Opinion
Les orangers de
Baniyas
Marie-Ange Patrizio
Lundi 12 décembre
2011
Ou :
Récits de visites à des blessés (de « l’armée
des barbouzes »[1] ?)
Chers amis, je
reprends mon récit de voyage avec deux
étapes que j’évoquerai en réaction à la
lecture d’articles parus récemment dans
quelques uns de nos media dits
indépendants (Monde Diplomatique,
Libération, La Vie, Le Monde)
et dépêches de l’AFP (tout à fait
indépendante elle aussi).
Il s’agit
maintenant pour nos journalistes
-anonymes ou pas- de donner davantage de
détails sur l’« au-delà de la barbarie »
: « Les
enfants sont-ils l’une des cibles
privilégiées des forces de Bachar al-Assad,
en particulier des terrifiants snipers
qui mitraillent systématiquement les
manifestations ? A l’évidence »
[2].
Mon récit ne se
fonde pas, comme les articles de J-P
Perrin (Libération et autres),
sur des « évidences », et ne prétend pas
donner une image exhaustive et
« neutre » de la réalité actuelle en
Syrie ; il s’agit pour moi de restituer
le plus fidèlement possible les méandres
de ce séjour, par une description
détaillée et circonstanciée, sincère
jusque dans ses confusions et erreurs
dans mes prises de notes. Ce que j’ai vu
et entendu, chez ceux qui nous ont reçus
avec confiance et courage, en nous
demandant de relayer leur témoignage. Je
n’ai pas toujours noté les noms des
interlocuteurs mais ils les ont donnés
et ont accepté d’être filmés à visage
découvert.
Mercredi 16 novembre,
à Baniyas
Nous arrivons en
début d’après-midi dans une maison de la
banlieue de Baniyas, surplombant la
ville (et la mer) ; l’accès à la maison
est bordé d’agrumes chargés de fruits et
de diverses herbes et plantes indiquant
une famille qui cultive avec soin tout
son espace environnant.
Nous avons été
guidés depuis la sortie de l’autoroute
par un religieux (Frère André) qui nous
attendait.
Nous entrons dans une pièce où se
trouvent quelques tapis traditionnels et
des chaises ; certains d’entre nous se
déchaussent bien qu’un homme assis par
terre dans le coin opposé à l’entrée,
nous invite à rester chaussés pour ne
pas nous déranger. Cet homme n’a pas de
jambes, son pantalon de survêtement est
rabattu sous lui. Je me demande dès ce
moment-là quelle est l’origine de son
infirmité ; en Syrie, étant donné le
développement des services de santé, si
c’était de naissance ou pour une cause
accidentelle mais non récente, il serait
appareillé ; dès lors et jusqu’au moment
où il prendra la parole, la question du
lien éventuel entre son invalidité et
les événements dont nous sommes venus
parler va me tarauder : jusqu’à la
révélation banale du drame dont il a été
un des protagonistes.
On attend que les
gens qui veulent nous parler viennent
ici parce que « ceux qui ont déjà
témoigné chez eux devant des
journalistes arabes ont été tués le
lendemain » nous dit-on.
Le religieux
(catholique) qui est venu nous chercher
les encourage à parler en toute
sincérité et confiance et dit que nous
avons l’autorisation du ministère. Il
demande que chacun dise vraiment ce qui
lui est arrivé en parlant en tant
qu’être humain, vivant ici dans cette
terre, indépendamment de tout parti. Il
reste ensuite près de la porte et
intervient peu, comme interprète.
Je m’assois à côté
de l’hôte invalide ; étant donnée sa
grande discrétion, c’est quasiment à la
fin de la séance que je comprends que
c’est bien chez lui que nous sommes
reçus. Une femme (en pantalons et tête
nue, pas de foulard) nous accueille avec
du café, du thé, des oranges (du jardin)
et plus tard nous sert des sandwichs.
Une dame plus âgée (en vêtements
traditionnels, foulard) fait le relais
dans le couloir allant à la cuisine ; je
comprends ensuite que ce sont l’épouse
et la mère de notre hôte. Son père va
s’occuper tout au long de l’après-midi
de l’alimentation électrique pour la
caméra qui enregistre (le courant
électrique saute plusieurs fois dans
l’après-midi et des voisins sont venus
installer une sorte de groupe
électrogène).
Nous sommes chez
Jihad Mohamad, sergent, 27 années de
carrière, amputé des deux jambes après
l’embuscade du 10 avril 2011, à la
sortie de la ville de Baniyas.
Le déroulement de la rencontre,
qui a duré environ quatre heures, va
être chaotique pendant plus d’une
heure ; plusieurs hommes viennent
témoigner, l’un après l’autre,
introduits par des personnages que je
supposerai, au fil de la rencontre, être
membres du parti Baas, restant près de
la porte et surveillant la route
d’accès. A la fin de leur témoignage ils
partent très rapidement.
Nous n’avons finalement pas
d’autre interprète (le religieux s’est
mis en retrait, et, près de la porte, il
n’assure pas vraiment la traduction) que
Samira, qui va être tiraillée entre son
travail (filmer et enregistrer) et nos
demandes pressantes de traduction des
interventions et de nos questions. Sa
traduction, pour le premier témoin, va
être d’autant plus difficile que le
soldat qui est venu raconter cette
embuscade parle -nous dit-elle ensuite
et c’est confirmé par le Frère André-
une sorte de dialecte difficile pour
elle à décoder. Le récit initial de la
séance s’avère ainsi assez confus, et
semble susciter des mouvements de
perplexité chez d’autres personnes
présentes ; cela nous induit en erreur à
plusieurs reprises. Au point qu’au bout
de la première heure, Thierry Meyssan et
moi posons plusieurs questions très
directes, factuelles et parfois
abruptes, pour essayer de remettre de
l’ordre dans ce récit qui demeure jusque
là parfois difficile à comprendre.
