Qu'est-ce que philosopher?
Caligula et son cheval (2)
Aux sources de la tyrannie
Manuel de Diéguez
Manuel de Diéguez
Dimanche 27 mai
2012
1-
La lanterne des
pédagogues de " Dieu "
En ce jour où la gauche semble revenir
durablement au pouvoir, il vous
appartiendra, soit de comprendre les
faux ciels du genre humain, soit de
convier l'Europe aux funérailles de la
pensée rationnelle française. Mais si la
pensée mondiale devait reprendre son
cours, vous vous direz qu'après tout, la
gauche se vante depuis longtemps de
guerroyer en première ligne pour le
progrès continu d'une éthique
universelle. Il n'y aura donc pas de
progrès cérébral de la France si vous
n'osiez citer "Dieu" à comparaître
devant votre tribunal et si vous
renonciez à soumettre l'immoralité du
ciel lui-même au verdict de votre
magistrature.
Bien plus, cette interrogation n'est
autre que celle de toute la philosophie
occidentale depuis Platon. Sachez donc
que le destin onirique du genre
simiohumain se situe tellement au cœur
de votre histoire et de votre politique
que si la philosophie n'avait pas placé
depuis belle lurette l'immoralité de
"Dieu" sur la balance de l'intelligence
et si Socrate ne félicitait pas Jupiter
des quelques pas qu'il a accomplis sous
votre houlette, la philosophie des
songes n'aurait pas encore débarqué sur
la terre. C'est pourquoi le siècle des
Lumières avait retrouvé la vaillance de
peser les qualités et les tares du roi
cérébral des chrétiens. Si vous avez
maintenant le courage de vous demander
ce qu'il en est de la sauvagerie de
"Dieu" et de sa docilité à se laisser
civiliser quelque peu, le retour de la
gauche en France sera le signal des
retrouvailles du cerveau de notre espèce
avec les siècles où la lanterne des
instructeurs des idoles s'était un
instant rallumée
2 -
L'homme à la recherche de son miroir
Depuis les origines du pouvoir citoyen,
la démocratie a fait alliance avec l'art
oratoire. A son tour, la philosophie se
montre plus à l'aise sur l'agora que
mêlée aux petits caciques d'Athènes.
Aussi, le 6 mai 2012, la France de
l'alliance de la raison avec l'éloquence
s'est-elle posé la question de savoir si
l'homme est capable de progresser en
intelligence, dès lors que jamais
encore, me semble-t-il, son entendement
n'a osé observer "Dieu" de l'extérieur,
afin de se demander si ce puissant
personnage a bien toute sa tête et si sa
cervelle progresse parallèlement à celle
de ses créatures. Mais si elle demeurait
prisonnière, d'un siècle à l'autre, de
la folie originelle de sa progéniture,
la prochaine mutation qui s'imposerait à
l'encéphale de l'humanité serait de
nature à lui faire acquérir la faculté
d'examiner de haut et de loin la
gigantesque effigie d'Adam le rêveur que
les théologiens peignent en pied et
qu'ils appellent "Dieu"?
Car, aussi longtemps que vous prétendrez
penser sous la pupille de quelque géant
du cosmos, jamais vous ne vous servirez
de votre boîte osseuse; et ce sera sans
crier gare que votre ciel vous coupera
la parole à chaque instant.
Laisserez-vous longtemps encore l'Olympe
étouffer votre voix au fond de votre
gorge? Combien de temps votre maître
imaginaire se piquera-t-il de penser à
votre place? Qui lui en a donné la
permission? Et si c'est vous-même,
pourquoi avez-vous abandonné vos
prérogatives à son profit? Pis que cela:
si vous vous imaginez garder par devers
vous quelques maigres lopins de l'empire
de votre raison d'autrefois et en
séparer clairement les arpents de ceux
de votre souverain dans le ciel, votre
erreur de jugement sera sans appel,
parce que vous vous interdirez à jamais
d'observer l'étroitesse des pistes où
chemine votre idole en balade.
