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Analyse

M. Barack Obama est-il un homme d'Etat (3)
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Dimanche 28 mars 2010

Le mythe de l'incarnation de l'Histoire

" Ah ! qu'il est difficile de feindre sans cesse la vertu ! ( Quam vero difficilis virtutis diuturna simulatio !)" (Lettre de Cicéron à Atticus du 16 octobre de l'an 50 av. notre ère)

Comment le Moyen Orient va-t-il illustrer le théâtre théologique le plus fondamental de tous, celui où se joue le statut physico-psychique de deux Etats et quels sont les enjeux anthropologiques souterrains et secrets des "négociations israélo-palestiniennes"?

Il n'est pas de documents anthropologues plus précieux que les doctrines religieuses, parce qu'on ne comprend rien au Moyen Orient si l'on n'y spectrographie le corps et l'esprit d'Israël verbalement ressuscité en terre sainte en 1947 et relativement concrétisé en 1967 par la reconquête de la moitié ouest de son ancienne capitale.

A l'heure où Israël joue son destin terrestre et théologique confondus dans un bras de fer avec les Etats relativement laïcisés de la terre entière, à l'heure où Gaza dresse son Golgotha face à l'Israël de Moïse, à l'heure où les recherches archéologiques récentes désacralisent la bible avec les armes au phosphore d'une science historique qui laisse loin derrière elle les Renan et les Freud, on voit à quel point la connaissance anthropologique de l'identité onirique des peuples que leurs livres sacrés et leur haute littérature ont forgée exige une tout autre science du temps mémorisé que celle qui se nourrissait de la postérité des dieux de l'Iliade.

1 - La christologie politique
2 - Qu'est-ce qu'expliquer et comprendre ?
3 - Comment décoder les dogmes religieux ?
4 - Le laboratoire commun du sacrificateur et de sa victime
5 - Une pesée anthropologique du "compromis"
6 - Le conclave des naïfs
7 - Une généalogie des identités oniriques
8 - Les fruits du jardin de la parole
9 - Les prophètes des évidences
10 - Le tombeau d'Israël

1 - La christologie politique

Est-il possible de vérifier la signification anthropologique universelle du mythe chrétien de "l'incarnation de la vérité" à la lumière du conflit palestino-israélien? Dans ce cas, la scission cérébrale d'Israël entre son surmoi biblique et sa vocation territoriale acharnée éclairerait l'histoire à une profondeur psychobiologique inédite, parce que les évadés tout partiels de la zoologie que nous sommes demeurés apparaîtraient enfin sous les traits de personnages scindés de naissance entre leur surréalité théologique et leur existence terrestre ; et l'on verrait depuis les origines, les sociétés simiohumaines hisser dans le "ciel de l'endroit", comme disait Helvétius, les doubles mythiques qui leur serviront de chefs et de guides dans le "temporel".

Mais alors, l'anthropologie critique serait appelée à traquer l'ultime secret de l'esprit magique. Le mythe de l'incarnation se révèlerait-il le témoin de la sorcellerie fondatrice de l'humanité et de toutes les civilisations, parce que ce serait en tant qu'espèce appelée à se substantifier à l'école de son langage schizoïde que le simianthrope vocalisé serait devenu le singe dédoublé que l'on sait - donc l'animal hypertrophié par ses vocables et accompagné sur la terre par ses dieux?

Attention, ce dialogue est piégé: il met en scène les enjeux anthropologiques de la laïcité française Périclès, Protagoras, Socrate, 21 décembre 2009

J'ai exposé les difficultés que Descartes avait rencontrées avec la princesse Elisabeth, dont il n'avait pas réussi à attirer l'attention sur l'évidence que les corps demeurent obstinément des corps et que les mots s'entêtent à demeurer des mots, de sorte que la scolastique dichotomique de l'époque avait grand tort de définir le genre simiohumain comme un "mélange de chair et d'esprit". Mais alors, comment conceptualiser le mythe bifide de l'incarnation du "verbe" attribué à une divinité bipolaire à son tour? Si vous conceptualisez une armée comme un rassemblement de milliers de corps, si vous la concevez comme un grouillement de bras et de jambes, si vous vous persuadez qu'on doit qualifier d' armée des milliers d'hommes en ordre de marche et prêts à partir en guerre, vous oubliez que le mot "armée" demeure un vocable et qu'en tant que tel, jamais ce son ne basculera du côté des musculatures et des squelettes: il se contentera de désigner des masses cellulaires, de sorte qu'à l'inverse une multitude armée jusqu'aux dents ne basculera pas non plus dans le vocable qui lui sert d'étiquette.

