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Opinion

Le retour de Général de Gaulle
Manuel de Diéguez


Manuel de Diéguez

Dimanche 26 septembre 2010

La presse mondiale du 26 septembre 2010 annonçait sur toute la largeur de ses premières pages que le Général de Gaulle était ressuscité et qu'il tiendrait dès le lendemain une conférence de presse. Mes lecteurs trouveront ci-dessous l'intégralité des propos du géant. Ce matin, toutes les capitales de la planète soulignent le réalisme du théoricien de la stratosphère, mais quelques-uns craignent les retombées d'un discours dérangeant du grand logicien de l'Histoire universelle.


1 - Le regard du géant mort
2 - Le néophyte du Caire
3 - Controverse avec le Titan
4 - L'avenir du sceptre de l'opinion mondiale
5 - La terrasse d'Elseneur
6 - Les cinq scansions de l'histoire des peuples
7 - Tartuffe à Gaza
8 - Le rendez-vous des peuples avec l'éthique
9 - Le bateau ivre
10 - La vassalisation de la diplomatie européenne
11 - L'éthique politique de la souveraineté
12 - Le Hamas

1- Le regard du géant mort

Le Guardian (Londres) : M. le Président, vous avez écrit dans vos Mémoires de guerre qu'un chef d'Etat se juge au regard qu'il porte sur le globe terrestre, puis, dans vos Mémoires d'espoir, que vous n'êtes pas porté au culte des chimères. Allez-vous nous raconter à l'école du mythe ou à l'école du réel la pièce qui se déroule sur la scène du monde depuis votre départ?

Le Général de Gaulle : C'est un tout nouvel échiquier de la logique du monde que l'histoire universelle présente désormais à nos regards. Mais le fil des jours n'offre jamais qu'une trame déjà à demi effacée du déplacement continu et secret des pièces sur les planches de ce vaste théâtre. Depuis que le globe terrestre tourne sur son axe, il n'était jamais arrivé qu'une nation minuscule étendît ses lopins avec la bénédiction de tous les autres gouvernements de notre astéroïde, il n'était jamais arrivé que, pendant plus de soixante-dix ans, on vît tous les Etats de la terre encourager de la voix et du geste un nain mythique résolu à étendre les arpents de son éternité au détriment de ses voisins, il n'était jamais arrivé que les applaudisseurs du salut du monde s'engageassent par serment à enfermer les autres nations dans l'enceinte de leurs frontières et à les réduire au silence sur leurs labours, il n'était jamais arrivé que la mappemonde de la rédemption se présentât en protectrice et en garante bâillonnée d'une expansion militaire trompetée par une divinité trépassée, il n'était jamais arrivé que la conquête par la force des armes d'un territoire sotériologique fût pilotée du haut des nues par les saintes écritures de l'envahisseur, il n'était jamais arrivé que Clio fût à l'écoute de deux hauts parleurs, dont l'un fît entendre le droit des peuples de creuser les sillons que leurs ancêtres leur ont légués, l'autre à l'écoute du ciel d'un conquérant, il n'était jamais arrivé qu'un peuple arrimé à quelques cailloux sacrés fût devenu le plus puissant prophète du globe et tînt la dragée haute à tous les empires, il n'était jamais arrivé que la course de notre goutte de boue entre Mars et Venus eut subi une mutation de son eschatologie telle que les Machiavel et les Talleyrand de notre temps changeront de bésicles, il n'était jamais arrivé que la France dût se colleter avec une axiomatique et une problématique du destin du monde dictées par les œuvres complètes du créateur de la Genèse, il n'était jamais arrivé que le mégaphone biblique de la démocratie mondiale reconduisît au temple des Nabuchodonosor et au sarcophage des Ramsès.

2 - Le néophyte du Caire

Le Times (Londres) : Monsieur le Président, nous savons tous que vous avez les pieds sur terre comme personne; mais depuis votre trépas, on raconte ici ou là que vous étiez né avec le télescope du réalisme vissé à l'œil et que votre cerveau ascensionnel n'était qu'un prolongement naturel de votre haute ossature. Comment racontez-vous l'histoire stellaire et l'histoire physique d'Israël depuis 1948?

Le Général de Gaulle : Le rideau des songes s'est levé et abaissé trois fois au cours des soixante douze dernières années de l'histoire corporelle et cérébrale d'Israël . Nous abordons le quatrième et avant dernier acte de la tragédie des squelettes et des âmes. On y verra Clio débarquer plus résolument que jamais parmi les rêveurs bibliques du monde entier, de sorte que les nouveaux paramètres du récit historique et du récit sacré confondus enregistreront des collisions théologiques d'une violence inouïe entre l' histoire scripturaire du peuple élu et le nouveau récitatif d'une civilisation mondiale partiellement convertie aux lois du profane. En premier lieu, les péripéties en quelque sorte préliminaires de l'histoire nouvelle des Hébreux illustreront, certes, la dramatique inculture historique et diplomatique des chefs d'Etat les plus puissants d'un nouveau Moyen Age. Mais surtout, leur cécité anthropologique et philosophique occupera le devant de la scène.

Vous remarquerez que le Président des Etats-Unis avait compris rationnellement, semblait-il, que Jahvé interdisait fermement à l'empire américain de tendre un jour la main aux fidèles d'Allah et que le Nouveau Monde se trouverait empêché de jamais battre les cartes nouvelles de la planète du XXIe siècle. Mais si Washington se voit frappé de l'interdiction définitive de sceller alliance avec les peuples du Coran, le jeu des armes et des songes qu'on appelle l'Histoire ne saurait rayer d'un trait de plume un milliard et demi de musulmans tressautants sur la carte et encore moins au profit de l'expansion territoriale illimitée d'Israël. C'est dire que, faute d'une connaissance suffisante du fonctionnement cérébral actuel du genre humain, ce Président s'est imaginé qu'il lui suffirait de prononcer un beau discours sur les bords sacrés du Nil pour régler le tic tac de l'horloge des vivants et des morts sur les cinq continents. Néanmoins l'Amérique demeure un nouveau-né. Il faut laisser à ce peuple au berceau le temps d'apprendre à lire l'heure sur le cadran des siècles. Une aiguille naine y trotte à petits pas. Elle égrène les jours et les nuits d'une espèce plus obsédée que jamais par le sceptre et les ciboires de ses dieux. L'autre aiguille est en folie. Les minutes et les secondes y enregistrent à grandes enjambées le tumulte précipité des évènements.

