Opinion
Libye: Ocampo
relaie l'Otan pour creuser les voies de
la haine entre libyens
Mohamed Bouhamidi
Photo: RIA
Novosti
Dimanche 3 juillet
2011
Aucun peuple ne défend un Etat et une
nation qui l'affament. Les avions
peuvent détruire évidemment des
casernes, des radars, des chars, etc.
Ils ne peuvent pas détruire dans le
coeur et dans l'esprit des Libyens
l'idée qu'ils sont une nation et un
Etat. La partition de la Libye en
émirats, en imamats et en sous-royaumes
est devenue impossible. C'est cela qui
explique que l'armée libyenne a tenu bon
et n'a enregistré qu'un nombre dérisoire
de défections.
Si le peuple libyen haïssait Kadhafi
et leur Etat national, il y a longtemps
que ce leader serait tombé et que les
organisations de l'Etat libyen se
seraient délitées. Le gouvernement
libyen, en restant ouvert à toutes les
propositions de dialogue national et en
acceptant même d'en écarter la personne
de Kadhafi, a rendu moins facile la voie
de la haine sociale que la France et
l'Angleterre - particulièrement Hagues -
veulent transformer en piège mortel qui
mettrait tout le peuple libyen dans les
rets moyenâgeux filés dans les alliances
secrètes des Etats-Unis, d'Israel et de
quelques monarchies du Golfe.
Les chances, toutes minimes pourtant,
d'une amorce de dialogue et d'échanges
entre Libyens ont rendu fous les
dirigeants occidentaux. C'est bien ce
qu'ils ne veulent pas : une idée même
évanescente d'un Etat unitaire libyen.
Ils ont alors sorti leur dernière
arme ou tiré leur dernière cartouche.
Ocampo entre en scène et émet le mandat
qu'il tenait au chaud sous le coude de
ses magistrats. Zuma ne s'y est pas
trompé.
Ce mandat a pour but de créer un
nouveau fleuve de haine entre Benghazi
et Tripoli. Il a pour but d'énerver
encore plus Kadhafi et de pousser «son
clan» à de l'intransigeance et à de la
rancoeur. Ocampo y est allé de son
couplet. En quoi, un procureur est-il
obligé de jouer au caïd et de faire le
mac en intimidant l'entourage de Kadhafi
: «Vous le livrez ou je vous coffre» ?
Avons-nous, pour mieux estimer le
prix de nos cinquante années
d'indépendance et au moment des menaces
sur notre intégrité territoriale que
révèle la croisade coloniale sur la
Libye, vraiment appris à nos enfants que
la guerre psychologique constitue une
grande partie de la guerre tout court ?
Partis pour manger Kadhafi tout cru en
trois jours, les croisés de l'Otan en
sont plus de trois mois.
Il n'est même plus essentiel qu'ils
remportent une victoire encore très
aléatoire sur le terrain. Ils ont déjà
perdu au regard de leurs propres
objectifs déclarés : en finir en trois
jours avec l'Etat national libyen
indépendant - même très relativement
indépendant après d'épuisantes années
d'embargo, l'application des conseils
italo-franco-américano-britanniques qui
l'ont insensiblement désarmé, la
nomination des postes ultra-sensibles de
personnalités rendues avides par l'accès
illimité à la «rente pétrolière» en
l'absence de tout contrôle démocratique
et impatientes de le privatiser
totalement ne liquidant pas la
souveraineté nationale.
Vous pouvez parier votre dernier
dinar que ni l'Otan ni ses maîtres ne
mettront dans le «panier démocratique»
le contrôle populaire des revenus
pétroliers comme ils n'y mettront jamais
le contrôle de leurs propres peuples sur
la porosité entre argent public et
argent des banques privées.
Ils ont déjà fomenté et fait exécuter
des coups d'Etat sanglants, des
interventions directes, des guerres
civiles cruelles dès qu'il s'est agi de
contrôle populaire sur la moindre
ressource de soleil pour tourisme de
masse au pétrole en passant par la
banane ou le cacao. Nous en avons appris
un bout sur la guerre psychologique
pendant notre lutte de libération.
Forcément quand les matamores
médiatiques d'aujourd'hui parlent de
«quelques jours» puis de «quelques
semaines» puis de «cela ne durera pas
des mois», nous nous rappelons forcément
le «dernier quart d'heure» de Robert
Lacoste. Le parallèle ne se réduit pas à
la durée. Au-delà du quart d'heure
matériel, physique se pose la question
de la réalité sociale et politique de
notre lutte.