Avant de faire une pause dans ces
interventions, TM (plus attentif que
moi, de là où il est placé, aux
mouvements des autres personnes), me
fait passer un mot : « depuis le
début, il y a deux versions un peu
différentes. Cela dépend de la présence
dans la pièce ou non du Baas. Les quatre
qui sont assis maintenant [sur les
tapis à côté de moi et entourant notre
hôte] sont du PSNS »[3].
Il m’avait semblé évident, au
cours de cette première heure, que la
personne invalide restait un peu de côté
dans l’ordonnancement des prises de
parole : contingences extérieures,
politesse de l’hôte ou autre chose ?
Nous intervenons
avec plus d’insistance pour qu’on lui
donne la parole et c’est à partir de là
surtout que le récit de l’embuscade
devient clair pour tout le monde : sa
qualité de gradé, non moins sans doute
que les lourdes séquelles chez lui de
cette attaque, et une autre culture
politique peut-être, vont faire la
différence dans la logique de
l’énonciation du récit.
Nous apprendrons (par eux-mêmes,
je crois) ensuite que ce sergent, ses
deux cousins et un quatrième homme -tous
trois venus le secourir sur place-
restés pendant tout le début de la
séance un peu à l’écart, sont en effet
membres ou sympathisants du PSNS, parti
très radical et qui a été durement
réprimé par le régime de Hafez al-Assad
et le parti Baas.
Je rapporte ceci
pour plusieurs raisons, et en toute
connaissance de cause quant aux
conséquences pour nos interlocuteurs :
montrer d’abord que pour accéder à une
vérité ne serait-ce que factuelle, il
faut non pas des « images volées » (à
moto…) et des pseudos entretiens faits
dans des circonstances jamais clairement
exposées et assumées par les
intervieweurs, mais plusieurs heures de
dialogue (fût-il le plus sincère
possible) contradictoire et questions
précises avant d’arriver à reconstituer
un événement d’autant plus complexe
qu’il a été lourd de
conséquences dramatiques ; conséquences
irrémédiables pour certains et mais
peut-être non encore conclues, hélas. En
effet, ces gens qui ont témoigné de
l’agression dont ils ont été victimes,
savent bien mieux que nous qu’ils
continuent, et notamment par leur
témoignage, à risquer des représailles
de la part des groupes armés. Nous
sommes sortis épuisés de cette
confrontation et impressionnés par la
détermination et la lucidité que
révélaient les récits patients de ces
hommes : attachés à témoigner le plus
précisément possible de ce qu’ils
avaient vécu, pour défendre leurs vies
et leur pays. Hommes debout, avec et
malgré les séquelles de l’agression.
Je voudrais montrer aussi, dans
le récit de cette séance éprouvante pour
tous, à quel point la situation de la
résistance du peuple syrien est plus
complexe et multiple que nos media
ignorants et aux ordres ne nous la
présentent ici. Nous avons assisté dans
cette séance aux effets difficiles et
complexes de la réalité de cette
non-hégémonie, justement, du parti Baas,
quoi qu’en disent ici de pseudo
connaisseurs de la situation : il y a
-aussi- des positions politiques qui
s’affrontent (jusque dans cette
rencontre pourtant acceptée par
l’ensemble des interlocuteurs) à
l’intérieur même de la lutte contre
l’ingérence étrangère en œuvre, voire à
l’intérieur même du soutien au
gouvernement chez des militants (et
combattants) n’adhérant pas aux thèses
du parti Baas. Et n’appartenant pas non
plus, car ils sont d’un courant plus
radical, à l’opposition intérieure dite
-rapidement et schématiquement-
« démocratique ».
Enfin, et en prenant l’initiative
de mentionner ici non seulement la
confusion initiale de cette rencontre
mais jusqu’à ce billet qu’un des
organisateurs me fait passer au milieu
de la séance, j’espère que vous
comprendrez, chers amis, à quel point
les rendez-vous programmés et assurés
cahin-caha par les initiateurs de ce
voyage, étaient tout sauf cousus
exclusivement du fil blanc du parti au
pouvoir ou des hiérarchies des Eglises
d’Orient : au risque même de se
méprendre et/ou de passer à côté d’une
réalité politique, au sens propre du
terme, décidément complexe et multiple.
Et, de ce fait justement, pour ce que
j’en ai perçu, porteuse d’un véritable
espoir pour le destin du peuple syrien.
Voici le récit que j’ai pu
reconstituer ; je le livre en espérant
que d’autres membres du groupe le
contrôleront après-coup et y apporteront
toutes corrections éventuelles
nécessaires. Le lecteur soucieux de la
vérité pourra le comparer avec le récit
fait par le journal Le Monde dans
son édition du 12 avril 2011 (fourni en
pièce jointe).
L’embuscade nous a
d’abord été présentée comme n’impliquant
que quelques soldats et 6 « voitures »
(qui s’avèreront ensuite être des
« véhicules », camions transportant
chacun bien plus que quelques hommes),
l’heure de l’attaque et les difficultés
à être secourus restant incertains pour
les auditeurs. Je vais rapporter le
récit de cet événement tel qu’il est
apparu dans son énonciation, provenant
des divers interlocuteurs : énonciation
telle que transmise par l’interprète, à
la 3ème personne
généralement, sauf exceptions dans des
moments plus directs du fait de leur
côté tragique. Je recopie ici mes notes
in extenso, avec leur côté
chaotique, sans respecter la chronologie
des faits mais seulement celle du récit
avec ses redites. A charge pour le
lecteur de reconstituer l’ensemble, des
faits et de la séance.
1er
interlocuteur.
