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Parti Ouvrier Socialiste
Les nouveaux
Barbares
Michel Warschawski
Sur
le plan moral, l’histoire ne reste jamais immobile : si elle ne
bouge pas vers moins d’oppression et plus de justice, elle bouge
vers moins de droits et plus de barbaries. Pour paraphraser la
socialiste révolutionnaire allemande, Rosa Luxembourg, qui avait
prédit vingt ans avantl’arrivé e du nazisme, ce sera « ou le
socialisme, ou la barbarie », nous pouvons dire aujourd’hui que
le 21ème siècle sera « ou l’instauration du droit, ou la loi
de la jungle ».
Il
semble, cependant, que pour la première décennie de ce troisième
millénaire, c’est la loi de la jungle qui va dominer.
Dans
un article publié il y a un mois dans Haaretz, le journaliste et
analyste israélien, Tom Segev, contestait l’idée répandue que
le contexte politique global de notre époque est le pire que nous
avons connu, disons, depuis 20 ans. Selon Segev, la guerre,
l’oppression et la destruction ont caractérisé la réalité
politique de notre planète pendant les cinq dernières décennies,
rien n’aurait changé, ni qualitativement ni même
quantitativement dans un passé récent. Segev va même plus loin
prétendant que le « clash des civilisations » n’est pas un phénomène
nouveau, mais qu’il aurait marqué les décennies précédentes
sous différentes formes.
Il
n’y a aucun doute possible, les quatre décennies qui ont suivi
la Deuxième guerre mondiale n’ont pas été pacifiques, pendant
cette période, plus de 76 millions d’êtres humains ont péri
dans des guerres, des révolutions et des répressions massives
par des dictatures [1]. Il est vrai aussi que durant les années
50, 60 et 70, le « Nord » a mené une guerre coloniale contre le
« Sud », et l’ « Ouest », une « guerre de civilisation »
contre le bloc communiste de l’Est.
Néanmoins,
il y a une différence qualitative entre la situation présente et
les 40 années qui ont suivi la victoire sur le fascisme. Trois
facteurs principaux ont limité les aspirations hégémoniques des
USA après la Deuxième guerre mondiale : l’existence d’une
superpuissance soviétique ; la force d’un classe ouvrière
organisée au sein des pays impérialistes ; les incidences du
souvenir des horreurs du fascisme sur l’opinion publique
internationale et l’illégitimité perçue de l’unilatéralisme,
de l’agression armée, etc.
En
raison de ces facteurs, les grandes puissances ont été forcées
de manouvrer sous la pression d’une opposition politique énorme
(mouvements anti-colonialistes, oppositions démocratiques de
masse) et ont constamment dû inventer des prétextes pour donner
une légitimité à leurs guerres et à leurs actes de répression
dans le monde.
Cependant,
50 années après la victoire sur le fascisme, ces contraintes ne
s’imposent plus aux grandes puissances impérialistes - aux USA
en particulier. L’unilatéralisme, les guerres « préventives
», les aventures coloniales, etc. sont de nouveau légitimés ou,
plus précisément, ne sont plus remis en cause d’une façon qui
pourrait sérieusement gêner leurs auteurs. En l’absence
d’une opposition puissante, la direction des néo-conservateurs
de l’Empire a pu se doter d’un nouveau « discours global »
qui, au moins en partie, a gagné l’opinion d’un nombre
important des victimes mêmes de l’Empire.
Les
quatre principaux éléments de ce discours sont : est la preuve
absolue que le capitalisme est le seul système viable ; la
civilisation (occidentale) est menacée par un nouvel ennemi
mondial : le terrorisme ; une guerre préventive permanente
globale est nécessaire pour protéger la civilisation des
nouveaux barbares (terrorisme/ Islam) et de leurs alliés ; dans
cette guerre pour la survie de la civilisation, il n’y a pas, et
il ne doit pas y avoir, de limites : toutes les normes et
conventions des 50 dernières années passées sont caduques.
Et
en effet, dans sa croisade pour ce qu’elle appelle « le nouveau
Siècle américain », c’est-à-dire, l’imposition par la
force d’une hégémonie totale de son Empire sous le prétexte
superficiel d’une « guerre contre le terrorisme »,
l’administration US a déclaré sans intérêt toute contrainte
morale et règlementation internationales.
Déjà
en 2003, George W. Bush avait annoncé que les conventions de Genève
étaient obsolètes dans une guerre contre le terrorisme.
Guantanamo a été ouvert en violation non seulement de la loi
internationale mais aussi de la loi des Etats-Unis d’Amérique.
Afin de priver les terroristes présumés de toutes protections et
de tous droits, la même administration a décidé d’inventer
une nouvelle catégorie de détenus : ni criminels, ni prisonniers
de guerre, mais « terroristes présumés ».
La
similitude entre les pratiques américaines et israéliennes est
étonnante : déjà dans les années 70, les autorités militaires
israéliennes avaient annoncé, par la Cour suprême israélienne
aussi bien que dans les conférences internationales, que dans le
cas des Territoires palestiniens occupés (OPT), les conventions
de Genève n’étaient pas applicables. De plus, depuis la fin
des années 60, les prisonniers politiques palestiniens étaient
classés ni comme prisonniers de droit commun ni comme détenus
politiques ; et la « prison secrète » découverte par
l’avocate Lea Tsemel, près du kibboutz Ma’anit, en 2003, est
l’identique de Guantanamo.