C'est pourquoi il est si nécessaire d'étiqueter une armée à l'aide de signes et de signaux censés rendre visibles un vocabulaire privé de corps et qui seuls permettront de la matérialiser à l'aide d'une signalétique convenue - uniformes, fusils, casques. Et voilà que tout cet apparat corporel échoue à son tour à donner au mot armée une ossature, des nerfs et des estomacs. Et maintenant, portons le regard sur les armées qu'on appelle la magistrature, le barreau, le corps judiciaire, le corps électoral, le corps doctrinal. Quel sera le statut physique des corps qui feindront d'avoir émigré dans le royaume de la parole et d'y avoir acquis je ne sais quelle substance vocalo-cérébrale ? Pourquoi le corps judiciaire a-t-il besoin de robes noires afin de signaler ses régiments en tant qu'appareil de la justice?

Décidément l'espèce immergée dans son langage se révèle le singulier animal qui s'identifie viscéralement aux vocables qu'il prononce, parce que son discours n'est autre que sa véritable demeure. Mais si son domicile est construit, comment le construit-il? Car voici, par exemple, le corps du droit. Qu'en est-il des corps abstraits, qu'en est-il des personnages grammaticaux de la tête aux pieds, si je puis dire? Car j'aurai beau mettre des caporaux, des colonels, des généraux à la tête des légions, j'aurai beau hiérarchiser cette masse afin d'exercer sur elle un commandement aussi efficace qu'impérieux, les mots et les choses ne voudront rien entendre : les premiers persévèreront à camper dans les têtes, les autres dehors.

C'est pourquoi le mythe de l'incarnation d'un "verbe divin" est la sorcellerie verbale fondatrice de la politique et de l'histoire de l'humanité, celle sans laquelle notre espèce ne serait pas devenue une interlocutrice d'elle-même, un corps verbal, un acteur construit de ses propres mains, un animal artificiel et qui, à substantifier ses artifices langagiers, se bâtit des armées, des corps judiciaires, des Etats.

C'est également à ce titre que l'histoire des avatars de la christologie me servira de document anthropologique central, parce que nul autre n'est en mesure de conduire une analyse du psychisme schizoïde de notre espèce; car sitôt évadés du règne animal, les peuples ont commencé de marcher à la fois sur la terre et dans des mondes vocaux. Leur élévation identitaire à un surmoi sacralisateur et réputé purificateur les vaporise dans un langage substantifiant - un surmoi éthéré, mais qui fournit à une population son être collectif dûment lessivé et qu'elle tient à la fois pour national et pour religieux . Ce transport dans le royaume du sonore n'est autre que le cœur battant de toute la doctrine du salut et de la rédemption des chrétiens.

2 - Qu'est-ce qu'expliquer et comprendre ?

On sait que cette mythologie a connu deux hérésies aussi focales, donc aussi révélatrices l'une que l'autre des apories de la condition humaine et dont chacune éclaire la signification anthropologique universelle qu'il convient d'accorder à l'intercession fabuleuse d'un "homme-Dieu" doublement idéalisé - donc lumineux dans un ciel dont il est censé promener les rayons sur la terre. D'un côté, les ariens soutenaient mordicus que le "fils" parfait d'un créateur non moins parfait du cosmos n'était rien de plus qu'un médiateur "adopté" par la volonté du démiurge et dont les mérites suréminents lui avaient valu, sitôt né, de se trouver délivré du péché, mais nullement des autres traits caractéristiques de notre espèce. Son père divin se serait donc contenté de l'affubler du titre céleste, et purement honorifique de "fils unique", à la manière dont les Etats distribuent à tout vat épaulettes et rubans.