Ils allaient à
Tartous, avant le pont ils ont eu un
problème on leur a tiré dessus, des
soldats dans les voitures qui les
précédaient ont été les premiers à être
sous les tirs. On leur tirait dessus de
tous les côtés ; ils voulaient faire
marche arrière mais n’ont pas pu ; ils
sont descendus de leur voiture et ont
commencé à être touchés par toutes
sortes de balles ; lui au-dessus de la
hanche, sortie de l’autre côté [il nous
montre la blessure]. Lui il était
derrière un véhicule de l’armée mais il
a été attaqué pareil.
La nuit ils
[groupes armés] coupaient les routes[4],
ils mettaient le feu aux voitures ; il y
a eu 9 morts, martyrs.
Les terroristes ont
filmé aussi tout ce qui se passait et
ont envoyé les vidéos [aux gens de la
ville] ; il y avait environ 2-300
terroristes [sur les vidéos], eux ne les
ont pas tous vus de là où ils étaient.
10 jours après
environ, la police a arrêté certains
terroristes qui ont reconnu leurs crimes
et la police a retrouvé les vidéos
qu’ils avaient faites [et envoyées]. Ils
ont été pris avec les preuves.
2 véhicules de
l’armée étaient devant lui, et 4
derrière [en fait, des camions
transportant les soldats].
Ils sont restés
blessés pendant 4h30. Quand quelqu’un
venait pour essayer de les secourir ils
leur tiraient dessus. Celui qui est mort
c’est quelqu’un qui est venu pour
essayer de l’aider et ils lui ont tiré
dessus. Quand ils sont venus voir s’il
était mort, il a fait le mort. Et ils
sont partis sans lui tirer dessus à
nouveau.
Quand ils ont cru
que les 2 étaient morts ils sont allés
aux voitures (camions) de l’armée et ont
pris tout ce qu’ils pouvaient puis ils
sont revenus vers lui. Il y en a un qui
a dit celui là a l’air encore vivant il
faut le tuer mais l’autre a dit c’est
pas la peine de le tuer il n’arrivera
pas à s’en sortir
le temps qu’on vienne le secourir
il sera mort.
Les ambulances
étaient très proches et essayaient de
venir récupérer les blessés mais ils
étaient prêts à tirer sur les
ambulanciers.
Un seul soldat
était encore vivant et ils l’ont emmené.
Les soldats n’ont
pas riposté parce qu’ils n’avaient pas
reçu l’ordre de riposter, il leur était
interdit de riposter ; ils allaient
prendre leur garde.
Apparemment ils (la
police) ont relâché ensuite deux
terroristes qui sont rentrés chez eux.
[Liste des victimes
remise à TM].
Ce
qui le choque c’est que ce soit un
voisin qui puisse tirer sur un autre
voisin alors que jusque là ils vivaient
en totale harmonie (etc.).
Parmi les gens
arrêtés il y avait des repris de
justice, des gens fragiles, connus parce
qu’ils avaient des précédents.
Il dit que
l’attaque a été lancée au moment de
l’appel à la prière [confus].
2ème
interlocuteur.
Sa maison est à
3Kms de la fusillade, des gens sont
venus leur dire qu’il y avait des
soldats attaqués et il a pris sa moto et
il y est allé. C’était vers 15h30.
L’appel à la tuerie a eu lieu entre 15
et 20h.
Un ministre [ancien
ministre des affaires étrangères, A.
Khaddam, natif de Baniyas] a incité cet
appel au Jihad et a ensuite pris la
fuite et s’est réfugié à Paris, il est
passé à la télé (ici). Ils ont fait tout
ça poussés par Hariri, Bandar[5].
Ceux qui ont fait
cet attentat prenaient des drogues.
[Billet de TM :
dans cette pièce il y a des gens du Baas
et du PSNS]
Dans les
terroristes il y a aussi des déserteurs.
Le peuple syrien
n’est pas armé comme les Libanais et
tout d’un coup les gens ont eu des
armes ?
[Reprise après
questions de notre part :]
Maison à 3Kms de
l’attentat. Il a pris sa moto et a
rencontré sur la route un soldat blessé
qu’il a mis dans un taxi qui était
arrivé et il a continué, rencontré un
autre soldat blessé qu’il a transporté
lui-même sur sa moto à l’hôpital. Il
faut un quart d’heure, ça n’est pas
loin.
Puis retourné au
pont et a demandé (par SMS) pourquoi on
n’envoyait pas d’ambulance pour secourir
les blessés ; il a reçu un SMS d’un ami
qui était à 50m du pont. Arrivé à 700m
du pont environ il a rampé jusqu’à
l’endroit où étaient les soldats (qui
avaient pu s’enfuir) et là son ami l’a
appelé et dit de ne pas y aller.
Ils tiraient sur
les ambulanciers qui approchaient. En
10’ il y a eu 4 ambulances qui sont
arrivées ; deux ont failli tomber dans
le fossé et ils ont fait demi tour ; une
5ème est arrivée et le
chauffeur lui a dit tu vas te faire
tuer.
Quand il est arrivé
(en rampant) sous le pont il a vu deux
soldats, un mort et l’autre blessé qui
lui a dit ne me laisse pas je lui ai
dit jamais je te laisserai il a pris
le corps de celui qui était vivant pour
l’amener dans l’ambulance et là ils lui
ont tiré dessus, blessé à la cuisse,
mais il a quand même pu porter le soldat
vers l’ambulance. Quand ils lui ont
retiré les balles ils ont vu que c’était
des balles fabriquées en Chine ; il est
resté à l’hôpital une 20aine
de jours.
TM : beaucoup de
courage, quelles étaient ses
motivations ?
C’est
Allah qui lui a donné la force d’aller
secourir les soldats sans se préoccuper
s’ils étaient alaouites sunnites
chrétiens (etc.) c’est notre désir de
sauver notre pays. Pendant qu’ils
étaient là-bas il entendait l’imam
appeler au jihad.
