne donne de
l’espace à l’Iran et inversement. Cela demande aux pays
occidentaux de faire un effort. Si Barack Obama a dessiné la
perspective, même à long terme, d’un monde non-nucléaire, c’est
bien pour répondre aux accusations des pays qui soulignent qu’on
leur demande de renoncer à l’arme nucléaire alors que les
Occidentaux en font le cœur de leur sécurité.
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Publié le 20 juin 2009 avec l'aimable autorisation de l'IRIS.
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