C'est qu'il fallait s'appliquer à légitimer à nos propres yeux un signe distinctif surajouté par miracle ; mais si cette faveur paraissait à la fois pleinement méritée et seulement décorative, la virginité d'une parturiante fécondée par un sperme purement verbal faisait difficulté. Aussi, les théologiens ariens de cette grossesse merveilleuse se sont-ils fermement attachés à en démontrer le cours le plus naturel du monde, quittes à passer l'éponge sur le caractère extraordinaire de son origine mythique, parce qu'il fallait que "l'homme-dieu" fût pleinement homme pour que le terme d'incarnation eût un sens - ce qu'affirme également l'orthodoxie romaine.

De leur côté, les hérétiques d'en face pensaient, au contraire, qu'en raison des conditions fabuleuses de cette embryogenèse, le corps visible et tangible du Christ n'était nécessairement qu'un fantôme et que ce spectre trompait les yeux de chair d'une humanité abusée en ce qu'il cachait le Jésus non moléculaire à la vue des fidèles naïf; car, en tant que Dieu, disaient-ils, l'homme de Nazareth demeurait fatalement un personnage radicalement invisible, et cela par nature, comme la "vraie France", celle qu'il faut considérer en son essence "spirituelle", n'est pas visible en sa substance charnelle et ne se matérialise en aucun support physique

- L'humanisme du XXIe siècle. Comment le simianthrope se construit ses signifiants, 25 janvier 2010

Il en résulte que le mythe bipolaire de l'incarnation d'une divinité souligne les traits de la condition proprement vocale du genre simiohumain et en porte la singularité jusqu'à la caricature ; car un magistrat n'est pas davantage un magistrat au sens corporel que Jésus-Christ n'est physiquement Dieu, mais la société a besoin de le croire incarné et, pour cela, d'y surajouter les adjuvants décoratifs indispensables aux rétines, donc à la substantification du "verbe judiciaire".

On voit que si les péripéties qui ont ponctué l'histoire de la christologie se révèlent d'emblée des documents anthropologiques et politiques de premier ordre, comme il est dit plus haut, il convient d'observer les hérésies au titre de constructions psycho-cérébrales greffées sur l'aporie focale de la condition magique de l'humanité, celle qu'hypertrophient les orthodoxies. Car toute théologie renvoie aux deux globes oculaires de l'animal parlant, puisque tous les Etats du monde se présentent sous l'apparence d'un corps physique et vocal arbitrairement confondus. Mais ils ne siègent jamais que dans l'imaginaire d'une identité collective conceptualisée, donc décorporée par définition et chargée, précisément à ce titre, d'élever le statut ectoplasmique des peuples et des nations à leur surréalité para religieuse. C'est pourquoi, depuis vingt-cinq siècles - de Platon à Kant et au-delà - la philosophie se demande quelles relations les "corps théoriques" principiels, donc spectraux par nature qu'on appelle la physique, les mathématiques, le droit ou "la philosophie" entretiennent avec l'intelligence à la fois absentifiante et substantifiante du simianthrope. Qu'est-ce qu'expliquer si toute explication renvoie à la dichotomie cérébrale de notre espèce, qu'est-ce que comprendre si la parole et le monde se mêlent inextricablement dans l'imagination simiohumaine?

3 - Comment décoder les dogmes religieux ?

Et pourtant, le décryptage anthropologique de l'inconscient politique des mythes religieux demeurera peu heuristique aussi longtemps qu'on se contentera d' observer leurs édifices cérébraux du dehors et qu'on les tiendra pour des témoins faciles à décoder du dédoublement mental de l'espèce simiohumaine entre des corps muets et des personnages psycho-mentaux volubiles - on les appelle des dieux. Pour que la connaissance de la dichotomie originelle dont souffre la boîte osseuse d'une espèce vocalisée, donc scindée à ce titre et de naissance entre le visible et l'invisible, pour que la science anthropologique, dis-je, en vienne à féconder la politologie d'un animal ensorcelé pour le magicien qu'il est devenu à lui-même, il faudra recourir à l'éclairage d'une spectrographie des alliances que la "chair" conclura avec l'"esprit" ; et il sera nécessaire, primo, de lire l'histoire des formulations successives des dogmes que les théologiens ont progressivement vaporisés et secundo les apories anthropologiques que leur contenu charnel et langagier confondus a rencontrées au cours des siècles de leur laborieuse élaboration doctrinale. Alors seulement, on observera sur le vif non seulement comment la "vie religieuse", comme on dit, se trouve livrée à de difficiles exercices de substantification de la parole, mais comment l'observation au microscope de la conque crânienne de cette espèce aboutit à la mise en évidence des significations psychogénétiques et politiques secrètes, mais toujours à la fois physiques et conceptuelles des cosmologies mythiques dont accouche le simianthrope.