La police a peur et
n’est pas venue ; il y a eu un ordre du
gouvernement de Baniyas qui interdisait
de riposter.
[Je continue à
poser la question pourquoi la police
n’était-elle pas là et seulement des
ambulances mais il ne répondent pas ; on
saura ensuite qu’il y avait peu de
forces de l’ordre dans la ville,
qu’elles étaient déployées dans d’autres
villes].
Dans l’appel au
jihad l’imam a aussi dit de tirer sur
toute personne portant un uniforme et
les renforts militaires n’ont commencé à
arriver qu’au bout de 24 heures, et
c’est pour ça que ce sont des civils qui
y sont allés (au pont pour secourir les
blessés).
TM : que
pensent-ils qu’il faut faire, eux, qui
se sont portés volontaires pour aller
secourir les blessés ?
Le peuple syrien
est un peuple uni, mais quand les
personnes arrêtées seront relâchées
elles referont la même chose. Ceux qui
ont commis des crimes doivent être
jugés, et ça n’est pas une question qui
concerne le gouverneur de Homs.
3ème
interlocuteur (le sergent).
Un vendredi, bien
avant l’attentat, il était à côté de la
mosquée, ils étaient sortis de la
mosquée en demandant plus de liberté ;
le dimanche d’après ils ont brûlé des
voitures ; ils ont cassé des magasins
[…] d’après le jour de la semaine ils
savent s’ils étaient musulmans ou
chrétiens [ils parlent là du 1er
martyr qui est tombé, un dimanche très
tôt ; bombes artisanales].
[Quand ceux qui ont
témoigné ont fini, ils partent très
rapidement et disparaissent avec ceux
qui les ont amenés ; on nous dit qu’ils
doivent retourner à leur travail ; on
sent une tension dans toute la
séquence].
« Des soldats
devaient aller déblayer la route,
c’était le 10 avril à 15h30 (un
dimanche) ; le convoi était formé de 105
soldats. Quand on est arrivé sous le
pont, il n’y avait que quelques
personnes visibles au-dessus du pont et
à ce moment-là on a entendu l’appel au
Jihad. (Venant d’une des mosquées de la
ville). On a vu ensuite sur la vidéo
(que les assaillants ont postée sur
Internet, je crois) qu’il y avait au
moins 200 personnes chez les
assaillants, sur le pont. Nous allions
là-bas pour déblayer la route ; quand
les tirs ont commencé, nous avons vu
qu’il y avait beaucoup plus de monde et
qu’une partie de ceux qui regardaient,
sur le pont, était des adolescents ;
j’ai [sergent Mohamad] donné l’ordre de
ne pas tirer pour épargner ces jeunes ».
Ses hommes ont été la cible d’une
première bombe « artisanale » qui en a
tué plusieurs, à la 2ème il
s’est jeté dessus pour que ça n’explose
pas sur ses hommes ; il y a eu 9 morts
en tout dont certains ont agonisé
pendant plusieurs heures, les secours ne
pouvant pas approcher.
51 victimes en tout
(tués et blessés). Ne pouvant pas
riposter, et voyant que certains de
leurs camarades étaient gravement
blessés (ou tués dans l’explosion de la
première bombe), sans pouvoir les
secourir, une partie des soldats a pris
la fuite sous le feu des groupes armés.
Q. : Combien de
temps est-il resté sur place avant
d’être secouru ?
4
heures sur place ; ses jambes étaient en
bouillie, il perdait son sang, il a
perdu connaissance ensuite.
Ce sont ses cousins
[maintenant assis à côté de lui pour
l’interview] qui l’ont secouru ; ce sont
des « civils, pas habitués à ces
situations ». Ils avaient entendu des
tirs vers 15h30. « Son cousin [le
sergent] l’avait appelé sur son
portable, lui avait dit qu’il était
blessé, qu’il était gravement blessé,
entre la vie et la mort et qu’il fallait
le secourir ».
« Nous nous sommes
approchés des lieux des tirs. Nous
n’avions pas du tout d’armes, même pas
des couteaux. Les balles nous passaient
à côté, obligés de s’allonger ».
Ils ont dû reculer,
ont demandé une ambulance qui est venue
vers eux. Mais « les assaillants
continuaient à tirer, même sur les
ambulances, c’était très difficile. 5 ou
6 fois l’ambulance a essayé d’y aller
mais reculait et voyait les soldats qui
essayaient de s’enfuir. Les soldats
blessés venaient aussi vers eux. On
utilisait les motos [pas mal de gens ont
des vieilles motos plutôt que des
voitures, apparemment] aussi pour aller
à l’hôpital (qui n’est pas loin) ».
Ils ont passé
environ (? heure) à aller et venir, vers
l’hôpital qui est à environ 2Kms.
Ensuite le soleil
s’est couché, et ils étaient moins
visibles et ont pu se déplacer plus
rapidement jusqu’au lieu de la
fusillade, et en rampant, tirer jusqu’à
l’ambulance leur cousin blessé qui avait
perdu connaissance.
Il y avait une
(seule ?) voiture qui bloquait la route
et ils ont pu la déblayer et passer avec
les camions ; toutes les routes qui
allaient à Baniyas étaient bloquées.
Ils (les soldats du
convoi) étaient armés, mais personne n’a
tiré, de leur côté (ordre donné à toutes
les unités). « Même pas de gilet
pare-balles ni de casque, on allait
déblayer la route. C’est pour ça que
ceux qui n’étaient pas blessés se sont
enfuis ».
Il y avait déjà eu
des attaques qui avaient entraîné les
consignes de ne pas tirer, des
manifestations, avant cela, qui avaient
entraîné l’ordre de ne pas tirer.
