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CE QUI SE PASSE EN PALESTINE
La sauvagerie ou la civilisation,
il faut choisir
Mustapha Cherif
Mustapha Cherif
Jeudi 14 mai 2009
Le problème des Palestiniens signifie que le monde dominant
refuse le vrai débat et encourage la violence.
Elle était belle cette image du pape portant le kefeih, foulard
palestinien offert par une jeune chrétienne arabe. On aurait cru
rêver. Un premier symbole, signe que le pape n’oublie pas les
déshérités et opprimés. Les trois premières journées du voyage
délicat de Benoît XVI au Moyen-Orient ont été une réussite. Sa
présence à la Mosquée Hussein était aussi un moment fort. Les
Jordaniens et leur hôte du Vatican, dès les premières prises de
parole, ont su trouver les mots justes pour rappeler combien il
est non seulement nécessaire de dépasser les malentendus, de
vivre dans le respect de l’autre, mais que cela est possible,
comme le démontre la réalité à Amman et dans d’autres pays
arabes.
Il n’y a pas d’alternative au
vivre-ensemble
Trop de préjugés et de calculs politiciens empêchent de voir que
le vivre-ensemble est une réalité historique depuis très
longtemps. Ce sont les interférences de notre temps qui
perturbent. Le pape et nos amis chrétiens doivent savoir qu’il
s’agit d’une confrontation entre la sauvagerie et la
civilisation. Les réactions parfois aveugles de la résistance
palestinienne ne doivent pas cacher la réalité monstrueuse du
système colonial israélien. La colonisation se poursuit, les
actes de guerre continuent, l’impunité de l’entité sioniste
s’aggrave et personne ou presque ne proteste énergiquement et
n’agit concrètement pour faire pression. La trahison,
l’hypocrisie, la désinformation battent leur plein, sous
prétexte de realpolitik, dans un monde où la question de la
démocratie est incontournable. Les relations internationales ne
sont pas démocratiques. Les pays arabes archaïques, dans une
situation pathétique, acceptent les faits accomplis et sont
humiliés. Pourtant, la cause est juste et concerne toute
l’humanité. L’amitié entre les peuples et les communautés
devrait être le but de tout citoyen éclairé. C’est un devoir.
Eduquer, informer, se cultiver est la tâche de toujours pour
faire reculer les violences.
De notre point de vue, et celui de nombreux historiens chrétiens
et musulmans, c’est grâce aux principes et à la culture de
l’Islam dominant que perdure depuis 15 siècles le christianisme
en Orient, dans toutes ses composantes. Si une autre religion
était dominante, dans cette région pas comme les autres, la
diversité des cultes n’existerait peut-être plus. C’est ce fond
que l’on doit garder en vue, par-delà des hauts et des bas...Si
depuis 15 ou 20 ans les minorités chrétiennes souffrent ou
s’exilent, c’est dû surtout aux problèmes politiques imposés à
tous par des puissances étrangères. Politiquement, depuis 5
siècles ce sont les peuples musulmans (et partant leurs frères
arabes chrétiens avec eux) qui subissent colonisation,
domination et hégémonie...leurs réactions à cette situation est
parfois négative et irrationnelle, mais l’extrémisme et le
désespoir se nourrissent des injustices et des ignorances.
Dialoguons et essayons de contribuer au règlement des causes des
impasses, c’est-à-dire les injustices! Se voiler la face, ou
renvoyer dos à dos l’oppressé et l’oppresseur, est voué à
l’échec. Il n’y a pas d’alternative au vivre-ensemble. Les
musulmans de leur côté doivent assumer leurs responsabilités
afin que l’Islam de toujours, celui de la coexistence et du sens
de l’ouvert, soit retrouvé, et non point l’instrumentalisation
de la religion et sa version fermée qui font tant de ravages et
défigurent la spiritualité. L’immense majorité des musulmans
n’est pas dupe et reste attachée à la civilisation. La rencontre
avec l’autre est une expérience salutaire pour travailler à
réinventer une civilisation commune qui nous fait défaut
aujourd’hui. Les faits historiques montrent que c’est possible.
Nous avons, croyants et non-croyants, une responsabilité commune
à l’égard de la survie même de l’humanité.
