Opinion
Ce qui n'a pas eu
lieu
Mehdi
Mohammadi
Photo: The
Race for Iran
Lundi 21 mai 2012
Mehdi Mohammadi explique le
bluff perdant d’Obama
Depuis la révolution
islamique, l’Iran à toujours été un
pays déroutant pour les
observateurs, et réussissant à
déjouer les calculs les plus subtils
de ses adversaires. Après avoir
spéculé sans fin sur les divisions
internes du régime, puis avoir tenté
de fomenter sans succès une
révolution dite «verte», les ennemis
de la république islamique lui
infligent un embargo économique et
la menacent d’une guerre.
Devant ces agissements et
menaces, il semble que le
gouvernement iranien garde la tête
froide (plus que votre serviteur en
tout cas) et analyse la situation
comme étant en fait plus délicate
pour ses adversaires que pour
lui-même.
C’est en tout cas ce qu’on
peut comprendre du propos de Mehdi
Mohammadi qui, fait intéressant, est
avant tout un spécialiste de la
politique interne de son pays et non
de sa diplomatie. M. Mohammadi
collabore avec le journal iranien
Kayhan, de tendance «conservatrice.»
Selon M. Mohammadi, les Etats
Unis ne veulent pas d’une guerre et
il est hors de question que le
régime sioniste se lance seul dans
une telle opération.
L’analyse de M. Mohammadi est
que la menace de guerre est avant
tout un moyen de pression sur…
l’Union Européenne afin qu’elle
décide et applique des sanctions
économiques contre l’Iran.
De fait l’Iran ne croit pas à
la menace militaire américaine et a,
de toute façon, procédé à quelques
démonstrations de force pour faire
comprendre à Barack Obama et à son
équipe que le prix d’une guerre,
même victorieuse pour les USA,
pourrait être exorbitant.
D’où des signaux d’apaisement
très clairs adressés par le
gouvernement des Etats Unis à l’Iran
même si publiquement des menaces
continuent d’être agitées pour
satisfaire le lobby sioniste.
N’oublions pas que M. Obama brigue
un deuxième mandat…
Selon M. Mohammadi, Européens
et Américains, après toutes ces
vaines menaces, se retrouvent dans
une position de faiblesse devant
l’Iran. Pas seulement parce que, du
point de vue iranien, le risque
d’agression militaire est écarté
mais parce que les pays occidentaux
sont désireux d’enrayer une hausse
de coût de l’énergie qui plombe un
peu plus l’économie mondiale alors
que, comme l’observe judicieusement
l’auteur, le boycott du pétrole
iranien par l’Union Européenne n’est
pas encore effectif.
Patrick Seale dit, d’une manière
différente, des choses assez
semblables.
Djazaïri
Une méthode utile pour comprendre
vraiment ce qui s’est passé dans les
pourparlers d’Istanbul [an avril]
dernier est d’analyser ces entretiens à
travers le prisme de «ce qui n’a pas eu
lieu.”
Dans les six mois qui ont précédé ces
négociations et avec le souvenir des
discussions d’Istanbul I encore dans les
esprits des Occidentaux, la principale
préoccupation des P5+1 portait sur la
manière de forcer l’Iran à renoncer à sa
persévérer et à ajuster ses calculs
stratégiques.
Le problème immédiat pour les Etats
Unis et Israël était avant tout
d’empêcher le programme iranien
d’enrichissement de l’uranium de
franchir une nouvelle étape de sa
progression. En conséquence, une vague
d’opérations de « semi-hard power » sous
la forme de cyber attaques, de
l’assassinat de scientifiques
nucléaires, de restrictions sur
l’importation par l’Iran de certains
composants et, élément le plus
important, la fermeture ce que les
Américains appellent la « source de
financement » du programme nucléaire a
été entreprise.
Cependant, si nous nous servons du
critère de l’expansion des installations
et de la quantité de matériaux
nucléaires produits par l’Iran comme
mesure de l’accélération ou du
ralentissement du programme nucléaire
iranien, ces actions [occidentales]
n’ont atteint aucun de leurs objectifs.
Des scientifiques ont été assassinés,
mais ces crimes n’ont fait que
convaincre d’autres scientifiques qu’ils
doivent travailler plus dur et venger
leurs martyrs. Les cyber attaques ont
visé des installations nucléaires mais
leur seul résultat a été que non
seulement les spécialistes Iraniens ont
développé des compétences dans la
technologie de défense des systèmes,
mais ils sont rapidement devenus
capables de lancer des cyber attaques
généralisées en territoire ennemi. Les
sanctions ont incité les producteurs
Iraniens à chercher de nouvelles
méthodes, ce qui a permis dans un court
laps de temps à atteindre
l’autosuffisance dans certains domaines
qui dépendaient des importations avant
l’imposition des sanctions. Les
ressources financières pour le programme
nucléaire iranien ne se sont pas taries,
du fait que l’augmentation des revenus
pétroliers causée par l’effet
psychologique des sanctions – et gardons
à l’esprit que les sanctions pétrolières
n’ont pour l’instant été appliquées ni
par l’Europe, ni par l’Amérique et
qu’elles ne sont encore que virtuelles –
a été bien plus forte que la réduction
minime subie par les exportations
pétrolières iraniennes.