Il vous faudra également apprendre à
peser le degré de moralité et
d'immoralité dont votre politique et
celle de votre "Dieu" auront fait preuve
tout au long de votre histoire commune;
mais puisque, à votre école et de siècle
en siècle, "Dieu" est le géant politique
que vous avez construit de vos mains
dans vos têtes, ce sera rien de moins
que toute l'histoire de votre
intelligence gigantifiée, de votre cœur
titanesque et de votre éthique haute du
col que votre roi herculéen du cosmos
vous interdira de poser sur les plateaux
de votre balance. Allez-vous vous
retirer définitivement de l'arène de la
pensée, suivrez-vous à petits pas le
corbillard de la philosophie jusqu'au
sépulcre que vous lui aurez préparé à
l'ombre de votre souverain, ou bien vous
déciderez-vous enfin à porter un regard
d'aigle sur votre "Dieu" trottinant à
vos côtés?
3 - Si la France
lâchait le timon de la pensée
Supposons que notre espèce fasse encore
quelque pas dans la connaissance des
géants branlants dont elle accouche.
Dans ce cas, ce serait notre astéroïde
tout entier qui en retentirait. Vous
vous trouvez donc aux commandes des
neurones des évadés de la zoologie sur
toute la terre habitée; et si vous
condamniez la France à lâcher le timon
de la pensée, vous seriez responsables
du naufrage de la planisphère des
cervelles. Par chance, vous disposez
d'un moyen sûr de peser "Dieu": il vous
suffira de déposer sur l'un des plateaux
de sa justice la sainte chambre des
tortures qu'il a aménagée pour
l'éternité sous la terre et sur l'autre,
le jardin des délices où son Eden vous
convie au repos. Construisez donc la
balance à peser la divinité boiteuse que
le XVIIIe siècle a laissée inachevée à
l'atelier. Il est vrai que les Lumières
ne connaissaient ni les coulisses de la
conscience morale de la créature, ni
l'histoire de son squelette parmi des
hordes de quadrumanes à fourrure.
Raison de plus, pour la France,
d'assembler les pièces du premier étage
de la fusée de l'intelligence. Vous
savez qu'elle était montée dans le ciel
d'Athènes il y a vingt-cinq siècles,
mais que sa trajectoire s'est brisée en
vol plus d'une fois. Votre première
tâche sera de percer les secrets de la
folie dont notre espèce demeure la proie
et de découvrir les liens que la démence
publique entretient avec les tyrannies
collectives. A cette fin, je vous ai
proposé de suivre un guide sûr, un
certain Albert Camus, qui aura sûrement
attendu, lui aussi, ce printemps 2012
pour entrer dans la postérité
spirituelle de son génie de spéléologue
de la tyrannie.
-
Caligula et
son cheval - Aux sources de la
tyrannie,
13 mai 2012
Pour
l'instant, voyez comme tout se tient,
voyez comme la pesée des dieux et de
leur crinière vous renvoie à la
politique mondiale de Caligula et de son
cheval, voyez comme la planète a pris
rendez-vous avec la philosophie de la
liberté, voyez comme la démocratie ne
vit que si elle raisonne et ne respire
que si elle redonne les armes de leur
souveraineté aux peuples et aux nations
asservies à leurs quadrupèdes célestes:
Démosthène était le fils de la victoire
de Salamine et l'Amérique vassalisatrice
d'aujourd'hui portait, en ce temps-là,
les armes et la crinière de Philippe de
Macédoine. Guerriers de Salamine,
comment apprendriez-vous que l'empire
américain n'est pas légitimé à vous
asservir, comment apprendriez-vous que
les principes de la démocratie
proclament la souveraineté des Etats sur
le théâtre du monde, comment
apprendriez-vous que la guerre de la
philosophie est celle des droits de la
pensée si nous ne descendions côte à
côte dans l'abîme où Caligula tient le
cheval de la tyrannie par la bride?
