Mondialisation.ca
Insurrection et
intervention militaire: Tentative de coup d'État des États-Unis
et de l'OTAN en Libye?
Michel Chossudovsky
Jeudi 10 mars 2011
Première de deux parties
Partie II. L’"Opération Libye" et la
bataille du pétrole
Les États-Unis et l'OTAN appuient une
insurrection armée dans l'est de la Libye dans le but de
justifier une "intervention humanitaire".
Il ne s'agit pas d'un mouvement de
protestation non violent comme ceux de l'Égypte et de la
Tunisie. Les conditions en Libye sont fondamentalement
différentes. L'insurrection armée dans l'est de la Libye est
directement soutenue par des puissances étrangères. Les insurgés
à Benghazi ont immédiatement hissé la bannière rouge, noire et
verte avec le croissant et l'étoile: le drapeau de la monarchie
du roi Idris, symbolisant le règne des anciennes puissances
coloniales. (Voir Manlio Dinucci,
La Libye dans le grand jeu du nouveau partage de l’Afrique,
le 25 février 2011)
Les conseillers militaires et les Forces
spéciales des États-Unis et de l'OTAN sont déjà sur le terrain.
L'opération a été planifiée pour coïncider avec les
manifestations dans les pays arabes voisins. On a fait croire à
l'opinion publique que le mouvement de protestation s'est étendu
spontanément de la Tunisie à l'Égypte et ensuite à la Libye.
L'administration Obama en consultation avec ses alliés assiste
une rébellion armée, à savoir, une tentative de coup d'État:
« L'administration Obama reste prête à offrir "tout type
d'assistance" au Libyens cherchant à déloger Mouammar
Kadhafi, a affirmé la secrétaire d'État Hillary Clinton [le 27
février]. "Nous avons contacté de nombreux Libyens de différents
horizons qui tentent de s'organiser à l'est et à l'ouest, à
mesure que la révolution avance également dans cette direction.
Je crois qu'il est trop tôt pour dire comment cela va se
dérouler, mais les États-Unis seront prêts et préparés à
offrir tout type d'assistance souhaitée." Dans la
partie est du pays, là où la rébellion a débuté au milieu du
mois, les efforts visant à former un gouvernement provisoire
sont en branle. »
Clinton
a affirmé que les États-Unis menacent de prendre
d'autres mesures contre le gouvernement de Kadhafi,
mais n'a pas mentionné leur nature ou quand elles seraient
annoncées.
Les
États-Unis devraient « reconnaître le gouvernement provisoire
que l'on est en train de mettre sur pied [...] » [McCain]
Lieberman s'est exprimé en des termes similaires, préconisant
« un appui tangible, [une] zone d'exclusion aérienne, la
reconnaissance d'un gouvernement révolutionnaire, le
gouvernement des citoyens, ainsi qu'un appui sous forme
d'aide humanitaire et d'armes » (Clinton:
US ready to aid to Libyan opposition - Associated, Press,
27 février 2011, c'est l'auteur qui souligne)
L'invasion planifiée
Une intervention militaire est maintenant
envisagée par les forces des États-Unis et de l'OTAN en vertu
d'un « mandat humanitaire ».
« " Les Etats-Unis sont en train de
repositionner leurs forces navales et aériennes dans la région"
pour préparer " leur gamme complète
d’options" à l’égard de la Libye : c’est ce qu’annonce
hier (mardi 1er mars) le porte-parole du Pentagone, colonel de
marines Dave Lapan. Il a ainsi dit que « c’est le président
Obama qui a demandé aux militaires de préparer ces options »,
car la situation en Libye empire.».