Il s’ensuit que l’Iran n’était pas
suppose aller aux négociations
d’Istanbul 2 avec son programme
nucléaire au bord de la faillite. L’Iran
est en fait entré dans les négociations
avec l’usine de Fordo sur le point
d’entrer en activité et après avoir
produit plus de 100 kilos d’uranium
enrichi à 20 %et quelques centaines de
kilos de réserves d’uranium enrichi à 5
%. Ce combustible produit localement a
été chargé dans le réacteur de Téhéran
et testé aves succès, tandis que le
choix de nouveaux sites nucléaires a été
arrêté et que des programmes de
développement de la production nucléaire
ont été annoncés.
Les opérations de “semi-soft power”
de l’occident n’ont ni stoppé, ni
ralenti les avancées nucléaires
iraniennes. Elles ont eu au contraire
pour conséquences l’approfondissement,
l’accélération et la sanctuarisation du
programme, ce qui constitue le premier
pilier sur lequel s’est basé la
stratégie de négociation de l’Iran à
Istanbul.
Deuxièmement, avant les discussions
d’Istanbul, tous les efforts de
l’Occident visaient à convaincre l’Iran
que si les négociations n’avançaient pas
dans le sens souhaité par certains
membres du p+1, l’option militaire était
fermement mise sur la table. Sur la base
d’une division du travail entre les
Etats Unis et Israël, Israël était censé
menacer l’Iran de l’attaquer
militairement s’il ne renonçait pas à
son programme nucléaire et l’Amérique
était supposée soutenir ces menaces. La
théorie israélienne était que si
l’Amérique n’approuvait pas ces menaces,
l’Iran ne les considérerait pas comme
crédibles et ne les prendrait pas au
sérieux. Mais est-ce que quelqu’un a
vraiment eu l’intention d’attaquer
l’Iran ? Il a été en fait révélé qu’un
tel plan n’a à aucun moment été
envisagé.
Les objectifs de la menace militaire
américaine et israélienne étaient de
deux ordres.
Premièrement, le consensus des
experts Israéliens et Américains était
que l’Iran ne stopperait son programme
nucléaire que s’il sentait que la
pression à ce sujet évoluait vers une
menace pour l’existence de la république
islamique. Le résultat de ce calcul
israélien était que pour que l’Iran
stoppe son programme nucléaire, l’Iran
doit percevoir la menace pour sa propre
existence, ce qui n’est pas possible
sauf si l’Iran sent que l’occident a la
volonté d’aller aussi loin qu’attaquer
l’Iran militairement pour empêcher sa
nucléarisation. La raison affichée par
Barack Obama au cours de son discours à
la dernière conférence de l’AIPAC [le
lobby sioniste], que la politique de son
gouvernement à l’égard de l’Iran n’était
pas une politique de confinement
[containment] ou de prévention mais
visait plutôt à stopper le programme
nucléaire iranien, cherchait précisément
à adresser à l’Iran le message que pour
l’Amérique, le risque inhérent à une
confrontation militaire était moindre
que celui d’un Iran nucléarisé. En
somme, Israël voulait que l’Amérique
annonce explicitement que toutes les
options, militaire notamment, étaient
sur la table et de rendre très clair
pour l’Iran le critère du recours à ces
options.
Deuxièmement, les Israéliens pensent
que le monde n’accepterait pas un
allègement des sanctions contre l’Iran
sauf si ce pays sentait que la
résistance à ces sanctions pourrait
déboucher sur le déclenchement d’une
nouvelle guerre dans la région. La
menace d’agression est par essence un
moyen de forcer des pays comme les
membres de l’Union Européenne à
renforcer les sanctions, et de ce fait,
l’analyse tout à fait correcte de
certains spécialistes Occidentaux de
stratégie est que l’option la plus
extrême dont disposent l’Amérique et
Israël est celle des sanctions. Leur
évaluation est qu’une attaque n’est
fondamentalement pas une des options
possibles et n’est purement et
simplement qu’un instrument qui sert à
rendre plus efficace l’option des
sanctions, un instrument dont ils
imaginent qu’il renforce les effets des
sanctions et force également divers pays
à prendre plus au sérieux l’application
des sanctions.