1 -
La modernité du
génie d'Albert Camus
Ecoutons
un personnage du Caligula
d'Albert Camus lire et réciter
"mécaniquement", souligne notre auteur,
un passage du traité que le tyran romain
est censé avoir rédigé et qui traite de
l'excellence des exécutions publiques: "L'exécution
soulage et délivre. Elle est
universelle, fortifiante et juste dans
ses applications comme dans ses
intentions. On meurt parce qu'on est
coupable. On est coupable parce qu'on
est sujet de Caligula. Or, tout le monde
est sujet de Caligula. Donc, tout le
monde est coupable. D'où il ressort que
tout le monde meurt. C'est une question
de temps et de patience." (Camus,
Caligula, p.148)
Encore la question du temps et de la
patience du tyran, encore la question de
la lenteur de la torture.
-
Caligula
et son cheval - Aux sources de
la tyrannie,
13 mai 2012
Mais
est-il un seul mot de cette réplique "fortifiante
et juste" qui ne soit un fidèle
décalque du type d'autorité que toute la
théologie des châtiments divins requiert
depuis des siècles et que confessent les
trois monothéismes réunis? Tout y est:
monopole d'un Dieu roboratif dans ses "intentions
et ses applications", monopole du
règne de la loi et de la vérité
entièrement confondues, monopole de la
dépendance du croyant livré à la
souveraineté de la puissance divine,
monopole, enfin, du tyran dont
l'omnipotence change la mort en un
châtiment universel et le ciel en
vengeur suprême.
Poursuivons: "Je dis qu'il y aura
famine demain. Tout le monde connaît la
famine, c'est un fléau. Demain, il y
aura fléau…et j'arrêterai le fléau quand
il me plaira. Après tout, je n'ai pas
tellement de façons de prouver que je
suis libre." (p. 147)
Je
possède l'exemplaire de Caligula
que Camus a dédicacé à Saint-Georges de
Bouhélier: "A Saint Georges de
Bouhélier, puisqu'il s'est un peu
reconnu ; avec la respectueuse sympathie
d'un très jeune confrère. Albert Camus".
C'est que Saint-Georges de Bouhélier
(1876-1947) avait fait jouer son
Le sang de Danton à l'Odéon en
1931, l'année où Camus, alors à peine
âgé de dix-huit ans, sentait déjà germer
dans son esprit un théâtre qui mettrait
en scène les relations que le bourreau
entretient avec sa victime et qu'on
retrouvera dans Les Justes,
Le Malentendu et surtout
Caligula. Bouhélier, d'une
famille de communards condamnés aux
galères sous la République, donc otage
lui-même du conflit entre l'Etat légal
et la démocratie idéale des patriotes,
avait porté à la dramaturgie odéonienne
le texte biblique selon lequel il sera
juste que le sang des innocents retombe
sur les générations montantes, qui "en
auront les dents agacées".
On
connaît l'apostrophe de Danton à son
exécuteur: "Bourreau, tu montreras ma
tête au peuple, elle en vaut la peine".
Mais qui est Caligula et que vient faire
le christianisme dans la relation de
Robespierre avec ses victimes? "Si
vous ne savez pas que vous êtes tous
capables de ça, vous n'avez rien compris
au christianisme". Frottez-vous les
yeux, les enfants : le Père Bro,
dominicain et prêcheur du carême à
Notre-Paris en 1946, a osé lancer ces
mots à la tête de ses novices aussi
indignés qu'ahuris au vu des ossements
brisés et des cadavres à demi putréfiés
dont un film sur les camps de
concentration avait diffusé le spectacle
en 1945.
Qu'enseigne aujourd'hui l'Ecole de
Paris? Elle nous apprend qu'il y a
trente huit ans seulement, en 2012, deux
candidates à la présidence de la
République française avaient eu l'audace
de dire: "C'est un camp de
concentration à ciel ouvert" à la
vue du blocus, aux yeux du monde entier
d'une ville d'un million sept cent mille
habitants. Et pourquoi cette torture?