( Manlio
Dinucci, Opération
Libye en préparation, Le Pentagone « repositionne » les forces
navales et terrestres, Mondialisation.ca, le 2 mars 2011,
c'est l'auteur qui souligne)
Le véritable objectif de l'« Opération
Libye » n'est pas d'instaurer la démocratie mais de prendre
possession des réserves de pétrole du pays, de déstabiliser la
Compagnie pétrolière nationale de Libye (CPN ou NOC en anglais)
et de privatiser tôt ou tard l'industrie pétrolière du pays,
c'est-à-dire transférer le contrôle et la propriété de la
richesse pétrolière libyenne dans des mains étrangères. La CPN
est au 25e rang des 100 compagnies pétrolières les plus
importantes.
(The
Energy Intelligence ranks NOC 25 among the world’s Top 100
companies. - Libyaonline.com)
La Libye est l'une des plus importantes
économies pétrolières au monde, avec approximativement 3,5 % des
réserves mondiales de pétrole, plus du double de celles des
États-Unis. (Pour plus de détails voir la 2e partie de cet
article « Opération Libye » et la bataille du pétrole.)
L'invasion planifiée de la Libye, laquelle est déjà en cours,
fait partie de la plus vaste « bataille du pétrole ». Près de
80 % des réserves pétrolières de la Libye se situent dans le
bassin du golfe de Syrte dans l'est du pays. (Voir la carte
ci-dessous)
Les hypothèses stratégiques derrière
l'« Opération Libye » évoquent les engagements militaires des
États-Unis et de l'OTAN en Yougoslavie et en Irak.
En Yougoslavie, les forces des États-Unis et
de l'OTAN ont déclenché une guerre civile. Le but était de créer
des divisions ethniques et politiques, lesquelles ont finalement
mené à l'éclatement d'un pays entier. Cet objectif a été atteint
par la formation et le financement clandestin d'organisations
paramilitaires armées, d'abord en Bosnie (Armée bosniaque,
1991-95) puis au Kosovo (Armée de Libération du Kosovo (ALK),
1998-1999). La désinformation médiatique (incluant des mensonges
purs et simples et des fabrications) a été utilisée à la fois au
Kosovo et en Bosnie pour appuyer les affirmations des États-Unis
et de l'Union européenne voulant que le gouvernement de Belgrade
ait commis des atrocités, justifiant ainsi une intervention
militaire pour des raisons humanitaires.
Ironiquement, l'« Opération Yougoslavie » est
maintenant sur les lèvres des responsables de la politique
étrangère des États-Unis : le sénateur Lieberman a « comparé la
situation en Libye aux événements dans les Balkans dans les
années 1990 lorsqu’il a dit : les États-Unis "sont intervenus
pour arrêter un génocide à l’endroit des bosniaques. Et ce que
nous avons fait en premier lieu a été de leur fournir des armes
pour qu’ils se défendent. Je crois que c’est ce que nous
devrions faire en Libye". »
(Clinton:
US ready to aid to Libyan opposition - Associated, Press,
27 février 2011, c’est l’auteur qui souligne)
Le scénario stratégique consisterait à faire
des pressions en faveur de la formation et de la reconnaissance
d’un gouvernement intérimaire dans la province sécessionniste
dans le but de faire éclater le pays tôt ou tard.
Cette option est déjà en cours. L’invasion de
la Libye a déjà débuté.
« Des centaines de conseillers militaires
étasuniens, britanniques et français sont arrivés en Cyrénaïque,
la province séparatiste de l’est de la Libye [...] Les
conseillers, incluant des agents du renseignement, sont
débarqués des navires de guerre et des bateaux lance-missiles
dans les villes côtières de Benghazi et Tobrouk. »
(DEBKAfile, US
military advisers in Cyrenaica, 25 février 2011)
Les États-Unis et les Forces spéciales
alliées sont sur le terrain dans l’est de la Libye et
fournissent un appui clandestin aux rebelles. Cela a été admis
lorsque des commandos des Forces spéciales SAS britanniques ont
été arrêtés dans la région de Benghazi. Ils agissaient à titre
de conseillers militaires pour les forces de l’opposition :
« Le Sunday Times révèle aujourd’hui qu’alors
qu’ils étaient en mission secrète pour mettre des diplomates
britanniques en contact avec des opposants majeurs du colonel
Mouammar Kadhafi en Libye, huit commandos des Forces spéciales
britanniques ont été humiliés après avoir été détenus par des
forces rebelles dans l’est de la Libye.