Aussi M. Barack Obama a-t-il été surpris comme un néophyte des Olympes par la découverte tardive qu'il a faite de la solidité cérébrale du dieu d'Israël. Il faut lui apprendre que la science politique a changé de longue vue et qu'il appartient désormais aux chefs d'Etat de se saisir de l'instrument d'optique nouveau dont le peuple juif s'est armé sous la faux des Parques. L'Amérique a pris pour le moins un siècle de retard sur la connaissance anthropologique de la carapace cérébrale de Jahvé. Elle ignore encore, me semble-t-il, que la carcasse mentale des humains se trouve scindée de naissance entre leurs ciels et leurs terres et qu'il était bien inutile d'envoyer un certain George Mitchell, irlando-libanais et chrétien maronite, vérifier sur place que M. Netanyahou ne cèdera jamais un pouce du territoire de la Cisjordanie, parce que, depuis près de soixante-cinq ans, le peuple de Moïse est appelé par sa théologie à en conquérir un par un les hectares. Sachez en outre que notre espèce est née religieuse et qu'elle obéit tantôt aux chimères du ciel qu'elle croit avoir enregistrées sur ses microphones, tantôt aux mythes que sécrètent ses langages . Si vous n'apprenez à décrypter les discours que nous tiennent nos idoles bicéphales, jamais vous ne tiendrez les vraies clés des évadés de la zoologie entre vos mains.

3 - Controverse avec le Titan

Die Weltwoche (Suisse): Mon Général, vous dites à la fois que la guerre des dieux a débarqué à nouveaux frais dans l'histoire théologique de la démocratie mondiale et qu'il est vain de s'imaginer que la classe dirigeante d'une planète devenue indocile retournera sur les bancs d'école des ancêtres afin d'y réapprendre le sacré et ses songes. Mais alors, qui prendra en mains la direction à la fois mythologique et neutralisée du monde, qui en tiendra les rênes à la place des deux catégories d'ignorants que vous avez identifiés?

Le Général de Gaulle : Croyez-vous vraiment, Monsieur, que la morale universelle est soudainement tombée en quenouille, croyez-vous vraiment que les festins de Lucullus et les tas d'or de Crésus l'ont réduite au silence? C'est tout le contraire qui se passe sous nos yeux: la majorité des peuples de la terre sait maintenant que l'heure sonnera bientôt non point de ressusciter les dieux morts des ancêtres, mais de prendre entre les mains le sceptre de l'éthique éternelle de l'humanité. Dites-vous bien que nous assistons aux premières péripéties de la guerre que les masses tout fraîchement jaillies de l'ombre vont mener contre leurs élites en voie de délitement. Etonnez-vous plutôt, Monsieur, de ce que ce spectacle se déroule déjà sous nos yeux. Songez que vingt siècles seulement se sont écoulés depuis le clouage retentissant d'un juste sur la potence qu'on appelle l'histoire. Nous sommes entrés dans la logique du monde de demain. Mais ce n'est plus à la France seule de rappeler à la terre entière que les nations d'hier ne forgeaient l'éthique du genre humain qu'avec une grande lenteur. Il appartient maintenant aux nouvelles générations de l'intelligence et de l'éthique d'attirer la planète de la lucidité politique à venir sur le champ de bataille de la raison et du cœur.

Der Spiegel (Allemagne): Mon Général, pourquoi pensez-vous que l'interprétation de l'histoire cryptée de l'encéphale de notre espèce va débarquer dans la politique mondiale?

Le Général de Gaulle : La vocation de la géopolitique moderne à conquérir une lucidité anthropologique sera rendue nécessaire du fait que les évènements les plus chaotiques en apparence ne manqueront pas de se placer comme d'eux-mêmes au centre d'un décodage des songes religieux du simianthrope, de sorte qu'on découvrira la vanité de s'essayer à les replacer sous les feux de la connaissance traditionnellement qualifiée d'historique. Voyez ce qui s'est passé à Gaza : contraint de battre piteusement en retraite et de quitter sans gloire le champ de bataille du récit historique banalisé depuis Thucydide - son discours du Caire était censé l'avoir illuminé à nouveaux frais - M. Barack Obama est allé jusqu'à collaborer avec une coupable frénésie à la construction d'un mur d'acier de quatre mètres de profondeur autour d'une ville d'un million et demi d'hommes, de femmes et d'enfants assiégés et affamés par Jahvé.

Croyez-vous que l'intelligibilité historique étriquée d'autrefois puisse rendre compte des paramètres réels de cette histoire semi mythologique? Car, quelques semaines seulement plus tard le cerveau de ce chef d'Etat a été conduit à raconter ou à réciter un scénario qui plaçait le même événement cinématographique dans un éclairage radicalement opposé au premier et à déclarer à la presse internationale que le spectacle filmé sur la pellicule de l'incarcération de l'immense population de Gaza n'était " pas tenable ". Comment se fait-il que M. Ban Ki-moon, Secrétaire général de l'ONU, se soit trouvé contraint de souligner, lui aussi, que l'immoralité de cette politique était insoutenable aux spectateurs? Comment se fait-il, que M. Cameron, Premier Ministre de sa Majesté la reine d'Angleterre, ait déclaré à son tour que la morale du gentleman anglais se rangeait du côté d'une éthique minimale du genre humain? Quel est le personnage hollywoodien, à votre avis, qui a fait déposer une couronne aussi inattendue que celle d'une éthique universelle sur la tête de ces trois dirigeants de la planète de la Metro Goldwyn Mayer? Quel est l'acteur des âmes qui a fait rendre le même verdict à la Commission mondiale des droits de l'homme à l'ONU le 24 septembre 2010?