Lacoste s'est trompé hier sur le
soutien de notre peuple à notre ALN qui
a rendu vain tout le soutien de l'Otan
en bombardiers et en napalm. L'Otan
aujourd'hui s'est trompée sur le soutien
des Libyens à leur Etat central et
unitaire et sur leur soutien à la
personne de Kadhafi.
Le parallèle devient encore plus
intéressant quand on prend la mesure des
efforts extraordinaires pour stigmatiser
Kadhafi et le rendre antipathique. Il
faut lire les commentaires dans les
journaux de la gauche française -
notamment Libération - pour percevoir -
derrière le langage raciste ordinaire
qui suinte de leurs croyances à leur
supériorité et la supériorité de leur
modèle capitaliste - l'acharnement à
dégrader son image personnelle.
Le deuxième bureau français a sévi de
la même manière, stigmatisant en gros
nos dirigeants nationaux ou régionaux et
en détail par zone ou dechra. Il leur a
échappé une donnée toute simple. Nous
n'avions pas engagé cette lutte pour nos
dirigeants, mais pour notre pays, et
nous n'avions que ces dirigeants pour
mener cette lutte et pour vaincre.
Pour cela, ils nous étaient précieux
et notre peuple ne leur demandait que la
détermination et la persévérance. Ils
peuvent raconter ce qu'ils veulent sur
Amirouche et la bleuïte, Amirouche
restera un dirigeant respecté et aimé.
Ils peuvent, au deuxième ou au
troisième degré, faire écrire des livres
sur Amirouche pour l'utiliser contre le
pouvoir et dans les luttes actuelles,
ils ne pourront pas dire qu'Amirouche a
fait appel aux étrangers pour régler ses
comptes avec les dirigeants de Tunis.
Cette question s'est posée, une fois de
plus, tout récemment.
Notre peuple a immédiatement compris
que la CNCD et son CNT, derrière les
mots ronflants de démocratie,
cherchaient à cornaquer - selon
l'expression heureuse de Salhi Chawki -
l'exaspération des masses pour réaliser
les buts de démantèlement total de
l'Etat national en transférant le
pouvoir aux seules fractions compradores
de la bourgeoisie et en excluant toutes
les autres fractions, notamment celles
de la bureaucratie et de l'industrie
locale.
Beaucoup d'Algériens ont certainement
envie de changement, mais l'écrasante
majorité a montré son refus net et
cassant d'accepter une ingérence
étrangère, qui, d'ailleurs, devenant
aléatoire et contre-productive grâce à
la résistance de l'Etat légal libyen, a
poussé les commanditaires et les
inspirateurs des marches qui devaient se
tenir à se caler sérieusement d'abord et
à différer leurs plans ensuite.
A ce stade de l'agression croisée
contre la Libye et à la lumière de notre
propre expérience, nous pouvons émettre
l'hypothèse que les deux phénomènes se
combinent en Libye : le refus de
l'ingérence étrangère, la tolérance à
l'égard des erreurs qu'ont pu commettre
les leaders libyens, ces erreurs
restant, au final, infiniment moins
graves qu'un succès des forces
coloniales et de leurs alliés internes.
Cela choque de parler d'alliés internes
?
Mais toujours dans notre propre
histoire, les forces françaises se sont
appuyées sur des forces supplétives -
harkas, goumiers, caïds et bachagas -
qui ont combattu Ahmed Bey, Abdelkader
ou l'ALN avec encore plus de férocité
que les militaires français.
Toujours, quel que soit le pays et
quelle que soit l'époque, le caractère
le plus cruel et le plus atroce des
conquêtes coloniales est de susciter des
guerres civiles en s'appuyant sur des
forces et des groupes acharnés à
s'enrichir grâce et par l'étranger.
Les colonialistes apprécient ces
guerres civiles pour leur caractère
définitif, pour les traces profondes,
les peurs viscérales qui vont habiter
les harkis et les caïds et en faire
d'impitoyables instruments de
répression, les haines irréductiblement
inscrites dans les morts et les
souffrances.
Pour ceux qui n'en ont pas idée,
parce qu'ils n'ont vécu ni la guerre
civile que la France a fomentée au coeur
de notre guerre de Libération ni le
terrorisme des années 1990, la lecture
ou relecture du roman de Cholokov, Le
Don paisible, pourrait en donner une
image suffisante. L'échec de l'Otan en
Libye peut se lire quelles que soient
les hypothèses.