Fort bien, alors qu’est-il advenu de
ce grand projet de guerre psychologique
et les occidentaux ont-ils été capable
de tirer quelque chose de cette
machinerie qu’ils ont construite pour
les discussions d’Istanbul ? Le destin
de ce projet de création d’une menace
crédible regorge vraiment de leçons. Au
début, les Américains avaient accepté
l’argument selon lequel si l’Iran
percevait la présence d’une menace
militaire crédible – de la part des
Etats Unis, pas d’Israël – il aurait une
raison pour céder. Les dirigeants
Américains ont donc commencé à menacer
l’Iran en affirmant que leur potentiel
militaire était suffisant pour traiter
les installations nucléaires iraniennes,
que leurs plans d’attaque étaient
pratiquement ficelés et qu’aucune option
n’avait été exclue. Cependant, de
manière étonnante, les effets de cette
rhétorique n’ont pas du tout été ceux
qu’envisageait l’Amérique ni ceux
qu’Israël avait prévus.
En tout premier lieu, l’Iran a
rapidement réagi et a conduit des
opérations militaires spéciales qui ont
démontré que non seulement le pays
pouvait se défendre devant toute attaque
mais que, si nécessaire, il pouvait
réaliser des opérations préventives
avant le passage à l’action de l’ennemi
et dans une phase au cours de laquelle
des menaces sont encore proférées. Les
Américains ont ainsi pu voir que leurs
activités dont l’intention était de
maintenir la tension avec l’Iran à un
niveau contrôlé pouvaient leur échapper
des mains et qu’à tout moment, existait
la possibilité qu’un Iran sûr de lui
puisse entraîner les Etats Unis dans un
conflit meurtrier, quoique non souhaité.
La raison pour laquelle Barack Obama,
dans une lettre adressée à l’Iran
l’hiver dernier, a annoncé ouvertement
que l’option militaire n’était, en ce
qui concerne son pays, pas sur la table,
était que les Américains avaient
constaté que l’Iran n’avait pas peur
mais se préparait au contraire à la
guerre.
Ensuite, les menaces répétées contre
l’Iran ont poussé fortement les prix du
pétrole à la hausse (et par conséquent
les revenus de l’Iran), aggravant la
stagnation d’une économie mondiale à
demi-morte et, avec l’augmentation sans
précédent des prix de l’essence, ont été
la cause de graves problèmes politiques
intérieurs en Amérique et en Europe. En
fait, les Américains ont senti que cette
rhétorique ridicule produit l’effet
opposé, elle n’a pas vraiment nui à
l’Iran mais pourrait au contraire à tout
moment provoquer leur propre chute et
c’est pour cette raison que Barack Obama
a visiblement déclaré en mars dernier
que quiconque parle d’attaquer l’Iran
est un imbécile dépourvu de sens qui
ment au peuple américain sur le coût
potentiel d’une telle action.
Le résultat délectable est le
suivant: alors que le projet de création
d’une « menace militaire crédible »
avait été conçu pour paralyser l’Iran de
peur, il a de manière inattendue et en
un bref laps de temps, révélé le secret
que le principal opposant à cette option
est le gouvernement des Etats Unis
lui-même, c’est-à-dire ce même
gouvernement qui était supposé rendre
les menaces crédibles en faisant son
show ! Non seulement la menace militaire
était dénué de crédit, mais elle a été
retirée de la table non par les Iraniens
mais par les Américains avec une clarté
sans précédent, et la délégation
américaine est venue à Istanbul sachant
que les menaces d’attaque contre l’Iran
étaient perçues par ce pays comme rien
d’autre qu’une mauvaise plaisanterie et
c’est pour cette raison que ni les
Américains, ni les autres membres du
P5+1n’ont à aucun moment formulé ce qui
aurait pu ressembler à de telles menaces
[pendant les négociations].
Je n’ai discuté pour l’instant que de
deux des facteurs qui étaient censés
intervenir à Istanbul sans que ce fut le
cas. Il y a au moins trois autres
facteurs qui peuvent être discutés mais
nous n’aurons pas l’occasion de le faire
à ce stade. Quand ces trois facteurs
sont débattus correctement et que les
arguments pour comprendre pourquoi ces
trois facteurs que les Américains
voulaient aborder ne l’ont pas étés,
auront été examinés, on pourra alors
comprendre clairement pourquoi les P5+1
ont participé aux discussions d’Istanbul
2 en position de faiblesse.
Mehdi Mohammadi, analyste politique
et collaborateur de Kayhan
The Race for Iran (USA) 19 mai 2012
traduit de l’anglais par
Djazaïri
Le
dossier Iran
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