Certes, quelques missionnaires de l'image avaient affrété des cargos sous les yeux d'une espèce ahurie, mais surtout sous le regard des caméras du monde entier ; certes, ces apôtres spectaculaires avaient tenté d'apporter des centaines de tonnes de vivres, de médicaments et de biens de première nécessité aux affamés, certes encore, ils avaient payé leur expédition du tribut bien réel de neuf cadavres bien frais dans leurs rangs. Mais croyez-vous que si l'opinion publique mondiale du singe estomaqué par le spectacle de son sang n'était pas déjà devenue le siège véritable de l'éthique des saints secouristes, leur expédition relayée par satellite aurait fait changer de bésicles au globe oculaire de la planète ? Croyez-vous que si notre espèce prosternée le nez dans la poussière depuis l'âge de pierre n'avait pas été sidérée par une immolation aussi sanglante sur les autels des démocraties néroniennes, les sacrifices au dieu de la Liberté auraient triomphé des foudres de Jahvé sur l'offertoire de Gaza? L'histoire gravée sur la rétine d'Isaïe n'est pas l'histoire racontée dans les livres scolaires, l'histoire écrite par les prophètes est celle où l'humanité se donne en spectacle à l'école de la vie et de la mort de ses dieux.

4 - L'avenir du sceptre de l'opinion mondiale

El Pais (Madrid) : Monsieur le Président, quel déroulement de l'histoire théologique des égorgements annoncez-vous à l'espèce ailée?

Le Général : Voyez-vous, Monsieur, il est des heures où les anges de l'histoire séraphique et carnassière du singe nu déplacent soudainement de quelques centimètres leurs ailes de fer et de velours. Alors les oligarchies gangrenées cessent subitement de tenir la plume de la véritable histoire du sang. Alors, quelques héros de l'éthique d'un monde à venir jaillissent de l'humus de notre espèce. Est-il une démonstration plus éclatante de ce que l'histoire cérébrale de l'humanité n'est plus pilotée par le glaive et les ciboires des trois dieux autrefois qualifiés d'uniques, mais par leur exécuteur testamentaire et leur légataire universel, le jugement d'une opinion publique mondiale devenue le nouveau pédagogue de l'humanité? Croyez-vous que la pellicule de la mémoire éthique de l'histoire ne se déroule pas d'ores et déjà devant un nouveau tribunal de la moralité et de l'immoralité futures de notre espèce?

Certes, Israël a aussitôt démontré qu'il tenait les sénateurs du Nouveau Monde par leurs basques et que non seulement le parti démocrate perdrait les élections de mi-mandat, mais que M. Barack Obama ne serait pas réélu s'il refusait de se plier aux volontés du peuple à la main de fer - et l'on a vu le prophète du Caire se renier pour la troisième fois avant que le coq eût chanté. Mais, à compter de ce jour, la Résistance française se situe au cœur de la philosophie et de la politique des âmes et des têtes. J'ai été le premier contempteur de l'immoralité mondiale des dirigeants gangrenés de mon temps, et maintenant, ce n'est pas de ma faute si je vois naître en tous lieux une réflexion anthropologique d'une logique rigoureuse sur les scansions théologiques qui écrivent l'histoire des relations schizoïdes que les peuples entretiennent avec leurs élites politiques.

5 - La terrasse d'Elseneur

Il vous suffira donc, je le répète, d'enregistrer la suite des évènements qui ponctuent une histoire universelle bicéphale pour constater que les circonstances se placent comme d'elles-mêmes dans la problématique qui leur donnera leur sens trans anecdotique. Vous remarquerez, primo, que le Premier Ministre israélien s'est précipité à Washington, secundo, que c'est sous le nez du Président des Etats-Unis qu'il a exhorté ses fidèles à suivre les directives de Jahvé, tertio, qu'il a aussitôt fait capituler le Dieu de M. Barack Obama, quarto, que non seulement la Maison Blanche a dû renoncer sur l'heure à demander l'arrêt de l'expansion armée des colonies du Grand Israël en Cisjordanie, mais que la pestifération intensive de l'Iran y a trouvé un nouveau souffle, au point que votre Europe asservie a assumé la relève des sanctions qu'elle avait déjà prises dans un premier élan un mois plus tôt contre Téhéran. Mais, dans le même temps, la démonstration de ce que les prêtres d'Israël ne tiendront pas longtemps les rênes de l'histoire mi-politique, mi-mythologique de la planète entre leurs mains illustrera la logique interne qui commande aujourd'hui le véritable destin des droits d'une raison laïque approfondie jusqu'au vertige.

La preuve en a été aussitôt apportée par l'indignation rationaliste que tous les peuples du monde ont manifestée au spectacle de l'immoralité abyssale du subterfuge à la fois onirique et ubuesque selon lequel l'Iran menacerait Israël de pulvérisation atomique s'il disposait du feu nucléaire. Il est donc d'ores et déjà devenu impossible de soumettre le récit des événements et leur interprétation sur le long terme à une grille de lecture superficielle de leur immoralité, premièrement parce que l'opinion mondiale est un zoologue qui a compris depuis plus de quarante ans que deux nations armées de la foudre de leur extermination réciproque neutralisent leurs sacerdoces du meurtre payant et que tel est précisément le gage d'une paix durable entre leurs enfers respectifs, secondement, parce que le bon sens populaire sait depuis belle lurette qu'il s'agit seulement de perpétuer le faux prestige militaire des prêtres de la mort, donc l'hégémonie politique illusoire qui s'attache encore dans quelques esprits abêtis à brandir l'arme mythologique par nature et par définition d'un auto-anéantissement prétendument héroïque des deux auto-sacrificateurs, alors que leurs géhennes se tiennent réciproquement en respect, troisièmement parce que les hautes instances de la civilisation semi animale d'aujourd'hui constatent qu'Israël ne disposera que fort peu de temps du pouvoir de ses zoologues d'égarer le jugement de quelques simianthropes dont la masse fond à vue d'œil et de troubler l'entendement des sots dont la proportion devient de plus en plus minoritaire au sein de l'humanité.