Les hommes, armés, mais en tenue civile, ont
affirmé qu’ils étaient là pour vérifier les besoins de
l’opposition et offrir de l’aide. » (Top
UK commandos captured by rebel forces in Libya: Report,
Indian Express, 6 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne)
Les forces SAS ont été arrêtées alors
qu’elles escortaient une « mission diplomatique » britannique
entrée au pays illégalement (sans aucun doute à bord d’un navire
de guerre britannique) pour discuter avec les chefs de la
rébellion. Le Foreign Office britannique a admis qu’« une petite
équipe diplomatique britannique [avait été] envoyée dans l’est
de la Libye pour prendre contact avec l’opposition soutenue par
des rebelles ».
(U.K.
diplomatic team leaves Libya - World - CBC News,
6 mars 2011).
Ironiquement, les reportages confirment non
seulement une intervention militaire occidentale (comprenant des
centaines de forces spéciales), ils reconnaissent également que
la rébellion était fermement opposée à la présence illégale de
troupes étrangères en sol libyen :
« L’intervention des SAS a irrité les
opposants libyens qui ont ordonné que les soldats soient
enfermés sur une base militaire. Les opposants de Kadhafi
craignent qu’il utilise toute preuve d’interférence militaire
occidentale pour former un appui patriotique en faveur de son
régime. » (Reuters,
6 mars 2011)
Le « diplomate » britannique capturé avec
sept soldats des Forces spéciales était un membre du service de
renseignement britannique, un agent du MI6, en « mission
secrète ». (The
Sun, 7 mars 2011)
Des armes sont fournies aux forces de
l’opposition et cela est confirmé par des déclarations des
États-Unis et de l’OTAN. Malgré l’absence de preuves établies à
ce jour, des signes indiquent que des armes ont été livrées aux
insurgés avant l’attaque contre la rébellion. Selon toute
probabilité, des conseillers militaires et du renseignement des
États-Unis et de l’OTAN étaient également sur le terrain avant
l’insurrection. C’est le modèle appliqué autrefois au Kosovo :
des forces spéciales ont entraîné et soutenu l’Armée de
libération du Kosovo (ALK) dans les mois précédant la campagne
de bombardement et l’invasion de la Yougoslavie en 1999.
Toutefois, alors que les événements se
déroulent, les forces du gouvernement libyen ont repris le
contrôle des lieux détenus par les rebelles :
« L’importante offensive lancée par les
forces pro-Kadhafi [le 4 mars] pour arracher des mains des
rebelles le contrôle des villes et des centres pétroliers les
plus importants de la Libye leur a permis de reprendre la ville
clé de Zawiya [le 5 mars] et la plupart des villes pétrolières
autour du golfe de Syrte. À Londres et Washington, des
pourparlers d’intervention militaire aux côtés de l’opposition
libyenne ont été mis en sourdine lorsque l’on a réalisé que le
renseignement sur le terrain, des deux côtés du conflit,
était trop sommaire pour servir de base à la prise de décision.»
(Debkafile,Qaddafi
pushes rebels back. Obama names Libya intel panel,
5 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne)
Le mouvement d’opposition est fortement
divisé sur la question d’une intervention étrangère.
Il y a division entre le mouvement populaire
et les « chefs » de l’insurrection armée appuyée par les
États-Unis et favorisant une intervention militaire étrangère
« pour des raisons humanitaires ».
La majorité des Libyens, à la fois les
opposants et les partisans du régime, sont fermement opposés à
toute forme d’intervention extérieure.
Désinformation
médiatique
Les objectifs
stratégiques plus vastes sous-jacents à l’invasion proposée de
la Lybie ne sont pas mentionnés par les médias. À la suite d’une
campagne médiatique trompeuse, où les nouvelles ont
littéralement été fabriquées sans que l’on rapporte ce qui se
passait sur le terrain, un large secteur de l’opinion publique
internationale a accordé son appui inflexible à une intervention
pour des raisons humanitaires.
