Opinion
Que fait
l'American Jewish Committee à Tunis ?
Omar
Alsoumi
Jeudi 4 juillet 2013
Quand
j’ai lu sur le site de Oumma.com que l’AIPAC,
American-Israeli Public Affairs
Committee, était à Tunis
pour une visite officielle et des
rencontres avec les principaux partis
politiques tunisiens, mon sang n’a fait
qu’un tour.
Militant du Mouvement des Jeunes
Palestiniens, je suis à Tunis depuis
bientôt un an. J’ai participé, avec des
jeunes militants de différentes
organisations politiques tunisiennes, à
coordonner la Conférence des Jeunes
Arabes pour la Dignité et la Libération
qui s’est tenue à Tunis en décembre [1].
La question de la normalisation avec le
régime sioniste est centrale dans
l’espace politique arabe, et elle se
pose ici avec une acuité particulière
depuis la révolution tunisienne.
L’ouverture de l’espace politique a
renouvelé les espoirs et les ambitions
auparavant contenues sous le couvercle
de l’autoritarisme. « Le peuple veut la
libération de la Palestine » est un
slogan consensuel auquel de nombreux
militants cherchent une traduction
concrète dans la nouvelle Tunisie. C’est
autour de l’interdiction de la
normalisation avec le sionisme que s’est
cristallisé le débat ces derniers mois.
L’avant-projet de constitution
mentionnait :« la normalisation avec le
sionisme est un crime qui doit être
punit ».
Finalement, la troïka dirigeante
emportée par Ennahdha a renoncé à
inclure ce point dans la constitution,
affirmant qu’une telle disposition
relevait plutôt de la loi, ce qui n’a
pas manqué de susciter les réactions
critiquesd’une grande partie de
l’opposition. Dans notre travail visant
à constituer un front large contre le
colonialisme et le sionisme, nous avons
constamment été freinés par les
critiques et les réserves sur la
participation de jeunes militants d’Ennahdha.
Nous avons toujours défendu leur
présence considérant qu’aucune de nos
différences ne nous permettait de
considérer qu’ils avaient trahi les
principes fondateurs de notre
rassemblement : le refus du sionisme et
la lutte pour l’indépendance.
L’article de Oumma.com affirmait que
l’AIPAC, officine centrale du lobby
sioniste était à Tunis, et que « Rached
Ghannouchi faisait partie de ses hôtes
de premier plan ». Une accusation grave
relayée par certains médias tunisiens
peu sourcilleux sur la qualité du
travail journalistique .[2]
Je me suis donc attelé à vérifier
cette information, qui me semblait un
peu légère, fondée sur « des sources
bien informées » mais mystérieuses, et
relayée par un média militant qui a
multiplié ces derniers temps les
accusations contre les Frères Musulmans.
L’article présentait un certain Radwan
Masmoudi comme la cheville ouvrière des
relations entre Ennahdha et les réseaux
américains, notamment des thinks tanks
influents de Washington. J’ai alors
entrepris de m’informer sur cet homme,
le fondateur du Centre pour l’Etude de
l’Islam et de la Démocratie. Et sur sa
page Facebook, je découvre une
dénégation enflammée de l’article de
Oumma.com. En substance : « ce n’est pas
l’AIPAC, c’est l’AJC qui est en visite à
Tunis! ». Mais qu’est-ce que l’AJC ?
L’American Jewish Committee est une
autre organisation du lobby sioniste, un
allié et concurrent de l’AIPAC, le
deuxième élément d’un tandem
fonctionnant un peu comme Shimon Pérès
et Benjamin Netanyahou. L’un parle de
paix, l’autre de sécurité, mais
ensemble, ils volent leur terre aux
Palestiniens, confisquent Jérusalem,
traitent d’antisémite qui ose critiquer,
et de terroriste qui ose résister. Un
coup d’œil rapide sur le site de l’AJC
permet de le vérifier… et de découvrir
que l’AJC est un habitué des visites en
Tunisie. Son directeur des relations
internationales, Jason Isaacson,
organisait un séminaire à Tunis en 2005,
à l’occasion du sommet mondial de
l’information qui avait accueilli Sivan
Shalom, le ministre des affaires
étrangères d’Ariel Sharon. Depuis, les
visites de courtoisie aux gouvernements
successifs du régime de Ben Ali se sont
enchaînées. La dernière a eu lieu le 15
décembre 2010, deux jours avant que
Mohammed Bouazizi ne s’immole à Sidi
Bouzid. Le communiqué de l’AJC salue «
le rôle positif de la Tunisie pour
la paix israélo-arabe, sa tolérance, et
son respect des droits des femmes »
[3].
Ainsi, Radwan Masmoudi, a confirmé
que des représentants du lobby sioniste,
l’AJC était en visite officielle à
Tunis. Qui va les recevoir ? Difficile
de s’appuyer sur le seul article
d’Oumma.com. Et RadwanMasmoudi, que j’ai
contacté, m’a affirmé qu’il ne pouvait
pas me renseigner. Le bureau de
l’information d’Ennahdhaa nié tout
contact avec l’AIPAC, et toute
information sur une telle délégation
[4]. Cela ne vaut pas dénégation d’une
rencontre avec l’AJC, mais confirme leur
ligne politique officielle de refus des
rencontres avec les organisations
sionistes. Les responsables du CPR
(Conférence pour la République, parti du
président temporaire de la république,
Moncef Marzouki) et du Parti Républicain
(un des héritiers de l’opposition à Ben
Ali) ont affirmé ne pas avoir été
contactés. Mais, alors, quels sont les
partis qui ont accepté de recevoir l’AJC
? Peut-être les lobbyistes sionistes se
sont-ils contentés de solliciter le
gouvernement ? Nous n’en savons rien
pour l’instant. Espérons qu’à leur
habitude, ils se vanteront bientôt dans
un communiqué officiel de l’accueil
chaleureux qui leur a été réservé, et
nommeront leurs interlocuteurs
tunisiens.
En attendant, cette affaire révèle au
moins une chose : alors que nos frères
Palestiniens et Syriens sont
systématiquement bloqués « pour
vérification » à l’aéroport de
Tunis-Carthage, les sionistes entrent et
agissent sans difficulté en Tunisie.
_______________
[Notes]
[1] Voir le rapport sur
Al Mayadeen
[2] A lire “Le
puissant lobby sioniste AIPAC reçu en
Tunisie ”
[3] A lire :
AJC President Confers with Tunisian
Officials, Jewish Community
[4] Communiqué du parti Ennahdha [Ar
]
Par Omar Alsoumi,
coordinateur à Tunis du Mouvement des
Jeunes Palestiniens (PYM
– Palestinian Youth Movement) Membre
fondateur de
Génération Palestine, association
européenne de jeunes pour la Palestine
établie à Paris. Professeur de
développement social.
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