6 - Les cinq scansions de l'histoire des peuples

El Mundo (Madrid): Monsieur le Président, vous soutenez que deux adversaires dont chacun aura posé le canon de son arme sur la tempe de son adversaire ne vont pas appuyer sur la gâchette; vous dites que le pacte conclu entre la santé d'esprit la plus ordinaire de tous les peuples de la terre et les exigences morales élémentaires que tout le monde se partage est devenu une évidence saisissante. Mais je constate que le bon sens de la terre entière n'a pas jugé à la fois immorale et politiquement suicidaire la volte-face diplomatique de la Russie, qui, l'été dernier et hier encore a fait annoncer à M. Medvedev que "les vrais intérêts" de son pays seraient désormais exclusivement industriels et commerciaux. Comment appliquez-vous à la logique de votre démonstration de l'absurdité militaire d'un suicide à deux une diplomatie qui, dans son ordre, défie tout autant le bon sens le plus élémentaire?

Le Général de Gaulle : L'opinion populaire de la planète a tout de suite compris qu'une Russie qui perdrait de vue ses véritables intérêts se ferait sauter la cervelle sur la scène internationale, parce que la sauvegarde de la dignité du peuple russe et la préservation de son rang de grande puissance sont une question de survie politique de l'ex-empire des Tsars. Si le déshonneur se vend pour un plat de lentilles, l'honneur, lui, ne s'achète jamais à si bas prix.

Aussi a-t-il suffi, l'été dernier, de deux jours à M. Poutine pour rappeler son poulain inexpérimenté au bon sens politique le plus élémentaire et vingt-quatre heures seulement à la Chine pour prendre le chemin du même redressement diplomatique face à une Maison Blanche qui criait déjà victoire à tue-tête. C'est que l'arbitre du destin politique des grandes nations se révèle désormais à ce point de l'ordre d'une éthique transanimale que leur chute dans le précipice de la décadence est la rançon zoologique immédiate d'un instant seulement d'oubli des devoirs attachés à la santé d'esprit des grands Etats.

En vérité, l'escalade de la pente opposée a commencé avec la flottille de la Liberté, puisque le blocus de Gaza est devenu le test mondial de l'avenir des démocraties dans le royaume de l'éthique des civilisations. Ou bien elles triompheront de l'abaissement de l'humanité dont Jahvé leur réclame le tribut ou bien elles traîneront le boulet de l'immoralité sanglante d'Israël jusqu'à leur disqualification politique définitive sur la scène de l'histoire de la justice.

Le Corriere della serra (Rome) : Monsieur le Président, pouvez-vous nous détailler l'itinéraire et les étapes d'une renaissance de l'éthique de la civilisation?

Le Général de Gaulle : Vous me demandez rien de moins que de préciser le rythme des scansions, la nature des basculements et la signification des mutations brusques de la politique événementielle et sacerdotale de l'histoire du meurtre humain; vous me demandez rien de moins que de clarifier les causes de la disqualification morale et intellectuelle des ecclésiocraties meurtrières et leur remplacement par des élites régénérées.

Le premier pourrissement mondial des élites de la morale politique s'est produit à Rome à l'heure où le délabrement des institutions de la République a fait applaudir à tout rompre au peuple des Quirites le franchissement du Rubicon par le conquérant de la Gaule; la seconde putréfaction générale de la morale politique est celle qui a conduit un christianisme de ploutocrates de l'autel à vendre le sang de leur divinité contre espèces sonnantes et trébuchantes et à perdre le guidage des intelligences aux guichets d'une immortalité des corps tarifée et proclamée achetable en bons de caisse aux bureaucrates de l'éternité; la troisième liquéfaction générale de la morale politique s'est produite à l'heure où la putréfaction de l'administration du ciel par l' aristocratie monarchique a dû céder la place à l'aristocratie prometteuse des guerriers nouveaux de la Liberté et de la Justice - l'heure où la classe nobiliaire de la raison a dressé son clergé juvénile sur les ruines d'une orthodoxie religieuse pétrifiée; la quatrième résurrection de la morale politique est celle qui a suivi le naufrage des prodiges les plus sots du christianisme romain, ce qui m'a permis de renoncer aux ressources politiques de la foi et de ses miracles alors en usage et de légitimer à la seule école de la morale rationnelle la lutte armée des peuples vaincus contre l'occupant.

Depuis lors, le patriotisme a perdu son assise dans le surnaturel et seule la résistance citoyenne permet aux nations de mettre en accusation devant leurs tribunaux les dirigeants qui auront capitulé sur le champ de bataille de l'éthique civique. Ce point sera décisif pour légitimer au pénal le châtiment des dirigeants européens actuels qui auront autorisé des troupes étrangères à stationner en pleine paix sur leur territoire, et cela pendant trois quarts de siècle. Je rappelle qu'il s'agit d'une violation ouverte et continue du droit de la guerre en vigueur aujourd'hui. Le cinquième effondrement de la morale politique résulte du débarquement d'une théocratie en armes sur les terres du peuple palestinien et la sacralisation d'un Etat mi-religieux, mi-laïc, mais fondé sur la délégitimation radicale des principes moraux de la civilisation mondiale de la liberté politique.

Je rappelle également que, par définition, tout pouvoir fondé sur le sacré est condamné à réfuter le principe même de la résistance armée des peuples à l'occupant, et cela du seul fait que si les désastres militaires d'une nation n'étaient pas censés répondre aux desseins impénétrables d'une idole sur tous les champs de bataille du monde, ce type de divinité s'en trouverait réduit au rang d'une potiche impuissante. C'est pourquoi le dogme fondamental des théologies enseigne que "tout pouvoir vient de Dieu", c'est-à-dire que le créateur du cosmos est un chef d'Etat au timon des affaires et responsable de l'histoire du monde.

