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RIA Novosti
Peut-on vendre des armes au
Proche-Orient?
Marianna Belenkaïa

Photo RIA Novosti
9 août 2007
Aux Etats-Unis, les débats sur le retrait des troupes d'Irak
ont aujourd'hui cédé la place à ceux sur la légitimité de
fournir des armes américaines parmi les plus modernes à l'Arabie
Saoudite. La France traverse une situation similaire, et les
futures livraisons d'armements et d'un réacteur nucléaire à la
Libye déchaînent les passions. Dans les deux cas, on invoque,
d'une part, des bénéfices économiques et des avantages
politiques, et de l'autre, la menace de voir proliférer des
know-how nucléaires et les craintes que les armes ne tombent
finalement entre les mains des terroristes.
A qui, en effet, est-on sûr de pouvoir vendre une telle
marchandise? Et à quelles conditions? Ces questions n'ont rien
perdu de leur actualité!
Les congressistes américains ont averti le président George
W. Bush qu'au mois de septembre prochain, soit au retour de leurs
vacances d'été, ils soumettraient à la Chambre des Représentants
et au Sénat un projet de résolution spéciale de blocage,
interdisant la vente de certains types d'armements aux Saoudiens.
Ils ont avancé comme argument que "l'Arabie Saoudite ne se
comportait pas en allié des Etats-Unis, car elle fournissait des
activistes et des terroristes-kamikazes à la guerre en Irak et
finançait des actes terroristes à travers le monde".
L'Arabie Saoudite est pourtant l'un des principaux partenaires
de Washington dans le monde arabe. Or, les accusations formulées
par les membres du Congrès américain à l'endroit des Saoudiens
réitèrent pratiquement mot pour mot celles que Washington
adresse aux "ennemis numéro un" des Etats-Unis, et de
George W. Bush en personne, que sont la Syrie et l'Iran. Mais
quelle est alors la différence entre ennemi et ami?
Il est vrai que des terroristes s'infiltrent en Irak depuis le
territoire saoudien, comme c'est, soit dit au passage, le cas
depuis la Syrie. Bien des activistes arrêtés en Irak sont
porteurs de passeports saoudiens. Quoi qu'il en soit, cela ne
signifie pas pour autant que les autorités d'Arabie Saoudite
encouragent cette tendance. (Aucune preuve formelle non plus
n'atteste un tel comportement de Damas). En revanche, les
officiels saoudiens et syriens sont vivement intéressés à la répression
du terrorisme.
Il n'en reste pas moins cependant que, tant en Arabie Saoudite
qu'à travers l'ensemble du monde islamique, de nombreuses
fondations privées emploient leurs ressources au soutien des extrémistes
arborant le drapeau de l'islam. Depuis les attentats terroristes
de 2001 aux Etats-Unis, les autorités des pays du Golfe
pratiquent une politique très prudente à l'égard de ces
fondations. Par ailleurs, elles ont globalement changé d'attitude
face aux porteurs d'idées extrémistes de tout bord, dont elles
sont souvent les premières à souffrir. N'oublions pas, non plus,
que les extrémistes constituent un problème non seulement pour
l'Arabie Saoudite, mais pour l'ensemble du monde musulman.
Mais cela signifie-t-il que l'on doit interdire complètement
le commerce des armes au Proche-Orient?
Une déclaration du chef du Pentagone Robert Gates est sans
doute très significative à cet égard. Selon le secrétaire américain
à la Défense, si Washington n'épaule pas l'Arabie Saoudite et
les autres régimes arabes modérés, ils pourront acheter des
armes ailleurs, "y compris en Russie". La logique est très
simple: au lieu de céder le marché aux autres, il vaut mieux
contrôler soi-même les armes vendues, en collaborant, au besoin,
avec les organisations internationales, telles que l'Agence
internationale de l'énergie atomique (AIEA).
Mais Moscou suit également cette logique, coopérant avec la
Syrie et l'Iran. Il va sans dire que des centaines d'arguments
pourraient être invoqués pour expliquer la différence entre
l'Arabie Saoudite et l'Iran, entre la Syrie et l'Irak, mais
probablement ne retourneraient-ils pour la plupart que de la
conjoncture politique. Tout le Proche-Orient, et bien plus encore,
l'ensemble du monde musulman, est sur le même bateau. Aussi les
armes, qu'elles soient livrées à l'Irak, à l'Arabie Saoudite,
à l'Egypte, au Pakistan ou au président de l'Autorité
palestinienne Mahmoud Abbas, peuvent-elles se retrouver un jour
entre les mains des terroristes. Il en va de même pour les armes
vendues à la Syrie et à l'Iran. Or, nul ne peut garantir que
demain, dans un an ou deux, par exemple, des représentants de
l'industrie de l'armement des Etats-Unis ou de l'Union européenne
(UE) ne viendront pas s'installer dans ces pays, si la Russie s'en
retire un jour.
C'est que l'impossible s'avère trop souvent possible. En
effet, le leader libyen Mouammar Kadhafi - ennemi juré de
l'Occident, qui l'a accusé sans ménagement d'organisation
d'actes terroristes - embrasse le président français Nicolas
Sarkozy et reçoit chez lui Tony Blair, quand il était encore
premier ministre britannique. Qui plus est, la secrétaire d'Etat
américaine, Condoleezza Rice, estime tout à fait probable sa
visite en Libye. Les plus grosses compagnies pétrolières de
l'Occident sont donc revenues dans ce pays, et des transactions
d'envergure sont en gestation en matière d'armements et que la
construction d'un réacteur nucléaire est même prévue.
Nul ne contestera que tout cela s'est produit à l'occasion du
changement de politique extérieure de Tripoli, quand la Libye a
renoncé à élaborer des armes de destruction massive, a cessé
d'attaquer l'Occident et ainsi de suite. Quoi qu'il en soit,
Mouammar Kadhafi, lui, est toujours le même, il n'a fait que
changer son fusil d'épaule, en fonction des ses intérêts. Où
sera son intérêt de demain? Qui vivra verra. Tout dépendra de
la conjoncture internationale.
Citons un autre exemple, dans une autre région, en Corée du
Nord. La communauté internationale, y compris les Etats-Unis,
discute aujourd'hui des possibilités d'aider ce pays. Pourtant,
hier encore, Washington assimilait la Corée du Nord à
"l'axe du mal".
Tout est relatif dans ce monde - où est l'ami et où est
l'ennemi, à qui on peut vendre des armes et à qui on ne doit pas
en vendre. Bien plus, une transaction portant sur des armes entre
les Etats-Unis et l'Iran ou la Syrie ne semble plus relever du
fantasme, et l'on constate qu'il n'est même pas nécessaire que
ces pays changent de régime. Pourquoi pas, en effet, si cela
promet des bénéfices et correspond à la conjoncture politique?
On peut évidemment disserter très longuement sur le côté éthique
de la vente d'armes en général. Mais, s'il est impossible de
l'arrêter, faisons alors en sorte que cela soit le mieux contrôlé
possible par des vendeurs respectueux, qu'il s'agisse des
Etats-Unis, de la France ou de la Russie. Sinon - comme l'a si
bien dit Robert Gates - d'autres acteurs pourraient s'engouffrer
dans la brèche.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la
stricte responsabilité de l'auteur.
© 2007 RIA
Novosti
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