Tribune
Les maux de la
politique en Tunisie
Mohsen
Kalboussi
Mardi 10 septembre 2013
La classe
politique tunisienne actuelle a raté
tous les rendez-vous passés, parce
qu'elle essaie de soigner la société
avec ses propres maux. Les jeunes, quant
à eux, ont une réelle chance de réussir
en cherchant des solutions alternatives.
Par
Mohsen
Kalboussi*
La politique peut être définie comme
l'art du possible. Il s'agit, entre
autres d'opérer des choix à court ou
moyen termes, en fonction de la réalité
socio-économique que l'on vit. Ces choix
étant principalement déterminés par les
orientations idéologiques qui imposent
une grille de lecture à tout homme
politique digne de l'être. La référence
à l'idéologie est dans le sens le plus
large possible et inclut toutes les
œuvres théoriques sur lesquels se basent
les politiques pour opérer les choix
qu'ils jugent opportuns pour la société
qu'ils gèrent ou se proposent de gérer
lorsqu'ils sont dans l'opposition.
Le triomphe
du modèle néo-libéral
Les hommes politiques en Tunisie ne
peuvent pas se soustraire à cette règle,
même si nombre d'entre eux se déclarent
opposés à toute référence idéologique.
La raison est simple pour expliquer de
telles dérobades, à savoir que depuis le
début des années 2000 et la chute du mur
de Berlin, l'on n'a jamais cessé de
marteler que cet évènement signe la fin
de toute idéologie, particulièrement
celles se référant au socialisme.
Cette période marque également le
succès du modèle économique néo-libéral
qui se veut au-dessus de toute
catégorisation idéologique et considère
que l'ultra-libéralisme se passe de
toute référence idéologique. Toute
contestation du modèle passe donc pour
une négation de l'«ordre naturel»
des choses.
Pour les pays du tiers-monde, et
suite à la décomposition de l'ex-URSS,
tous les régimes se proclamant du modèle
socialiste (à l'exception de Cuba et de
la Corée du Nord) se sont alignés sur
les normes imposées par les institutions
de Bretton Woods (Fonds monétaire
international et Banque Mondiale).
L'adoption des Plans d'ajustement
structurels (PAS) imposés par le FMI et
la Banque Mondiale aux pays en
développement ont fini par achever les
velléités d'émancipation des peuples du
tiers-monde qui figuraient dans les
programmes des différents mouvements de
libération nationaux à la veille de
leurs indépendances dans les années 1950
et 1960...
Vivre
différemment, vivre dignement
Revenons à la Tunisie actuelle. La
fuite de l'ex-dictateur marque la fin
d'un mode de gouvernement axé sur le
parti unique, l'impossibilité d'une
alternance non-violente au pouvoir et
une corruption généralisée qui a
gangrené la société. Cet évènement met
également en avant le désir des
Tunisiens à vivre autrement, en
corrigeant les injustices commises par
des décennies de règne sans partage d'un
parti dominant la scène politique et
annonçant l'avènement d'une démocratie
qui garantirait une égalité de chances
entre ses citoyens et la fin de
l'arbitraire et du favoritisme dans la
gestion de la chose publique. Il met
enfin à nu les limites des choix
socio-économiques adoptés par les
gouvernements successifs ayant dirigé le
pays. L'aspiration à une vie digne
résume le souhait des Tunisiens à vivre
différemment que par le passé.
Les alternatives auxquelles aspirent
nos concitoyens ne se sont
malheureusement pas vues exprimées dans
les programmes politiques des différents
partis politiques présents sur la scène
politique ou dominant les évènements qui
ne cessent de secouer le pays.
Pour comprendre le paysage politique
actuel de la Tunisie, il y a lieu de
rappeler que depuis 1956, date de
l'indépendance politique du pays,
l'histoire de la Tunisie a été jalonnée
par une succession de procès politiques.
Nous rappelons simplement les dates:
1962, 1968, 1974, 1978, 1980, 1985,
1989, pour ne citer que celles-là.
Rappelons aussi que toute forme
d'organisation politique était bannie et
que toute forme d'engagement, notamment
dans l'opposition était synonyme
d'arrestation, de torture et
d'emprisonnement. Il s'en est suivi que
les différents groupes politiques actifs
dans le pays n'étaient pas organisés, en
dehors bien sûr des partis politiques
faisant partie de l'opposition
officielle et formelle au pouvoir et
dont les agissements et activités
étaient constamment sous la loupe de la
police politique.
Pour le reste des formations,
présentes particulièrement dans l'espace
universitaire, leurs activités se sont
tellement réduites au point qu'elles ne
se manifestent qu'au sein de quelques
grands établissements et se sont
progressivement coupées de l'histoire du
mouvement étudiant du pays. Il en est
résulté que la jeunesse des années 1990
et 2000 ne trouvait aucune voie pour se
politiser ou s'activer sur des questions
d'intérêt général, puisque tout ou
presque était verrouillé par le parti au
pouvoir.
Les activités associatives, entre
autres, étaient minées par les
engagements partisans de leurs
dirigeants et ne s'attaquaient
globalement pas aux problèmes que nous
connaissons aujourd'hui.