Je rappelle, dans le même esprit, que c'était en toute logique théologique que Vichy légitimait le Dieu des chrétiens à châtier une France vaincue, parce que pécheresse. C'est pourquoi, plus d'un demi siècle après la promulgation de la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat de 1905, j'ai donné à la Révolution française son véritable contenu en fondant la culpabilité politique des citoyens sur leur seul devoir à l'égard de leur pays, ce qui a exigé la rédaction de manuels scolaires déniaisés et une législation qui a imposé leur usage exclusif jusque dans l'enceinte des écoles religieuses; et pour cela, il fallait également se résoudre à ne qualifier que des professeurs titularisés par des diplômes de l'Etat laïc, et enfin, pour plus de sûreté encore, se résoudre à interdire aux enseignants de ces écoles de corriger les épreuves du baccalauréat. Pourquoi cela, sinon parce que seule une politique résolue du contenu et du fonctionnement rationnels des cerveaux permettra aux nations européennes de résister à leur vassalisation par les messies de l'étranger. Voyez l'Italie, l'Allemagne, l'Espagne asservies à une théologie des démocraties apostoliques dictée par un empire étranger, voyez la France actuelle, qui a reconduit la République laïque sous le joug parallèle de l'étranger et d'une religion fondée sur la souveraineté du plus fort sous le masque évangélique du protestantisme et vous comprendrez que le combat pour le véritable contenu cérébral de la laïcité française est un combat pour la souveraineté de la nation. Et c'est pourquoi le véritable enjeu des négociations au Moyen Orient est de substituer à l'expansion politico-religieuse de Jahvé le droit des Palestiniens de se fonder sur un Allah que le Hamas a rendu compatible, lui, avec la politique mondiale de la France de la raison, parce qu'une religion née au VIe siècle jouit nécessairement d'une grande avance intellectuelle sur des mythes centraux tels que la transsubstantiation eucharistique, selon laquelle les paroles du prêtres changeraient du pain en viande divine ou la naissance d'un homme d'une vierge fécondée par un Dieu. Ce n'est pas avec de telles absurdités qu'on forge une nation de la Liberté.

7 - Tartuffe à Gaza

Mais il y a plus : la révolution anthropologique de la géopolitique répondra au débarquement de l'astronomie de Copernic dans celle de Ptolémée en ce qu'elle interprètera l'histoire mondiale de l'alliance de l'éthique et de la raison politique depuis la chute de l'empire romain dans une optique semi-zoologique; et cette révolution méthodologique deviendra encore plus rétroactive quand elle conduira les futurs chefs d'Etat des démocraties européennes à une interprétation rationnelle, donc à un scannage accusatoire de la psychophysiologie qui a piloté les classes dirigeantes depuis deux millénaires et qui les a conduites à leur déliquescence intellectuelle d'aujourd'hui. Car les élites subissent un délitement cérébral lié à la bipartition native de leur encéphale entre le réel et des cosmologies délirantes. Vingt siècles d'évangélisation tartuffique de l'Occident ont conduit l'oligarchie planétaire contemporaine à arborer conjointement ou tour à tour deux masques sacerdotaux associés et complémentaire, celui d'un panégyrique officiel des idéaux que la démocratie planétaire confesse pieusement, mais toujours du bout des lèvres et celui d'un apostolat de type évangélique dont le thème de l'amour de tout le genre humain retentissait autrefois du haut de la chaire et aujourd'hui au sein du polyculturalisme décérébré des décadences.

Mais pour mettre en scène ce type de dyarchie cérébrale au profit de l'empire dominant du moment, il a fallu faire monter un Lucifer de la dernière cuvée sur les planches usées de l'histoire du Bien et du Mal: le Démon qui attisera le feu sous les marmites de la damnation universelle s'appellera l'Iran. Les inquisiteurs de la démocratie messianisée par l'Amérique feront monter cet hérétique idéal sur la scène de la pestifération universelle des modernes ; et les magistrats qui siègeront au tribunal des assermentés du Nouveau Monde rendront leurs verdicts au nom des idéalités pseudo séraphiques dont ils auront fait leurs idoles. La dichotomie parareligieuse de tout le théâtre de la religion des droits de l'homme reproduira fidèlement la schizoïdie des ancêtres dont les serviteurs scindaient leur foi entre les fausses dévotions de leur clergé et les profits du culte qu'ils appelaient les bénéfices ecclésiastiques. C'est pourquoi le monde moderne exerce deux faux sacerdoces à Gaza, celui des idéaux déconfits de la démocratie et celui du guerrier dont le nom est Jahvé.

Le Quotidien du peuple (Chine ) : Monsieur le Président, depuis deux décennies, votre pensée politique ne cesse de s'étendre et de se ramifier sur la scène internationale. Le spectacle de la gesticulation désespérée d'une classe dirigeante mondiale prise en étau entre la honte de son péché à Gaza et l'alibi de ses fulminations " vertueuses " contre les damnés de Téhéran illustre la postérité féconde de votre analyse de la schizophrénie d'une humanité que nous voyons osciller entre ses rédemptions et ses pénitences. Puis-je vous demander de bien vouloir vous étendre encore quelques instants sur cet aspect de votre anthropologie politique et religieuse?

Le Général de Gaulle : Je n'ai rien inventé; tout cela est dans le Tartuffe de Molière. Mais les faux dévots de la démocratie ne joueront pas longtemps le rôle biface qui les dédouble dans la maison d'Orgon qu'est devenue la République. M. Cameron aura beau se proclamer tout ensemble sioniste et palestinien, M. Sarkozy et Mme Merkel auront beau lui emboîter le pas, leur claudication partagée sur la scène internationale fait peine à voir, tellement ces acteurs d'une éthique politique contrefaite scindent la démocratie mondiale entre un porte-à-faux jésuitique et les derniers soupirs d'une Liberté agonisante.