A ce titre, on a vu que le dogme schizoïde de la naissance virginale d'un homme-dieu s'éclaire à la lumière de l'inconscient, dichotomisé à son tour, du mythe moderne de l'incarnation, celui qui met désormais en scène une politique de la Liberté que les démocraties réputées auto-purificatrices sont censées concrétiser à l'échelle planétaire. Comment ces vectrices de leurs propres Ecritures substantifient-elles leur parole réputée "délivrante"? Comment leur verbe censé "libérateur" enfante-t-il une humanité qualifiée de "corps du Christ" dans l'Histoire? On sait que, depuis saint Ambroise, l'Eglise catholique se proclame le corps du Christ sacrificiel, donc le médiateur physique de la parole baptisée de rédemptrice du "péché du monde". Mais alors, comment le Moyen Orient va-t-il illustrer le théâtre théologique le plus fondamental de tous, celui où se joue le statut physico-psychique de deux Etats et quels sont les enjeux anthropologiques souterrains et secrets des "négociations israélo-palestiniennes" ?

4 - Le laboratoire commun du sacrificateur et de sa victime

Observons de plus près les enjeux politiques et psychogénétiques qui sous-tendent l'inconscient religieux du sacrificateur et de sa victime. Pour en comprendre la véritable nature, commençons par décrire les difficultés proprement doctrinales que l'Eglise romaine a rencontrées sur les chemins de sa théologie bipolaire, ainsi que les efforts herculéens auxquels elle s'est livrée pour tenter de préciser, à l'aide de raisonnements serrés, donc de la logique impavide d'Aristote, l'association ou le mariage nécessaires des deux "natures" d'un dieu supposé s'être incarné, donc devenu moléculaire. Ne fallait-il pas que ce Céleste parût à la fois aussi pleinement cellulaire et aussi pleinement une divinité que les Etats ont besoin de paraître des corps et des oracles confondus?

On sait que cette promotion titanesque de la confusion originelle ente les mots et les choses s'est prolongée durant de longs siècles. On sait également qu'elle était fatalement appelée à s'achever par une rechute aussi inconsciente que soigneusement camouflée du christianisme dans le polythéisme le plus cru, et cela du simple fait que si vous divisez un acteur biphasé du cosmos entre un "ciel" séraphique et une terre limoneuse, vous vous rendrez coupable du sacrilège, autrefois jugé digne du bûcher, d'adorer un Dieu rendu bicéphale, donc que vous aurez ridiculement privé d'unité psychique ; et si vous unissez résolument les "deux natures", la divine et l'humaine, vous renverrez nécessairement le mythe de l'incarnation à la bancalité irrémédiable des dieux de l'Olympe, qui avaient, comme tout le monde, une rate, des poumons et des intestins.

Comment un Jésus universalisé, vaporisé et conceptualisé par le langage serait-il doté d'organes physiques dûment divinisés? On sait qu'après des siècles de flottement, cette dernière solution a été expressément retenue par l'Eglise romaine dans son Catéchisme tragiquement schizoïde de 1992; mais, une anthropologie ambitieuse de peser les personnages angélisés par la démocratie que sont non seulement les chefs d'Etat, mais tous les peuples et toutes les nations de la terre, une telle anthropologie, dis-je, bénit le laboratoire théologique du Moyen Orient, qui se révèle bicéphale à souhait et qui contraindra notre politologie et notre science historique infirmes à radiographier les "sacrilèges" d'une humanité censée incarner sa "vérité" vocalisée par les idéaux de la démocratie. Pourquoi la rechute évidente dans le paganisme du mythe de l'incarnation des chrétiens, donc dans la substantification des dieux sur l'échiquier des siècles est-elle universellement ignorée ou refoulée, sinon parce qu'il s'agit de l'enjeu anthropologique central dont témoignent tous les Olympe ? Voyons comment Israël va tenter de matérialiser un mythe rebelle à sa substantification, comme tous les mythes simiohumains.