Le paysage
politique actuel
Nombreux partis politiques se sont
formés suite à la libéralisation de la
vie politique, notamment en 2011. La
grande majorité de ces formations ne
disposaient ni de programme ni des
moyens surtout humains pour assurer leur
pérennité. Elles sont donc appelées à se
dissoudre ou fondre dans d'autres
formations, puisque leur viabilité est
en question.
Le reste des formations politiques,
surtout celles qui ont toujours existé
sous d'autres formes d'organisations que
partisanes (groupuscules politiques) se
sont organisées et tentent, tant bien
que mal, de persister et de pérenniser
leurs actions. Par rapport à ces
dernières, certaines remarques
s'imposent:
- la nature de leurs activités a
radicalement changé; de l'organisation
de manifestations ponctuelles ou
conjoncturelles, elles sont désormais
appelées à avoir une présence
quasi-quotidienne sur la scène
politique, ce qui appelle à la
professionnalisation de leurs leaders;
- elles sont appelées à donner des
éléments de réponses à toutes les
questions que pose la vie sociale et
politique du pays et tracer surtout des
perspectives permettant d'assurer la
durabilité de leurs actions;
- elles se doivent d'assurer un
meilleur encadrement de leurs militants,
surtout jeunes, pour qu'ils jouent le
rôle qui leur revient dans la Tunisie
actuelle ou de demain;
- leurs actions se doivent de toucher
le maximum de citoyens pour les allier à
leurs causes afin de gagner
d'hypothétiques élections futures...
Il est très aisé de constater qu'en
Tunisie, le discours politique des
principaux protagonistes présents sur la
scène politique ne satisfait pas
beaucoup de nos concitoyens, car ne
répond pas à leurs attentes.
Il est également à remarquer que les
débats politiques largement médiatisés
se caractérisent par des querelles et
tensions palpables entre les différents
personnages présents et ont tendance à
devenir une partie de la crise politique
que connaît le pays.
Force est de constater que les vingt
dernières années ont vu le pays stagner,
notamment son élite engagée dans les
partis politiques. Il est regrettable
que nombreux leaders politiques n'aient
pas bougé d'un iota des idées débattues
dans les années 1980-1990 ! Le pays a
pourtant changé et le monde a bougé
depuis !
Le manque d'alternatives est
essentiellement lié au fait que les
principaux partis politiques ne
disposent pas d'institutions en mesure
d'élaborer des programmes adéquats et
concordants avec les besoins et les
potentialités du pays. Nous sommes donc
restés dans l'expectative et l'attente
de réponses qui ne viennent pas à temps.
Les politiciens, eux, continuent leur
manège en essayant de soigner la société
par leurs propres maladies (paraphrasant
un penseur libanais). Le show politique
est devenu donc un mal à la mode où
chacun tente désespérément à accrocher
un public qui déserte de plus en plus la
scène, ce qui est gravement dommageable
au pays.
Tenter
d'autres voies
Nous ne pouvons pas nous attendre à
des miracles d'une classe politique
conditionnée par des motivations de plus
en plus éloignées de la société et de sa
jeunesse en particulier. L'avenir ne
peut pas se dessiner par des vieux dans
un pays où la plupart de ses habitants
sont jeunes!
Les vieux modes de fonctionnement et
de pensée ne peuvent pas être de vigueur
dans un environnement changeant et où
les défis sont de plus en plus
difficiles à relever. Il est donc
impératif que tous ceux qui essaient
d'échapper aux modèles décrits ci-dessus
tentent d'autres voies, notamment en
adoptant un discours et une conduite qui
coupent avec ceux qui dominent
actuellement la scène politique. Les
débats autour de questions vitales pour
l'avenir du pays (aussi bien sur les
plans sectoriel que régional), se
doivent de primer et d'occuper une
position centrale. Tous les
protagonistes devraient être appelés à
donner des réponses claires et
réalisables aux problèmes récurrents de
la Tunisie.
Ainsi, nous pourrons sortir du carcan
des discours généralistes et figés qui
ont égaré nos nationaux et n'ont pas
permis de ségréger ceux qui sont
porteurs de projets pour l'avenir de
ceux qui ne le sont pas...
L'ouverture de perspectives
prometteuses, même sur le moyen terme,
aux questions d'ordres social et
économique serait en mesure de redonner
confiance à la jeunesse, tiraillée entre
les bateaux de la mort et constituer une
chair à canon dans des conflits
régionaux pour lesquels elle ne devrait
point s'engager.
La formation de la jeunesse nous
semble la clé qui déterminera l'avenir
du pays. Cette dernière devrait être
mieux outillée pour affronter la dure
réalité et, par-delà même, proposer des
pistes de solutions qui casseraient avec
les idées classiques et non-innovantes
de la classe politique actuelle.
L'ouverture sur le monde et les
mouvements altermondialistes serait une
occasion à saisir pour mettre notre
jeunesse au diapason du monde qui nous
environne.
Si la classe politique actuelle a
raté les rendez-vous passés de ce
mouvement, nos jeunes ne le devraient
pas et ont une réelle chance pour sortir
des sentiers battus que les plus vieux
ne peuvent pas quitter.
* Universitaire.
Copyright © 2012 Kapitalis. Tous droits
réservés
Publié le 10 septembre 2013 avec
l'aimable autorisation de Kapitalis
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