Réseau Voltaire
Le
Liban au cœur de la crise du Moyen-Orient
Mohammed Ali Kobeissi 10 décembre 2007 Depuis
le 23 novembre, le Liban n’a plus d’Executif. Le mandat du président
Emile Lahoud a pris fin, tandis que le gouvernement de Fouad
Siniora qui n’est plus constitutionnel depuis le 7 novembre 2006
s’accroche illégalement au pouvoir avec le soutien des
puissances coloniales. Décapité, le pays est paralysé.
Cependant les États-Unis, qui ont tout fait pour empêcher les
Libanais de placer les héros de la Résistance au pouvoir,
viennent d’interrompre leur pression militaire sur le « Grand
Moyen-Orient » et donc de lâcher aussi leurs alliés
libanais. Le jeu est rouvert...
Depuis la fin de la Seconde Guerre
mondiale, le Liban n’a jamais vécu de longue période de paix.
Avant que les Français en fassent une République en 1943, les
différentes communautés de la région avaient connu plusieurs
guerres civiles. Une mentalité tribale, des structures sociales féodales,
des différences confessionnelles et les ingérences de puissances
étrangères comme les États-Unis, la France et la
Grande-Bretagne ont joué un rôle déterminant dans le déclenchement
des guerres civiles dans la région, laquelle, à certaines époques,
s’étendait des monts Liban à Damas, comme ce fut le cas de
1860 à 1863.
Au cours de l’histoire récente,
le Liban a traversé plusieurs crises. C’est, en 1948, la création
d’Israël en territoire palestinien et l’expulsion de la
population autochtone vers les camps de réfugiés des pays
voisins, dont le Liban, qui a eu les conséquences les plus
importantes pour le pays du Cèdre. Le conflit israélo-palestinien,
auquel les grandes puissances n’étaient pas disposées à
mettre fin, lui a imposé un lourd fardeau.
L’invasion du Liban par Israël en 1982 a
suscité la création de mouvements de libération
L’invasion du Liban par Israël
en 1982 a suscité dans la population la création de mouvements
de libération, dont le Hezbollah, résistance authentiquement
libanaise visant à libérer le pays de l’occupant. Le but fut
atteint en mai 2001 mais certaines zones restèrent sous le contrôle
d’Israël qui refusait d’y reconnaître la souveraineté du
Liban, ce qui alimente le conflit aujourd’hui encore.
Lors des dernières élections législatives,
le Hezbollah a conclu des accords avec certains partis politiques
libanais et plus tard avec le gouvernement. La condition était
que le Hezbollah conserve le statut de mouvement de résistance
libanais contre l’occupation israélienne jusqu’à ce que les
territoires occupés et les prisonniers libanais soient libérés.
Les accords stipulaient également que l’armement du Hezbollah
était une affaire intérieure du Liban mais les USA et Israël
s’y opposèrent et exigèrent son désarmement.
Les partis libanais et le
gouvernement dont les chefs s’étaient alliés au Hezbollah, par
exemple le parti d’Hariri et les anciens seigneurs de la guerre
Samir Geagea et Walid Joumblatt, ont dénoncé cet accord et ont cédé
à l’influence des ambassades états-uniennes, britannique et
française en demandant le désarmement du Hezbollah. Celui-ci
refuse d’obtempérer tant que les Israéliens ne se seront pas
retirés et qu’ils n’auront pas relâché les prisonniers.
Le 14 juillet 2006, Israël a déclenché
une attaque brutale du Liban à la suite de la capture de deux
soldats israéliens qui devaient être échangés contre des
prisonniers libanais. Cependant, selon les médias internationaux,
Israël avait, auparavant déjà, en accord avec les États-Unis,
prévu l’attaque pour le mois d’octobre mais les événements
avaient forcé Israël à accélérer la guerre pour chasser le
Hezbollah du Sud-Liban.
La moitié de la population réclame la démission
du gouvernement
Juste après la guerre, les différents
partis libanais ont entamé un dialogue afin de résoudre la crise
intérieure du pays, mais il a échoué. Des manifestations
importantes des deux parties ont eu lieu et la moitié de la
population a exigé la démission du gouvernement, mais celui-ci
n’a pas cédé. Six membres du gouvernement appartenant à
l’opposition ont démissionné. Les autres sont restés fidèles
et ont dès lors pris des décisions unilatérales concernant la
totalité de la structure politique du pays, ce qui a entraîné
des problèmes économiques, sociaux et politiques.