Reprenons. Cette chronique a émis
l'hypothèse que l'Otan veut affaiblir à
la fois l'Etat national libyen et les
harkis qu'ils ont ramenés, y compris de
Guantanamo ou des armées secrètes de
Bandar Ben Soltane.
Cette hypothèse stipule que la Libye
doit sortir à la fois exsangue de cette
guerre et déjà lotie en plusieurs
émirats et imamats, le drapeau des
Senoussi n'étant pas le meilleur emblème
démocratique pour ce pays.
Les coalisés/croisés ont refusé dès
le départ toutes les propositions de
négociations pour trouver une solution
politique à la crise. Il était clair que
pour les sous-traitants français et
anglais du plan Obama, auquel Bolton
l'excité de la gâchette n'a rien compris
ou fait semblant de ne pas comprendre,
la guerre devait d'abord produire ses
ravages sur le corps social libyen et
sur le tissu national de l'Etat pour que
tout raccommodage devienne impossible.
Les coalisés ont échoué car l'unité
nationale libyenne, qui a été l'oeuvre
au forceps du Conseil libyen de la
révolution - et à partir d'un point de
vue plus idéologique, le nationalisme
arabe et le modèle nassérien, que des
conditions objectives historiques et
économiques - est en train de devenir
l'affaire du peuple libyen lui-même. Et
rien que cela montre à quel point l'Etat
national libyen a assuré la promotion de
la société et du peuple libyen.
Aucun peuple ne défend un Etat et une
nation qui l'affament. Les avions
peuvent détruire évidemment des
casernes, des radars, des chars, etc.
Ils ne peuvent pas détruire dans le
coeur et dans l'esprit des Libyens
l'idée qu'ils sont une nation et un
Etat.
La partition de la Libye en émirats,
en imamats et en sous-royaumes est
devenue impossible. C'est cela qui
explique que l'armée libyenne a tenu bon
et n'a enregistré qu'un nombre dérisoire
de défections.
Si le peuple libyen haïssait Kadhafi
et leur Etat national, il y a longtemps
que ce leader serait tombé et que les
organisations de l'Etat libyen se
seraient délitées. Le gouvernement
libyen, en restant ouvert à toutes les
propositions de dialogue national et en
acceptant même d'en écarter la personne
de Kadhafi, a rendu moins facile la voie
de la haine sociale que la France et
l'Angleterre - particulièrement Hagues -
veulent transformer en piège mortel qui
mettrait tout le peuple libyen dans les
rets moyenâgeux filés dans les alliances
secrètes des Etats-Unis, d'Israel et de
quelques monarchies du Golfe.
Les chances, toutes minimes pourtant,
d'une amorce de dialogue et d'échanges
entre Libyens ont rendu fous les
dirigeants occidentaux. C'est bien ce
qu'ils ne veulent pas : une idée même
évanescente d'un Etat unitaire libyen.
Ils ont alors sorti leur dernière arme
ou tiré leur dernière cartouche. Ocampo
entre en scène et émet le mandat qu'il
tenait au chaud sous le coude de ses
magistrats.
Zuma ne s'y est pas trompé. Ce mandat
a pour but de créer un nouveau fleuve de
haine entre Benghazi et Tripoli. Il a
pour but d'énerver encore plus Kadhafi
et de pousser «son clan» à de
l'intransigeance et à de la rancoeur.
Ocampo y est allé de son couplet. En
quoi, un procureur est-il obligé de
jouer au caïd et de faire le mac en
intimidant l'entourage de Kadhafi :
«vous le livrez ou je vous coffre» ?
L'Otan a immédiatement annoncé
qu'elle n'aura pas à chercher Kadhafi,
alors que ce mandat lui donne une
couverture en or. Elle n'a pas fini la
destruction du pays, elle n'a pas fini
de le somaliser.
Elle n'a pas fini de créer les
conditions d'une partition irréversible
de l'Etat libyen. Le mandat d'Ocampo
comble quelques vides devenus dangereux
dans la guerre psychologique.
On s'y connaît depuis qu'on nous
balançait d'avions des tracts pour
choisir la France à la place de l'ALN.
Vous connaissez la suite du combat entre
ceux qui n'avaient presque rien et ceux
qui avaient la démocratie, les
bombardiers, les hélicos, les navires,
les chars et beaucoup de gégènes.
Le dossier
Libye
Les dernières mises à jour
|