Mais, d'ores et déjà, on aura compris que l'avenir de la psychanalyse est dans le décodage de l'inconscient psychobiologique de la politique et de l'histoire et que ni Freud, ni Lacan, ne sont entrés dans le décryptage anthropologique du sacré .

5 - Une pesée anthropologique du " compromis "

Le décryptage de l'inconscient politique qui sous-tend la bancalité existentielle du compromis se poursuivra à l'école des enseignements anthropologiques de la postérité qui attend Darwin et Freud. La continuation de la guerre en Afghanistan, par exemple, ressortit au modèle courant du compromis politique en ce qu'elle résulte de la pression conjuguée des généraux du Pentagone et d'un complexe militaro-industriel qu'enrichit le premier empire militaire à l'échelle de la planète. De même la pression diplomatique illusoire sur la Chine

- M. Barack Obama est-il un homme d'Etat? (2) L'heure de vérité au Moyen Orient : Le retard scientifique de la classe dirigeante mondiale, 21 mars 2010

demeure dans la tradition des chancelleries en ce qu'elle est destinée à diaboliser l'Iran aux yeux de la planète entière, alors que tout le monde comprend que le futur armement nucléaire de cette nation ne saurait menacer Israël, qui feint seulement de se trouver corporellement en grand danger face à l'épouvantail qu'elle a fignolé, puisque deux Olympes se neutralisent physiquement sitôt qu'ils disposent de la même foudre de Zeus - celle d'une dissuasion réciproquement tétanisante.

En revanche, le "compromis" théologique qui sous-tend une politique de la dissimulation tartuffique des enjeux anthropologiques secrets et communs à Guantanamo et aux "négociations israélo-palestiniennes" n'a pas encore trouvé sa définition dans les dictionnaires de psychanalyse, parce qu'il se révèle d'une autre nature . Voyons comment sa signification renvoie à une bipolarité du psychisme humain que Freud n'a pas expliquée , parce que la "sublimation" d'un "père" réputé musculaire du cosmos et explicitée dans L'avenir d'une illusion de 1927 n'explique pas la sincérité viscérale de la croyance du sujet en l'existence dite "réelle" d'un "père céleste" autrefois doté d'une ossature, puis de plus en plus vocalisé.

On sait que la théologie romaine se trouve de plus en plus "dangereusement" idéalisée et désubstantifiée, mais à ses risques et périls, si je puis dire, tandis que les dieux des Grecs sont demeurés résolument campés sur leurs deux jambes et fort ripailleurs sur l'Olympe, de sorte qu'ils "existaient" bel et bien à la manière du Jésus incarné de l'Eglise romaine que saint Thomas prive de nourriture et de boisson au paradis, mais exclusivement afin de "prouver sa résurrection". Quelle est la spécificité du règne de ce personnage cosmologique dans les esprits?

Si vous voulez comprendre les embarras alimentaires que le genre simiohumain rencontre avec le mythe de sa résurrection physique, lisez les chapitres que saint Thomas d'Aquin consacre aux problèmes de nutrition et de digestion de Jésus et des autres ressuscités au paradis - puisque le concile de 1962 s'est bien gardé de priver le "docteur angélique" de son rang officiel au sein de la théologie romaine.

Mais on voit à nouveau qu'il n'est pas de documents anthropologues plus précieux que les doctrines religieuses, parce qu'on ne comprend rien au Moyen Orient si l'on n'y spectrographie le corps et l'esprit d'Israël verbalement ressuscité en terre sainte en 1947 et relativement concrétisé en 1967 par la reconquête de la moitié ouest de son ancienne capitale.

Depuis lors, la conquête par cet Etat, de sa "substance" physique se déroule sous les yeux de notre anthropologie infirme sans que la question de l'identité physico-psychique du peuple hébreu n'apparaisse encore clairement, alors qu'il s'agit bel et bien de la parturition d'une nation terrestre par le songe céleste dont elle est gravide. Quel combat titanesque que de tenter d' incarner la grossesse de la parole biblique sur cette terre!