On [les
assaillants] leur a « pris 22 fusils
dans cette attaque ; les assaillants
sont descendus achever des blessés et
piller les armes (et autres
équipements) » ; le sergent a fait le
mort.
« Depuis la
fondation de l’armée syrienne, en 1970,
un seul mot d’ordre : défendre le peuple
syrien ».
En réponse à nos
questions le Sergent Mohamad nous dit
qu’il se sentait responsable de ses
hommes ; qu’il fait ce métier depuis 27
ans. Qu’il est toujours dans l’armée -il
nous montre sa carte de militaire- que
son salaire est maintenu intégralement
par l’armée. Le 28 novembre il doit
aller à Damas pour une visite médicale ;
il sera sans doute soigné ensuite à
l’étranger, pour être appareillé et
rééduqué (embargo et sanctions minent le
système de santé jusque là très
développé en Syrie).
Il a quatre
enfants : nous voyons deux adolescentes
(en pantalons et sans foulard) arriver
discrètement du lycée en milieu
d’après-midi, et un garçon plus jeune ;
le dernier est tout petit.
Questions sur
les armes.
Apparemment les
armements sont livrés par la mer.
Selon un des hommes
qui s’est assis à côté du sergent, à la
fin de leur intervention, toute cette
histoire (d’armes) existe depuis une
dizaine d’années. Ils l’ont appris par
ceux qui ont été arrêtés parce que
reconnus sur les vidéos à la télé. Ceux
qui n’étaient pas armés (cf. vidéo) ont
été relâchés et amnistiés.
Ils désignent A.
Khaddam[6]
comme responsable et commanditaire. « Il
est de Baniyas. C’est le fils de Khaddam
qui est à l’origine de pas mal de
problèmes. [ils parlent de
« nucléaire », je n’ai pas compris…] Il
aurait
transporté des armes à Palmyre.
Après la mort de Assad père, Khaddam a
essayé de prendre le pouvoir, soutenu
par les états du Golfe. Mais le peuple
syrien ne voulait pas de lui et est
descendu dans la rue pour demander que
ce soit Bachar (qui prenne la succession
de Hafez).
Ça a entraîné une
crise entre Bachar el-Assad et Khaddam
qui est parti à l’étranger (Paris,
hébergé depuis 2005 dans un hôtel
particulier appartenant à la famille
Hariri) pour mettre en place des groupes
terroristes. Après cela il n’est plus
jamais revenu car sinon il serait jugé,
ici.
Question : Quand
les partenaires de Khaddam réclament
plus de liberté, ça veut dire quoi pour
vous ? Comme en Arabie saoudite (rires)
?
« Quand ils sont
sortis le fameux vendredi (8 avril, voir
le récit que Le Monde fait de
cette
« insurrection » à la sortie des
mosquées) pour casser, les autres
Syriens sont aussi sortis dans la rue
parce qu’ils sentaient comme un appel à
la guerre civile ». Donc il (homme à
droite de Jihad M.) est « monté en
vitesse et est allé à Baniyas voir ce
qui se passait ; il a trouvé l’armée
postée partout et interdisant à tout
civil d’entrer dans Baniyas, pour éviter
des troubles ».
T. Meyssan :
Monsieur Khaddam a donné une conférence
de presse à Paris[1]...
- « il a fait une
interview avec un journaliste israélien
où il disait qu’il voulait revenir en
Syrie sur un tank de l’armée américaine
(étasunienne).
Khaddam est sunnite
[eux aussi, rires sur le prénom du
sergent : Jihad].
[Autre
interlocuteur :] On a vécu ici 28 ans
(son âge) en toute sécurité et tout d’un
coup c’est [le bordel] et ce qui l’a le
plus choqué c’est qu’on attaque l’armée
[lui est civil].
« Tout ce qui se
passe répond aux intentions de Khaddam,
Hariri et des pays du Golfe, Usa et
lobby sioniste qui veulent tout le
Moyen-Orient »[7].
Question : la
population a-t-elle la même conscience
et analyse politique de ce qui se
passe ?
- « Le peuple
syrien est conscient en général et
souvent ce sont des opposants de
l’extérieur qui viennent semer le
trouble et la discorde ici. Tout le
peuple syrien est conscient. Tout ce qui
les [ceux qui participent aux troubles]
intéresse c’est l’argent, ça n’est pas
du tout la situation politique ».
Question : comme
Hariri au Liban ?
Il (notre
interlocuteur) est « convaincu que si on
fermait les robinets (des financements)
tout s’arrêterait. Car ceux qui
commettent ces actes (d’agression contre
les civils et l’armée) ont des
précédents judiciaires. Quand le
gouvernement a fermé les portes des
financements extérieurs, toutes les
manifs ont diminué ».
Question : y
a-t-il une bourgeoisie locale prête à
s’intéresser à ces financements ?
- « Oui et ils sont
connus -ici- par le gouvernement et ne
veulent pas d’accord avec lui et sont
soutenus eux aussi depuis l’étranger ».
Question :
A-t-on fait quelque chose par rapport à
la mosquée (d’où est parti l’appel au
Jihad le jour de l’embuscade du 10
avril), par rapport à l’Imam qui a lancé
cet appel ?
- Il n’y a aucun
problème entre les différentes
confessions. Le nouvel imam de la
mosquée est même venu ici aussi [chez le
sergent] pour le visiter.
Question :
quelqu’un participait-il à ce complot en
tant que responsable de la mosquée ou
est-ce une coïncidence ?
- l’Imam a été
changé [Je ne sais pas quel est le
mécanisme de nomination des imams dans
les mosquées en Syrie] ».
Un jeune homme
demande la parole, à côté du sergent.