Non seulement au nom des valeurs d'un
Etat moderne, mais au nom de la nouvelle
civilisation mondiale, celle des
bourreaux aux bras croisés. Sachez, les
petits, qu'à l'époque, aucun Etat de la
planète n'osait seulement ouvrir la
bouche à ce spectacle, sachez, novices
de la démocratie, que la vénération de
tous les peuples de la terre allait à
Caligula et à son cheval. Comme dit le
héros de Camus: "On est toujours
libre aux dépens de quelqu'un. C'est
absurde, mais c'est normal." (p.
147)
Camus
fut le premier penseur moderne de la
"normalité" de l'alliance du mythe de la
Liberté avec la tyrannie, le premier
anthropologue de "Dieu" et de sa
justice. Espérons que la famille
d'Albert Camus ne laissera porter les
cendres de l'auteur de La Peste
au Panthéon que par une France
officielle qui aura entendu le Père Bro
faire entendre la voix de feu du
christianisme au cœur du mythe de
Sisyphe.
2 - Le " Dieu "
ligoté
Le XVIIIe siècle avait commencé de peser
le christianisme romain à l'école des
retrouvailles de cette religion avec les
idoles d'importation du polythéisme,
notamment par le truchement d'un culte
des saints et de leurs images. Puis le
XIXe siècle s'était mis à l'école de la
philologie de Renan, de la science
historique allemande et du roman social
des Zola et des Victor Hugo. Enfin le
XXe avait confié au marxisme la vocation
de changer une religion fondée sur le
paiement d'un tribut sanglant à la mort
en un culte des pauvres et des
malheureux. Mais si Camus revenait parmi
nous, il verrait l'Ecole de
simianthropologie de Paris s'attacher à
féconder la postérité littéraire et
anthropologique la plus vivante et la
plus inépuisable à laquelle son œuvre
est promise, parce que le XXIe siècle
retrouvera, au cœur de l'élan et du
souffle de la pensée originellement
délivrante des chrétiens, une victoire à
remporter sur l'utopie messianique. La
simianthropologie de l'Ecole de Paris
articule ses découvertes avec une
psychanalyse du machiavélisme de la
démocratie mondiale et des idéalités
impériales qu'elle met au service d'une
puissance étrangère.
-
Caligula
et son cheval - Aux sources de
la tyrannie,
13 mai 2012
Le triple règne de trois grands
trompeurs déguisés - le dieu calviniste
de l'Amérique, le Jahvé des juifs et un
Allah encore à délivrer des bandelettes
de la tyrannie. Car ces trois
vassalisateurs obéissent à la même
construction originelle de la politique
des châtiments, celle qui condamne le
ciel à osciller sans cesse au gré des
climats et des lieux entre le despotisme
patelin et l'impuissance politique.
3 - Le logiciel
de " Dieu "
Comment cela ? A partir du XVIIe siècle,
les catéchètes et les bons apôtres de la
cybernétique du ciel étaient dans
l'effroi : ils avaient soudainement pris
conscience de ce que l'algorithme
apostolique de Calvin et le logiciel
fataliste des jansénistes rendaient le
créateur du monde impotent à jamais, et
cela par un effet mécanique et
inévitable de l'excès même des pouvoirs
bénédictionnels et caligulesques
confondus qu'ils lui avaient accordés
sur la terre. Et maintenant, les
théologiens de la gratuité de la grâce
divine découvraient que si le libre
arbitre de la créature ne se laissait
plus mâter par le tyran du ciel,
l'informatique de ce dernier tombait non
seulement en faiblesse, mais sombrait
fatalement dans une incohérence mentale
incurable.
