|
L'EXPRESSIONDZ.COM
ORIENT-OCCIDENT
Le vivre ensemble est-il possible
?
Mustapha Cherif
Photo: L'Expression
Jeudi 15 juillet 2010
Le refus du droit à la différence et l’injustice sont les
facteurs qui menacent la liberté des citoyens et des peuples.
Après maints projets de l’ancienne administration qui visait à
liquider toute forme de résistance du monde musulman, plus d’une
année après, le président américain Barack Obama n’a pas atteint
le seuil du changement en ce qui concerne les relations entre le
monde musulman et l’Occident. L’Europe semble coincée entre sa
politique de Voisinage à sens unique et le projet problématique
de l’Union pour la Méditerranée. Le dialogue de sourds est
total. La crise est mondiale et les intérêts économiques priment
sur les valeurs morales et éthiques. L’esprit colonial continue
à souffler sur les relations internationales. Le contrôle des
sources d’énergie et le refus de pratiquer le droit et l’équité
sont les traits de la situation internationale actuelle, malgré
les discours de bonne intention.
La politique de la canonnière, toujours
Ce qui se passe en Palestine et la question du nucléaire en Iran
reflètent bien le fait que la politique de la canonnière n’est
pas révolue. Dans quelle sorte de monde sinistre est-on en train
de vouloir nous précipiter, alors que le devenir est commun?
Alimenter l’idée que le musulman est le nouvel ennemi, créer des
partis politiques fondés sur le seul slogan anti-Islam,
interdire la construction de minarets, lancer un débat sur
l’identité nationale en visant l’Islam, tout comme refuser de
manière obsessionnelle l’entrée de la Turquie dans l’UE, et
faire la guerre avec cynisme à des populations musulmanes dans
plusieurs pays de l’Orient, généralisent un amalgame fondé sur
la haine de l’autre.
Racisme d’un côté, réaction fanatique de l’autre mettent en
danger l’avenir. Les musulmans, diabolisés, sont assimilés à des
extrémistes incapables de vivre avec les autres. Situation qui
ressemble à l’atmosphère préfascisante du siècle dernier. Les
discours islamophobes, les actes de profanation des mosquées et
des cimetières sont des signes avant-coureurs, tels qu’on a pu
les voir dans les années 30 dans l’Allemagne nazie. L’extrême
droite européenne s’est construite depuis des décennies sur
l’hostilité par rapport aux musulmans et ce mouvement est en
train de déborder pour faire diversion aux impasses morales et
économiques. Depuis de nombreuses années, je ne cesse d’appeler
au dialogue et d’alerter sur les risques que des idéologues font
courir au monde, avec l’invention d’un «nouvel ennemi»
sous la figure du musulman stigmatisé. Pour ceux habités par
l’ignorance, il est toujours plus facile de diaboliser les
couches les plus vulnérables de la société, la nouvelle minorité
dans la Cité et de refuser le dialogue, que de faire face aux
réalités. Les pseudos-«nouveaux philosophes» pyromanes ou
les «théoriciens» de la politique américaine, chassent
sur le terrain des extrêmes droites; tous participent à la
construction de l’idée suicidaire d’ennemis supposés saper l’«identité»
occidentale et alimentent les préjugés sous toutes leurs formes
contre les musulmans. La guerre, intérieure contre les «mauvais
européens», extérieure contre «les autres», semble
s’installer. La diversion l’emporte sur la raison. La mise en
place du G20 est l’arbre qui cache la forêt. Les grandes
puissances semblent se contenter de gérer au jour le jour, une
situation nuisible pour tous, alors qu’elles sont censées
prévenir l’avenir en termes de prospectives. Entre l’Orient et
l’Occident, le vivre-ensemble est-il possible? Alors que malgré
des moments de conflit, durant des siècles ce fut possible et
fécond, en ce XXIe siècle le monde dominant, celui des pays du
Nord, ne veut pas partager la prospérité, ni reconnaître le
droit à la différence, ni revoir les règles qui régissent le
rapport entre les Nations, profitant des faiblesses et
incohérences des pays du Sud qui prêtent le flanc.
Pour éviter des lendemains dramatiques, il ne reste qu’une
solution, engager des négociations proches à celles qui ont
prévalu durant les années quatre-vingts entre l’Est et l’Ouest.
Il n’y aura ni paix, ni stabilité, ni civilisation communes dans
le monde sans un accord entre l’Orient et l’Occident. La
difficulté réside dans l’ignorance et la méconnaissance,
aggravée par le fait de vouloir imposer un seul point de vue
pour asseoir l’hégémonie. Il y a un recul de l’intelligence, de
la connaissance de l’altérité, de l’universalité des valeurs,
dont l’Europe intellectuelle hier pouvait s’honorer, sous la
figure de grands savants et penseurs du discernement, lucides et
critiques constructifs, comme hier Louis Massignon, Henri
Corbin, Jacques Berque, Louis Gardet, Jacques Lacan, Gilles
Deleuze, Félix Guattari, Jacques Derrida, Gérard Granel, Pierre
Bourdieu. Aujourd’hui, la voix de philosophes et chercheurs
éclairés comme celle de Pierre Legendre, Jean Luc Nancy, Edgar
Morin, Jean Bauberot, Vincent Geisser, René Major, Alain Badiou,
Emmanuel Todd et celle de théologiens et prêtres, d’évêques
soucieux de justice, n’est pas assez entendue. Mais on ne doit
pas s’abandonner à la lassitude. Il est possible d’engager des
luttes à contrecourant de l’air du temps, à partir de
solidarités transfrontalières. Il ne s’agit pas seulement de
dénoncer le caractère inique des relations internationales, le
sort des discriminés, mais aussi de changer un mode de
représentation ancré dans la subjectivité collective.