Mais voyez comme Tartuffe se fait tirer l'oreille, voyez comme il rechigne à condamner le camp de concentration de Gaza, voyez comme il légitime la présence d'Israël sur les terres qu'il a volées, voyez comme il porte à bout de bras les cierges de la religion épuisée des droits de l'homme, voyez comme il se garde d'ouvrir le dossier du retour des réfugiés, le dossier du retrait du peuple juif à ses frontières de 1967, le dossier de la conquête de Jérusalem en violation du droit international. Mais elle est imminente, croyez-moi , la citation de la civilisation mondiale à comparaître devant le tribunal de la cohérence mentale de la France de la raison.

Certes, le monde politique moderne a élevé une casuistique de la démocratie au tragique reniement international des idéaux de la justice et du droit. Mais comment la planète se blanchirait-elle à l'école d'une pestifération truquée de la Perse ? Comment donnerait-elle le change sur des béatifications et des damnations artificielles?

8 - Le rendez-vous des peuples avec l'éthique

Déjà l'histoire vivante pousse des pseudopodes prometteurs hors de la geôle de son enfermement théologico-politique entre Gaza et Téhéran, déjà ce tentacule se change sous nos yeux en tête de pont de l'intelligence politique de demain, déjà ce débarquement se propage et s'installe au milieu du nouveau paysage du monde, déjà il rassemble le troupeau effaré des Etats schizoïdes , déjà ce noyau se cristallise et fascine la troupe effarée des fuyards, déjà il divise les inquisiteurs et les bénisseurs en deux camps, déjà un gouvernail, un pilote, une direction apparaissent, déjà la Turquie, le Brésil et l'Iran se sont réunis à Ankara, déjà la Russie multiplie des signes de repentance, déjà la Chine a mesuré la perte de prestige d'avoir lâché un instant la proie pour l'ombre, déjà la question la plus décisive se place sous une crue lumière, celle de savoir si Israël réussira à jeter par-dessus bord la civilisation mondiale du droit et de la justice.

Depuis les origines, l'Histoire de la politique raconte l'alliance secrète que les classes dirigeantes simiohumaines concluent avec le meurtre que bénissent leurs autels et que glorifient les sacrifices dont le Dieu de la zoologie est censé les rémunérer. Ne vous étonnez pas, Messieurs, de la fatalité darwinienne qui a conduit la démocratie sacrificielle mondialisée à accoucher, elle aussi, de prévaricateurs, d'offertoires prébendés et d'un clergé acheté. Mais voyez comme la plus vieille prêtrise du monde boite sous le soleil de Gaza, voyez comme l'éthique politique des peuples relève la tête parmi les ruines des idéaux de la liberté et de la justice. Peut-être verra-t-on s'installer un instant en Judée un Etat fondé sur le reniement des valeurs fondatrices de la civilisation des évadés partiels du règne animal; mais cet Etat de guerriers et de conquérants sera plus éphémère que tout autre, parce qu'il aidera l'Occident de la pensée à plonger dans les ultimes secrets religieux du meurtre sacré auquel le Moyen Orient sert d'autel. L'heure d'Antigone sonnera à Gaza.

9 - Le bateau ivre

Monsieur le Président, la Frankfurter allgemeine die Zeit, die Welt, Bild, Süddeutsche Zeitung sont convenus de vous poser ensemble une question que nous formulons en ces termes : le 15 septembre, la haute représentante des vingt-sept nations membres de l'Union européenne, Mme Caherine Ashton, a annoncé à la presse qu'elle achevait de mettre en place le réseau diplomatique mondial qui, à l'entendre, conduira d'un pas résolu la politique étrangère de l' Europe vers un radieux avenir. Ses services compteront plus de huit mille fonctionnaires. L'Allemagne a tout de suite obtenu l'ambassade de Chine, fort convoitée, dit-on, et l'Autriche celle de Tokyo, tandis que la France s'est contentée des Philippines, du Tchad et de la Zambie. Mme Ashton vient de se voir confier les négociations de l'Europe avec l'Iran qui les a demandées au quartet. Que pensez-vous des chances de succès de la future diplomatie mondiale de l'Europe, et, si vous croyez en son destin glorieux, quelles seront sa nature, son ambition et les limites de son indépendance à l'égard de Washington ?

Le Général de Gaulle : Le bateau ivre de Rimbaud n'avait ni pilote, ni gouvernail, celui de l'Europe compte cinq navigateurs fantômes dont aucun ne tient un timon entre les mains. Le premier de ces faux capitaines s'appelle l'Assemblée de Strasbourg, qui se préoccupe comme d'une guigne du quadrillage de l'Allemagne par deux cents places fortes de l'étranger armées jusqu'aux dents sur son territoire et de celui de l'Italie, occupée par cent trente sept forteresses encore en cours d'expansion soixante cinq ans après la fin de la dernière guerre. Cela me rappelle un passage de Tacite. Sous Néron, un senatus consulte ridicule avait tranché d'une broutille - la ville de Syracuse serait autorisée à produire davantage de gladiateurs dans le cirque que le nombre prescrit par la loi. Un sénateur courageux avait ri de tant de futilité législative. Pourquoi, se demandait-il, cette haute autorité se réservait-elle des bagatelles, des niaiseries et des enfantillages, sinon parce qu'il s'agissait de cacher sous un épais silence la peur de l'assemblée de traiter des grandes affaires de l'empire?

Le second amiral d'un vaisseau sans mât ni voilure s'appelle la Commission européenne de Bruxelles, que dirige un fervent partisan de l'invasion de l'Irak par les Etats-Unis en 2003 et de l'occupation des Açores par l'armée de terre, de mer et de l'air de l'empire américain. Ah! que cet administrateur de la servitude de l'Europe demeure un pion polyglotte sur lequel la diplomatie de Washington peut compter pour tenir les rênes d'un continent attelé au char de ses chimères! Le troisième timonier de la flotte est le président belge d'une planète artificielle, errante et désarmée. On dit qu' il attend désespérément un coup de fil bénisseur du Président des Etats-Unis et que son vœu n'est pas près de se trouver exaucé, bien qu'il n'envisage le pieux avenir du Vieux Continent qu'en comparse dévot de l'empire d'outre-Atlantique. Par bonheur, son salaire de nabab est à la mesure de la fonction décorative que le traité de Lisbonne lui a assignée. Comment cette marionnette enrubannée réveillerait-elle des Etats européens qu'un abus de langage qualifie encore de souverains? Comment ce fantôme ne demeurerait-il pas pieds et poings liés, puisque sa mise en service n'a même pas jeté aux oubliettes l'autre chœur des poupées mécaniques, celui qui défile en dentelles sur la scène et qu'on a baptisé la "Présidence tournante", parce qu'il s'agit d'un manège? La nomination à grand tapage d'un majordome grassement rémunéré à la tête de l'Europe est purement nominale ; mais pour s'en assurer, il était utile de ne pas mettre hors d'usage le second cocher d'un attelage illusoire.

