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L'EXPRESSIONDZ.COM
NOUVEL ORDRE
MONDIAL
Qui sont nos amis et ennemis?
Mustapha Cherif
30 avril 2008 Les pays développés, à leur tête
les Anglo-Américains, sont prêts à tout mettre en oeuvre pour
conserver leur suprématie évidente et sans contrepoids depuis 20
ans.
Contrairement aux siècles passés, et plus
qu'en d'autres régions, en Méditerranée la diplomatie n'est pas
une dimension parmi d'autres mais le niveau décisif des enjeux
de l'intégration des peuples à la marche du progrès. Dans cet
espace se joue l'avenir du monde. Après la sortie de
l'Andalousie, en 1492, et près de sept siècles de suprématie
scientifique et culturelle, les pays musulmans continuaient à
échanger ou résister. Le XVIIe siècle voit les Européens, sous
l'impulsion de la Renaissance, maîtres de la Méditerranée,
contraindre le gouvernement ottoman à la défensive. Ce recul est
flagrant dans le domaine économique; le commerce Orient-Occident
passe alors aux mains des Européens et les négociants du Sud
utilisent principalement des navires européens dans leurs
activités. Aux XVIIIe et XIXe siècles s'étend la diplomatie de
la canonnière et la colonisation européenne, qui nous a empêchés
de développer et déployer ce que nous étions. La deuxième moitié
du XXe siècle sera le temps salutaire de la décolonisation et du
non-alignement. En ce début du XXIe siècle, dans le cadre du
désordre mondial et de la mondialisation de l'insécurité, les
stratèges s'interrogent: demain qui sera notre ami et notre
ennemi? Quels sont les enjeux d'aujourd'hui et les menaces de
demain?
Diplomatie, savoir scientifique et commerce, sont les dimensions
qui permettaient à un pays de préserver ses intérêts, de
s’imposer et établir des rapports de force favorables ou
équilibrés, tout en veillant à pratiquer une politique de
défense au sens large. Aujourd’hui, cela est possible à
condition que ces facteurs s’appuient sur un système social
cohérent et un ordre politique démocratique. Nous sommes loin du
compte. Les difficultés sont grandes, complexes et les
incertitudes dominantes; aucune catégorie restreinte ne peut
seule décider des options et objectifs, d’où l’importance de se
tourner vers l’avenir, de s’appuyer sur l’essentiel: les
ressources humaines et les élites. Que faire, face à des
nouvelles formes de remise en cause de notre souveraineté et
identité, de colonisations indirectes, à un ordre unipolaire,
une hégémonie du libéralisme sauvage, et des rapports de forces
déséquilibrés? Depuis 1989, les Etats-Unis et le monde
occidental, qui détiennent 80% des capitaux, des brevets et des
labels, se retrouvent dans une situation inédite: un système
unipolaire où l’hégémonie des USA est indiscutée; position
qu’aucun pays n’a connue au cours du dernier millénaire. Quel
Etat, dans une situation similaire, ne serait tenté d’une façon
ou d’une autre d’user de son avantage? Reste à tenir compte de
cet état de fait et ne pas avoir une position manichéenne,
aligné aveuglement ou opposant éternel. La diplomatie a pour
tâche de clarifier où se situent nos intérêts, de discerner, de
traiter les questions cas par cas et d’être pragmatique, sans
perdre de vue les principes.