Les injustices, c’est d’abord le fait que depuis soixante ans
les Palestiniens voient leurs droits légitimes niés et leur
dignité bafouée. Des accords de «paix» d’Oslo aux
différentes négociations, les Palestiniens n’ont rien obtenu,
ils vivent dans un camp de concentration. La ville sainte de
Jérusalem, El Qods, est bafouée et meurtrie à cause de la
soldatesque israélienne et la colonisation rampante. Israël
passe son temps à gagner du temps, réprime les Palestiniens,
multiplie les assassinats de civils palestiniens, détruit les
infrastructures, poursuit sans cesse les colonies de peuplement
et radicalise sa politique du fait accompli, assuré de
l’impunité, avec la complicité des grandes puissances. Il y aura
de l’espoir le jour où les sociétés arabes se réformeront et
s’allieront avec tous les pays épris de droit pour faire reculer
à la fois, la domination du Nord sur le Sud, la loi de la jungle
et les extrémismes de tout bord, qui sont un désastre pour les
peuples.
Le monde est dans une impasse sans précédent. Les extrêmes se
nourrissent, la crise économique et morale bat son plein, et la
politique des deux poids, deux mesures s’amplifie. Le problème
des Palestiniens signifie que le monde dominant refuse le vrai
débat et encourage la violence. C’est une question politique et
non religieuse. Depuis sa création Israël viole le droit
international, les résolutions des Nations unies et méprise les
condamnations de la communauté internationale. Après la guerre
de 1967, elle multiplie la colonisation. Au mépris de la morale,
des conventions de Genève et des principes des droits de l’homme
et des peuples, Israël dans les faits, tue des Palestiniens,
sabote toute possibilité d’un Etat palestinien et pousse des
groupes à commettre des attentats suicide. Il manipule, opprime
et rend impossible la solution des deux Etats. La construction
d’un mur qui enferme la population de Cisjordanie et soumet la
population de Ghaza à un apartheid suscite une situation de
désespoir. Cette politique contredit le judaïsme et toutes les
valeurs spirituelles. C’est un fascisme, allié au libéralisme
sauvage. Cependant, la supériorité des armes n’a jamais mis à
l’abri d’une défaite politique. C’est avant tout une guerre
psychologique, une guerre de l’information qu’il faut gagner.
Un mépris pour la vie
Dans ce contexte, les Palestiniens sont à l’avant-garde de ce
combat. Ils sont presque seuls désarmés et poussés à bout. Ils
continuent cependant à essayer de défendre leurs droits
légitimes. Sans la reconnaissance de leurs droits à un Etat
viable dans les frontières de 1967, il n’y aura aucun avenir de
sécurité ni de paix dans la région et dans le monde entier.
Complices, des puissances étrangères renvoient dos à dos
victimes et bourreaux et par là encouragent la politique
sioniste, répressive et coloniale. Le mutisme de la majorité des
intellectuels occidentaux, des humanistes et des croyants est
incompréhensible. C’est un mépris pour la vie des opprimés, un
acte suicidaire, car un jour, ce sera le droit de chacun à vivre
libre dans le monde entier qui sera remis en cause. Cela a déjà
commencé. Des signes d’européocentrisme et d’islamophobie
faussent le débat et empêchent la réflexion. Ce qui se joue en
Palestine concerne l’avenir de la liberté dans le monde. La
mauvaise conscience des Occidentaux et les intérêts étroits qui
lient Israël aux puissants bloquent toute perspective d’un
nouvel ordre international juste et pacifique. Que faire pour
mettre fin à cette guerre raciste qui ne sert personne, surtout
en temps de crise économique qui peut aboutir à une nouvelle
guerre mondiale? La fixation, pour faire diversion, sur le
nucléaire iranien est symptomatique. Ce qui nous permet
d’espérer, réside dans le fait que des croyants et des
non-croyants continuent d’analyser le réel tragique de leur
point de vue multidisciplinaire et indépendant pour s’attaquer
aux problèmes créés par les injustices, les ruptures et les
oppositions: comment humaniser un monde qui est en crise et
violent, et qui, contrairement aux suppositions, risque de
devenir encore plus violent faute de justice? L’Europe et les
chrétiens et même les juifs conscients doivent assumer l’immense
responsabilité historique qui est la leur dans cette guerre
contre la civilisation. Les politiques en Europe et les
autorités morales comme le Vatican, ont pour devoir de concilier
les positions et surtout de contribuer à la décolonisation, afin
que tous puissent coexister dans la liberté et la dignité. Les
forces attachées à la justice dans le monde doivent protester et
s’opposer à la sauvagerie d’un système qui nourrit l’extrémisme
et met en péril l’avenir. La sauvagerie ou la civilisation, il
faut choisir.
Mustapha Cherif, professeur en relations internationales.
www.mustapha-cherif.net
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Publié le 14 mai 2009 avec l'aimable autorisation de l'Expression
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