C'est à cette flotte privée de voiles et de gouvernail que Mme Ashton est censée ajouter un navire de plaisance. Aussi a-t-elle demandé tout de suite qu'on veuille bien l'inviter à prendre le thé à Tel Aviv. Mais cinq ministres des affaires étrangères européens ont aussitôt voulu prendre place dans le même carrosse, tellement ils craignaient qu'une si audacieuse entreprise leur ravît les cuillères, la théière et la nappe. On a évité la guerre des préséances: les ministres ne courront pas sur les brisées de la poupée. La garden party du Moyen Orient a été remise à la fin de ce mois.

10 - La vassalisation de la diplomatie européenne

Vous me demandez, Monsieur, quelle politique une Europe couronnée de têtes creuses va proposer à la Russie, à la Chine et au reste de la planète. Sur ce point votre information est incomplète. L'Elysée a obtenu que l'ambassadeur actuel de la France à Washington, un très dévoué serviteur des intérêts des Etats-Unis d'Amérique en Europe, occupe le poste-clé de Secrétaire général auprès de Mme Asthon, ce qui, en clair, signifie rien de moins que l'installation officielle des instances du Comité représentatif des institutions juives de France dans les institutions de la République. Israël s' est déjà infiltré au cœur de tous les organes de l'Union européenne. Il est donc d'ores et déjà exclu que le Vieux Monde conduise jamais une politique résolue de rapprochement avec les peuples du Coran, la Russie, la Chine, l'Inde et l'Amérique du Sud. Israël a trouvé l'assise de son autorité politique définitive au cœur de la République quand, il y quelques mois, le gouvernement de M. Nicolas Sarkozy a solennellement proclamé à Biarritz par la voix de son Ministre de la justice que le Comité israélien susdit jouirait dorénavant du rang et des apanages officiellement attribués à un Etat étranger, donc que les prérogatives d'un interlocuteur officiel et à part entière de la France et de son Etat se trouveraient désormais expressément reconnues à l'AIPAC français, de sorte que notre pays compte maintenant deux gouvernements sur son territoire. Comment se partageront-ils la souveraineté nationale?

C'est dans cette configuration des passerelles diplomatiques entre l'Etat d'Israël et les vingt-sept Etats de l'Union européenne que vous demanderez instamment à l'ambassadeur de nationalité allemande que le Vieux Monde accréditera à Pékin quel gâteau Confucius partagera avec l'autre ambassadeur, celui de la nation des Germains dans cette capitale. Je me demande en outre quelles prérogatives annexes les jumeaux allemands vont se partager entre eux en coulisses ou sur le devant de la scène, je me demande de surcroît comment deux excellences en provenance de Berlin vont évoluer côte à côte sur le théâtre du burlesque que l'on baptisera la "diplomatie européenne" si l'une des faces de ce mythe politique tendra son assiette vide à l'autre et s'il n'y a ni cuisinier, ni plats à mettre sur la table.

Voyez-vous, les empires bicéphales portent un regard vague sur leur maigre pitance. Je vous lis le menu : une France étroitement solidaire d'un interlocuteur en acier trempé sur ses propres arpents - un Comité représentatif des institutions juives de France dont un conseiller binational assiste d'ores et déjà un ministre des affaires étrangères binational, lui aussi - une telle France occupe depuis belle lurette les mêmes arènes de la politique étrangère qu'Israël et Washington. La République sera le mercenaire du corps diplomatique des vingt-sept poupées mécaniques censées représenter l'Union européenne sur la scène du monde. Quelle sera la politique de Washington à l'égard de Pékin, de Tokyo, de New Delhi, du Caire et du monde arabe, sinon celle d'Israël ? Une Europe doublement vassalisée par son maître d'outre-Atlantique et par Tel-Aviv demandera à Pékin de réévaluer le cours du Yuan et de marginaliser la Russie. Mais si l'Europe de Mme Ashton tentait de ne pas plier l'échine et de défier les directives de Washington et de Jérusalem, la Maison Blanche lui ferait clairement comprendre qu'elle veut bien lui concéder les broderies dont les grands couturiers attiffent leurs mannequins, mais non davantage. Le Pentagone et le Département d'Etat, lui diront-ils sans détours, sont en mesure de faire fi du siège de velours que l'Europe lui réclame et de négocier seuls non seulement avec Moscou et Pékin, mais avec la planète tout entière.

Voilà la vraie donne du monde. Voyez-vous, Messieurs, une Europe pilotée par les vassaux d'une puissance étrangère ne sortira pas de la rade et ne gagnera jamais le grand large. Mais le monde moderne est celui d'une accélération foudroyante du temps de l'histoire. Si nous ne nous attelons pas à la tâche d'éveiller l'opinion publique des peuples arabes, nous ne disposerons jamais du seul levier qui permettrait à l'Europe de se changer en Christophe Colomb de la politique internationale du XXIe siècle.

11 - L'éthique politique de la souveraineté

Les Izvestia (Russie): Monsieur le Président, dans les décadences, le choix des vaincus n'est-il pas de participer le mieux possible et même modestement, s'il le faut, à l'histoire réelle du monde sous le sceptre d'un triomphateur devenu inamovible ou de quitter l'arène avec armes et bagages? Sparte s'est fièrement tenue à l'écart des aigles romaines victorieuses du monde hellénique et son destin s'est réduit à celui d'un village oublié au bord de l'Eurotas. Athènes a collaboré avec tous les Césars et sa culture a fécondé non seulement la civilisation des légions, mais à partir de la Renaissance, celle d'une Europe retombée dans l'ignorance. Comment théorisez-vous la présence durable ou l'absence définitive de l'Europe d'une scène internationale qui l'a placée sous la houlette de l'empire américain depuis 1945?