La société occidentale qui se veut source des Lumières peut
intégrer les différences, mais des politiciens et des fossoyeurs
du vivre- ensemble veulent lui faire croire que les musulmans
cherchent à imposer un changement des paramètres fondamentaux de
son modèle. Il suffit de voir la montée de l’islamophobie et les
conditions déplorables de vie des musulmans européens pour se
rendre compte que les idéologies xénophobes influent. Pourtant,
les citoyens musulmans, pour la plupart, sont des citoyens
loyaux, paisibles, dignes de ce nom, ne remettent pas en cause
le pacte civique, marquent une adhésion sans faille au régime
républicain.
L’Islam, deuxième religion en Europe est présent dans l’espace
européen depuis longtemps et fait partie du paysage
sociologique. Qui peut nier qu’il y a un Islam européen
séculier, attaché, entre autres, à l’humanisme et à l’amitié
islamo-chrétienne? Ce qui signifie que le vivre-ensemble est
possible.
Le citoyen musulman ne refuse pas le partage, l’intégration dans
la vie sociale et économique et la saine participation à la vie
politique, là où ils sont possibles.
Les régimes politiques archaïques et le rigorisme, de pays
arabo-musulmans, qui sont l’anti-Islam, résultat des
contradictions de notre temps, sont outrageusement mis en avant
pour faire croire que c’est cela les musulmans. La distinction
cardinale entre «Islam» et «islamisme» est
ignorée.
Les extrémistes et les obscurantistes représentent un dévoiement
de l’Islam. Dans un monde occidental qui s’est construit contre
la religion, la crainte de l’extrémisme se transforme en un
rejet de l’Islam. C’est d’autant plus choquant, que les
prétendues pommes de discorde comme: l’idée de la non-confusion
entre le spirituel et le temporel et la liberté de conscience
sont conformes à l’esprit et à la lettre de l’Islam. Le problème
n’est pas uniquement celui du politique. Il est celui, de la
norme fondamentale, de l’origine des règles de la conduite
humaine, dans des domaines essentiels, la morale, la famille, la
communauté. La désignification du monde est un problème. Ceux
qui ont des règles de vie tentent de garder vivantes ses
valeurs. Reste à ce qu’elles soient vécues de manière ouverte et
non fermées. Il est compréhensible que des citoyens européens
s’inquiètent des excès des croyants fermés, mais l’amalgame et
la politique des boucs émissaires sont inadmissibles. Il est
légitime que les croyants puissent exercer démocratiquement leur
mode de vie et leur foi dans des conditions dignes. Certes, des
paroles d’apaisement des officiels sont entendues comme «une
République laïque qui doit protéger l’ensemble des cultes»
et doit «condamner à la fois l’islamophobie et l’islamisme
radical». Cependant, le musulman est un bouc émissaire,
otage de calculs qui exploitent l’air du temps pour faire
diversion. Les êtres justes, doivent faire barrage à
l’intolérance et au repli identitaire.
Trop d’inégalités
Le refus du droit à la différence et l’injustice sont les
facteurs qui menacent la liberté des citoyens et des peuples. Il
y a trop d’inégalités. Dans les zones urbaines défavorisées en
Europe, près de 40% des hommes jeunes sont au chômage, soit le
triple de la moyenne nationale. L’injustice est flagrante,
l’inconscient collectif les a relégués dans ses zones d’ombre
inquiétantes. Il y a en Europe des millions de citoyens de
confession musulmane qui y sont nés.
Leurs grands-parents ayant émigré depuis plus d’un demi-siècle,
pour répondre aux besoins économiques et démographiques de la
terre d’accueil, ont contribué au développement, vivent avec des
salaires de misère, accablés par un climat xénophobe et des lois
répressives qui marginalisent et enferment dans des zones de
non-droit. Ce sont eux que des discours haineux visent comme
n’étant pas vraiment européens. Cette posture politique de la
diversion est immonde, elle contredit les principes des
Lumières.
Travaillons au contraire au vivre-ensemble. Alors que des
courants xénophobes et conservateurs prônent la poursuite de la
logique honteuse de la discrimination et de la guerre coloniale
sous des formes nouvelles, l’Europe peut être un phare et
existerait vraiment au niveau mondial si elle pouvait prouver
qu’elle est capable à la fois de bâtir des sociétés où
l’interculturel et le droit à la différence sont respectés et
qu’elle peut construire un rapport juste et civilisé entre
l’Occident et le Monde musulman. Rien ne semble présager de ce
sage chemin. Notre travail est d’expliquer à tous qu’il n’y a
pas d’alternative au vivre-ensemble. Informer de façon simple et
concrète, en s’en tenant aux faits, les opinions publiques
comprendront et feront pression pour rouvrir l’horizon.
Mustapha Cherif, Philosophe
Intellectuels@yahoo.fr
www.mustapha-cherif.net
Sommaire Mustapha Cherif
Les dernières mises à
jour
Droits de reproduction et de diffusion
réservés © L'Expression
Publié le 17 juillet 2010 avec l'aimable autorisation de l'Expression
|