Songez qu'en raison du bon-vouloir du
roi du salut, les coupables jugés dignes
de la potence ne seront punissables
qu'en raison du refus obstiné et sans
doute fort mal intentionné du "dieu de
bonté" d'élever son omnipotence jusqu'au
culte de ses devoirs de souverain
charitable. Il lui incombe donc
nécessairement de préserver ses
malheureuses créatures de la fatalité de
tomber dans le péché et de finir cloués
sur un gibet. Car si Adam se trouve
livré d'avance et avant même de voir le
jour à une "chute originelle" dans
laquelle le pauvre homme n'est pour
rien, alors les tortures infernales
prévues de toute éternité par une
divinité pateline entacheront le nouveau
Zeus d'une cruauté teintée de séraphisme.
Quelle folie de livrer le cheptel des
fidèles aux crucifixions souterraines de
l'éternité, quel fou qu'un Créateur
tartuffique au point qu'il se lèche les
babines des tortures caligulesques qu'il
déclare angéliquement méritées! Mais
quel génie que celui de Molière qui, le
premier a compris l'hypocrisie du ciel,
quel génie politique que celui du Père
Bro qui disait: "Vous êtes tous des
anges construits sur ce modèle-là" .
Aussi
l'Ecole des simianthropologues de Paris
a-t-elle démontré avant tout le monde
que le Jésuite Molina - 1535 - 1600 -
fin politique et anthropologue avant la
lettre, avait remédié de main de maître
à la bancalité théologique du Machiavel
du ciel des protestants. On sait que ce
disciple affûté de saint Ignace a
redonné son entêtement indispensable à
une créature nécessairement pécheresse,
et cela sous les applaudissements
rassurés d'une Compagnie de Jésus à
nouveau unanime à charger les seules
épaules des fidèles du poids de leur
trépas de coupables de naissance. Les
malheureux otages du Caligula sanctifié
des chrétiens persévèreront donc avec
une obstination et un enthousiasme
invincibles dans la désobéissance des
sacrilèges raisonnés. Aux criminels
ab ovo de sauver désespérément leur
"Dieu" emberlificoté dans le saint
raisonnement de Caligula; car un
amoindrissement relatif et commode des
pouvoirs exorbitants du ciel est la
condition sine qua non du
sauvetage de la logique interne qui
commande toute la politique des trois
dieux en guerre entre eux, mais
proclamés uniques et séraphiquement
rassemblés, mais à la seule école de
l'impuissance qui menace leurs
châtiments souterrains.
Et pourtant, l'amputation théologique -
et en vue de sa propre sauvegarde - d'un
créateur du cosmos dont Jansénius avait
fait un acteur empressé de son propre
arbitraire, cette amputation partielle,
dis-je, est copiée sur le modèle des
Caligula, des Tibère ou des Héliogabale,
qui ont souffert précisément de se
venger sans fin et bien vainement sur
des rebelles dont la liberté et la
dignité tenaces défiaient les chaînes de
leur geôlier jusque parmi les
rôtissoires de l'enfer. C'est le damné
qui remporte la victoire sur le
bourreau, c'est lui qui humilie son
maître à le rendre impuissant comme un
Caligula et qui couvre de honte son
éternité piteusement désarmée.
4 - Le suicide de
"Dieu".
N'oublions pas que si Néron s'est vu
contraint au suicide à l'âge de
trente-deux ans, alors qu'il régnait
depuis l'âge de dix-huit ans, que si
Caligula a été assassiné à l'âge de
vingt-neuf ans seulement au terme d' un
règne réduit à trois ans, dix mois et
huit jours, que si Tibère fut étouffé
sous des coussins à l'âge de
soixante-dix-huit ans, que si le cadavre
d'Héliogabale fut jeté à la voierie, les
tyrans modernes, eux, vivent plus
longtemps. Certes, on fera valoir que
Hitler ne s'est suicidé qu'à l'âge de
cinquante cinq ans, mais songez que
Staline est mort en vieillard - il est
vrai que les circonstances du complot
des "blouses blanches" censé l'y avoir
aidé demeurent mal éclaircies.