L’invasion est
sur la planche à dessin du Pentagone. On prévoit la mettre en
oeuvre sans tenir compte des demandes de la population libyenne,
y compris les opposants du régime qui ont exprimé leur aversion
pour une intervention militaire étrangère dérogeant à la
souveraineté de la nation.
Déploiement de forces
navales et aériennes
Si
l’intervention militaire était mise à exécution, elle
entraînerait une guerre totale, une blitzkrieg, impliquant le
bombardement de cibles militaires et civiles.
À cet égard, le
commandant du Commandement central étasunien (USCENTCOM), le
général James Mattis, a suggéré que l’implantation d’une « zone
d'exclusion aérienne » impliquerait
de facto une campagne
de bombardement extrême ciblant entre autres le système de
défense antiaérienne libyen :
« Il
s’agirait d’une opération militaire. Il ne suffirait pas de dire
aux gens de ne pas piloter d’avion.
Il faudrait éliminer la
capacité de défense antiaérienne afin d’établir une zone
d'exclusion aérienne, donc il ne faut se faire d’illusions. »
(U.S.
general warns no-fly zone could lead to all-out war in Libya,
Mail Online, 5 mars 2011, c’est l’auteur qui souligne).
Une puissance
navale massive des États-Unis et des alliés a été déployée le
long de la ligne de côte libyenne.
Le Pentagone
envoie ses navires de guerre vers la Méditerranée. Le
porte-avions USS Enterprise avait pour sa part transité par le
canal de Suez dans les jours qui ont suivi l’insurrection. (http://www.enterprise.navy.mil
)
Les navires
d’assaut amphibies des États-Unis, l’USS Ponce et l’USS
Kearsarge, ont également été déployés en Méditerranée.
Quatre cents Marines étasuniens ont été envoyés sur l’île de
Crète en Grèce « avant d’être déployés sur des navires de guerre
partant pour la Libye.
(
"Operation Libya": US Marines on Crete for
Libyan deployment,
Times of Malta, 3 mars 2011).
Pendant ce
temps, l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, le Canada et
l’Italie sont en train de déployer des navires de guerre le long
de la côte libyenne.
L’Allemagne a
déployé trois navires de combat en prétextant aider à
l’évacuation de réfugiés à la frontière entre la Libye et la
Tunisie. « La France a décidé d’envoyer le Mistral, son
porte-hélicoptères, lequel, selon le ministère de la Défense,
contribuera à évacuer des milliers d’Égyptiens. »(Towards
the Coasts of Libya: US, French and British Warships Enter the
Mediterranean,
Agenzia Giornalistica Italia, 3 mars 2011) Le Canada a envoyé la
frégate de la Marine NCSM Charlottetown.
Entre-temps, la 17e Force aérienne étasunienne dénommée US Air
Force Africa, située sur la base aérienne de Ramstein en
Allemagne, aide à l’évacuation de réfugiés. Les forces aériennes
des États-Unis et de l’OTAN en Grande-Bretagne, en Italie, en
France et au Moyen-Orient sont en attente.
Article original en anglais :
Insurrection and Military Intervention: The US-NATO Attempted
Coup d'Etat in Libya?, publié le 7 mars2011.
Traduit par Julie Lévesque pour
Mondialisation.ca
Michel Chossudovsky
est directeur du Centre de recherche sur la mondialisation et
professeur émérite de sciences économiques à l'Université
d'Ottawa. Il est l'auteur de
Guerre et mondialisation, La vérité
derrière le 11 septembre
et de la
Mondialisation de la pauvreté et nouvel ordre mondial (best-seller
international publié en 12 langues).
© Copyright Michel Chossudovsky, Global Research, 2011
Publié le 11 mars 2011 avec l'aimable autorisation de Michel Chossudovsky
Le dossier Libye
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