« Il est civil, mais il a fait l’armée
et son frère aussi et il dit que cette
armée protège sa famille et tout le
peuple. Il est allé, lui aussi, sur les
lieux de l’embuscade, pour transporter
les blessés ; au début il aidait les
soldats qui essayaient de s’enfuir, sous
le pont, puis il s’est occupé des
blessés ; lui aussi a été blessé
(légèrement). Il a été protégé par Allah
et Allah protège la Syrie.
Les soldats se sont
enfuis car bien qu’armés -et leurs armes
chargées- ils avaient ordre de ne pas
tirer ; ils ne pouvaient donc que
s’enfuir pour sauver leur vie » [rien à
voir avec les « déserteurs » de
l’ « Armée libre syrienne » dont parlent
les media occidentaux[8]].
Nous levons la
séance car la nuit tombe et on nous
recommande de rentrer le plus tôt
possible ; devant la maison, au milieu
des agrumes, quelques mots pour
remercier et saluer la famille de J.
Mohamad ; sa femme a gardé un air
inquiet et grave pendant toute
l’après-midi, et ne sourit qu’à ce
moment-là. Nous pouvons échanger
quelques mots grâce à l’aînée qui
commence à apprendre le français. La
tension de toute cette séance retombe
avec ces échanges affectueux, nous
sommes tous émus par les attentions de
leur hospitalité (le maître de maison,
invalide, me voyant mal installée
m’avait fait passer un coussin pour
m’appuyer contre le mur) et par leur
courage.
Avant de quitter Baniyas
quelqu’un veut qu’on aille voir la
mosquée d’où est parti l’appel au jihad.
Une mosquée, banale, rien à voir. On
quitte la ville à la nuit tombée. Le
prêtre nous laisse à l’entrée de la
grand route ; avant de nous saluer il a
dit au chauffeur et à TM : si vous voyez
un barrage ne vous arrêtez pas, foncez,
foncez. Atmosphère un peu tendue dans le
minicar…
Beaucoup plus loin, nous voyons
le religieux nous doubler sur
l’autoroute et nous faire signe de nous
arrêter : il dit au chauffeur d’éviter
Homs et de reculer pour prendre une
autre route. Marche arrière à vive
allure sur la bande d’arrêt d’urgence
pendant un temps qui me semble vraiment,
très, très long… Beaucoup de
laisser-aller, dans cette dictature.
Nous longeons la côte (Tartous)
en scrutant le large, c’est beau ; on
parle de l’Amiral
Kuznetsov[9]
qui devrait être arrivé à Tartous. Eh
bien oui ; ça s’appelle force de
dissuasion et pour moi c’est un grand
soulagement après cette séance
éprouvante. Et maintenant encore : je
l’écris.
Quand on arrive au
monastère (environ 100 Kms plus loin) la
soupe de légumes nous attend au
réfectoire. Le bonheur.
Bilan de la journée
après le repas, dans ce même réfectoire
où il fait chaud (température plus
monacale dans les chambres). Nos
compagnons journalistes belges sont
retournés à Homs avec Mère Agnès-Mariam
et Sœur Carmel, ils voulaient aller à la
morgue, ils y sont allés. Ils sont aussi
allés dans la famille d’un carreleur de
trente ans, jeune père de famille, sa
femme enceinte, enlevé alors qu’il
rentrait du boulot, corps rendu dépecé à
sa famille.
Eprouvés aussi, nos collègues
journalistes. F. en entendant le récit
de notre visite me dit ça a dû être
intéressant ; oui. Bien plus. Les
visages graves et attentifs de nos
interlocuteurs, et de cette famille,
sont là.
Aujourd’hui encore, pour moi.
Avec mon amie
syrienne, ici, j’ai essayé de les
joindre par téléphone aujourd’hui :
personne n’a répondu. A bientôt,
j’espère, amis de Baniyas.
Apostille :
Sur l’embuscade de
Baniyas, extrait d’un article de Mère
Agnès-Maryam de la Croix : « Le
Colonel ‘Uday Ahmad témoigne qu’il
roulait avec son beau-frère le Colonel
Yasir Qash’ur sur l’autoroute près de
Banyas le 10 avril 2011, lorsque des
tirs les ont pris en chassé croisé et
ont tué sur le coup Qash’ur et huit
autres soldats dans leur camionnette. À
qui voulait l’entendre le Colonel ‘Uday
a affirmé qu’ils n’avaient pas été tués
par l’armée mais dans un guet-apens
d’inconnus, on lui a fait dire le
contraire.
Vidéo de la
fusillade diffusée par la chaîne privée
syrienne Ad Dounia et montrant les
snipers tirant sur les forces de l’ordre
et la population
De même sur ce
blog on fait état du journal anglais en
ligne The Guardian [3]
qui assure que des soldats syriens
avaient été fusillés parce qu’ils
refusaient de tirer sur la foule et se
réfère à une vidéo sur YouTube où, en
réalité, l’interviewer harcèle un soldat
blessé pour lui arracher l’aveu qu’il
avait refusé de tirer sur les gens.
Question : quand vous n’avez pas tiré
que s’est-il passé ? Mais le soldat ne
comprend pas la question parce qu’il
venait de dire qu’il n’avait pas reçu
des ordres pour tirer sur les gens,
aussi répond-t-il « rien, les tirs ont
commencé de toutes les directions ».
L’interviewer répète sa question d’une
autre manière en demandant « pourquoi
tiriez-vous sur nous, des musulmans ? »
Le soldat lui répond : « je suis aussi
un musulman ». Alors l’interviewer lui
demande : « pourquoi alors alliez-vous
tirer sur nous ? » et le soldat de
répondre : « nous n’avons pas tiré sur
les gens, on nous a tiré dessus sur le
pont ».
