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Counterpunch
Que
s'est-il passé à Nahr al-Bared ?
Michaël Birmingham
Nahr al-Bared
25 octobre 2007
Michael Birmingham est un militant de la paix irlandais, qui
vit la plupart du temps au Liban depuis juillet 2006. Il a
travaillé sur les questions de droits de l'homme et de
justice sociale en Irlande et en Irak.
Nahr al-Bared est un camp de réfugiés palestiniens au nord
du Liban, qui a abrité jusqu'à 40.000 palestiniens, dont
la plupart sont les enfants et les petits-enfants de ceux
qui ont fui la Palestine en 1948. Certains, comme Abu
Mohammad, sont nés en Palestine. Il avait 10 ans, et l'an
prochain, cela fera 60 ans depuis que l'Etat d'Israël a été
créé sur le nettoyage ethnique de Abu Mohammad et de
tellement d'autres, expulsés de leurs maisons en
Palestine.
Il m'a raconté son histoire alors que nous étions assis tous
les deux chez lui, il faisait nuit noire, et que les rats
couraient derrière nos chaises.
Lorsque je l'ai quitté, il est rentré dormir, seul, au milieu
des cendres et des rongeurs, sans voisin près de lui,
essayant de croire qu'il lui restait encore quelque chose
à protéger.
Entre mai et septembre cette année, une bataille féroce a
eu lieu entre l'armée libanaise et un petit groupe armé
connu sous le nom de Fatah al-Islam. Dès le premier
jour, l'armée libanaise a encerclé le camp et a lancé des
tirs d'artillerie, qu'elle a maintenus pendant des mois. La
plupart des habitants du camp ont été forcés de partir,
avec les vêtements qu'ils avaient sur le dos, dans les
trois premiers jours . Comme le nombre de jeunes soldats
libanais tués et blessés augmentait dans la bataille, le
Liban a commencé à être submergé de patriotisme et de
douleur, et questionner l'armée est devenu tabou.
Quelque chose de terrible a été fait aux habitants de Nahr
al-Bared, et on a épargné les détails aux Libanais.
Au cours des deux dernières semaines, depuis que le camp a
été partiellement rouvert à quelques-uns de ses habitants,
beaucoup d'entre nous qui s'y sont rendus ont
été abasourdis par le choc de la réalité. Au-delà de la
destruction massive des maisons après trois mois de
bombardement, pièce après pièce, maison après maison,
tout a été incendié. Incendié de l'intérieur. Parmi
les cendres sur le sol, on voit l'intérieur de ce qui
semble avoir été des pneus de voiture. Les murs portent
des traces de ruissellement de suie venant de ce qui semble
clairement être quelque chose d'inflammable dont on les
aurait aspergés. Les pièces, les maisons, les magasins,
les garages, ne sont que des ruines noircies, pourtant sans
les dommages qui pourraient venir de bombardements ou de
batailles. Tout a été délibérément incendié par des
gens qui sont entrés et ont mis le feu.Combien ? Nous ne
savons pas, c'est trop vaste pour qu'un petit nombre de
gens en fasse une évaluation complète. Mais il est
presque impossible de trouver une maison non bombardée ou
un magasin auquel on n'a pas mis le feu.
Pourquoi ceci est-il arrivé ? Pourquoi ces gens doivent-ils
trouver le travail de toute une vie en cendres, sur le sol
de ces maisons complètement brûlées, sans qu'on leur
donne la moindre information – pas un mot ? Tous les
jours, de nouveaux habitants reviennent pour découvrir ce
qui est arrivé à leurs maisons.
Il n'y a pas que l'incendie des maisons. Les voitures qu'on
a ordonné aux habitants de laisser derrière eux dans les
premiers jours de la bataille ont été écrasées. Des
mobylettes et des postes de TV, et tous ces biens ordinaires,
ont aussi été brisés. Frigidaires après frigidaires,
criblés de balles. Tout ceci exécuté clairement depuis
l'intérieur des maisons, pas par une bataille extérieure.
Les gens qui reviennent chez eux s'assoient par terre, dehors,
seuls. Assommés. Lorsque vous leur demandez de vous
laisser rentrer chez eux, ils vous disent tous qu'on leur a
volé leurs objets de valeur. Même lorsque ces objets étaient
bien cachés, tout a été saccagé et les objets précieux
ont été trouvés. Des explosifs ont
été utilisés pour enfoncer les portes fermées, ou pour ouvrir
les coffres-forts. Les affaires volées incluent tout, des
vêtements aux voitures. Ce qui n'a pas été brûlé, ni
brisé, et qui avait un peu de valeur, a disparu. Où ?
Ce camp était strictement interdit aux Palestiniens pendant
la bataille. Ils ne peuvent pas avoir fait ça. Qui l'a
fait et pourquoi doit faire l'objet d'une enquête avant
que des preuves capitales ne disparaissent. On peut en
attribuer une petite partie aux combattants de Fatah
al-Islam. Mais il y a des preuves évidentes que des éléments
de l'armée ont agi de façon indécente.
Sur les murs intérieurs de beaucoup, beaucoup de maisons,
des slogans ont été écrits. Cela va de soldats notant fièrement
les unités de l'armée jusqu'à des slogans profondément
racistes et agressifs contre les Palestiniens. De
nombreuses familles ont trouvé leurs affaires dans les
maisons voisines. Il y a des excréments sur les matelas et
les sols.
Chaque jour voit de nouvelles familles revenir au camp. En
quelques heures, elles balayent et nettoient des cendres et
les débris, de manière à essayer d'imaginer où elles
vont recommencer. Elles brûlent les matelas souillés. Les
journalistes sont toujours interdits d'entrer dans le camp.
Ici, les caméras sont illégales. Les groupes humanitaires
ne sont pas venus. Plus le temps passe, plus les preuves
disparaissent.Pour ceux d'entre nous qui vivaient dans le camp
voisin de Baddawi pendant la bataille, ceci fait suite à
des mois d'histoires racontées par les gens de Nahr
al-Bared sur les tortures et les abus aux checkpoints, et
au ministère de la défense libanais, à Yarsi. Cela fait également
suite à une manifestation pacifique des gens de Nahr
al-Bared, qui ont courageusement essayé de dire au monde
ce qui se passait et qui ont été tués près de Baddawi.
Le monde les a complètement ignorés, même leurs morts.
Amnesty International, la plus importante organisation de
droits de l'homme au monde, a terminé la semaine dernière
un rapport sur la situation des Palestiniens au Liban. Sa délégation
a quitté le Liban sans aller à Nahr al-Bared – avant
qu'elle parte, elle a tenu une conférence de presse à
Beyrouth qui a été interrompue brusquement à la première
mention de Nahr al-Bared.Le gouvernement des Etats-Unis a joué
un rôle clé dans cette bataille, soutenant avec force,
politiquement et avec des munitions, la décision du
gouvernement libanais de privilégier une solution
militaire. Les Libanais ont simplement proposé à Fatah
al-Islam de se rendre ou de mourir. L'Union Européenne et
de nombreux pays arabes ont aussi clairement soutenu cette
position. L'impératif moral et légal de distinguer entre
les combattants et les civils, et de ne pas viser les
communautés de civils, ne les a pas préoccupé. Les
Palestiniens du Liban, sujets de tellement de larmes de
crocodile partout dans le monde au cours des infâmes massacres
du passé, se retrouvent une fois encore sans soutien, au
moment où ils en ont réellement besoin.
Que s'est-il passé à Nahr al-Bared ? Et pourquoi le monde
semble-t-il s'en foutre ?
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