C'est pourquoi le sort actuel des trois
"dieux uniques" a permis aux
simianthropologues modernes et à l'Ecole
de Paris de se poser la question du
suicide qui guette les dieux uniques.
Car si, selon Molina, Caligula, Tibère,
Néron ou Héliogabale ont buté sur
l'invincibilité de leurs victimes et sur
la stérilité de tuer des innocents, le
dieu des chrétiens, des juifs et des
musulmans va-t-il mettre fin à ses
jours, donc se retirer dans le néant en
raison de la fatalité qui aura condamné
toute divinité coupable d'omnipotence de
mettre fin à ses jours? Car sitôt que
"Dieu" met un pied dans l'arène du
temporel, ou bien, comme il est rappelé
ci-dessus, il se réduit à l'impuissance
de jamais vaincre la liberté de ses
créatures - le sort de Caligula l'attend
au tournant - ou bien il cède le pas à
la liberté irrépressible de ses victimes
et il se volatilise dans le vide de
l'immensité, tellement un dieu n'est
utilisable, sur le terrain du droit que
s'il se plie aux lois et aux pratiques
légales de la politique semi-animale que
sa créature lui impose sur la terre.
On sait
que, la première, au monde, l'Ecole
de Paris est parvenue à théoriser le
"suicide spirituel", ce qui a conduit
les sciences humaines de notre temps à
approfondir l'observation et
l'interprétation rationnelle de
l'animalité propre à notre espèce. Car
les tyrans absolus et universels que nos
encéphales d'autrefois appelaient des
dieux "très bons et très puissants" nous
ont démontré non seulement que nos
idoles étaient des tueuses adorées pour
leurs bienfaits, mais également des
tyrans glorifiés par la cruauté de leurs
forfaits. Car, à l'image du Caligula,
"Dieu" est d'autant plus adoré que ses
châtiments sont plus épouvantables.
C'est
pourquoi, en ce milieu du XXIe siècle,
la thérapeutique préventive des
catastrophes théo-politiques nous convie
à une ultime halte à la page cent
quarante sept du Caligula
curatif de Camus: "Caligula: Intendant,
tu feras fermer les greniers publics. Je
viens de signer le décret. Tu le
trouveras dans ma chambre. L'intendant:
Mais…Caligula: Demain,
il y aura famine. L'intendant:
Mais le peuple va gronder.
Caligula: Je dis qu'il y aura
famine demain." (p. 147)
5 - La
dernière halte
Vous me direz qu'il s'agit du plus vieux
rendez-vous de notre histoire avec notre
théologie des idoles et que nous avons
déjà entendu tout cela de la bouche de
l'empereur Caligula. A-t-on jamais vu
une famine tomber du ciel sans qu'elle
eût été ordonnée par notre tyran
céleste, a-t-on jamais vu une épidémie
ravager la terre de sa faux sans que
Caligula n'en fût l'auteur vénéré? La
guerre que Voltaire a menée parmi nous
pour faire triompher à la barbe de Rome
une vaccination coupable d'impiété aux
yeux de notre Héliogabale des nues n'a
triomphé dans l'Europe entière de
l'époque qu'avec le secours massif des
hérétiques anglais.
Comment un Saint Siège qui voulait jeter
les cendres de Voltaire à la voierie
aurait-il comblé de louanges le
sacrilège audacieux selon lequel des
interventions de nos seringues
mettraient un terme profane aux saints
ravages de la variole ? Comment la Curie
aurait-elle couronné des blasphèmes qui
immuniseraient les fidèles contre un
fléau non moins voulu du ciel que la
famine ordonnée par Caligula? C'est que
les tyrans et leurs hommes de main dans
le ciel sont tour à tour les rois de nos
vaches grasses et de nos vaches maigres.