Un monde fragmenté
Certes, les néoconservateurs américains, unilatéralistes et
opposés à toute contrainte pouvant entraver la liberté d’action
impériale des Etats-Unis - notamment en exploitant à outrance le
11 septembre 2001, dictent leurs lois, et font augmenter
considérablement le budget militaire, pour conforter leur
suprématie. Malgré les offensives mondiales économiques et
diplomatiques du géant chinois, la montée de pays émergents
comme l’Inde et le Brésil, il n’y a pas encore, à court ou moyen
terme, de monde multipolaire en vue. Il n’y a pas d’union
politico-militaire entre Européens, divisés entre un suivisme
aveugle et passif sur la politique des USA et des critiques
théoriques, pas de nouveaux moyens à la mesure des ambitions de,
et le Japon n’a, pour le moment, pas d’autre volonté
qu’économique. Les pays musulmans n’ont d’ensemble que le nom,
l’OCI et les formes d’association sont inefficientes. Les
Etats-Unis, quelles que soient leurs contradictions, difficultés
ou erreurs, ont le système politique, la flexibilité et le
dynamisme technoscientifique nécessaires pour faire face, avant
les autres, aux mutations et aux défis. Reste en conséquence,
pour toute diplomatie, à se faire connaître des décideurs, des
lobbys aux USA et de la société civile américaine. Il n’y a pas
d’amis, il n’y a que des intérêts en diplomatie, ce credo axial,
n’est pas mis en oeuvre par le monde musulman. Les USA ont
besoin de partenaires francs, clairs et mesurés, pour les amener
à nuancer, voire à corriger leur vision du monde et non pas de
suivistes aveugles ou au contraire d’opposants irascibles, ni de
partenaires imprévisibles. Notre premier «ennemi» c’est
nous-mêmes si nous ne savons pas concevoir et dire franchement
ce que nous pouvons ou savons faire ou ne pas faire. On doit
élargir le champ du dialogue et des alliances avec toutes les
forces dans le monde, à commencer par les Américains, qui, de
manière concrète et pragmatique, recherchent ou ne refusent pas
des compromis acceptables pour tous.
Il existe certains signaux à l’intérieur du système
international: des conflits de moyenne intensité vont continuer
d’émerger; vu le recul du droit et la faiblesse de
contre-pouvoirs légaux et légitimes aux forces qui prônent
l’hégémonie ou l’autoritarisme. Ainsi, malgré la suprématie des
USA, aucune grande puissance ou centres de puissances ne
pourront établir leur sécurité sur la base de leurs seuls
atouts, ou asseoir leur hégémonie sans faille sur l’ensemble du
monde. On fera de plus en plus face à un monde fragmenté, avec
la consolidation d’un prisme négatif, un centre et des
périphéries; Amérique du Nord, Europe de l’Ouest et pays géants
émergents d’un coté et les pays du Sud de l’autre, régions
soumises à des instabilités chroniques et à la violence En
termes préventifs, la bonne gouvernance est un rempart et un
mode de prévention, car les grands risques surviennent lorsque
les régimes ne sont pas légitimes et incapables de s’appuyer sur
une large base sociale pour faire face à la subversion interne
ou aux pressions et agressions externes. Toutes les époques ont
leur idéologie ou mouvement de l’histoire. En ce début du XXIe
siècle, après un siècle ambivalent, chaotique et tragique, c’est
le mondialisme.
Au-delà d’une coopération mondiale et régionale nécessaires, il
s’agit, dit-on, de déréglementer, d’éliminer toutes les
barrières, afin d’aboutir à ce fameux village global.
Recomposition du monde
Le monde est ma tribu, semble être un nouveau mythe, car les
déséquilibres et inégalités s’aggravent tous les jours.
Le but, nous dit-on, est de créer des ensembles géoéconomiques
au sein desquels les nations seront soumises à des
considérations internationales et dont la réunion constituera
l’armature d’une future et improbable gouvernance mondiale.
Ainsi, ces blocs formatés par la même idéologie, celle de
l’économisme, et dont les populations auront été au préalable
alignées dans leur structure mentale sur les critères de la
marchandisation, produiront une humanité hybride. Ce désordre
mondial aurait commencé en Irak. A travers le sanglant bourbier
irakien, les Etats-Unis, préparent la recomposition du
Moyen-Orient et du monde. Le Maghreb qui constitue l’espace
arabo-musulman où la conjugaison authenticité-progrès est
possible, se laisse aller aux fuites en avant, aux surenchères;
aux divisions. Pourtant, sans cet espace commun, les solutions
resteront vaines.