Non seulement
ces pauvres soldats sont abattus
cyniquement par des mercenaires mais les
médias s’évertuent à en faire des
bourreaux ! »
http://www.voltairenet.org/Au-crible-des-informations
[1]
« Syrie :
un officier supérieur parle »
par « Zénobie », mercredi
7 septembre 2011, publié sur le
site du Monde Diplomatique : «"L’armée
de la Syrie n’est que l’armée
des services de sécurité syriens
(jaych
amni)
".
Mon interlocuteur a prononcé
ces mots gravement. On
l’appellera Mohammed, c’est un
officier supérieur sunnite
[…]
Il ne faut pas attendre de cette
armée le moindre soutien aux
manifestants. Je le répète c’est
une armée de barbouzes, jaych
amni » :
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-09-07-Syrie-un-officier-superieur-parle.
Pour l’officier supérieur
sunnite anonyme interviewé par
une « Zénobie » non moins
anonyme, jaych amni veut
donc dire indifféremment
barbouzes et services de
sécurité syriens, NdR.
[4]
Actions de guérilla revendiquées
clairement à présent par les
LCC « Comité Locaux de
Coordination », dépêche AFP du
7 décembre 2011 :
« La
grève de la dignité est un pas
vers la désobéissance
civile (…) pour couper les
moyens financiers du régime avec
lesquels il tue nos enfants",
poursuit le communiqué […et ]
demande aux étudiants de ne pas assister aux
cours, ont indiqué les comités
locaux de coordination (LCC), la
principale force d'opposition.
Cette première initiative sera
suivie par d'autres formes de
contestation comme la
fermeture de routes secondaires,
des sit-in, des grèves dans les
universités, dans les
transports, des coupures
volontaires des téléphones
portables, une grève des
fonctionnaires et la
fermeture de routes importantes
et d'autoroutes ».
[6]
Ancien ministre des affaires
étrangères, c’était la 2ème
personnalité de l’Etat, après le
président. Voir
http://fr.wikipedia.org/wiki/Abdel_Halim_Khaddam ;
et note 7
de l’article de Pepe Escobar :
« La guerre de l’ombre en
Syrie » :
http://www.legrandsoir.info/la-guerre-de-l-ombre-en-syrie-asia-times.html
:
« Abdel Halim
Khaddam, est un sunnite
originaire de la ville côtière
de Banyas, où il aurait conservé
des partisans. Il a démissionné
de son poste de vice-président
syrien en 2005, alors qu’il
subissait une marginalisation
politique, et a dans la foulée
témoigné contre Bachar devant le
TSL, l’accusant de l’assassinat
de Rafiq Hariri. Devenu proche
des frères musulmans syriens et
de leur ancien leader al-Bayanouni,
il a fondé avec eux le Front du
Salut National Syrien (Syrian
National Salvation Front). A
l’instar d’autres opposants
syriens à Bachar al-Assad, et
notamment d’anciens Frères
musulmans syriens du Mouvement
pour la Justice et le
Développement, qui ont, comme
l’a révélé un article du
Washington Post basé sur des
câbles Wikileaks ( cf :
http://www.washingtonpost.com/world/us-secretly-backed-syria...),
reçu à partir de 2005 de
l’argent du gouvernement
américain leur permettant de
fonder la chaîne télévisée anti-Bachar
‘Barada TV’ (née en 2007), Abdel
Halim Khaddam a lui aussi reçu
de l’argent des USA et de la
Grande-Bretagne pour ses
activités d’opposition à Bachar
al-Assad, comme il l’a avoué
lors d’une interview à la
deuxième chaîne de télévision
israélienne :
http://www.youtube.com/watch?v=COqBQYcrd9Q »
[9]
Comaguer :
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=27961
Jeudi 17
novembre 2011, Hôpital militaire
de Damas
Nous allons à
l’Hôpital militaire de Damas,
rencontrer des soldats qui ont
été blessés dans des
affrontements ou dans des
embuscades de groupes armés non
identifiés ; jamais dans des
manifestations. Je rapporte ici
quelques récits recueillis dans
les chambres des blessés.
En arrivant à
l’Hôpital militaire de Damas,
depuis le minicar ; en principe
photos interdites. Pas plus de
barrage que ce qu’on voit, à
l’entrée.
1er
blessé.
Chargé de
la sécurité autour de Damas,
groupes armés surgis à 6-7h du
matin, à côté de sacs de sable.
Leurs armes -à eux- n’étaient
pas chargées, ils ont été très
surpris les assaillants étaient
très près. Les gens ont ouvert
le feu sur lui à 1 mètre de lui
le samedi 12 vers 4h.
Blessé à la poitrine et au bras.
TM signes
distinctifs ?
Des lâches.
Ils avaient des cagoules sur la
tête, on ne voyait que leurs
yeux, des vêtements noirs ;
prêts à tuer, des criminels. Ils
n’ont pas d’objectifs précis
sinon ils n’auraient pas agi
comme ça. Leur but c’était de
nous tuer. Pas de slogans, pas
un seul mot. Intention au départ
de les kidnapper tous pour les
égorger mais quand ils (eux, les
militaires) ont commencé à crier
pour alerter, il a donné
l’alerte en criant très fort et
ça a fait peur aux assaillants.
Après il a perdu conscience. Ils
étaient 5 ou 6, eux, deux
collègues sont morts. Les trois
autres pas blessés car ils
étaient à l’intérieur du poste.
Ce qui se
passe ici c’est tout à fait
clair. A partir du moment où ils
se sont attaqués à l’armée c’est
le pays qui est attaqué.
[Dans la
chambre il y a 3 fillettes et
adolescentes, la mère et le père
du blessé]
2° blessé.
Ils lui ont
tiré dessus et ont crié Allah Ou
Akbar et leur ont crié de jeter
leurs armes.
TM habillés
comment ?
