RIA Novosti
La France reconquiert à son tour
l'Irak
Marianna Belenkaïa
Bernard Kouchner - Photo RIA Novosti
21 août 2007
Le ministre français des Affaires étrangères Bernard
Kouchner s'est rendu en visite en Irak. Il est devenu le premier
fonctionnaire de haut rang de la troïka des pays qui s'étaient
opposés en 2003 à la campagne militaire contre l'Irak (Russie,
Allemagne et France) à effectuer une visite officielle à Bagdad.
Ses homologues russe et allemand de la "coalition
anti-guerre" n'ont pas encore suivi son exemple. N'ont-ils
pas raté leur chance? Qu'a la France à gagner dans cette
situation?
Rappelons qu'en 2003, Moscou, Berlin et Paris sont intervenus
contre une opération militaire en Irak sous l'égide des
Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Et voilà que maintenant
Bernard Kouchner dit vouloir "tourner cette page" pour
parler de l'avenir.
Bien que le contexte de cette déclaration du ministre français
soit tout à fait clair, il est tout de même impossible de ne pas
préciser quelle page concrète M. Kouchner a décidé de tourner.
S'agit-il des relations tendues entre Paris et Washington qui se
sont réchauffées tout de suite après l'élection de Nicolas
Sarkozy au poste de président de la République française ou des
relations entre Paris et Bagdad depuis le renversement du régime
de Saddam Hussein? De toute évidence, des deux.
L'histoire des relations franco-irakiennes rappelle pour
beaucoup celle des rapports russo-irakiens. Tant Moscou que Paris
avaient entretenu par le passé des contacts avec le régime de
Saddam Hussein, intervenant plus tard contre son renversement de
l'extérieur manu militari. A une certaine époque, des compagnies
pétrolières russes et françaises travaillaient très énergiquement
en Irak dans le cadre du programme des Nations unies "Pétrole
contre nourriture". La Russie et la France avaient aussi
essayé de se réserver le droit de mettre en valeur les gisements
de pétrole irakiens pour après la levée des sanctions
internationales contre ce pays. En 2002, le russe Lukoil et le
français Total se sont retrouvés à peu près dans la même
situation. L'un comme l'autre avaient des contrats signés avec le
régime de Saddam pour mettre en valeur les champs pétroliers
respectivement de West Qurna et de Majnoon. Dans le contexte des
sanctions internationales frappant l'Irak, ces deux compagnies
refusaient d'en entamer l'exploitation, ce qui a poussé la partie
irakienne à rompre les contrats. La guerre a laissé cette
question en suspens. Et voilà que maintenant ces deux compagnies
espèrent pouvoir revenir en Irak. Reste à savoir à quelles
conditions.
Début août, par exemple, se trouvant en visite à Moscou, le
ministre irakien du Pétrole Hussein al-Shahristani a déclaré
que, de toute évidence, les compagnies étrangères ne
recevraient pas de paquets majoritaires dans les gisements
irakiens où le volume des réserves et le niveau des risques étaient
déjà définis. Quant aux autres champs pétroliers, ils feront
l'objet d'un appel d'offres international.
Notons en passant que l'Irak est tout à fait en droit de décider
du sort de ses propres gisements de pétrole, et la Russie qui, à
différentes étapes de son histoire contemporaine, a changé
elle-même plus d'une fois d'attitude quant à la participation d'étrangers
à l'exploitation de son sous-sol est plutôt mal placée pour
contester ce droit de Bagdad. Aujourd'hui, tant pour les Russes
que pour leurs concurrents et partenaires d'autres pays du monde,
le principal est de revenir en Irak. Aussi chacun essaie-t-il de résoudre
cette tâche à sa manière.
Nul doute qu'à l'heure qu'il est, les affaires en Irak sont
plutôt difficiles. Vu les problèmes de sécurité et le chaos
politique dans le pays, le gouvernement et le parlement de l'Irak,
incapables d'agir, ne peuvent sortir de la crise. Autrement dit,
M. Shahristani peut disserter autant qu'il veut sur les futures
conditions du travail des sociétés étrangères dans le pays, il
n'en reste pas moins que la Loi sur le pétrole et le gaz n'est
toujours pas adoptée par le parlement irakien. C'est pourquoi on
ne peut que faire des suppositions sur la possibilité de
travailler en Irak et de former des alliances stratégiques en prévision
d'une telle opportunité. Du moins, le français Total a agi dans
ce sens. Alors que le ministre irakien du Pétrole se trouvait à
Moscou, discutant des conditions de travail pour les étrangers en
Irak, des informations ont été publiées aux Etats-Unis selon
lesquelles le français Total et l'américain Chevron auraient
convenu de travailler ensemble à Majnoon, gisement mentionné
plus haut. N'oublions pas non plus que pendant cette même période
le président français Nicolas Sarkozy passait ses vacances aux
Etats-Unis où il a rencontré son homologue américain George W.
Bush. Les deux hommes politiques ont alors déclaré que les
divergences sur l'Irak de leurs pays respectifs appartenaient au
passé.
Comme l'a écrit à cette occasion le San Francisco Chronicle,
le rapprochement des positions de Paris et de Washington sur la
question irakienne est sans doute pour beaucoup le résultat de la
décision des Etats-Unis de partager les dividendes pétroliers de
leur campagne en Irak avec leurs partenaires en Europe et ce, en
échange d'un soutien à la politique américaine au
Proche-Orient. Un peu plus d'une semaine après cela, le chef de
la diplomatie française Bernard Kouchner était déjà accueilli
à sa descente d'avion à Bagdad.
On ne doit peut-être pas établir un lien direct entre un
contrat non confirmé entre Total et Chevron, d'une part, et la
visite du ministre français en Irak, de l'autre. Quoi qu'il en
soit, il est tout à fait évident que les négociations de M.
Kouchner à Bagdad constituent une nouvelle preuve explicite du
rapprochement entre Washington et Paris. Il est tout aussi évident
que l'Irak n'y perd rien, car plus il y aura de forces extérieures
intervenant à partir de positions uniques à l'égard de ce pays,
mieux cela vaudra pour lui. Quant à la France, y gagnera-t-elle?
Qui vivra verra.
Somme toute, Bernard Kouchner qui a déclaré avoir pour
objectif lors de sa visite à Bagdad d'écouter les positions des
représentants de toutes les forces politiques en Irak pour
comprendre la nature de leurs divergences peut toujours essayer
d'apporter sa contribution à la solution de la crise
interirakienne. Peu importe au fond s'il y arrivera ou pas
finalement. En effet, nul ne peut se targuer jusqu'ici d'avoir réussi
dans ses efforts de paix en Irak. Pourtant, la visite de M.
Kouchner à Bagdad montre bien que la France tourne la page dans
ses relations avec l'Irak d'autrefois et se montre prête à édifier
de nouvelles relations avec un nouvel Irak et ce, à partir de zéro.
Et, évidemment, avec les Etats-Unis derrière elle.
Dans cette situation, une question se pose d'elle-même: Moscou
ne devrait-il pas déployer, lui aussi, certains efforts
diplomatiques? On peut évidemment répondre que de telles visites
n'apportent rien dans la plupart des cas, que la Russie est déjà
très impliquée dans le règlement irakien, et que, finalement,
elle a été parmi les premiers à insister sur la nécessité
d'un dialogue interirakien. Néanmoins, il est parfois utile de
montrer son drapeau. Qu'a l'Irak de moins que l'Arctique?
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
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