Les pays développés, à leur tête les anglo-américains sont
prêts, à tout mettre en oeuvre pour conserver leur suprématie
évidente et sans contrepoids depuis 20 ans. Contrôler les
sources d’énergies et assurer leur sécurité nationale semble
leur souci principal. La politique américaine et le pétrole
entretiennent une relation intime. L’économie des Etats-Unis
repose sur un approvisionnement en pétrole illimité. La décision
d’envahir l’Irak fut prise, entre autres, pour assurer
l’hégémonie de la puissance anglo-américaine et le contrôle de
l’économie mondiale pour les 50 ans à venir. Ce projet commence
à être remis en cause par une série de nouveaux acteurs et de
nouveaux défis. Les pays développés considèrent aujourd’hui que,
pour lutter contre ces défis, le monde doit être uniformisé et
occidentalisé. La mondialisation signifie occidentalisation sans
les avantages des normes démocratiques. Ceci se traduit par la
volonté de couler les Etats considérés comme faibles ou
défaillants dans le moule libéral occidental au sens économique,
mais pas au sens politique. D’où la tendance des puissances à
chercher à contrôler les espaces où se développe la
contestation, au lieu de changer l’ordre qui provoque celle-ci.
L’idée d’une Union pour la Méditerranée semble correspondre à ce
type de situation, alors que les pays du Sud, pour la plupart,
ne sont pas encore aptes au partenariat vu leurs archaïsmes.
C’est une démocratisation des relations internationales et une
coopération d’accompagnement pour réformer les pays du Sud dont
nous avons besoin.
La communauté internationale saura-t-elle régler les inégalités
et les différends diplomatiquement ou entrera-t-elle dans un
cycle de conflits? Une course est aujourd’hui lancée entre le
désordre et la capacité des Etats à prévenir. Ceux qui
s’adapteront le mieux seront les performants économiquement et
politiquement démocratiques. Les attentats du 11 septembre 2001
ont brouillé les cartes au détriment du monde musulman. Ils sont
l’expression du désordre mondial de l’après-guerre froide.
Plutôt qu’à un «choc des civilisations», nous assistons à
un «choc des barbaries». Le rapport entre un terrorisme
amplifié et manipulé et l’impératif d’hégémonie mondiale des USA
semble évident. La théorie du chaos domine, entre violence
aveugle et calcul égoïste. La guerre d’Irak n’a pas atteint les
alliances stratégiques de l’après-guerre froide, notamment
russo-américaine, propulsées par les attentats du 11 septembre
2001. La limite des divergences, la fin de l’axe «Paris-Berlin-Moscou»,
le non-règlement de la question palestienne, témoignent de ce
que les puissances ont renoué le dialogue sur leurs intérêts
bien compris et maintiennent un partenariat géostratégique fondé
sur des préjugés au regard du sort des peuples du Sud: invention
d’un nouvel ennemi, compris comme étant l’islamisme radical,
rôle des alliances militaires, comme l’Otan, partage des
richesses dans le Caucase et en Asie centrale, nucléaire iranien
et nord-coréen, et, approvisionnement en hydrocarbures.
L’Occident n’est pas monolithique, mais il pratique une
diplomatie du deux poids, deux mesures et l’ingérence à la carte
et se détourne des situations sans enjeux pour son économie,
laissant faire les répressions et misères qui contredisent les
principes du droit international. La cible terroriste, sous
l’effet des amalgames, tend à se confondre avec l’arc
arabo-musulman. Faute de régimes éclairés, de diplomatie active,
objective des pays arabes et musulmans, les médias accentuent
les confusions et des Occidentaux portés par l’unilatéralisme,
n’écoutent pas les voix arabes. L’Union européenne, porteuse
d’acquis - la paix, l’euro, le rééquilibrage des régions -, au
lieu d’être médiatrice, dégage une posture internationale floue
et s’expose à la dérive marchande de son projet. A défaut du
rêve d’une Union en Méditerranée, ou d’une société universelle à
l’Emir Abd El Kader, à la Wilson ou à la Roosevelt, on aspire à
une politique d’équilibre.
La puissance américaine peut être gage de stabilité, si elle
comprend le besoin de compter sur un monde musulman qui est
capable de pratiquer les trois critères-clefs: démocratie,
économie de marché et diversité culturelle. Il n’y a pas d’autre
alternative. Force ou droit? Hyperpuissance isolée ou monde «multipolaire»
autour d’elle? La réponse à cette question dépend de la faculté
à faire comprendre à tous que nos «amis» sont ceux qui
acceptent les négociations, le dialogue pour clarifier les
objectifs de chacun et non pas tentent de nous leurrer et
contenir, et poussent aux mensonges et chimères.
(*) Professeur des Universités
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Publié le 30 avril 2008 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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