C'est pourquoi l'enfantement de la notion même de réalité appliquée pêle-mêle à une divinité, à une nation, à un Etat, à une science, à un art ou à des objets matériels renvoie au décodage des idoles devant lesquelles une espèce cérébralement scindée entre le concret de l'abstrait s'agenouille. C'est que le langage abstrait de cet animal le vaporise dans l'atmosphère et, à ce titre, c'est sans relâche qu'il peuple son encéphale de personnages à la fois idéaux et censés physiquement agissants. L'existence proprement mentale d'un vivant à la fois socialisé par sa parole et réputé se trouver transporté corporellement dans des identités collectives vocalisées à souhait le condamne, comme il est dit plus haut, à mêler le concept au réel et à confondre l'universel qui le vaporise avec le singulier qui l'attache à la glèbe.

La psychanalyse anthropologique du mythe central de l'incarnation, donc des relations variables en intensité qu'un acteur tout verbal - mais qu'on croit dûment substantifié, tel que Jésus-Christ - entretient tantôt avec sa réplique terrestre, tantôt avec sa duplication mythologique dans le "ciel", cette étude de la double attache du simianthrope schizoïde se situe au cœur de la pesée de l'histoire bipolarisée de l'espèce simiohumaine actuelle; mais le Moyen Orient va illustrer sur le vif non seulement le mythe chrétien de l'incarnation des signifiants, mais les impasses anthropologiques qu'illustre le drame eucharistique de la pseudo substantification de la vérité et qui sous-tend désormais de toute sa symbolique l'échec fatal des négociations politiques en cours. Car dans l'état actuel de son évolution cérébrale, notre espèce s'imagine encore que les signifiants se chosifient, que le vrai se substantifie, que la parole se matérialise et que l'Israël biblique aura débarqué au Moyen Orient quand il aura rayé la Palestine de la carte et que les chancelleries du monde l'accueilleront dans le temple des idéalités de la démocratie.

6 - Le conclave des naïfs

Pour comprendre le Moyen Age à nouveaux frais, c'est-à-dire sur le terrain anthropologique, il faudra disposer d'une balance à peser les relations supposées "substantifiques" que le "naturel" entretient avec le "surnaturel", parce que ces relations caractérisent le dichotomie cérébrale propre à telle civilisation à telle heure de son voyage dans sa propre bipolarité psychobiologique. Seule la balance à peser ce dosage mi-cérébralisé et mi-matérialisé permettra de comprendre quel est l'enjeu anthropologique abyssal du transport antinomique du peuple d'Israël en Palestine en 1947. Nous n'avions pas de méthode pour étudier ces questions in vivo - et voici que s'ouvre un laboratoire de la condition cérébrale simiohumaine qui promet de se révéler sanglante à l'école du scannage des sacrifices bipolaires auxquels se livre le singe ambitieux d'éterniser son corps. Mais ne fallait-il pas des circonstances extraordinaires pour que la civilisation mondiale apprît à peser l'âme meurtrière et le cerveau biphasé que l'humanité met au service des crimes qu'elle commet sur l'autel de l'Histoire?

D'ores et déjà, il crève les yeux qu'il sera aussi peu question d'une négociation rationnelle et sereine entre deux parties légitimement attachées à défendre des avantages chiffrables sur un champ de bataille qu'il n'était question, au Concile de Chalcédoine en 450, de s'entendre posément sur un partage "raisonnable" entre les statuts humain et divin confondus ou séparés de Jésus-Christ, parce qu'une négociation guerrière de ce genre n'est pas du ressort de la rationalité interne qui commande la diplomatie traditionnelle, mais renvoie aux enjeux théologiques souterrains et inconscients dont témoigne l'irrationnel et l'émotionnel religieux aux yeux de l'anthropologie critique dont accouchera notre siècle.

C'est pourquoi l'échec inévitable du conclave des naïfs ouvert par M. Obama sera tragique. Mais combien ce drame même se révèlera scientifiquement fécond sur le long terme, on le comprendra à l'examen des discussions conciliaires entre les coperniciens et les géocentristes, les darwiniens et les créationnistes, les monophysites et les ariens, les jansénistes et les partisans de la Bulle Unigenitus. Certes, ils n'en appelaient pas encore à des arguments pesables sur la balance des peseurs et des radiographes des dogmes. Et pourtant, la spectrographie psychobiologique des compromis de type théo-politique est en marche.