En
plus, selon la direction néo-conservatrice américaine et le
gouvernement israélien, le but des guerres n’est plus de gagner
une bataille, de conquérir un territoire ou de changer un régime,
mais de détruire des Etats et de démanteler des sociétés entières.
L’Etat
d’Israël - mais aussi la grande majorité de la société israélienne
- a entièrement intériorisé cette analyse néo-conservatrice et
la stratégie qui en découle. En fait, dans la dernière décennie,
Israël et Palestine ont été le laboratoire d’une telle stratégie,
les Palestiniens en étant les cobayes. C’est le cas même au
niveau de l’armement comme le journal de gauche italien El
Manifesto l’a récemment confirmé en démasquant
l’utilisation de l’un des nouveaux et des plus barbares types
de bombes fabriquées aux Etats-Unis et employés dans la dernière
agression contre la population civile de Gaza. La guerre israélienne
contre les Palestiniens vise nettement à détruire la société
palestinienne et à faire des Palestiniens une nation de tribus
dispersées, comme les Américains essaient de le faire en
Afghanistan et en Iraq.
En
fait, toutes les guerres sont barbares mais la guerre israélienne
dans les Territoires palestiniens occupés (et son contexte plus
large, la guerre préventive sans fin contre le terrorisme) représente
une nouvelle étape de la barbarie moderne. Bien que le terme de
« génocide » ne soit pas approprié, on peut adopter celui de
« sociocide » du professeur Salah Abdel Jawad, de l’université
Bir Zeid, ou le concept de « politicide » d’un sociologue israélien.
La terre originelle de la nation palestinienne est actuellement
volée par les « colonies légales » et les « avant-postes illégaux
» qui provoquent de plus en plus de transferts : le mur atomise
la société palestinienne en cantons isolés ; la nouvelle législation
vise à limiter l’entrée de Palestiniens dans les territoires
palestiniens, ainsi que leurs possibilités de se déplacer à
l’intérieur de leur propre territoire ; les représentants démocratiquement
élus de la population de Jérusalem ont été expulsés de leur
cité, et des dizaines de ministres et membres du Conseil législatif
ont été enlevés, emprisonnés, pris comme otages pour un échange
final de prisonniers.
Le
comble de tous ces maux, ce sont les horreurs à Hébron où la
population locale est soumise à un harcèlement quotidien par les
colons et l’armée israélienne et se voit dénier l’accès à
une part très importante de sa ville ; c’est le martyre de
Gaza, cible d’un blocus économique et de bombardements systématiques
d’Israël qui détruisent les infrastructures de base et en
abattent des centaines.
Inutile
de dire que tous ces crimes, dont certains sont qualifiés de
crimes contre l’humanité par Human Rights Watch, ne provoquent
aucune sanction, ni même protestation par la prétendue communauté
internationale. L’impunité pour les barbares est la nouvelle
norme, de l’Iraq jusqu’à Gaza. Quant au « camp de la paix »
israélien, il est rentré dans un coma profond le jour où Ehud
Barak est revenu de Camp David, où ils ont avalé le gros
mensonge du « danger existentiel » qui menacerait Israël avec,
quelque part, un soulagement émotionnel.
La
similitude entre la stratégie et les méthodes d’Israël et
celles des USA soulève la question de savoir qui est la tête et
qui est la queue, ou autrement dit, qui fait bouger l’autre :
est-ce le lobby israélien qui pousse les USA dans le sens des
besoins de l’Etat sioniste, ou l’administration US qui pousse
Israël pour réaliser sa politique de guerre globale au
Moyen-Orient ? En réalité, c’est une mauvaise question : il
n’y a ni tête ni queue, mais une guerre globale de
recolonisation et un monstre agressif à deux têtes hideuses. Les
stratégies néo-conservatrices ont été élaborées
conjointement par les politiciens et penseurs US et israéliens et
mises en application simultanément, bien qu’on ne puisse nier
qu’Israël a eu l’occasion de tester ces stratégies et ces méthodes
avant les Etats-Unis, les néo-cons israéliens ayant gagné les
élections quatre ans avant leurs homologues américains.
Les
USA et Israël - mais aussi la Grande-Bretagne de Blair, l’Italie
de Berlusconi et même de Romano Prodi et de plus en plus
d’autres pays occidentaux - conduisent une guerre mondiale
contre les peuples de la planète, avec un agenda affiché :
imposer par la violence et/ou la menace la loi de l’Empire néo-libéral.
Cette guerre globale est une croisade des néo-barbares contre la
civilisation humaine.
Le
rôle d’Israël dans cette association est d’éradiquer toutes
formes de résistance à l’Empire au Moyen-Orient, et d’abord
cette résistance emblématique palestinienne laquelle, à ce
moment de l’histoire, est une ligne de défense non seulement
pour le peuple palestinien, mais pour tous les peuples et nations
du Moyen-Orient, du Liban à l’Iran. C’est pourquoi le soutien
à la résistance palestinienne nécessite d’être intégré
comme une priorité stratégique pour tous les ennemis de la
barbarie, au Moyen-Orient comme dans le reste du monde.
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