Cela a amené l’opposition à
organiser des manifestations gigantesques auxquelles la moitié
environ de la population a participé à Beyrouth et dans
d’autres parties du pays. Il s’en est suivi un sit-in dans le
centre de la capitale visant à forcer le gouvernement à changer
de politique et à accepter la formation d’un gouvernement
d’union nationale. Cependant, sous la pression des États-Unis,
le gouvernement s’y est refusé et toutes ses propositions en
vue de résoudre d’autres problèmes politiques – outre le désarmement
du Hezbollah – ont échoué.
De plus, l’élection d’un
nouveau président, qui devait avoir lieu avant le 23 novembre,
date de la fin du mandat de l’actuel chef de l’État, n’a
pas eu lieu. La réunion du Parlement du 23 novembre qui devait élire
le Président a été un échec. Toutes les demandes d’élections
législatives anticipées ont également été vaines en raison de
la pression des États-Unis visant à maintenir au pouvoir
l’actuel gouvernement et de la peur que les partis loyalistes ne
perdent les élections. Cette peur s’explique par les fautes
commises par le gouvernement et par le fait qu’il a négligé
d’accéder aux demandes de la société libanaise d’améliorer
le statut social de la population, les systèmes économique,
sanitaire, scolaire et agricole.
Absence de divisions d’ordre religieux
Les salaires des employés des
services publics n’avaient pas été améliorés depuis des années
malgré l’augmentation considérable du coût de la vie. Cela a
conduit à des conditions de vie très dures auxquelles les
Libanais n’étaient pas habitués. Le domaine très important de
l’éducation est négligé, si bien que les écoles, les
universités et les instituts sont en mauvais état, ce qui entraîne
la colère et le désespoir. Dans cette atmosphère de misère et
de détresse, les politiques se sont enrichis de plus en plus grâce
à la corruption régnant dans l’appareil gouvernemental et à
leur gestion des problèmes sociaux.
Cette situation a fait le désespoir
des jeunes gens cultivés qui quittent le pays à la recherche
d’une vie meilleure. Le comportement immoral du gouvernement qui
n’a pas su venir en aide aux personnes touchées par la
destruction des infrastructures par Israël a ajouté à la colère.
Après l’échec de l’élection présidentielle, le
gouvernement proaméricain actuel a pris la direction des affaires
libanaises, mettant à l’écart d’importants secteurs de la
société. Cette situation va persister et attiser les tensions
entre les différents groupes.
Dans la crise actuelle, la société
ne me semble pas divisée selon des critères religieux. Sa pensée
est plutôt laïque, ce qui représente une évolution nouvelle et
saine. Etant donné la situation présente – exercice du pouvoir
par le gouvernement actuel et absence de président de la République
qui assure un certain équilibre dans les luttes de pouvoir et vu
la politique irresponsable du gouvernement, le pays va
probablement être emporté dans le tourbillon de la crise du
Moyen-Orient et nul ne peut prédire l’avenir de toute la région
quand on voit les agissements immoraux de l’Administration Bush
au Proche-Orient.
Michel Aoun, candidat possible à la présidence
Dans le processus consistant à
trouver un président accepté par tous, les ingérences des
grandes puissances vont continuer et Israël attend le moment
propice où il attaquera à nouveau le Liban pour se venger de la
défaite que lui a infligée le Hezbollah à l’été 2006. Alors
qui pourra préserver de la guerre le Liban et toute la région ?
Le destin du pays pourrait être déterminé
de manière civilisée si les politiques libanais abandonnaient
leur esprit tribal, leur égoïsme et leur comportement archaïque
et sectaire. Il semble qu’actuellement de nombreux Libanais
renoncent à cet esprit sectaire, ce qui se manifeste dans le fait
que les divergences à l’intérieur d’une même confession
reposent plus sur des conceptions politiques que sur des
convictions religieuses.
Comme le président libanais doit
être un chrétien maronite, Michel Aoun, ancien général de l’Armée
libanaise, est un candidat possible. Il sait comment surmonter la
crise et, lors des dernières élections législatives, il a réuni
sur sa personne la majorité des voix des chrétiens maronites. Il
est parvenu à s’entendre avec le Hezbollah sur la manière de résoudre
politiquement la question du désarmement de l’opposition et la
crise actuelle.
Mohammed Ali Kobeissi, Physicien
libanais
Version française : Horizons
et débats.
Cet article a été rédigé avant que ne survienne l’accord
entre les forces du 14-mars et celles de l’opposition sur l’éventuelle
élection de Michel Sleimane à la présidence de la République
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