Opinion
Les effets
dévastateurs des armes américaines sur les habitants de
Falloujah dépassent ceux d'Hiroshima
Nabil Ennasri
Vendredi 16 juillet 2010 Dans l’histoire récente
de l’occupation de l’Irak par l’armée américaine, la bataille de
Falloujah restera certainement l’un des épisodes les plus noirs.
Du 6 au 29 novembre 2004, des milliers de soldats américains
réduiront en cendres cette localité située à 70 km à l’ouest de
Bagdad dans laquelle des centaines de djihadistes et de
résistants irakiens avaient trouvé refuge. Véritable bastion de
l’insurrection sunnite, la ville avait été soumise à un déluge
de feu pendant des semaines. Le bilan fut très lourd : à côté de
la centaine de soldats américains ce sont près de 4 000
personnes qui tomberont du côté irakien dont plusieurs centaines
de femmes et enfants.
Aujourd’hui, la chaîne Al Jazerra nous apprend
que les retombées de cette offensive sont désastreuses au niveau
de la santé publique : dans toute la région de Falloujah, le
nombre de nourrissons nés avec des malformations ne cesse
d’augmenter de façon alarmante et les cas de cancer et de
maladies génétiques graves se multiplient.
L’émission Bila Houdoud (“Sans limites“), un des
programmes phares de la chaîne qatarie, a en effet consacré son
émission fin juin à ce drame. L’invité du jour était le
Professeur Chris Busby, un des spécialistes britanniques les
plus réputés en matière de maladies cancerigènes[1]. Son constat
est sans appel : son enquête de deux mois menée auprès de 711
foyers de la région de Falloujah regroupant plus de 4 000
personnes l’amène à la conclusion suivante : les effets
dévastateurs de l’utilisation démesurée d’armes de destruction
massive, chimiques et radiologiques ont engendré des rétombées
terribles sur la population locale.
Il faut dire que l’armée américaine ne s’était
pas gênée. Pendant son offensive, les Marines avaient largement
fait appel à toute la panoplie d’armes chimiques pourtant
interdites par les conventions internationales : des centaines
de tonnes de bombes au phosphore blanc (les mêmes que l’armée
israélienne utilisera à Gaza quelques années plus tard), au
napalm, à fragmentions et à l’uranium appauvri avaient été
déversées sur la ville. De nombreux témoignages faisant état de
corps humains trouvés "fondus" dans les rues attestaient déjà à
l’époque de l’utilisation de ces armes prohibées. Comme souvent,
le Pentagone avait d’abord nié avant de se rétracter devant les
preuves accumulées par de nombreux journalistes.
Aujourd’hui c’est une équipe médicale
occidentale qui confirme ces faits en y ajoutant l’information
frappante selon laquelle des générations entières d’Irakiens
sont désormais condamnées à vivre avec des maladies atroces.
Selon le Professeur Busby, les conséquences de l’attaque de
Falloujah sont proportionnellement plus dramatiques que celles
causées par l’utilisation de l’arme atomique à Hiroshima et
Nagasaki[2]…
Dans un pays aux infrastructures sanitaires
sinistrées, on imagine le mal que peut causer ce genre de
pathologies. Car l’Irak est exsangue : depuis le début de la
guerre, des milliers d’universitaires, intellectuels, et
médecins ont été exécutés et des dizaines de milliers d’autres
ont fui le pays le vidant de ses principales forces vives.
Véritable bombe à retardement, les maladies et malformations qui
touchent un taux anormalement élevé de la population de
Falloujah et de ses alentours obèreront pendant longtemps le
développement d’une ville-martyr que l’armée américaine à voulu
punir pour donner une leçon à tous ceux qui contesteront son
occupation.
Plus largement, c’est tout l’Irak d’aujourd’hui
qui souffre dans l’indifférence générale. Le pays qui figurait
dans les années 70 comme l’un des espoirs du monde arabe et où
les indicateurs de développement humain se rapprochaient de ceux
des pays occidentaux, est aujourd’hui, après deux décennies de
guerre, renvoyé au Moyen-âge.
Dans n’importe quel endroit du monde, la
révélation de telles pratiques et de telles conséquences
auraient soulevé un tollé et nombreux sont ceux qui les auraient
qualifiés de crimes contre l’humanité. Mais il s’agit de l’Irak
dont peu de monde semble désormais s’intéresser et quasiment
aucun des grands médias occidentaux n’a relayé les conclusions
du Professeur Busby. Les habitants de Falloujah sont désespérés
de l’omerta mondiale sur leur drame et indignés par cette
impunité collective octroyée à l’armée américaine. Comme pour
l’agent orange qui causa des ravages pendant et après la guerre
du Viet-Nam, l’US Army ne paiera pas.
Pourtant, à Falloujah comme ailleurs en Irak et
dans le monde arabe, tout est malheureusement mis en place pour
que les habitants, révoltés, n’expriment leur frustration et
leur colère par le seul moyen mis à leur disposition et qui
effraie tant l’Occident : la résistance légitime que d’autres
appellent “terrorisme“.
Notes
[1]
http://www.aljazeera.net/NR/exeres/B5F1C02B-C8D0-461F-B8DB-DAC8E81B6055.htm
[2]
http://yubanet.com/world/Genetic-damage-and-health-in-Fallujah-Iraq-worse-than-Hiroshima.php
Les analyses de Nabil Ennasri
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