7 - Une généalogie des identités oniriques

Mais pour comprendre la nature de l'aporie qui fera échouer le conclave des naïfs évoqué plus haut, encore faut-il se mettre en mesure de comprendre la généalogie de l'identité onirique des peuples et des nations. Car cette espèce mémorise ses itinéraires dans l'univers de son langage. Si le chimpanzé et l'homme appartiennent tous deux à des espèces socialisées ab ovo, il faut se demander comment la parole biblique a enfanté la surréalité mythique d'Israël. Certes, les mots sont les premiers instruments de la parturition et des métamorphoses des identités oniriques. Les patries en sont venues à se reconnaître au simple énoncé des vocables qui leur servent à la fois de clés et de fétiches et qu'elles gravent sur les frontons de leurs temples. La France se reconnaît dans la proclamation solennelle du règne de trois concepts insubstantifiables - la Liberté , l'Egalité et de Fraternité ; l'Allemagne d'hier se regardait dans le miroir qui lui renvoyait l'image de son "Deutschland über alles", l'Angleterre pavanait sous le ciel de son "God save the King" et l'Amérique se glorifie encore sous nos yeux de se placer sous l'aile du Dieu de l'Amérique.

Mais le véritable véhicule du statut mental du genre simiohumain actuel est le récit mythologique. C'est à l'école des interprétations "théologiques" de leur propre histoire que les Etats se transportent encore de nos jours dans l'identité surréelle que leur forge le langage des dieux qu'ils sont devenus à eux-mêmes. Aussi la Révolution française se trouvera-t-elle racontée tantôt comme une épopée de la délivrance de l'humanité tout entière du despotisme multiséculaire de la royauté, tantôt comme la rébellion assassine d'une racaille ennemie du ciel, le marxisme narrera la levée de l'espérance des fils d'Adam ou la démonstration tragique de l'incapacité politique et intellectuelle de la classe ouvrière mondiale à prendre son destin entre ses propres mains. Mais c'est toujours leur identité onirique que les évadés de la zoologie se forgent à l'école des récits dramatiques ou candides qui les transportent dans leur légende et qui fait d'eux des témoins pathétiques de leur propre mémoire portée au sacré ; et c'est cette postérité-là de Renan que les historiens actuels d' Israël commencent seulement de comprendre (Voir La Bible et l'invention de l'histoire de Mario Liverani, 2003 et 2007, trad. Ed. Bayard 2008).

8 - Les fruits du jardin de la parole

Mais Israël présente une particularité inimitable : son récit pseudo biographique, son paradis de la parole sacrée, son royaume céleste trouvent leur support onirique dans un monument de l'écrit qu'on appelle l'Ancien Testament et qui sert encore de temple à la surréalité mythologique de l'humanité croyante d'aujourd'hui. C'est avec cette identité fabuleuse que se déroulera une négociation politique qui n'a aucune chance d'aboutir dès lors que les négociateurs ignoreront que les cartes du jeu sont surréelle. Les récits fondateurs de l'identité rêvée des autres peuples de la terre demeurent partiels et livrés à des lectures non moins contradictoires que celles de la Révolution française. Rome se racontait son histoire à l'écoute d'Enée, dont Virgile a fait le héros national et le fondateur de l'empire de la Louve, mais l'abbé Barthelemy écrivait déjà en 1788 dans son Voyage du jeune Anacharsis en Grèce: "Dans ce temps-là vivait un homme qui s'appelait Enée ; il était bâtard, dévot et poltron . (…) Son histoire commence la nuit de la prise de Troie. Il sortit de la ville, perdit sa femme en chemin, s'embarqua, eut une galanterie avec Didon, reine de Carthage, qui vivait quatre siècles après lui… ".

A l'heure où Israël joue son destin terrestre et théologique confondus dans un bras de fer avec les Etats relativement laïcisés de la terre entière, à l'heure où Gaza dresse son Golgotha face à l'Israël de Moïse, à l'heure où les recherches archéologiques récentes désacralisent la bible avec les armes au phosphore d'une science historique qui laisse loin derrière elle les Renan et les Freud, on voit à quel point la connaissance anthropologique de l'identité onirique des peuples que leurs livres sacrés et leur haute littérature ont forgée exige une tout autre science du temps mémorisé que celle qui se nourrissait de la postérité des dieux de l'Iliade.