Le Général de Gaulle : Rome a triomphé de l'esprit public au sein des nations asservies à sa loi et elles ne s'en sont remises qu'à l'heure de la ruine de l'empire. Mais, à partir de Tibère, c'est son immoralité politique qui a conduit la civilisation de la louve à sa perte. Cette immense leçon de l'histoire universelle est encore celle qui se rappelle à l' Europe de notre temps : en 1940, il fallait bien que la France gardât les contours d'une apparence d' Etat sur les cartes topographiques, il fallait bien que sa géographie eût une ombre de gouvernement qui représenterait des kilomètres carrés à défaut des citoyens d'une nation. Mais quand Hitler a franchi la ligne de démarcation entre la France occupée et la France de Vichy, le chemin du devoir civique était clairement tracé aux yeux de tous les patriotes.

De nos jours, un gouvernement de la France qui ferme les yeux sur un empire où la torture a été non seulement rétablie en fait, mais dûment légalisée trois siècles après son abolition dans tout le monde civilisé, un gouvernement de la République qui approuve le blocus de Gaza où quinze cent mille hommes, femmes et enfants subissent la loi d'Israël et de son complice d'outre-Atlantique, un gouvernement de la France qui a envoyé un navire de guerre renforcer le blocus de l'occupant de Gaza dont l'assaut aérien et terrestre avait fait mille quatre cents morts, un gouvernement qui a collaboré à la construction d'un mur d'acier autour de Gaza aux côtés de Washington, un tel gouvernement ne se trouve pas seulement disqualifié aux yeux de l'éthique politique du monde, un tel gouvernement se trompe en outre de balance à peser l'intelligence des Etats. La honte de la France d'aujourd'hui est dans un mot terrible de Mirabeau: "Il existe pire que le bourreau, son valet".

La vraie politique prononce les verdicts de l'esprit de justice, la vraie politique est la science de l'âme des nations, la vraie politique rend les arrêts infaillibles de la raison. Trahir, c'est seulement se mettre un bandeau sur les yeux. La civilisation occidentale entrera en résistance ou mourra. Mais le temps de l'héroïsme des lucidités solitaires est déjà révolu, l'heure de l'intelligence morale du politique est de retour; et cette intelligence-là nous enseigne que l'Amérique ne portera pas longtemps à bout de bras le double fardeau de plus de mille camps fortifiés sur les cinq continents et d'une monnaie fictive qui s'essouffle à porter les armes et les songes d'un vaste empire. Je ne suis pas prophète; j'ai seulement tenté de tenir le langage de la logique supérieure qui commande l'histoire secrète du monde et qui raconte le destin de la morale au cœur de la conscience politique de l'humanité.

12 - Le Hamas

O Globo (Brésil) : Monsieur le Président, M. Khaled Mesh'aal, chef du bureau politique du mouvement de résistance islamique (Hamas) semble s'être référé expressément à votre politique de l'alliance de la souveraineté avec la morale quand, en 1944, vous avez refusé tout net d'exprimer la gratitude de la France à l'égard de ses alliés, qui avaient solennellement légitimé la Résistance et lui avaient officiellement fait le cadeau diplomatique immense de la cautionner aux yeux du droit international public. Vous avez écrit dans vos Mémoires de guerre: "Ne remercier personne : la France n'a pas à se faire reconnaître". Aujourd'hui le chef du Hamas rappelle que ce serait légitimer "l'occupation et le vol de la Palestine" que de reconnaître l'Etat d'Israël. "Pour nous, ajoute-t-il, ce principe est clair et définitif." Quelle est votre position à l'égard de la résistance armée de l'Islam à l'occupant israélien?

Le Général de Gaulle : Ma "position" , comme on l'a écrit, à l'égard de nos alliés en 1944 n'était pas la mienne, mais celle de la France de tous les siècles et de tous les régimes. Le droit est devenu une science à partir de la rédaction de la loi des douze tables. Il est donc encore plus burlesque que grotesque de demander à la vraie Résistance palestinienne, celle du Hamas, de valider l'occupation de son territoire aux yeux du droit international public, puisque celui-ci ne dispose en rien du pouvoir qu'on lui attribue ridiculement de renier ses propres fondements. Les démocraties actuelles demandent rien de moins à la géométrie d'Euclide que de réfuter le théorème de Pythagore. C'est une décision plus stupide encore que barbare, parce que, dans ses profondeurs, la résistance du Hamas est celle du combat des civilisations contre le droit du plus fort.

Comment voulez-vous que les autels de la religion des droits de l'homme accueillent le cadavre des principes universels des droits de l'homme sur leurs offertoires? Croire possible un sacrifice de sang de cet acabit, c'est oublier que le droit international n'est jamais que l'expression transzoologique de l'aspostasie inversée, celle qui immole la loi des glaives au nom de l'esprit de vérité. La prééminence de la conscience sur la force remonte non point à la souillure dont une certaine potence a entaché à jamais la justice des Etats, mais à une certaine ciguë que les archontes de l'immoralité politique font boire à la raison depuis vingt-cinq siècles. C'est du dieu des supplices de l'esprit que le Hamas entend la voix à la lecture du Coran. Tel est l'enjeu véritable de la politique du sang et de la mort d'hier, d'aujourd'hui et de demain, tel est l'enjeu de la morale et du droit qui fait, du Moyen Orient, le champ de bataille où le dieu des armées affronte le dieu dont l'emblème est un gibet.

Je vous remercie.

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Publié le 27 septembre 2010 avec l'aimable autorisation de Manuel de Diéguez

- Voir : Programme de rentrée: du 22 août au 24 octobre 2010

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Source : Manuel de Diéguez
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