Comment ne serait-il pas profanateur de
retirer de leurs mains le pouvoir de
frapper à leur gré des nations entières
des longues souffrances et des retards
de la mort qu'entraînent les épidémies
judiciaires? Comment priver le sceptre
de Caligula de la thérapie des
chapelets? Pis que cela: l'Ecole a osé
rappeler que, jusqu'à nos jours, il est
demeuré digne de la damnation de douter
du plus effroyable et du plus saint
exploit du génocidaire divin, le Déluge.
On voit que la tyrannie du Dieu des
chrétiens - dont les Caligula, les
Tibère et les Néron ne seront jamais que
des approximations ou des contrefaçons
éhontées - nous renseigne non seulement
sur les ultimes ressorts d'une espèce de
sauvages , mais sur les stations du
chemin de croix des civilisations
simiohumaines, puisque le culte de
l'autorité publique au sein des cités
que cet animal s'est construites - aux
fins, dit le Père Bro à Gaza, de se
protéger du Caligula qui l'habite - ce
culte, dis-je, se trouve en conflit
permanent avec les progrès lents et
tardifs de la conscience et de
l'intelligence de quelques spécimens
isolés de notre espèce, de sorte que
l'histoire théologique de la tyrannie se
révèle la clé du genre simiohumain et de
l'interprétation anthropologique de son
destin cérébral.
6 - De
l'état actuel des travaux de l'Ecole de
Paris
L'école de Paris
vient de démontrer , toujours à l'écoute
de la postérité anthropologique de
Jonathan Swift et de Shakespeare, (-
Caligula et son
cheval - Aux sources de la tyrannie,
13 mai 2012)
que l'évolution de l'éthique de l'espèce
de sauvages à laquelle nous appartenons
est toujours parallèle à celle de la
raison embryonnaire et torturante à
laquelle cet animal parvient à s'initier
peu à peu. Les exemplaires les plus
originels de la bête acceptent encore de
nos jours et les yeux fermés la morale
d'un tyran suprême du cosmos. Ce type de
fidèle d'Allah vous dira: "Puisque Allah
existe de toute évidence et puisqu'il
m'est démontré par A plus B qu'il a
dicté lui-même et sans contradiction,
oubli ou négligence à l'ange Gabriel les
textes sacrés qui révèlent l'étendue de
son omnipotence, de ses droits et de sa
justice à mon égard, je dois me montrer
suffisamment sage et raisonnable pour
m'éviter du moins les tortures les plus
extrêmes que son saint tribunal me
réserve de toute évidence et pour
l'éternité dans les ténèbres de ses
geôles posthumes. Dans le cas,
horribile dictu, où j'en viendrais à
manquer de respect à sa personne et à
contester la légitimité entière des
châtiments abominables qu'il se verra
contraint de m'infliger, je reconnais
d'avance ma culpabilité pleine et
entière."
L'Ecole de Paris
a démontré que la condition première des
progrès cérébraux des primitifs demeurés
les plus incohérents passera
nécessairement par une érosion
progressive des absurdités dont la boîte
osseuse de cet animal se trouve
enveloppée de naissance; et leur crâne,
ajoute l'Ecole, n'entrera dans une
démarche logicienne qu'à l'heure tardive
où des syllogismes dictés par une
dialectique socratique impérieuse feront
prendre à l'os frontal de ces malheureux
les chemins d'un entendement trans-zoologique.
Il est extraordinaire, dit encore
l'Ecole, que depuis les origines,
l'encéphale du simianthrope n'ait jamais
progressé d'un pouce qu'à la condition
expresse de civiliser les idoles qui
l'assassinent, il est saisissant , dit
encore l'Ecole, que la sauvagerie aille
toujours de pair avec l'entêtement dans
l'ignorance et la sottise, il est
réjouissant que le tyran caligulesque
qu'on appelle "Dieu" depuis la Genèse
finisse par se révéler un civilisateur
secret, quoique par une voie indirecte,
puisque les germes d'intelligence qui se
glissent obstinément sous l'épais
occiput de ses créatures ruinent peu à
peu la raison et l'éthique de l'idole
universelle et lui fait jeter à terre le
sceptre de la terreur qu'elle
brandissait sur toutes les têtes.