9 - Les prophètes des évidences

Comment calculer le montant de la facture que réclamera la peur de penser la bipolarité cérébrale de notre espèce? Pour cela, il convient de se demander pourquoi les prophètes ont toujours raison : c'est que ces logiciens sans peur et sans reproche ne sont que les modestes chevaliers de leur propre droiture d'esprit. A ce titre, ils se contentent de promener sur les platitudes du sens commun cartésien la lanterne des lumières naturelles les plus répandues de l'entendement artisanal de leur temps, celles sur lesquelles l'auteur du Discours de la méthode a bâti son fameux : "Je pense donc je suis".

Si j'existe suffisamment pour "penser", dirait aujourd'hui le Diogène des Méditations métaphysiques, je dois me demander en tout premier lieu ce que "penser veut dire". Que signifiait ce verbe du temps où un gouvernement soviétique construit sur l'utopie évangélique tentait d'interdire à notre espèce de consommer la pomme gâtée du profit? Savait-on que ce langage enfanterait nécessairement une fainéantise de masse messianisée et d'apparence vertueuse et que cette piété porterait la hotte des idéalités rédemptrices les plus mirifiques que le langage simiohumain est capable de sécréter? Savait-on que ces vapeurs travailleuses allaient engendrer une ecclésiocratie redoutablement salvatrice et que les goulags du salut par l'intercession de cette grammaire se rempliraient à nouveaux frais de victimes du dernier-né des paradis de la parole sacrée?

Puis, plus raisonneur en diable que jamais, le logicien-prophète saura de science non moins certaine que le capitalisme triomphant ne manquera pas de s'imaginer que ses victoires sur la terre incarneraient la vérité politique et qu'elles donneraient raison à l'argent-roi tant au ciel des anges que sur la terre des marchands. Puis, non content de se reposer sur ses lauriers, sa Majesté le Profit se convaincra que bien mal acquis se rend édénique et que l'auto-sanctification de ses bienfaits se nourrira de plumer en règle un prolétariat terrassé pour longtemps. Alors, ce trophée de caissiers s'hypertrophiera dans le vide ; et l'on verra une gesticulation boursière internationale et un chômage planétaire se substituer à l'industrialisation raisonnée de l'Ile au trésor imaginée aux XVIIIe et XIXe siècles par les Robert Louis Stevenson du capitalisme.

10 - Le tombeau d'Israël

Entre les mémoriaux respectifs du zoo et de la jungle - entre l'utopie ensanglantée et le chaos - qu'adviendra-t-il d'Israël? L'empire américain, diront les logiciens du destin, connaîtra le même sort que les empires britannique et ottoman, qui ont sombré dans la pénurie financière engendrée par leur extension territoriale inconsidérée. Combien de temps, se demanderont les Cassandre de la dialectique, la charge titanesque d'entretenir une flotte de guerre acharnée à promener ses falots et ses bouches à feu sur toutes les mers du globe et de desservir jour et nuit plus de mille places fortes disséminées sur les cinq continents, combien de temps, se demanderont les Isaïe des évidences, faudra-t-il pour que le navire et tout son équipage coulent pavillon haut, combien de temps pour que les masses arabes se réveillent et se dressent contre leurs gouvernements corrompus, combien de temps pour que de nouveaux capitaines du Coran prennent la relève de l'éthique des navigateurs d'Allah en haute mer?

En fin de parcours, on verra la fureur et le mépris de l'opinion internationale clouer Jérusalem au pilori de l'ubiquité de l'image et du son; puis la crucifixion de Gaza sur la croix du monde divisera Israël entre les deux partis que Flavius Josèphe décrivait au 1er siècle, celui des "modérés" et celui des "zélotes". Mais les zélotes disposeront de l'arme nucléaire. Alors, les nouveaux guerriers de Massada menaceront de pulvériser la terre entière. Chacun retiendra son souffle. Il y aura des retards de la foudre. Mais comme il sera impossible que les roitelets David et Salomon retrouvent leur empire imaginaire, la planète épouvantée dansera quelque temps au bord du gouffre. Aucune force, ni celle des armes, ni celle de la raison ne convaincront le peuple hébreu d'abandonner la terre de ses songes ; et l'heure de l'ultime "Connais-toi" sonnera au beffroi de la folie éternelle ou de la sagesse tardive du monde. .

Publié le 28 mars 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez

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Source : Manuel de Diéguez
http://www.dieguez-philosophe.com/


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