En civil avec
des armes.
[Le père du
blessé] remercie le président
Assad et dit que la Syrie
résistera, qu’Assad fait partie
de la Syrie et que lui a trois
autres fils qui sont soldats ;
après Allah c’est Assad et ils
n’accepteront pas que ces gens
entrent dans leur pays et qu’ils
sont prêts à mettre des
centaines d’explosifs pour
défendre la Syrie (…). Que
l’Occident entende bien, tous
les Sarkozy.
[Le blessé :]
dès qu’il sera guéri il espère
retourner à l’endroit où il a
été blessé et continuer à se
battre et il espère que ce sera
dans le Golan.
Qu’il est
prêt à mourir pour la Palestine
mais pas ici dans ces
conditions.
3° blessé.
Homs, blessé
juste à la périphérie de la
ville ; 7 blessés, 6 martyrs sur
environ 50 soldats ; quelques
assaillants ont été arrêtés, lui
a été blessé à l’épaule.
Assaillants
très nombreux, postés de partout
même sur des immeubles, habillés
en noir et en plein jour, vers
10h du matin le 29 octobre. Il a
20 ans.
Ça a été
prémédité, on les a faits venir
pour les attaquer là ; on leur a
tiré dessus au RPG ils ont tiré
sur un blindé ; eux n’avaient
que des armes légères.
4ème
et 5ème
blessé.
Je reste sur
le pas de la porte des
chambres ; les gens sortent
d’autres chambres, curieux, nous
sourient ; un jeune homme me
demande qui nous sommes, il me
dit qu’il fait des études de
littérature française,
« master », sujet Victor Hugo,
je n’ai pas osé lui demander son
email.
Les blessés
ne sont pas seuls dans les
chambres, il y a généralement un
autre patient, ils sont
généralement tous avec leurs
familles. Il n’y a pas que des
militaires qui sont soignés ici.
Il y a beaucoup de monde dans
les chambres, par rapport à nos
hôpitaux, les familles sont là
mais il y a peu de bruit. Les
gens nous laissent passer, nous
saluent discrètement.
6° (dernier)
blessé.
Rescapé, on
l’a laissé pour mort après
l’avoir égorgé, il ne peut plus
parler il a un gros pansement
sur la gorge, il est resté 2
mois dans le coma, a repris
connaissance depuis 5 jours, il
garde les yeux fermés, la tête
sur le côté ; sa mère et son
père sont debout à côté, ils
répondent aux questions, le père
surtout, réservé ; j’entre quand
le groupe a quitté la chambre,
je dis quelques mots à la mère,
que j’ai des enfants de l’âge de
leur fils, elle pleure -moi
aussi- quand je lui prends la
main ; le jeune homme a le teint
et les cheveux clairs, il a
l’air très jeune, 20 ans
peut-être, c’est un conscrit ;
il
entrouvre les yeux un instant
quand je lui fais une caresse
sur la main.
Pas de
discours patriotique, la
douleur. Difficile d’oublier
cette chambre, le visage du
jeune soldat.
L’ « armée
de barbouzes »… comme dit
l’interlocuteur anonyme (« on
l’appellera Mohammed, c’est un
officier supérieur sunnite »,
c’est ça) de la « Zénobie »
anonyme, ici, du
Monde Diplomatique1 :
idiots, et lâches.
Je n’ai pas
noté les noms des soldats que
nous avons vus à l’hôpital, ni
pris de photos ; d’autres
membres du groupe les ont,
cartes d’identité à l’appui.
Le matin à
la morgue de l’hôpital il y
avait 3 soldats tués mais les
familles les ont emmenés pour
les enterrer le plus rapidement
possible, selon la tradition
musulmane. Dans les hôpitaux
militaires syriens, il n’y a
aucun mort qui ne soit réclamé.
m-a patrizio
dimanche
11 décembre 2011, Marseille
Ci-dessous, photo de l’officier
supérieur qui nous accompagnait
dans la visite ; je n’ai pas eu
la perspicacité journalistique
(et policière) de Sofia Amara
pour prendre la photo de dos :
le pistolet était sans doute
dans la poche dite, dans son
origine anglo-saxonne, revolver2.
1
http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-09-07-Syrie-un-officier-superieur-parle
2
Extrait de La vie (ex-catholique) :
« Exclusif :
Une journaliste a filmé la
répression en Syrie
Marianne
Dardard
- publié le 27/09/2011
Sofia
Amara,
43 ans, est la première
journaliste indépendante
[indépendante = pour Arte]
à avoir pu filmer - en août 2011
- la révolte du peuple syrien et
sa sanglante répression […]
Q. Comment
avez-vous réussi à entrer en
Syrie ?
-
Normalement, c'est-à-dire avec
un visa de tourisme qui ne
mentionne pas mon statut de
journaliste. Une femme voyageant
seule est susceptible d'éveiller
les soupçons
[ ?!], je suis donc partie
avec une collègue qui parle
également l'arabe couramment.
Nous avons joué les touristes
pro-syriennes et pro-Hezbollah
[rôles de
composition, difficiles].
Q. D'autres
témoignages évoquent une torture
pratiquée jusque dans les
hôpitaux militaires...
- L'ordre est donné d'évacuer
tous les manifestants blessés
uniquement dans ces hôpitaux.
L'armée peut ainsi leur
sous-tirer
(bravo pour
le lapsus calami,
Marianne Dardard)
des informations, les torturer
voire les achever, ou obliger
leurs familles à payer une
rançon pour les faire soigner
ailleurs. Ce sont des
mouroirs où les médecins cachent
des pistolets dans leurs poches ».
http://www.lavie.fr/actualite/monde/une-journaliste-a-filme-la-repression-en-syrie-27-09-2011-20316_5.php
Le
dossier Syrie
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