7 - L'abeille
socratique
Mais, dit enfin l'Ecole de Paris,
l'initiation du simianthrope aux ultimes
secrets de la politique et de la morale
des cités - celle qu'enseigne l'histoire
des crimes et de la justice des dieux
vengeurs - cette initiation, dit-elle,
rappelle au singe locuteur que la longue
évolution de son encéphale n'a pas
encore mis entre ses mains la boussole
d'une science abyssale de lui-même;
sinon il saurait depuis Caligula que la
terreur est demeurée l'élixir de l'ordre
public et de la discipline collective
des animaux épouvantés d'aujourd'hui.
Alors le
tortionnaire en chef du cosmos qu'on
appelait "Dieu" et qui vient de se
suicider entouré de ses saints à Gaza,
apparaît en filigrane sous la plume de
Camus. Ecoutez-le se justifier, puis se
repentir d'avoir déclenché le déluge: "L`Éternel
vit que la méchanceté des hommes était
grande sur la terre et que leurs pensées
couraient toutes et jour après jour vers
le péché. Il se repentit d`avoir créé
l'humanité. Et il se dit: J`éradiquerai
l'homme de la face de la terre,
j'exterminerai jusqu`au bétail, aux
reptiles et aux oiseaux; car je me
repens de les avoir fabriqués. (Gn
6, 5-7 )
Mais,
dans le même temps, comme tous les
tyrans fous, "Dieu" prend conscience de
l'impuissance caligulesque de sa
sauvagerie déchaînée. Voici les termes
dans lesquels la bête féroce se repent
de ses tueries: "Noé choisit des
bêtes de toutes les espèce et il les
offrit en holocauste sur l`autel. Alors
l`Éternel huma une odeur agréable, et il
se dit: 'Je ne frapperai plus les
vivants. Tant que la terre demeurera,
jamais plus les semailles et la moisson,
le froid et la chaleur, l`été et
l`hiver, le jour et la nuit ne cesseront."
(Gn 8, 20-22)
Voici
que le Caligula des saints massacres
devient l'éducateur de lui-même! Cela,
le génie de Camus l'a entre-aperçu quand
il fait "tourner Caligula sur
lui-même, hagard", et le dirige "vers
son miroir". Alors l'auteur de
La Peste met dans la bouche
du tyran romain un pastiche de la parole
biblique: "Caligula, toi aussi, toi
aussi, tu es coupable. Alors, n'est-ce
pas, un peu plus, peu moins ! Mais qui
oserait me condamner dans ce monde sans
juge, où personne n'est innocent!"
(p.213)
C'est à
l'école de ses symboles sommitaux que la
simianthropologie critique observe
l'histoire de la bête se "pressant
contre le miroir" et qu'on appelle
l'histoire; car cette discipline ignore
encore qu'elle se veut le réflecteur
géant du suicide de "Dieu", le miroir de
la conscience dans lequel se
réfléchissent les miroirs brisés de
l'espèce spéculaire. Aux dernières
nouvelles, nous apprenons que l'Ecole de
Paris est devenue la théologienne du
miroir suprême, celui dans lequel le
suicide des grands donateurs esquisse
l'effigie d'un dieu vivant.
Celui-là se donne à tuer afin d'
"emporter son miel", dit l'abeille
socratique, celui-là boit la coupe de
miel de Zarathoustra, celui-là est un
crucifié invisible. Il est étrange qu'il
existe deux espèces de mises à mort et
deux races de suicidaires. S'agirait-il
d'élever "Dieu" au rang de ses
suicidaires de l'absolu?
Le 27 mai 2012
Reçu de l'auteur
pour publication
Les textes de Manuel de Diéguez
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